Psychopathologie des soins quotidiens – Une boussole pour soignant désorienté Mission Sans-Abri de Médecins du Monde
Psychopathologie des soins quotidiens – Une boussole pour soignant désorienté
Mission Sans-Abri de Médecins du Monde
Texte présenté aux XXXIè Journées de Psychothérapie Institutionnelle
12-13 Octobre 2017
Le texte que nous vous présentons aujourd'hui a été élaboré, pensé et rédigé en équipe afin
de vous témoigner de notre travail auprès des personnes sans abri ainsi qu'au sein de notre collectif.
Notre démarche est celle d'aller-vers les personnes de la rue, au rythme de trois ou quatre
maraudes par semaine, de jour ou en soirée, à pied, en civil, régulièrement dans le même périmètre
et toujours en binôme car il est essentiel de ne pas s’engager seul dans la rue. Parce qu’« un homme
seul n'est pas un homme » disait Lacan, nous visons à créer du lien, des liens, afin d'amarrer le sujet
en errance, relever et mettre en mouvement le sujet coulé dans l’asphalte du trottoir. Créer un lien
pour lui permettre d’exister et de s’inscrire dans des soins somatiques ou des prises en charge
sociales. Si le sens de notre action prend racines dans la rue, celle-ci acquiert toute sa signification
au cours et grâce aux réunions hebdomadaires d’échanges et de travail, lieu de récits certes, mais
surtout invitation à la parole avec nos inquiétudes, nos doutes et nos interrogations. Pour nous, une
remise en cause permanente de nos certitudes est plus qu'obligatoire, nous ne pouvons pas y
échapper. Portés par les valeurs de Médecins du Monde, « Soigner et témoigner », toute notre action
s’accompagne d’une attention à l’autre, sans-abri ou Maraudeur, car la précarité n’est pas réservée
aux gens de la rue : elle traverse également le vécu des habitants de la ville, des institutions, des
travailleurs sociaux avec lesquels se tissent des liens invisibles.
La préparation de cette présentation a été l'occasion de nombreux échanges. Écrire pour
s'exposer dans sa parole est toujours une prise de risque, produit des effets inattendus et souvent
féconds ; ici aussi, la mise au travail est venue révéler la tension dialectique qui s’exerce en nous et
entre nous dans la réalisation de « notre mission ».
« Psychopathologie des soins quotidiens, une boussole pour soignant désorienté »… De
prime abord, ce sujet était fait pour nous car parler de désorientation et de boussole à des
maraudeurs, forcément, ça matche ! Les « soins quotidiens » cela semblait bien être notre « job » …
car ce que nous prétendons, c’est prendre soin de la personne sans abri dans une présence aussi
quotidienne que possible. Mais peut-on qualifier notre action de « soins quotidiens » alors que nous
faisons irruption dans la vie des SDF ? Et sommes-nous des soignants ? Psychopathologie des soins
quotidiens, qu’est-ce que cela veut dire ? Avec sa psychopathologie de la vie quotidienne, Freud
révèle l’inconscient qui nous gouverne. Avec cette « psychopathologie des soins quotidiens »,
sommes-nous invités par l’AMPI à nous intéresser à cet inconscient qui se dévoile dans nos
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errements ? Et de quel inconscient parlons-nous ? Celui des personnes vers lesquelles nous allons
ou le nôtre ? Ainsi, nous avons donc recherché nos impasses, nos dissonances, nos refuges pour
tenter d’entendre quelque chose…
Tel un autre maternel suffisamment bon, notre démarche est d’abord celle d'aller à la
rencontre de cet autre, de ces autres en rupture avec le social, assis sur le macadam une main
tendue, une casquette devant eux. C'est ainsi que nous décidons, au gré de nos pérégrinations, de
nous arrêter sur les bords du chemin et d'adresser un regard, une salutation, au creux du quotidien
de ces personnes exclues, au moment de la manche, du repos, du déjeuner, chez eux, sur ce bord de
trottoir ainsi approprié le temps d'une halte plus ou moins éphémère.
Comment s'adresser à eux et comment être accueillant ? Dans ce mouvement d’aller vers,
nous nous rendons chez eux, nous les interpellons, notre présence, nos mots s’imposent à eux sans
qu’ils n’en aient rien demandé. En retour, ils restent figés, ou nous regardent passivement nous
rapprocher, ils nous serrent la main, nous tendent leur chapeau, nous questionnent : « Qu'est ce que
vous voulez ? »... C’est vrai ça, « qu’est-ce que nous voulons » ?
Pourquoi s’adresse-t-on à un tel plutôt qu’à tel autre ? Qu’est-ce que nous disons à notre
corps défendant en désignant telle ou telle personne comme une personne sans abri ? Chacun fait
selon son inspiration, ses peurs, ses fantasmes, les uns évitent les groupes, les autres les personnes
très alcoolisées, les derniers ceux qui crient … Ce sont nos propres mouvements psychiques qui
nous font nous déplacer vers les uns plutôt que vers les autres.
Aller vers, c’est faire précéder l’offre à la demande. Cela commence toujours par un regard,
un mouvement, un geste et quelques mots :
« Bonjour, comment allez-vous ?»
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? Vous avez besoin de quelque
chose ? »
« Bonjour, je m'appelle Corinne, est-ce que je peux parler avec vous ? Je ne vous dérange
pas ? »
« Bonjour, est-ce que je peux m'asseoir pour discuter avec vous ? »
« Bonjour, moi c'est Marine et vous, c'est comment ? »
Si nous nous présentons comme une équipe de MDM, ce n’est que très rarement que nous
précisons notre profession, en particulier ceux d’entre nous qui pourraient faire partie des
« soignants », de peur peut-être que cet énoncé ne puisse venir entraver la possibilité de la
rencontre, nous réduisant à n'être les uns et les autres que des soignants et des soignés.
« Bonjour, comment allez-vous ?». Cette phrase que dit-elle de nous ? N’est-ce pas une
étrange façon d’aller vers : de quelle place demandons-nous à l'un de nos semblables comment il va
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avant même de le connaître ? Apparemment « si naturelle » ou bienveillante, cette phrase ne seraitelle
pas violente ou intrusive ? Elle semble inscrire d'emblée cette personne que nous souhaitons
rencontrer dans une différence ; elle énonce quasi-explicitement nos fantasmes de réparation, elle
véhicule nos représentations de la précarité, nous réduisant le sujet au « sans abrisme ».
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? vous avez besoin de quelque
chose ? ». L'accroche implique ici une demande matérielle, elle nous protège, légitime notre venue,
correspond à nos projections… Mais ne prend-on pas le risque qu’elle ouvre et ferme la rencontre
dans le même temps ? Sommes-nous vraiment là pour ça ? Pourquoi venons-nous interroger leur
besoin quand le plus souvent nous ne pouvons pas y répondre ?
On le voit, ce premier contact est difficile pour eux peut-être, pour nous certainement. Il n’est pas la
rencontre mais il n’a de sens que s’il peut être inaugural à celle-ci.
Avec pour références la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse, nous voulons
déployer une clinique de l’accueil, d’humanisation du Sujet, une clinique qui permette une mise en
élaboration progressive d'une parole, conduisant à une restauration du sujet et de son espace intime.
Tout en défendant la logique médico-sociale de Médecins du Monde (la survie de chacun et l’accès
aux soins pour tous restent pour nous une préoccupation permanente), nous souhaitons nous situer
dans le champ de l'intime, au plus près du sujet pris dans une double aliénation psychique et sociale.
Comment déployer cette clinique de la présence dans la rue ? Qu’est-ce que la présence dans un
espace qui n’existe pas, en tant qu’il est sans limite et mouvant ? Quel espace notre présence
pourrait-elle ainsi venir habiter ?
Confrontés nous même à l’errance dans nos maraudes, notre premier défi est de rendre notre
présence ni évanescente ni envahissante. Issu du latin sionare, le « soin » signifie « s'occuper de »,
il est « l'attention que l'on porte à faire quelque chose avec propreté, à entretenir quelque chose. » Il
suppose quelque chose de la continuité, de la quotidienneté. C’est alors cette répétition dans le
temps qui est l’objet de notre attention. La régularité de nos maraudes et nos rituels langagiers ou
gestuels viennent scander le temps, marquer des limites à l’espace informe et crée les possibilités de
la rencontre. Ils nous rendent présents. C’est cela notre premier engagement et c’est le plus
exigeant.
Car cette continuité et cette position d’accueil sont difficiles à tenir.
Nous croisons un jour Emile, avec qui nous avons développé quelques liens au fil de nos maraudes,
parlant avec lui de son histoire comme de l'Histoire de la France, de musique et de littérature, de
chiens … Allant vers lui, l'un de nous demande une première fois « Comment allez vous ? »,
« bien » répond-il. Nous sommes sur une artère passante, il y a beaucoup de bruit, nous nous
asseyons par terre près de lui. Distraits par cette installation, nous n’entendons pas sa réponse et ré-
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itérons la question « Comment allez vous ? ». Emile se lève brusquement, cherchant à échapper à
notre présence, il s'énerve, crie : « Mais qu'est ce que vous me voulez à la fin je n'ai pas besoin de
tuteur moi, je n'ai pas besoin d'un tuteur ! ». Nous restons figés, désarçonnés, décontenancés,
plongés dans notre incompréhension. Nous tentons de le calmer mais rien n’y fait, il est debout,
s'agite, très impressionnant. Après un échange de regard, nous prenons la décision de partir face à
son refus de nous parler et le saluons timidement.
Que s’est-il passé pour Emile dans cette rencontre ? Quelle absence, quelle intrusion serions-nous
venus introduire ou incarner ?
Dans un après coup, une fois l'émotion de cette altercation atténuée, nous réalisons que, pour la
première fois, avant d’aller vers lui, nous nous étions adressés à un autre homme non loin de lui.
Cet événement, pourtant anodin, serait-il venu souligner notre appartenance à Médecins du Monde
et placer Emile comme un SDF parmi tant d'autres ? Comme si, tout à coup, nous n'étions plus sur
un pied d'égalité, nous venions représenter un grand Autre social trop persécuteur, un « tuteur ».
Dans « tuteur » il y a presque tueur… Nous sommes-nous montrés défaillant à ne pas l’entendre,
trop pris par notre propre installation ? Avons-nous fait intrusion chez lui ? Nous n’avions pas
demandé si nous pouvions entrer…
Ainsi, entre une absence d'Autre social fuyant ou un vécu de sa trop grande présence
touchant à la persécution, nous nous situons sur un fil de funambule, tentant de ne pas vaciller entre
deux écueils. Notre engagement dans la continuité est une nécessité lorsque nous faisons le pari
d'un possible, d'une création dans et par le lien. Pour nous qui n’apportons rien, cette présence à
l’Autre n’est faite que de cette continuité. Elle est notre clinique du quotidien, dans la répétition
régulière de nos mots et de nos mouvements venant différencier les espaces pour permettre de les
habiter. Répétition des soins de cet autre souvent maternel, renforçant le sentiment de continuité
d’existence et débouchant sur la construction d’un récit, d’une histoire, commune qui nous lie les
uns aux autres.
Pour les sujets souffrant de troubles psychiatriques, la rencontre avec l'Autre dans la rue,
peut avoir pour conséquence une déglaciation selon les termes de Salomon Resnik, une réanimation
psychique du sujet, où nous devons faire attention aux mouvements de retour de refoulés, à la
résurgence d'événements traumatiques, de mouvements d'agressivité, dans ces moments
particulièrement intenses. Entre défaut ou excès de circulation, telles deux faces d'une même pièce,
« l'asphaltisation » comme l’errance viennent anesthésier le sujet dans la rue, dire son impossible
inscription dans le monde et le « tenir » à distance. L'émergence d'un discours adressé à un Autre
pourrait entraîner une hémorragie psychique ou réactiver une fuite, face à l'incapacité d'inscription
en un lieu, en une temporalité fixe et faisant sens pour le sujet. Alors que d'autres patients peuvent
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se mouvoir physiquement comme psychiquement entre différents lieux, dans une possibilité de
circulation entre les espaces externes et intimes, les plus fragiles dans la rue n’ont souvent pour seul
lieu de référence que l'asphalte même, où le bord du trottoir peut venir marquer un bord de
précipice psychique à la chute sans fond.
L’histoire de la mission est celle de ces moments heureux où les personnes avec lesquelles se
sont tissées des liens ont pu trouver un lieu où s’inscrire, vivre ; mais elle est aussi celle de moments
douloureux où la décompensation somatique ou psychique nous rappelle parfois dramatiquement
que ce qui nous paraît urgent ne l’est pas toujours, et que le temps de l’action doit respecter le temps
psychique du sujet. Nous pourrions ainsi vous raconter l’histoire de Jean Claude ou celle de
Georges qui sont décédés quelques mois suite à leur mise à l’abri.
Survivre est parfois plus facile que vivre.
L’équilibre est fragile, la continuité délicate à maintenir, mise à mal par le Réel. « L’absurde
naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde », nous dit
Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe (1942). Cette clinique de l'extrême, de l’absurde nous
plonge inlassablement dans un non sens.
Travailler en équipe, marauder en binôme ainsi que penser et développer notre boîte à outils
deviennent alors sans cesse nécessaires : sans cela, comment penser cet absurde, comment faire face
à cette violence ? Sans réflexion, il y a ou trop ou pas assez de retour, de continuité, prenant le
risque de faire vaciller les fragiles constructions subjectives bâties sur les bords de l’errance ou de
l’asphaltisation.
La question du don revient massivement dans nos réflexions. Elle est omniprésente par la
misère qui s’offre à nos yeux ou par la demande plus ou moins explicite des personnes que nous
rencontrons.
Cette dernière nous ramène une nouvelle fois à l'absurde et à l’inconfort de notre démarche. Faut-il
ou non donner ? Si nous donnons un jour, que fera-t-on le jour suivant ? Si nous ne donnons pas, ne
faillons-nous pas à être cet être secourable ?
Nous en parlons sans cesse en réunion :
« Quand je rencontre quelqu'un qui a vraiment faim comme ce soir, je fais quoi : je parle ou je
lui donne un sandwich ? »
« Moi je les nourris d'abord pour qu'ils parlent la semaine d'après. »
J’ai rencontré Jean, je l’ai invité à venir à la Sardinade. Il m’a rétorqué « Tu vas pas m'acheter
avec des sardines. »
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« On rencontre un slovaque qui nous demande sans arrêt des baskets du 47, mais c'est pas
évident de trouver des baskets du 47 ! On a fait tous les magasins de sport mais ils s'arrêtaient
au 45, on était désespéré. Finalement, le mec a disparu une fois qu'on les avait trouvés,
heureusement qu'on les a pas acheté ! »
Moi l’autre jour j’ai demandé « Qu'est ce qui pourrait vous faire plaisir ? »… et du coup il m’a
répondu : « Vous croyez qu'on a beaucoup de plaisir dans la rue ? »
« Moi j'avais à manger quand j’ai maraudé hier et donc je leur ai donné… On dira que c'est
parce que je suis nouvelle, que je savais pas qu’on ne donnait pas. »
Nous nous sommes réunis en séminaire l’année passée pour tenter cette question.
A cette occasion, sous avons redit le fondement de notre mission : s'intéresser avant tout à la
relation et ce, sans céder sur notre désir qui risquerait de nous plonger dans du pur humanitaire.
Pour cela, notre travail est d’accepter la frustration de ne pas aider matériellement, de se confronter
à la castration, de se dégager d'une position où nous voudrions faire pour l'autre, à sa place. Nous
sommes là sans rien, et dans ce « rien » se cristallise toute notre position soignante, car, ne venant
rien boucher de la relation avec un objet, nous laissons plutôt dérouler quelque chose du sujet et de
sa demande. Ce rien ouvre le don de confiance et la relation transférentielle. Ce que nous offrons,
c’est nous-même, notre personne propre comme lieu d'adresse Autre où nous accueillons une
singularité malmenée par les errements de l'exil ou de la fuite, les problématiques toxicomanes,
psychotiques ou encore les questions existentielles propres à chaque sujet.
Pour autant, nous ne pouvons laisser quelqu’un mourir de froid dans la rue, ou sans eau en
plein été. Et il n’y a pas à se questionner : ils ont froid, on donne le duvet, ils ont soif, on donne de
l’eau. Toute la difficulté est que cet objet vital ne devienne pas alors tout l’enjeu de la relation : il
est un à-côté sur lequel nous n'avons pas à nous arrêter. Ainsi, nous sommes partis contents de notre
séminaire avec un nouvel outil en poche « L’objet n’est pas un enjeu » !
Soit « l'objet n'est pas un enjeu », mais que devons-nous faire lorsqu'il semble le devenir ?
Nous rencontrons régulièrement un groupe d'hommes. Parmi eux, des personnes qui ont un abri la
nuit mais errent toute la journée durant, d’autres qui sont dans des squats ou à la rue. Plusieurs
d’entre eux ont des soucis de santé importants. Ils sont pour certains pris en charge par des équipes
partenaires sociales ou sanitaires. En lien avec eux, nous tentons de nous rendre présents à eux pour
accompagner à terme les plus fragiles vers les soins. Souvent, quand nous allons les voir, ils sont
alcoolisés et continuent à s'alcooliser devant nous tout en étant toujours accueillants.
Une fois, ils nous demandent à manger. Parce que nous sentons que certains d’entre eux sont en
grande difficulté et parce que « l’objet n’est pas un enjeu » et que, on leur achète de quoi se faire
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des sandwichs. Une fois, deux fois, trois fois… Chaque fois qu'un binôme de maraudeurs passe les
voir, ils sont par un transfert massif et une demande matérielle qui prend de plus en plus de place.
Nous en parlons, y retournons, et cette fois, on les accompagne pour qu’ils achètent eux-mêmes.
Lors d'une maraude où ils ne sont que trois, ils disent avoir froid ; nous nous engageons à leur
ramener des duvets, tel jour vers telle heure. Au moment prévu, nous arrivons avec nos trois
duvets : ils sont cinq ! Embêtés, nous tentons de tenir quelque chose de notre parole ou de se
protéger derrière l'énonciation d'une règle : « Les duvets étaient pour telle et telle personne, si vous
en voulez on vous en ramène la prochaine fois ». L’agitation, le ton montent… Nous nous sentons
pris dans des enjeux groupaux qui nous échappent. Nous laissons les 3 duvets, très soucieux des
effets de ce « don insuffisant », un instant angoissés à l'idée qu'ils puissent se battre, tentant de se
rassurer l'instant d'après en se disant qu'ils en ont régulièrement et « de toute façon, ils les
revendent ». Nous nous défendons comme nous pouvons, face à nos fantasmes, et cette réalité en
étroite collusion avec un Réel inquiétant.
Quelques jours plus tard, une autre équipe, une autre maraude. Ils sont toujours en groupe.
Le dialogue s’engage mais nous sommes préoccupés par Rachid qui est très affaibli. Il ne veut pas
qu’on appelle les secours ni aller consulter. Il tremble. Très hésitants, nous finissons par prendre
congés d’eux. Puis nous revenons sur nos pas, inquiets, pour proposer un café ou un chocolat chaud.
Amine nous agresse : « Et vous croyez qu’on a besoin de vous pour cela ? »... et « D’ailleurs à quoi
vous servez ? ». D’autres membres du groupe viennent nous protéger « Tu sais bien qu’il n’apporte
pas à manger, MDM ! ». Rachid nous retient par le regard mais ne s’exprime pas. Amine se lève,
l’excitation croît. Les autres calment le jeu « Vous pouvez y aller, ne vous inquiétez pas ». Nous
repartons.
Dans la rencontre avec ce groupe, plusieurs phénomènes sont venus se télescoper : le
groupe, la présence parmi ses membres de Rachid, très affaibli, épileptique et grand alcoolique,
objet de notre souci, le froid,… Et l’effet de notre séminaire de réflexion venu nous mettre à l’abri
de notre inconfort par cette belle formule que « l’objet n’est pas l’enjeu ». Lors de nos reprises en
réunion hebdomadaire, dans un travail de constellation transférentielle, nous avons pu toucher du
doigt ce qui sans doute s’était joué à notre insu : nous avons découvert que dans ce groupe, Amine
avait une place de leader, de protecteur… En apportant ces duvets, en prenant soin de Rachid, nous
étions venus déstabiliser le fonctionnement du groupe et peut-être destitué Amine dans la place qu’il
prenait en son sein...
Nous sommes en permanence aux prises de ce conflit : d’un côté agir face à la maladie et à
la misère et d’un autre désirer respecter le temps psychique du sujet.
Si l’objet n’est pas en enjeu, la place de l’objet dans les relations que nous tissons avec les
personnes de la rue ne serait-elle pas tout l’enjeu de notre propre travail psychique ? Ne serait-ce
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pas dans l’analyse « psychopathologique de nos dons » que les soignants désorientés que nous
sommes pourraient trouver leur boussole ?
Nous rencontrons un couple, Anne et Vincent. Anne est enceinte de sept mois. Cette situation
est pour nous tout de suite une urgence, il faut que nous puissions être là si besoin est au moment
de l’accouchement. Trois maraudeurs vont à leur rencontre plus régulièrement et leur donnent
un numéro de téléphone. Vincent, toxicomane, n’est pas suivi ; Anne dit être « clean », elle est suivie
par un CSAPA. A chacune de nos rencontres, ils nous rassurent tout en nous demandant implicitement
quelque chose, jamais directement. De l’argent surtout, pour manger, pour une nuit d’hôtel,
pour préparer la venue du bébé… On hésite à donner, puis on donne, on se réunit, on en parle, puis
on hésite…
- Pourquoi de l’argent ? Est-ce pour acheter de la drogue ?
- Ils ne peuvent pas rester à la rue, cet enfant ne peut pas naître dans le caniveau, nous devons
leur payer l’hôtel jusqu’à l’accouchement…
Tout nous fige. Cet enfant qui peut naître sur le trottoir c’est l’image de cette détresse primordiale
qui vient nous cueillir. Nous sommes comme fascinés, pris par cet hilflos mortifère, par
cette jouissance inconsciente face au spectacle voyeuriste d'une réalité de la misère confinant au
Réel. Nous ajoutons des réunions "exceptionnelles" au mois d'août, on essaie d'élaborer autour de
cette demande toujours implicite mais omniprésente. Nous relevons toutes les incohérences de leur
discours, nous tentons de comprendre leur demande. Nous les connaissons peu finalement, nous
n’avons que très peu d'éléments de leur histoire. Nos fantasmes viennent recouvrir la réalité… On
imagine, se répète, se questionne, puis... On redescend sur terre... Et de nouveau on imagine, se répète,
se questionne. Bref, nous tournons en rond avec l'envie et le besoin pour eux comme pour
nous de se décaler de ce temps chronologique mais dans une impossibilité. Ce bébé va arriver, elle
va accoucher et le risque qu'elle accouche dans la rue est grand. C'est une urgence mais le temps logique
de l'inconscient ne prend, lui, pas en compte cette urgence.
Le temps passe... Elle accouche, tout se passe bien même si c’est moins une. Les analyses
révèlent de nombreux toxiques dans le sang de la mère. S’ensuit le sevrage du bébé. Le père arrive à
s'engager dans une prise en charge. Ils sont suivis par la maternité puis par trois associations différentes
au moins. Nous travaillons avec les autres acteurs ; ils tentent de répondre à leur demande,
cèdent puis lâchent : la maternité les fait sortir, une association leur donne une somme d’argent pour
une mise à l’abri temporaire avec l’enfant puis disparaît... Semble ainsi se répéter un mouvement où
l’objet n’arrive jamais à satisfaire la demande mais où il vient rompre les liens. Pendant ce temps là,
nous tentons de maintenir un lien. Ils ne nous appellent que pour demander. Nous avions donné un
peu d’argent pour quelques nuits d’hôtel avant l’accouchement… Cet argent n’a sans doute pas ser-
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vi à cela… Nous cédons à nouveau sur les couches et sur la poussette, « parce que c’est le soin du
bébé et que cela fait partie de la mission de MDM »… en fait la PMI fournit déjà tout cela… Nous
voilà nous aussi pris dans leur propre répétition… Mais nous le lâchons pas, nous tentons de rester
là pour eux, au-delà des demandes… Nous les écoutons, nous parlons de leur demande, nous ne disons
non, nous tentons de les accompagner vers des acteurs qui pourraient les aider… Et ce faisant,
ils continuent à nous rappeler, un lien semble s’être créé. Et demain ? Nous n’en savons rien, nous
tentons de rester connecté sans imposer notre présence.
De quel objet parlons-nous ?
Il y a l’objet qui répond aux besoins de première nécessité sans lequel il n’y a pas de vie. La
mère nourrit l’enfant de lait et de mots. Dans le dénuement extrême, et c’est le cas pour tous ces
corps échoués sur l’asphalte, rigidifiés par le froid, l’ivresse ou la chaleur, il ne peut y avoir d'autre
maternel sans ses soins de première nécessité.
Il y a l’objet qui est le support à la découverte de l’environnement, l’objet sur lequel vient
s’étayer la relation, l’objet qui permet de parler. Pendant plusieurs années, un membre de la mission
a apporté à un monsieur psychotique qui vivait dans la rue chaque semaine, une canette de coca et
une orange. De canette en orange s’est tissé un lien qui a permis après plusieurs années de mettre à
l’abri ce monsieur. Et aujourd’hui encore, on lui apporte cette canette et cette orange hebdomadaire.
Ces objets ont ouvert la possibilité d’un autre. Le don invite au contre-don, selon Marcel Mauss, il
est au fondement de l’échange et de l’organisation sociale.
Et puis il y a l’objet qui vient boucher la demande, parce qu’il la précède, la camoufle. Cet
objet qui nous rend sourd en nous enfermant dans notre satisfaction narcissique.
Citons une personne anciennement SDF « Donner, je trouve que ça instaure une hiérarchie. On
n’est pas sur un pied d’égalité, cela nous met en dette. J’ai beaucoup de reconnaissance vis-à-vis
de ce que l’on m’a donné quand j’étais SDF, mais revenir à la vraie vie, ce n’est pas être redevable
tout le temps. Quand on reprend sa place d’humain, on doit pouvoir refuser cette dette ».
La place de l’objet est chaque fois à repenser selon les situations, avant et sur le moment mais
surtout dans l’après-coup car ce qui compte, ce n’est pas tant ce que nous faisons ou donnons dans
la rue (faire et donner c’est aussi prendre le risque de la vie), ce qui importe c’est la pensée qui suit
nos actes. Car c’est dans l’après-coup qu’un acte peut devenir passage à l’acte.
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En conclusion : une clinique de l’humanité
« Tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil italien [Lorenzo] m'apporta un morceau de pain
et le fond de sa gamelle de soupe ; il me donna un de ses chandails rapiécés et écrivit pour moi une
carte postale qu'il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et
n'accepta rien en échange, parce qu'il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût
rapporter quelque chose. […] Je crois que c'est justement à Lorenzo que je dois d'être encore vivant
aujourd'hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa
présence, par sa façon si simple et facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un
monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie
n'avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose
d'indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se
conserver vivant. [...] C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas oublié que moi aussi j'étais un
homme. » Primo Levi, Si c'est un homme, (1947), p.186-190.
A l'heure d'un lien social tarifé, marchandisé, contre-sens anthropologique, selon le mot de
l'économiste Frédéric Lordon, notre mission de rue vient s'inscrire dans les rides d'un travail
abandonné par le politique, se reposant sur le secteur associatif et militant. Nous nous situons ainsi
aux confluences étymologiques du creux, ruga, la rue, la ride, d'un visage courroucé et sévère, le
creux marquant aussi l'espace entre deux bords. Ici s'établit une première tache sur laquelle nous
nous portons : du bordage, de l'étayage, auprès d'une population délaissée et fragilisée, sur les dérives
de nos artères urbaines, quand celle-ci ose encore s'afficher honteusement, dont les sujets sont
en proie à la violence, autant sociale que singulière, psychique, pulsionnelle, inconsciente. De
déliaisons psychiques en déliaisons sociales, de l'exclusion à l'auto-exclusion et l'asphaltisation du
corps dans le béton, notre clinique a pour principal objet d'ouvrir un lieu d'adresse à un Autre
permettant un amarrage du Sujet dans un discours et une relation, un espace de parole qui pourra
permettre de surcroît de déplier une histoire, un vécu traumatique et des événements de vie ayant
abouti à des processus mortifères. Comme l'explique Michèle Benhaïm dans son dernier livre Les
passions vides : « Notre travail clinique n'est pas mesurable, car combien coûte un sourire ? Ce
travail est une nécessité, une obligation, une exigence, car le vide est contagieux. Faisons le pari
qu'il existe des processus de création au sein même de l'effondrement subjectif, que ces mouvements
seront propices à lier les égarements, et que des forces d'ancrage ouvriront un horizon là où il nous
apparaît, pour l'instant, comme obstrué. ». Cela résume ce qui de façon continue nous porte, où
nous misons que dans cette errance physique et psychique rencontrée dans la rue, un amarrage est
possible, une inscription dans un champ social et discursif. Ces hommes et ces femmes qui se vivent
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comme n'ayant pas de place dans le monde en sont exclus, ils sont ceux qu'on aimerait ne pas voir,
ne pas entendre, et qui pourtant, par leur présence, viennent nous rappeler les effets de destruction
et de rupture de liens de notre société. Notre tâche vise à restaurer ces liens rompus par la misère et
la violence. Notre clinique est alors de permettre que ces sujets s'autorisent à retrouver ou parfois
même trouver une place dans le monde, dans une idéologie de plaidoyer pour l’hétérogène et une
anti-conformité au modèle social pour ceux ayant fait le choix de la marginalité.
C'est en voyant dans le petit autre l'humanité que l'on peut redécouvrir la sienne propre, dans une
fraternité autour de la souffrance humaine selon le mot de Pierre Delion, et sa potentialité
d'inscription dans le champ social.
Dans cette clinique que nous appellerons la clinique de l’humanité, notre posture est donc
d'accepter l'inconfort et l'intranquillité, que l’on peut voir comme la résultante des projections des
personnes sans abri, des motions qu’elles nous renvoient et prennent dès lors une grande place dans
notre imaginaire, dans nos fantasmes, souvent morbides et angoissants, qui peut tendre à nous
aliéner dans la relation établie.
L'inconfort et l’intranquillité aussi d’une position de maraudeur qui peine à se définir. Face à
une réalité qui confine au réel, notre travail est d’éviter les refuges de nos positions défensives de
« psy » qui refuserait toute incursion dans la réalité et ne voudrait rien voir des besoins d’étayage
sur l’objet, de celles de travailleurs sociaux qui tendraient à boucher le trou d'une demande que nous
ne pourrions plus entendre au-delà de sa matérialité, de celles de médecins qui ne verraient plus le
sujet mais le seul corps échoué et souffrant.
Notre inconfort et notre intranquillité, c’est donc aussi notre renoncement.
Renoncement à être des sauveurs, à venir soulager la souffrance immédiate ou satisfaire la demande
apparente, à donner à la personne ce dont elle manquerait et dont l’absence l’éloignerait de notre
monde.
Renoncement à être des « psy » (ce que nous ne sommes jamais pour eux car ne nous présentant pas
ainsi), à travailler avec eux sur leur transfert. C’est plutôt sur notre transfert qu’il nous faut travailler
et pour que peut-être, dans un effet collatéral, puisse émerger un discours du sujet dans la régularité
des rencontres.
Renoncement donc à notre position de toute-puissance.
Alors, « Qu’est-ce qu’on fout là ? » comme le dit Oury… C’est cette question que nous
remettons finalement inlassablement sur le métier pour tenter de tisser ces liens, qui ne cesse de
nous travailler en chaque instant de la rencontre.
Nous devons alors, entre maraudeurs, nous porter mutuellement, afin de ne pas tomber dans
ce qu'il en serait d'une fascination, d'une jouissance inconsciente. Nous devons dans cette rencontre
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faire montre d'un étayage respectif entre nous, afin de permettre un décalage de possibles postures
défensives face à ces situations de misère, miseria, malheur, détresse, qui inspire la pitié, en-deçà de
la pauvreté, pauper, produire peu, mais qui peut encore laisser des espaces de création possible.
Dans ce portage mutuel, chaque membre prend alors une fonction thérapeutique spécifique pour les
autres bénévoles, et les sujets de la rue, dans une constellation transférentielle étayante, plurielle,
diffractée. Nous pouvons ainsi faire collectivement face aux effets de violence qui nous sont
renvoyés, dans une posture d'accueil et de maintien d'une dignité humaine. Quand la mort peut
rôder au coin de l'hypothermie hivernale, de la déshydratation estivale, de la violence physique, ou
de l'abandon de soi, hors de la communauté des hommes, l'homme ne serait plus qu'un coquillage
vide, un musel man.
La mission sans abri existe de puis 13 ans. Au départ, elle offrait des consultations aux
personnes sans abri ; aujourd’hui elle propose ce travail d’aller vers et de création de liens. Cette
mission prend tout son sens dans les articulations qu’elle propose avec les partenaires du réseau.
Nous sommes des passeurs, ces liens que nous construisons avec les personnes, nous tentons de les
reproduire avec les acteurs qui interviennent en amont ou en aval de notre action dans les prises en
charge sanitaires et sociales. Ainsi, nous tentons de déployer un maillage solidaire, rigoureux et
attentif autour de la personne sans abri.
Face à une population sans abri de plus en plus nombreuse, protéiforme, confrontée à des
difficultés de plus en plus grande devant la raréfaction des réponses institutionnelles ou associatives
faute de financement, face aux phénomènes migratoires qui ne font que commencer, nous vivons la
maraude comme un acte politique. C’est pour nous un engagement citoyen et concret, fait au
quotidien d’interrogations, de curiosité, de passion plus que de compassion. La frontière entre le
SDF et soi-même est étroite : qui va soigner qui en vérité ? » « Qui sauve un homme, sauve
l'humanité » dit le Talmud.
Cet acte politique doit s’ouvrir. S’ouvrir aux autres citoyens, s’ouvrir aux réseaux de
proximité. C’est dans ce sens que nous souhaitons dans les années à venir faire évoluer notre
action : associer de plus en plus largement les citoyens, les partenaires, et les acteurs locaux du
territoire, en essayant de transmettre quelque chose de la complexité de cette clinique de l’humanité.
BAIDI Christophe – DIMECH Amélie – DOUENEL Corinne – NEGREL Raymond
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Mission Sans-Abri de Médecins du Monde
Texte présenté aux XXXIè Journées de Psychothérapie Institutionnelle
12-13 Octobre 2017
Le texte que nous vous présentons aujourd'hui a été élaboré, pensé et rédigé en équipe afin
de vous témoigner de notre travail auprès des personnes sans abri ainsi qu'au sein de notre collectif.
Notre démarche est celle d'aller-vers les personnes de la rue, au rythme de trois ou quatre
maraudes par semaine, de jour ou en soirée, à pied, en civil, régulièrement dans le même périmètre
et toujours en binôme car il est essentiel de ne pas s’engager seul dans la rue. Parce qu’« un homme
seul n'est pas un homme » disait Lacan, nous visons à créer du lien, des liens, afin d'amarrer le sujet
en errance, relever et mettre en mouvement le sujet coulé dans l’asphalte du trottoir. Créer un lien
pour lui permettre d’exister et de s’inscrire dans des soins somatiques ou des prises en charge
sociales. Si le sens de notre action prend racines dans la rue, celle-ci acquiert toute sa signification
au cours et grâce aux réunions hebdomadaires d’échanges et de travail, lieu de récits certes, mais
surtout invitation à la parole avec nos inquiétudes, nos doutes et nos interrogations. Pour nous, une
remise en cause permanente de nos certitudes est plus qu'obligatoire, nous ne pouvons pas y
échapper. Portés par les valeurs de Médecins du Monde, « Soigner et témoigner », toute notre action
s’accompagne d’une attention à l’autre, sans-abri ou Maraudeur, car la précarité n’est pas réservée
aux gens de la rue : elle traverse également le vécu des habitants de la ville, des institutions, des
travailleurs sociaux avec lesquels se tissent des liens invisibles.
La préparation de cette présentation a été l'occasion de nombreux échanges. Écrire pour
s'exposer dans sa parole est toujours une prise de risque, produit des effets inattendus et souvent
féconds ; ici aussi, la mise au travail est venue révéler la tension dialectique qui s’exerce en nous et
entre nous dans la réalisation de « notre mission ».
« Psychopathologie des soins quotidiens, une boussole pour soignant désorienté »… De
prime abord, ce sujet était fait pour nous car parler de désorientation et de boussole à des
maraudeurs, forcément, ça matche ! Les « soins quotidiens » cela semblait bien être notre « job » …
car ce que nous prétendons, c’est prendre soin de la personne sans abri dans une présence aussi
quotidienne que possible. Mais peut-on qualifier notre action de « soins quotidiens » alors que nous
faisons irruption dans la vie des SDF ? Et sommes-nous des soignants ? Psychopathologie des soins
quotidiens, qu’est-ce que cela veut dire ? Avec sa psychopathologie de la vie quotidienne, Freud
révèle l’inconscient qui nous gouverne. Avec cette « psychopathologie des soins quotidiens »,
sommes-nous invités par l’AMPI à nous intéresser à cet inconscient qui se dévoile dans nos
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errements ? Et de quel inconscient parlons-nous ? Celui des personnes vers lesquelles nous allons
ou le nôtre ? Ainsi, nous avons donc recherché nos impasses, nos dissonances, nos refuges pour
tenter d’entendre quelque chose…
Tel un autre maternel suffisamment bon, notre démarche est d’abord celle d'aller à la
rencontre de cet autre, de ces autres en rupture avec le social, assis sur le macadam une main
tendue, une casquette devant eux. C'est ainsi que nous décidons, au gré de nos pérégrinations, de
nous arrêter sur les bords du chemin et d'adresser un regard, une salutation, au creux du quotidien
de ces personnes exclues, au moment de la manche, du repos, du déjeuner, chez eux, sur ce bord de
trottoir ainsi approprié le temps d'une halte plus ou moins éphémère.
Comment s'adresser à eux et comment être accueillant ? Dans ce mouvement d’aller vers,
nous nous rendons chez eux, nous les interpellons, notre présence, nos mots s’imposent à eux sans
qu’ils n’en aient rien demandé. En retour, ils restent figés, ou nous regardent passivement nous
rapprocher, ils nous serrent la main, nous tendent leur chapeau, nous questionnent : « Qu'est ce que
vous voulez ? »... C’est vrai ça, « qu’est-ce que nous voulons » ?
Pourquoi s’adresse-t-on à un tel plutôt qu’à tel autre ? Qu’est-ce que nous disons à notre
corps défendant en désignant telle ou telle personne comme une personne sans abri ? Chacun fait
selon son inspiration, ses peurs, ses fantasmes, les uns évitent les groupes, les autres les personnes
très alcoolisées, les derniers ceux qui crient … Ce sont nos propres mouvements psychiques qui
nous font nous déplacer vers les uns plutôt que vers les autres.
Aller vers, c’est faire précéder l’offre à la demande. Cela commence toujours par un regard,
un mouvement, un geste et quelques mots :
« Bonjour, comment allez-vous ?»
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? Vous avez besoin de quelque
chose ? »
« Bonjour, je m'appelle Corinne, est-ce que je peux parler avec vous ? Je ne vous dérange
pas ? »
« Bonjour, est-ce que je peux m'asseoir pour discuter avec vous ? »
« Bonjour, moi c'est Marine et vous, c'est comment ? »
Si nous nous présentons comme une équipe de MDM, ce n’est que très rarement que nous
précisons notre profession, en particulier ceux d’entre nous qui pourraient faire partie des
« soignants », de peur peut-être que cet énoncé ne puisse venir entraver la possibilité de la
rencontre, nous réduisant à n'être les uns et les autres que des soignants et des soignés.
« Bonjour, comment allez-vous ?». Cette phrase que dit-elle de nous ? N’est-ce pas une
étrange façon d’aller vers : de quelle place demandons-nous à l'un de nos semblables comment il va
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avant même de le connaître ? Apparemment « si naturelle » ou bienveillante, cette phrase ne seraitelle
pas violente ou intrusive ? Elle semble inscrire d'emblée cette personne que nous souhaitons
rencontrer dans une différence ; elle énonce quasi-explicitement nos fantasmes de réparation, elle
véhicule nos représentations de la précarité, nous réduisant le sujet au « sans abrisme ».
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? vous avez besoin de quelque
chose ? ». L'accroche implique ici une demande matérielle, elle nous protège, légitime notre venue,
correspond à nos projections… Mais ne prend-on pas le risque qu’elle ouvre et ferme la rencontre
dans le même temps ? Sommes-nous vraiment là pour ça ? Pourquoi venons-nous interroger leur
besoin quand le plus souvent nous ne pouvons pas y répondre ?
On le voit, ce premier contact est difficile pour eux peut-être, pour nous certainement. Il n’est pas la
rencontre mais il n’a de sens que s’il peut être inaugural à celle-ci.
Avec pour références la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse, nous voulons
déployer une clinique de l’accueil, d’humanisation du Sujet, une clinique qui permette une mise en
élaboration progressive d'une parole, conduisant à une restauration du sujet et de son espace intime.
Tout en défendant la logique médico-sociale de Médecins du Monde (la survie de chacun et l’accès
aux soins pour tous restent pour nous une préoccupation permanente), nous souhaitons nous situer
dans le champ de l'intime, au plus près du sujet pris dans une double aliénation psychique et sociale.
Comment déployer cette clinique de la présence dans la rue ? Qu’est-ce que la présence dans un
espace qui n’existe pas, en tant qu’il est sans limite et mouvant ? Quel espace notre présence
pourrait-elle ainsi venir habiter ?
Confrontés nous même à l’errance dans nos maraudes, notre premier défi est de rendre notre
présence ni évanescente ni envahissante. Issu du latin sionare, le « soin » signifie « s'occuper de »,
il est « l'attention que l'on porte à faire quelque chose avec propreté, à entretenir quelque chose. » Il
suppose quelque chose de la continuité, de la quotidienneté. C’est alors cette répétition dans le
temps qui est l’objet de notre attention. La régularité de nos maraudes et nos rituels langagiers ou
gestuels viennent scander le temps, marquer des limites à l’espace informe et crée les possibilités de
la rencontre. Ils nous rendent présents. C’est cela notre premier engagement et c’est le plus
exigeant.
Car cette continuité et cette position d’accueil sont difficiles à tenir.
Nous croisons un jour Emile, avec qui nous avons développé quelques liens au fil de nos maraudes,
parlant avec lui de son histoire comme de l'Histoire de la France, de musique et de littérature, de
chiens … Allant vers lui, l'un de nous demande une première fois « Comment allez vous ? »,
« bien » répond-il. Nous sommes sur une artère passante, il y a beaucoup de bruit, nous nous
asseyons par terre près de lui. Distraits par cette installation, nous n’entendons pas sa réponse et ré-
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itérons la question « Comment allez vous ? ». Emile se lève brusquement, cherchant à échapper à
notre présence, il s'énerve, crie : « Mais qu'est ce que vous me voulez à la fin je n'ai pas besoin de
tuteur moi, je n'ai pas besoin d'un tuteur ! ». Nous restons figés, désarçonnés, décontenancés,
plongés dans notre incompréhension. Nous tentons de le calmer mais rien n’y fait, il est debout,
s'agite, très impressionnant. Après un échange de regard, nous prenons la décision de partir face à
son refus de nous parler et le saluons timidement.
Que s’est-il passé pour Emile dans cette rencontre ? Quelle absence, quelle intrusion serions-nous
venus introduire ou incarner ?
Dans un après coup, une fois l'émotion de cette altercation atténuée, nous réalisons que, pour la
première fois, avant d’aller vers lui, nous nous étions adressés à un autre homme non loin de lui.
Cet événement, pourtant anodin, serait-il venu souligner notre appartenance à Médecins du Monde
et placer Emile comme un SDF parmi tant d'autres ? Comme si, tout à coup, nous n'étions plus sur
un pied d'égalité, nous venions représenter un grand Autre social trop persécuteur, un « tuteur ».
Dans « tuteur » il y a presque tueur… Nous sommes-nous montrés défaillant à ne pas l’entendre,
trop pris par notre propre installation ? Avons-nous fait intrusion chez lui ? Nous n’avions pas
demandé si nous pouvions entrer…
Ainsi, entre une absence d'Autre social fuyant ou un vécu de sa trop grande présence
touchant à la persécution, nous nous situons sur un fil de funambule, tentant de ne pas vaciller entre
deux écueils. Notre engagement dans la continuité est une nécessité lorsque nous faisons le pari
d'un possible, d'une création dans et par le lien. Pour nous qui n’apportons rien, cette présence à
l’Autre n’est faite que de cette continuité. Elle est notre clinique du quotidien, dans la répétition
régulière de nos mots et de nos mouvements venant différencier les espaces pour permettre de les
habiter. Répétition des soins de cet autre souvent maternel, renforçant le sentiment de continuité
d’existence et débouchant sur la construction d’un récit, d’une histoire, commune qui nous lie les
uns aux autres.
Pour les sujets souffrant de troubles psychiatriques, la rencontre avec l'Autre dans la rue,
peut avoir pour conséquence une déglaciation selon les termes de Salomon Resnik, une réanimation
psychique du sujet, où nous devons faire attention aux mouvements de retour de refoulés, à la
résurgence d'événements traumatiques, de mouvements d'agressivité, dans ces moments
particulièrement intenses. Entre défaut ou excès de circulation, telles deux faces d'une même pièce,
« l'asphaltisation » comme l’errance viennent anesthésier le sujet dans la rue, dire son impossible
inscription dans le monde et le « tenir » à distance. L'émergence d'un discours adressé à un Autre
pourrait entraîner une hémorragie psychique ou réactiver une fuite, face à l'incapacité d'inscription
en un lieu, en une temporalité fixe et faisant sens pour le sujet. Alors que d'autres patients peuvent
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se mouvoir physiquement comme psychiquement entre différents lieux, dans une possibilité de
circulation entre les espaces externes et intimes, les plus fragiles dans la rue n’ont souvent pour seul
lieu de référence que l'asphalte même, où le bord du trottoir peut venir marquer un bord de
précipice psychique à la chute sans fond.
L’histoire de la mission est celle de ces moments heureux où les personnes avec lesquelles se
sont tissées des liens ont pu trouver un lieu où s’inscrire, vivre ; mais elle est aussi celle de moments
douloureux où la décompensation somatique ou psychique nous rappelle parfois dramatiquement
que ce qui nous paraît urgent ne l’est pas toujours, et que le temps de l’action doit respecter le temps
psychique du sujet. Nous pourrions ainsi vous raconter l’histoire de Jean Claude ou celle de
Georges qui sont décédés quelques mois suite à leur mise à l’abri.
Survivre est parfois plus facile que vivre.
L’équilibre est fragile, la continuité délicate à maintenir, mise à mal par le Réel. « L’absurde
naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde », nous dit
Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe (1942). Cette clinique de l'extrême, de l’absurde nous
plonge inlassablement dans un non sens.
Travailler en équipe, marauder en binôme ainsi que penser et développer notre boîte à outils
deviennent alors sans cesse nécessaires : sans cela, comment penser cet absurde, comment faire face
à cette violence ? Sans réflexion, il y a ou trop ou pas assez de retour, de continuité, prenant le
risque de faire vaciller les fragiles constructions subjectives bâties sur les bords de l’errance ou de
l’asphaltisation.
La question du don revient massivement dans nos réflexions. Elle est omniprésente par la
misère qui s’offre à nos yeux ou par la demande plus ou moins explicite des personnes que nous
rencontrons.
Cette dernière nous ramène une nouvelle fois à l'absurde et à l’inconfort de notre démarche. Faut-il
ou non donner ? Si nous donnons un jour, que fera-t-on le jour suivant ? Si nous ne donnons pas, ne
faillons-nous pas à être cet être secourable ?
Nous en parlons sans cesse en réunion :
« Quand je rencontre quelqu'un qui a vraiment faim comme ce soir, je fais quoi : je parle ou je
lui donne un sandwich ? »
« Moi je les nourris d'abord pour qu'ils parlent la semaine d'après. »
J’ai rencontré Jean, je l’ai invité à venir à la Sardinade. Il m’a rétorqué « Tu vas pas m'acheter
avec des sardines. »
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« On rencontre un slovaque qui nous demande sans arrêt des baskets du 47, mais c'est pas
évident de trouver des baskets du 47 ! On a fait tous les magasins de sport mais ils s'arrêtaient
au 45, on était désespéré. Finalement, le mec a disparu une fois qu'on les avait trouvés,
heureusement qu'on les a pas acheté ! »
Moi l’autre jour j’ai demandé « Qu'est ce qui pourrait vous faire plaisir ? »… et du coup il m’a
répondu : « Vous croyez qu'on a beaucoup de plaisir dans la rue ? »
« Moi j'avais à manger quand j’ai maraudé hier et donc je leur ai donné… On dira que c'est
parce que je suis nouvelle, que je savais pas qu’on ne donnait pas. »
Nous nous sommes réunis en séminaire l’année passée pour tenter cette question.
A cette occasion, sous avons redit le fondement de notre mission : s'intéresser avant tout à la
relation et ce, sans céder sur notre désir qui risquerait de nous plonger dans du pur humanitaire.
Pour cela, notre travail est d’accepter la frustration de ne pas aider matériellement, de se confronter
à la castration, de se dégager d'une position où nous voudrions faire pour l'autre, à sa place. Nous
sommes là sans rien, et dans ce « rien » se cristallise toute notre position soignante, car, ne venant
rien boucher de la relation avec un objet, nous laissons plutôt dérouler quelque chose du sujet et de
sa demande. Ce rien ouvre le don de confiance et la relation transférentielle. Ce que nous offrons,
c’est nous-même, notre personne propre comme lieu d'adresse Autre où nous accueillons une
singularité malmenée par les errements de l'exil ou de la fuite, les problématiques toxicomanes,
psychotiques ou encore les questions existentielles propres à chaque sujet.
Pour autant, nous ne pouvons laisser quelqu’un mourir de froid dans la rue, ou sans eau en
plein été. Et il n’y a pas à se questionner : ils ont froid, on donne le duvet, ils ont soif, on donne de
l’eau. Toute la difficulté est que cet objet vital ne devienne pas alors tout l’enjeu de la relation : il
est un à-côté sur lequel nous n'avons pas à nous arrêter. Ainsi, nous sommes partis contents de notre
séminaire avec un nouvel outil en poche « L’objet n’est pas un enjeu » !
Soit « l'objet n'est pas un enjeu », mais que devons-nous faire lorsqu'il semble le devenir ?
Nous rencontrons régulièrement un groupe d'hommes. Parmi eux, des personnes qui ont un abri la
nuit mais errent toute la journée durant, d’autres qui sont dans des squats ou à la rue. Plusieurs
d’entre eux ont des soucis de santé importants. Ils sont pour certains pris en charge par des équipes
partenaires sociales ou sanitaires. En lien avec eux, nous tentons de nous rendre présents à eux pour
accompagner à terme les plus fragiles vers les soins. Souvent, quand nous allons les voir, ils sont
alcoolisés et continuent à s'alcooliser devant nous tout en étant toujours accueillants.
Une fois, ils nous demandent à manger. Parce que nous sentons que certains d’entre eux sont en
grande difficulté et parce que « l’objet n’est pas un enjeu » et que, on leur achète de quoi se faire
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des sandwichs. Une fois, deux fois, trois fois… Chaque fois qu'un binôme de maraudeurs passe les
voir, ils sont par un transfert massif et une demande matérielle qui prend de plus en plus de place.
Nous en parlons, y retournons, et cette fois, on les accompagne pour qu’ils achètent eux-mêmes.
Lors d'une maraude où ils ne sont que trois, ils disent avoir froid ; nous nous engageons à leur
ramener des duvets, tel jour vers telle heure. Au moment prévu, nous arrivons avec nos trois
duvets : ils sont cinq ! Embêtés, nous tentons de tenir quelque chose de notre parole ou de se
protéger derrière l'énonciation d'une règle : « Les duvets étaient pour telle et telle personne, si vous
en voulez on vous en ramène la prochaine fois ». L’agitation, le ton montent… Nous nous sentons
pris dans des enjeux groupaux qui nous échappent. Nous laissons les 3 duvets, très soucieux des
effets de ce « don insuffisant », un instant angoissés à l'idée qu'ils puissent se battre, tentant de se
rassurer l'instant d'après en se disant qu'ils en ont régulièrement et « de toute façon, ils les
revendent ». Nous nous défendons comme nous pouvons, face à nos fantasmes, et cette réalité en
étroite collusion avec un Réel inquiétant.
Quelques jours plus tard, une autre équipe, une autre maraude. Ils sont toujours en groupe.
Le dialogue s’engage mais nous sommes préoccupés par Rachid qui est très affaibli. Il ne veut pas
qu’on appelle les secours ni aller consulter. Il tremble. Très hésitants, nous finissons par prendre
congés d’eux. Puis nous revenons sur nos pas, inquiets, pour proposer un café ou un chocolat chaud.
Amine nous agresse : « Et vous croyez qu’on a besoin de vous pour cela ? »... et « D’ailleurs à quoi
vous servez ? ». D’autres membres du groupe viennent nous protéger « Tu sais bien qu’il n’apporte
pas à manger, MDM ! ». Rachid nous retient par le regard mais ne s’exprime pas. Amine se lève,
l’excitation croît. Les autres calment le jeu « Vous pouvez y aller, ne vous inquiétez pas ». Nous
repartons.
Dans la rencontre avec ce groupe, plusieurs phénomènes sont venus se télescoper : le
groupe, la présence parmi ses membres de Rachid, très affaibli, épileptique et grand alcoolique,
objet de notre souci, le froid,… Et l’effet de notre séminaire de réflexion venu nous mettre à l’abri
de notre inconfort par cette belle formule que « l’objet n’est pas l’enjeu ». Lors de nos reprises en
réunion hebdomadaire, dans un travail de constellation transférentielle, nous avons pu toucher du
doigt ce qui sans doute s’était joué à notre insu : nous avons découvert que dans ce groupe, Amine
avait une place de leader, de protecteur… En apportant ces duvets, en prenant soin de Rachid, nous
étions venus déstabiliser le fonctionnement du groupe et peut-être destitué Amine dans la place qu’il
prenait en son sein...
Nous sommes en permanence aux prises de ce conflit : d’un côté agir face à la maladie et à
la misère et d’un autre désirer respecter le temps psychique du sujet.
Si l’objet n’est pas en enjeu, la place de l’objet dans les relations que nous tissons avec les
personnes de la rue ne serait-elle pas tout l’enjeu de notre propre travail psychique ? Ne serait-ce
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pas dans l’analyse « psychopathologique de nos dons » que les soignants désorientés que nous
sommes pourraient trouver leur boussole ?
Nous rencontrons un couple, Anne et Vincent. Anne est enceinte de sept mois. Cette situation
est pour nous tout de suite une urgence, il faut que nous puissions être là si besoin est au moment
de l’accouchement. Trois maraudeurs vont à leur rencontre plus régulièrement et leur donnent
un numéro de téléphone. Vincent, toxicomane, n’est pas suivi ; Anne dit être « clean », elle est suivie
par un CSAPA. A chacune de nos rencontres, ils nous rassurent tout en nous demandant implicitement
quelque chose, jamais directement. De l’argent surtout, pour manger, pour une nuit d’hôtel,
pour préparer la venue du bébé… On hésite à donner, puis on donne, on se réunit, on en parle, puis
on hésite…
- Pourquoi de l’argent ? Est-ce pour acheter de la drogue ?
- Ils ne peuvent pas rester à la rue, cet enfant ne peut pas naître dans le caniveau, nous devons
leur payer l’hôtel jusqu’à l’accouchement…
Tout nous fige. Cet enfant qui peut naître sur le trottoir c’est l’image de cette détresse primordiale
qui vient nous cueillir. Nous sommes comme fascinés, pris par cet hilflos mortifère, par
cette jouissance inconsciente face au spectacle voyeuriste d'une réalité de la misère confinant au
Réel. Nous ajoutons des réunions "exceptionnelles" au mois d'août, on essaie d'élaborer autour de
cette demande toujours implicite mais omniprésente. Nous relevons toutes les incohérences de leur
discours, nous tentons de comprendre leur demande. Nous les connaissons peu finalement, nous
n’avons que très peu d'éléments de leur histoire. Nos fantasmes viennent recouvrir la réalité… On
imagine, se répète, se questionne, puis... On redescend sur terre... Et de nouveau on imagine, se répète,
se questionne. Bref, nous tournons en rond avec l'envie et le besoin pour eux comme pour
nous de se décaler de ce temps chronologique mais dans une impossibilité. Ce bébé va arriver, elle
va accoucher et le risque qu'elle accouche dans la rue est grand. C'est une urgence mais le temps logique
de l'inconscient ne prend, lui, pas en compte cette urgence.
Le temps passe... Elle accouche, tout se passe bien même si c’est moins une. Les analyses
révèlent de nombreux toxiques dans le sang de la mère. S’ensuit le sevrage du bébé. Le père arrive à
s'engager dans une prise en charge. Ils sont suivis par la maternité puis par trois associations différentes
au moins. Nous travaillons avec les autres acteurs ; ils tentent de répondre à leur demande,
cèdent puis lâchent : la maternité les fait sortir, une association leur donne une somme d’argent pour
une mise à l’abri temporaire avec l’enfant puis disparaît... Semble ainsi se répéter un mouvement où
l’objet n’arrive jamais à satisfaire la demande mais où il vient rompre les liens. Pendant ce temps là,
nous tentons de maintenir un lien. Ils ne nous appellent que pour demander. Nous avions donné un
peu d’argent pour quelques nuits d’hôtel avant l’accouchement… Cet argent n’a sans doute pas ser-
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vi à cela… Nous cédons à nouveau sur les couches et sur la poussette, « parce que c’est le soin du
bébé et que cela fait partie de la mission de MDM »… en fait la PMI fournit déjà tout cela… Nous
voilà nous aussi pris dans leur propre répétition… Mais nous le lâchons pas, nous tentons de rester
là pour eux, au-delà des demandes… Nous les écoutons, nous parlons de leur demande, nous ne disons
non, nous tentons de les accompagner vers des acteurs qui pourraient les aider… Et ce faisant,
ils continuent à nous rappeler, un lien semble s’être créé. Et demain ? Nous n’en savons rien, nous
tentons de rester connecté sans imposer notre présence.
De quel objet parlons-nous ?
Il y a l’objet qui répond aux besoins de première nécessité sans lequel il n’y a pas de vie. La
mère nourrit l’enfant de lait et de mots. Dans le dénuement extrême, et c’est le cas pour tous ces
corps échoués sur l’asphalte, rigidifiés par le froid, l’ivresse ou la chaleur, il ne peut y avoir d'autre
maternel sans ses soins de première nécessité.
Il y a l’objet qui est le support à la découverte de l’environnement, l’objet sur lequel vient
s’étayer la relation, l’objet qui permet de parler. Pendant plusieurs années, un membre de la mission
a apporté à un monsieur psychotique qui vivait dans la rue chaque semaine, une canette de coca et
une orange. De canette en orange s’est tissé un lien qui a permis après plusieurs années de mettre à
l’abri ce monsieur. Et aujourd’hui encore, on lui apporte cette canette et cette orange hebdomadaire.
Ces objets ont ouvert la possibilité d’un autre. Le don invite au contre-don, selon Marcel Mauss, il
est au fondement de l’échange et de l’organisation sociale.
Et puis il y a l’objet qui vient boucher la demande, parce qu’il la précède, la camoufle. Cet
objet qui nous rend sourd en nous enfermant dans notre satisfaction narcissique.
Citons une personne anciennement SDF « Donner, je trouve que ça instaure une hiérarchie. On
n’est pas sur un pied d’égalité, cela nous met en dette. J’ai beaucoup de reconnaissance vis-à-vis
de ce que l’on m’a donné quand j’étais SDF, mais revenir à la vraie vie, ce n’est pas être redevable
tout le temps. Quand on reprend sa place d’humain, on doit pouvoir refuser cette dette ».
La place de l’objet est chaque fois à repenser selon les situations, avant et sur le moment mais
surtout dans l’après-coup car ce qui compte, ce n’est pas tant ce que nous faisons ou donnons dans
la rue (faire et donner c’est aussi prendre le risque de la vie), ce qui importe c’est la pensée qui suit
nos actes. Car c’est dans l’après-coup qu’un acte peut devenir passage à l’acte.
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En conclusion : une clinique de l’humanité
« Tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil italien [Lorenzo] m'apporta un morceau de pain
et le fond de sa gamelle de soupe ; il me donna un de ses chandails rapiécés et écrivit pour moi une
carte postale qu'il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et
n'accepta rien en échange, parce qu'il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût
rapporter quelque chose. […] Je crois que c'est justement à Lorenzo que je dois d'être encore vivant
aujourd'hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa
présence, par sa façon si simple et facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un
monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie
n'avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose
d'indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se
conserver vivant. [...] C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas oublié que moi aussi j'étais un
homme. » Primo Levi, Si c'est un homme, (1947), p.186-190.
A l'heure d'un lien social tarifé, marchandisé, contre-sens anthropologique, selon le mot de
l'économiste Frédéric Lordon, notre mission de rue vient s'inscrire dans les rides d'un travail
abandonné par le politique, se reposant sur le secteur associatif et militant. Nous nous situons ainsi
aux confluences étymologiques du creux, ruga, la rue, la ride, d'un visage courroucé et sévère, le
creux marquant aussi l'espace entre deux bords. Ici s'établit une première tache sur laquelle nous
nous portons : du bordage, de l'étayage, auprès d'une population délaissée et fragilisée, sur les dérives
de nos artères urbaines, quand celle-ci ose encore s'afficher honteusement, dont les sujets sont
en proie à la violence, autant sociale que singulière, psychique, pulsionnelle, inconsciente. De
déliaisons psychiques en déliaisons sociales, de l'exclusion à l'auto-exclusion et l'asphaltisation du
corps dans le béton, notre clinique a pour principal objet d'ouvrir un lieu d'adresse à un Autre
permettant un amarrage du Sujet dans un discours et une relation, un espace de parole qui pourra
permettre de surcroît de déplier une histoire, un vécu traumatique et des événements de vie ayant
abouti à des processus mortifères. Comme l'explique Michèle Benhaïm dans son dernier livre Les
passions vides : « Notre travail clinique n'est pas mesurable, car combien coûte un sourire ? Ce
travail est une nécessité, une obligation, une exigence, car le vide est contagieux. Faisons le pari
qu'il existe des processus de création au sein même de l'effondrement subjectif, que ces mouvements
seront propices à lier les égarements, et que des forces d'ancrage ouvriront un horizon là où il nous
apparaît, pour l'instant, comme obstrué. ». Cela résume ce qui de façon continue nous porte, où
nous misons que dans cette errance physique et psychique rencontrée dans la rue, un amarrage est
possible, une inscription dans un champ social et discursif. Ces hommes et ces femmes qui se vivent
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comme n'ayant pas de place dans le monde en sont exclus, ils sont ceux qu'on aimerait ne pas voir,
ne pas entendre, et qui pourtant, par leur présence, viennent nous rappeler les effets de destruction
et de rupture de liens de notre société. Notre tâche vise à restaurer ces liens rompus par la misère et
la violence. Notre clinique est alors de permettre que ces sujets s'autorisent à retrouver ou parfois
même trouver une place dans le monde, dans une idéologie de plaidoyer pour l’hétérogène et une
anti-conformité au modèle social pour ceux ayant fait le choix de la marginalité.
C'est en voyant dans le petit autre l'humanité que l'on peut redécouvrir la sienne propre, dans une
fraternité autour de la souffrance humaine selon le mot de Pierre Delion, et sa potentialité
d'inscription dans le champ social.
Dans cette clinique que nous appellerons la clinique de l’humanité, notre posture est donc
d'accepter l'inconfort et l'intranquillité, que l’on peut voir comme la résultante des projections des
personnes sans abri, des motions qu’elles nous renvoient et prennent dès lors une grande place dans
notre imaginaire, dans nos fantasmes, souvent morbides et angoissants, qui peut tendre à nous
aliéner dans la relation établie.
L'inconfort et l’intranquillité aussi d’une position de maraudeur qui peine à se définir. Face à
une réalité qui confine au réel, notre travail est d’éviter les refuges de nos positions défensives de
« psy » qui refuserait toute incursion dans la réalité et ne voudrait rien voir des besoins d’étayage
sur l’objet, de celles de travailleurs sociaux qui tendraient à boucher le trou d'une demande que nous
ne pourrions plus entendre au-delà de sa matérialité, de celles de médecins qui ne verraient plus le
sujet mais le seul corps échoué et souffrant.
Notre inconfort et notre intranquillité, c’est donc aussi notre renoncement.
Renoncement à être des sauveurs, à venir soulager la souffrance immédiate ou satisfaire la demande
apparente, à donner à la personne ce dont elle manquerait et dont l’absence l’éloignerait de notre
monde.
Renoncement à être des « psy » (ce que nous ne sommes jamais pour eux car ne nous présentant pas
ainsi), à travailler avec eux sur leur transfert. C’est plutôt sur notre transfert qu’il nous faut travailler
et pour que peut-être, dans un effet collatéral, puisse émerger un discours du sujet dans la régularité
des rencontres.
Renoncement donc à notre position de toute-puissance.
Alors, « Qu’est-ce qu’on fout là ? » comme le dit Oury… C’est cette question que nous
remettons finalement inlassablement sur le métier pour tenter de tisser ces liens, qui ne cesse de
nous travailler en chaque instant de la rencontre.
Nous devons alors, entre maraudeurs, nous porter mutuellement, afin de ne pas tomber dans
ce qu'il en serait d'une fascination, d'une jouissance inconsciente. Nous devons dans cette rencontre
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faire montre d'un étayage respectif entre nous, afin de permettre un décalage de possibles postures
défensives face à ces situations de misère, miseria, malheur, détresse, qui inspire la pitié, en-deçà de
la pauvreté, pauper, produire peu, mais qui peut encore laisser des espaces de création possible.
Dans ce portage mutuel, chaque membre prend alors une fonction thérapeutique spécifique pour les
autres bénévoles, et les sujets de la rue, dans une constellation transférentielle étayante, plurielle,
diffractée. Nous pouvons ainsi faire collectivement face aux effets de violence qui nous sont
renvoyés, dans une posture d'accueil et de maintien d'une dignité humaine. Quand la mort peut
rôder au coin de l'hypothermie hivernale, de la déshydratation estivale, de la violence physique, ou
de l'abandon de soi, hors de la communauté des hommes, l'homme ne serait plus qu'un coquillage
vide, un musel man.
La mission sans abri existe de puis 13 ans. Au départ, elle offrait des consultations aux
personnes sans abri ; aujourd’hui elle propose ce travail d’aller vers et de création de liens. Cette
mission prend tout son sens dans les articulations qu’elle propose avec les partenaires du réseau.
Nous sommes des passeurs, ces liens que nous construisons avec les personnes, nous tentons de les
reproduire avec les acteurs qui interviennent en amont ou en aval de notre action dans les prises en
charge sanitaires et sociales. Ainsi, nous tentons de déployer un maillage solidaire, rigoureux et
attentif autour de la personne sans abri.
Face à une population sans abri de plus en plus nombreuse, protéiforme, confrontée à des
difficultés de plus en plus grande devant la raréfaction des réponses institutionnelles ou associatives
faute de financement, face aux phénomènes migratoires qui ne font que commencer, nous vivons la
maraude comme un acte politique. C’est pour nous un engagement citoyen et concret, fait au
quotidien d’interrogations, de curiosité, de passion plus que de compassion. La frontière entre le
SDF et soi-même est étroite : qui va soigner qui en vérité ? » « Qui sauve un homme, sauve
l'humanité » dit le Talmud.
Cet acte politique doit s’ouvrir. S’ouvrir aux autres citoyens, s’ouvrir aux réseaux de
proximité. C’est dans ce sens que nous souhaitons dans les années à venir faire évoluer notre
action : associer de plus en plus largement les citoyens, les partenaires, et les acteurs locaux du
territoire, en essayant de transmettre quelque chose de la complexité de cette clinique de l’humanité.
BAIDI Christophe – DIMECH Amélie – DOUENEL Corinne – NEGREL Raymond
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POLARS ET PSYCHIATRIE - ANTOINE VIADER 11/2017
POLARS ET PSYCHIATRIE
On peut se demander quels points communs existent entre la psychiatrie et les romans ou les films policiers. A mon avis il peut y en avoir plusieurs. Mais avant d'aborder ces points communs il faut sans doute dire quelques mots sur les origines de la littérature policière. On s'accorde habituellement pour désigner Edgar Allan Poe comme le fondateur de cette littérature avec des récits tels que « Le mystère Marie Roget », « Deux assassinats rue Morgue » et « La lettre volée ». Il ne faut pas oublier que Poe était aussi et surtout un poète. Cependant, dans un numéro d'août de cette année de « La Quinzaine littéraire » consacré à la littérature policière, Matthieu Letourneux, professeur de littérature à l'université a Paris- Nanterre, affirme que cette origine remonte à Eugène Sue avec « Les mystères de Paris » et à Ponson du Terrail avec « Les drames de Paris » et les aventures de Rocambole. Pour cet auteur comme pour d'autres auteurs dans cette revue il s'agit de dévoiler « la face obscure » de nos sociétés que révèlent les récits policiers au delà des énigmes ou des intrigues proprement policières et Véronique Bergen intitule son article ainsi : « Raymond Chandler : enquête sur la condition humaine ».
Nous aurons l'occasion d'y revenir.
* * *
Donc, il y l'intrigue ou l'énigme à élucider. Sans doute, un psychiatre n'est pas en principe un détective ou un policier et l'énigme en question n'a souvent rien à voir avec les mystères de la psychopathologie. Cependant, dans les deux cas il s'agit d'une recherche. Le détective cherche un suspect ou un coupable et le psychiatre tente d'aider le sujet de trouver sa propre vérité. Et ces recherches impliquent l'utilisation d'une logique.
Un deuxième point commun concerne l'interprétation.
Dans un roman policier le détective cherche à interpréter les signes ou les indices recueillis sur la scène du crime. C'est sans doute le cas pour l'un des plus célèbres détectives de roman, Sherlock Holmes de Conan Doyle.
Mais dans un autre contexte l'interprétation fait partie du travail du psychiatre et du psychanalyste ce que l'on retrouve entre autres dans l' « Interprétation des rêves » de Freud et cela fait partie du travail du thérapeute comme du patient.
D'autre part, on connaît aussi les interprétations pathologiques dans les délires d'interprétation.
Il y sur certains points une opposition entre traduction et interprétation. En dehors de l'aspect oral ou écrit, la traduction consiste à passer un texte d'une langue à une autre en tendant à conserver le même sens et la même valeur alors que l'interprétation consiste à donner à l'énoncé dans la même langue un autre sens.
Un autre point concerne la personnalité des criminels qui apparaissent dans ces romans ou dans ces films et dans celles de certains policiers ou détectives.
Je ne vais pas essayer d'analyser la psychopathologie de ces criminels psychopathes ou psychotiques qu'on retrouve dans ces œuvres policières. Je vais juste en citer quelques uns. Sans doute le plus connu et le plus impressionnant c'est le personnage de « Psychose » d'Alfred Hitchcock interprété par Anthony Perkins. On en trouve aussi dans d'autres films du même auteur comme « L'inconnu du Nord-Express » ou, de façon différente, dans « La maison du docteur Edwards » où l'auteur s'intéresse à la psychanalyse. Pour ne pas quitter tout de suite Hitchcock on peut citer certains de ses films pendant sa période anglaise comme « Une femme disparaît » ou « Les 39 marches » où il s'agit plutôt de films d'espionnage et où l'humour atténue largement la violence de certaines actions.
Lorsqu'il s'agit de ces personnages, criminels ou enquêteurs il faut les situer dans une certaine ambiance surtout quand l'auteur crée de son côté une ambiance ou une atmosphère.
L'existence ou la qualité d'une ambiance diffère selon les romans policiers comme dans la psychiatrie. On connaît l'importance de l'ambiance dans les lieux de soin et elle dépend souvent de la présence de certaines personnes, patients ou soignants. Dans les romans policiers l'ambiance est très différente suivant l'auteur. Ainsi, dans les romans dont le ressort principal est la solution de l'énigme ou l'intrigue l'ambiance a peu d'importance. C'est le cas le plus souvent des livres d'Agatha Christie, de ceux de Conan Doyle avec Sherlock Holmes et de ceux d'Ellery Queen entre autres. Je cite ce dernier qui avait pas mal de succès dans les années 1940 - 1960 parce que Jorge Borges lui même auteur de récits à énigme le cite à plusieurs reprises dans ses notes de lecture. Dans ce genre de livres les personnages restent des personnages souvent caricaturaux comme Hercule Poirot qui par contraste montre sa brillante intelligence dans ces intrigues souvent très bien agencées par l'auteur.
Par contre, il suffit de quelques lignes à Simenon pour créer une véritable ambiance où le commissaire Maigret prend l'épaisseur d'une personne vivante au delà de son personnage.
On peut peut être prendre l'exemple de Maigret pour aborder la question de la logique ou des logiques utilisées par les enquêteurs.
Maigret c'est un taiseux qui fume sa pipe comme s'il ruminait, donne des ordres à ses inspecteurs boit de la bière ou un grog quand il est enrhumé ou grippé. Lorsqu'il est grippé, lorsqu'il qu'il a de la fièvre, il transpire et on peut dire qu'il « sécrète » et finalement il livre le secret en question. Jules Maigret apparaît comme une personne car, contrairement aux créateurs de Sherlock Holmes ou d'Hercule Poirot, Simenon le décrit comme un homme du peuple, quelqu'un qui connaît ce qu'on appelle la « nature humaine » ou simplement les gens qu'il fréquente dans leur paysage commun. Sans doute il raisonne, il interprète les faits et les paroles lors des interrogatoires et il emploie la déduction, l'induction ou ses propres intuitions par associations d'idées comme tout chercheur.
Les autres enquêteurs que je viens d'évoquer ne se situent pas vraiment dans un paysage mais plutôt sur une scène. Ils se concentrent sur leurs raisonnements déductifs à partir des faits, des indices et des témoignages sans sortir de la scène de l'énigme elle même. C'est peut être différent même chez Agatha Christie quand il s'agit de Miss Marple. Celle-ci fait souvent allusion lors de ses enquêtes à la vie de son village où elle trouve des analogies avec l'intrigue qu'elle tente de résoudre. C'est aussi le cas de l'héroïne de Patricia Wentworth, Miss Silver dont ses collègues et admirateurs disent d'elle: « Elle connaît les gens ». En fait, Miss Silver, ancienne préceptrice devenue sur le tard détective privée, prend contact avec les gens du village où elle enquête en liant conversation avec les commerçants locaux ou en aidant une domestique à faire la vaisselle dans la maison où elle a été appelée. Certains se rappellent la cuisine des pavillons de notre hôpital psychiatrique où, tout en faisant cuire les biftecks les conversations allaient bon train.
Un autre point à propos des logiques utilisées. Je parlais de déduction, d'induction ou d'intuition. Sans être très au fait de la logique en général je me risque sur ce terrain à propos de ce que Charles Spencer Peirce et Michel Balat nomment l'abduction. J'ai pensé qu'on pourrait illustrer ce genre de raisonnement par les livres de Fred Vargas avec le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. Celui-ci est entouré d'une équipe qu'on peut qualifier de rationnelle et cartésienne alors que lui même semble toujours à côté de la plaque. Ses pensées naviguent en dehors des sillons tracés. On pourrait dire en paraphrasant Victor Hugo que c'est quelqu'un qui pense à autre chose. Mais c'est en suivant les détours de ses pensées qu'il parvient à la vérité.
On dira peut être que nous sommes loin des préoccupations de la psychiatrie. Cependant ce que Jean Oury appelle la phénoménologie de la rencontre et la question du diagnostic correspond aussi à la recherche de la vérité dans ces romans.
Et les psychiatres utilisent aussi ces logiques auxquelles il faudrait ajouter la logique poétique que préconise Oury dans les relations avec les psychotiques ou la fonction poétique du langage dont parle François Tosquelles. À ce propos on pourrait évoquer le personnage de Fantômas de Marcel Allain et Pierre Souvestre et relire la « Complainte de Fantômas » de Robert Desnos.
Quand je parle de connaître les gens dans certains romans policiers je pense aussi que l'une des fonctions des équipes du Secteur Psychiatrique consistait précisément à connaître les gens. Non seulement les malades et leurs familles mais les habitants du quartier et surtout ceux qui ont une certaine influence comme les hommes politiques locaux, les policiers du commissariat, les prêtres, certains commerçants en particulier les patrons de bar.
Bien sûr on ne peut pas connaître de près tout le monde mais on peut s'attarder sur certains visages et écouter ce qui se dit surtout quand on a du mal à comprendre ce qui se passe. Ainsi, dans le dernier livre de Fred Vargas, « Quand sort la recluse », le commissaire Adamsberg note quelques mots échangés lors de plusieurs conversations, des mots et des noms qui le tracassent sans savoir pour quoi jusqu'au moment où il trouve ce pourquoi.
L'importance du regard on la retrouve dans « La lettre volée » d'Edgar Poe. On sait que Jacques Lacan a consacré l'un de ses Séminaires cette lettre volée et que Deleuze et Derrida l'ont commenté. Pour ma part je ne fais que résumer cette nouvelle de Poe. Dans cette histoire figurent d'abord le roi, la reine et le ministre. Se trouve sur une table une lettre compromettante pour la reine. Celle ci tente de la cacher mais le ministre la subtilise adroitement. Le roi ne voit rien et surtout il ne doit rien voir. Il y a donc dans cette scène des échanges de regards et des gestes surpris. Les policiers tentent de retrouver cette lettre en fouillant le cabinet et le domicile du ministre pendant son absence sans rien trouver. Car pour eux un objet comme cette lettre doit être enfermée quelque part et doit être hors de la vision extérieure. Mais les policiers ont beau sonder tous les meubles et tous les murs, planchers et plafonds la lettre reste introuvable jusqu'à ce que le préfet de police ait recours au Chevalier Dupin. Celui-ci après deux visites chez le ministre remet la lettre au préfet. En effet, la lettre en question, un peu salie et froissée se trouve en évidence au milieu d'autres lettres et cartes dans un porte cartes accroché au mur. On peut dire que « ça crève les yeux ». Et bien sûr si on a les yeux crevés on ne voit rien. Sauf si on se réfère à Œdipe qui lui, ne devient voyant qu'après qu'il se soit crevé les yeux.
Dans cette nouvelle de Poe il s'agit de dissimulation mais aussi de simulation dans la mesure où la lettre originale a été camouflée pour qu'elle ne ressemble pas à l'originale.. A ce sujet on pourrait se référer au livre de Roland Kuhn, « Phénoménologie des masques à travers le Rorcharch » avec la préface de Gaston Bachelard dans la traduction française. Il s'agit bien de dissimuler le visage grâce au masque mais aussi de simuler, de faire semblant d'avoir un autre visage ou une autre expression.
Il faut dire quelques mots des détectives sédentaires et de leurs auxiliaires. Contrairement à Sherlock Holmes et à Hercule Poirot grands voyageurs, certains détectives ne quittent guère leur domicile. C'est le cas de Néro Wolfe, le personnage de Rex Stout, dont l'embonpoint ne facilite pas ses mouvements et qui a horreur de se déplacer en voiture ou à pied. Il est vrai qu'il a un auxiliaire très mobile et efficace en la personne d'Archie Goodwin. Mais le plus sédentaire des détectives c'est sans doute Don Isidro Parodi le personnage créé par H. Bustos Domecq, c'est à dire par Adolfo Bioy Casares et Jorge Luis Borges qui ont utilisé ce pseudonyme pour écrire ensemble « Six problèmes pour Don Isidro Parodi. Donc, Don Isidro est sédentaire par force puisqu'il a été condamné à vingt ans de prison pour un crime qu'il n'a pas commis mais il s'accommode de sa situation et il reçoit divers visiteurs en proie à des difficultés qu'ils jugent insurmontables sans l'aide de l'ancien coiffeur installé dans sa cellule. Il s'agit, dans ces six épisodes, de gens, pour la plupart du genre masculin, et qui tiennent des discours plutôt labyrinthiques et qui ne manquent jamais de vanter leur intelligence, leur courage et leur franchise ou, au contraire d'afficher une humilité invraisemblable comme par exemple le petit diplomate chinois : « Mon misérable nom est Shu T'ung et j'occupe, à la risée de tous, le poste d'attaché culturel à l'ambassade de Chine, antre discrédité et malsain... ». Les auteurs s'amusent à placer des miroirs dans tous les coins pour fausser et inverser la logique des discours des divers personnages et Don Isidro ne se contente pas de piocher les bonnes pièces du puzzle mais il modifie la position des miroirs pour faire éclater la vérité.
Juste quelques mots pour les « auxiliaires » ou « seconds » qui apparaissent dans certains romans. Le plus connu de ces seconds c'est sans doute le Dr. Watson, ami fidèle de Holmes et qui s'attire inévitablement la réponse de son maître : « Élémentaire mon cher Watson ! ». Il y a aussi le capitaine Hastings, le second d'Hercule Poirot, détective amateur et sentimental dont la maladresse ne manque pas de donner quelques idées inattendues à Poirot.
Ici aussi on pourrait dire qu'on est loin de la psychiatrie mais nous avons aussi appris le métier auprès de gens plus expérimentés et savants que nous et qu'on peut parfois qualifier de maîtres et nous avons aussi reçu quelques répliques cinglantes.
J'ai parlé des détectives sédentaires mais on pourrait étendre cette notion aux situations où les détectives font autre chose que détecter et où les psychothérapeutes et les patients ne se trouvent pas ensemble dans une séance. Les détectives font ce qui leur plaît. L'un joue du violon, un autre cultive des orchidées, un troisième se demande pourquoi les œufs ne sont pas carrés et un autre que je n'ai pas encore cité se penche sur les problèmes d'échecs du maître Capablanca.
Les psychothérapeutes et psychanalystes font aussi ce qu'il leur plaît en principe. Certains jouent aussi aux échecs, écrivent des poèmes, peignent … il y en a qui tricotent, qui écrivent des « Écrits », il y en a qui écrivent même des romans policiers... En tout cas, ils continuent à travailler ou à être travaillés par ces problèmes.
Mais que font les patients ? Eux aussi, entre les séances, ils travaillent, restent en proie à leurs difficultés et souvent ils travaillent du chapeau. Quand ils bénéficient d'une certaine liberté de circulation ils font comme les autres et se présentent à leurs séances librement. Mais comme Jean Oury l'a signalé il y a des patients qui ne vont pas voir leur thérapeute librement mais qu'on amène entre deux infirmiers car le reste du temps le patient en question est en cellule.
J'en arrive à l'aspect social ou politique de certains romans policiers. En France il y a des auteurs « engagés » comme Manchette ou Daeninckx mais ces aspects sociaux apparaissent surtout dans les romans « noirs » des auteurs américains comme Daschell Hammett, Raymond Chandler, James . M. Cain et Ross Mac Donald. Bien sûr il y en a beaucoup d'autres mais on ne peut pas tous les citer. Ces auteurs explorent et dénoncent une société corrompue par l'argent et l'ambition où certains hommes politiques, hommes d'affaires ou policiers incarnent le mal aussi bien que les véritables criminels.
Ces écrivains posent la question de l'éthique dans ce genre de société, comme chez d'autres écrivains, français déjà cités ou écrivains scandinaves comme M. Sjöwall et P. Wahlöö ou Henning Mankell entre autres.
Quelques mots sur les écrivains américains.
Daschell Hammett avait été condamné à six mois de prison par la Commission Mac Carthy en 1951 pour avoir refusé de dénoncer ses amis suspects d'être communistes. Parmi ses romans les plus connus on trouve « Le faucon maltais », « La clé de verre », « Sang maudit », « L'introuvable » …. L'écriture de Hammett est incisive, sobre, aux phrases courtes et révèle le caractère d'un véritable écrivain. Parmi ses personnages il y a l'agent anonyme de l'Agence Pinkerton qu'on retrouve dans plusieurs romans et Sam Spade le privé du Faucon maltais. Ce dernier livre constitue une sorte de métaphore de cette société. Les gens s'entre-tuent pour posséder ce faucon supposé être en or alors qu'à la fin en grattant la peinture ou le vernis on s'aperçoit qu'il est en plomb. Le cynisme de certains personnages comme Spade n'empêche pas qu'ils restent fidèles à certaines valeurs humaines.
Raymond Chandler dénonce aussi la société américaine et en particulier Los Angeles. Si Hammett était tuberculeux Chandler était alcoolique et avait été interné une fois ou deux dans des hôpitaux psychiatriques. Il n'empêche qu'en créant le personnage de Philip Marlowe, en hommage au poète anglais Christopher Marlowe, il avait crée un enquêteur intègre, obstiné, à la recherche de la vérité, insubordonné, moins cynique que désenchanté et doué d'un humour souvent décapant. Deux des livres de Chandler parmi les plus connus, « Le grand sommeil » et « La dame du lac » avaient été traduit en français par Boris Vian et sa femme Michelle Vian.
On peut peut être citer un petit passage de son roman « The long goodbye », traduit à l'époque de façon assez bizarre sous le titre de
« Sur un air de navaja » . Au cours de ce roman Philip Marlowe rencontre une riche héritière fille d'un magnat de l'acier et qui possède la plupart des journaux locaux que, par ailleurs, il méprise. Marlowe tombe amoureux de cette femme, Linda Loring. Celle ci lui propose de rencontrer son père. Le chauffeur du milliardaire un noir nommé Amos va le chercher dans la limousine.
Après cet entretien :
« -Alors, me demanda-t-elle doucement, ça s'est bien passé avec mon père ?.
-Très bien. Il m'a fait un cours sur la civilisation … Telle qu'il la conçoit du moins. Il va la laisser évoluer encore quelque temps. Mais elle ferait bien de se tenir à carreau et de ne pas envahir sa vie privée. Sinon, il est capable de téléphoner à Dieu le père de tout foutre en l'air.
-Vous êtes incorrigible.
-Moi, incorrigible ? Regardez votre père en face, ma petite dame. A côté de lui, je suis juste un enfant de chœur.
Je sortis et trouvai Amos qui m'attendait avec la Cadillac. Il me ramena à Hollywood. Je lui offris un dollar, mais il le refusa. Je lui proposai alors de lui acheter les poèmes de T.S.Eliot. Il me répondit qu'il les avait déjà ».
C'est peut être chez Chandler qu'on retrouve de la façon la plus claire la question de l'éthique dans les relations inter humaines où, à côté de quelques policiers honnêtes, et des gangsters, des policiers véreux, et des hommes d'affaires corrompus on trouve de véritables malades mentaux, psychopathes et pervers.
Ross Mac Donald, grand admirateur de Chandler, campe lui aussi avec Lew Archer un détective privé intègre et humaniste. Ce qui peut nous intéresser dans ses romans c'est que, souvent, cet enquêteur doit remonter à plusieurs générations pour trouver la solution.
Bien sûr, ces commentaires ne peuvent pas rendre compte de l'ensemble du contenu de ces livres. Pour en avoir une compréhension plus large et plus précise il faudrait naturellement les lire.
Je vais essayer à présent de dire quelques mots sur Chesterton car
cet auteur, Gilbert Keith Chesterton, nous offre un véritable monde où on retrouve les problèmes sociaux, les énigmes les plus obscures, la poésie et les logiques les plus surprenantes.
Borges le considérait comme l'un de ses maîtres
Les œuvres de Chesterton sont surtout connues par les enquêtes du « Père Brown », prêtre catholique et détective amateur. Il faut savoir que Chesterton s'était converti au catholicisme en 1922 dans une Angleterre dominée par la religion protestante.
Avant les enquêtes du « Père Brown » il avait déjà écrit d'autres romans entre autres « Le nommé Jeudi ». Ce livre, préfacé dans sa traduction française par Pierre Klossowski, nous présente une série d'événements en miroir. On y trouve deux groupes. Le premier est composé de sept anarchistes qui portent tous les noms de la semaine et dont le président s'appelle Dimanche. Le deuxième groupe est formé par sept détectives qui tentent de détruire le groupe anarchiste. Ainsi, l'un des détectives, qui est aussi un poète, s'infiltre dans le groupe anarchiste et prend le nom de Jeudi car celui qui occupait cette place venait de mourir. Le poète détective attaque le premier anarchiste pour s'apercevoir que celui-ci est aussi un détective infiltré. La suite est facile à comprendre : Tous les anarchistes sont des détectives et le président est aussi le chef des détectives. On s'aperçoit en continuant la lecture que ce livre constitue aussi une métaphore de la Genèse : Dieu a travaillé six jours et le septième il s'est reposé.
Cette logique paradoxale Chesterton l'illustre aussi en affirmant que ce ne sont pas les prolétaires révoltés qui font exploser des bombes mais que les vrais anarchistes ce sont les capitalistes et les milliardaires.
On retrouve d'autres logiques chez la Père Brown en particulier dans « Le secret du Père Brown » où il vaut mieux en citer quelques lignes plutôt que les paraphraser. Ainsi : « Ce qu'ils (les scientifiques) veulent dire, c'est qu'il faut se tenir à l'extérieur de l'homme et l'étudier comme s'il était un gigantesque insecte ; en vertu d'une approche d'où l'émotion est absente et qu'ils qualifient d'impartiale ; et en vertu de ce que moi j'appelle une approche inerte et déshumanisée ». …........... « Eh bien, ce que vous appelez « le secret », c'est exactement le contraire. Je n'essaie pas de me tenir à l'extérieur de l'homme. J'essaie d'entrer dans la peau de l'assassin.... C'est en fait bien plus que cela, comprenez vous ? Je suis vraiment à l'intérieur d'un homme ; j'actionne ses bras et ses jambes : mais j'attends de savoir que je suis à l'intérieur d'un assassin, que j'ai fait miennes ses pensées, et que je me débatte avec ses passions ; jusqu'à ce que je me sois coulé dans le moule de sa haine ….. ».
Sans doute nos malades ne sont pas des assassins et je ne sais pas s'il faut essayer de s'identifier à tel ou tel malade. Je crois qu'il s'agit pour nous plutôt de sympathie que d'empathie. Mais Jean Oury disait qu'il lui arrivait parfois de mimer les gestes de certains malades.
En tout cas, il me semble que les approches logiques et éthiques de Chesterton restent très intéressantes pour nous.
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Ce parcours que je croyais se résumer à une petite récréation s'est avéré plus difficile et peut être plus intéressant que prévu. En tout cas pour ceux qui ont lu des romans policiers et qui se sont approché de la psychiatrie.
Bien sûr ce texte n'est que l'esquisse de ce qu'on pourrait développer et préciser sur le plan logique, social et même poétique. Il s'agit en tout cas de questions concernant la condition humaine. Des questions qui restent souvent et heureusement sans réponses.
Jean Oury parlait d'un malade qui disait à son médecin : « J'en ai marre de me poser des réponses ! ».
Antoine Viader
POLARS ET PSYCHIATRIE
On peut se demander quels points communs existent entre la psychiatrie et les romans ou les films policiers. A mon avis il peut y en avoir plusieurs. Mais avant d'aborder ces points communs il faut sans doute dire quelques mots sur les origines de la littérature policière. On s'accorde habituellement pour désigner Edgar Allan Poe comme le fondateur de cette littérature avec des récits tels que « Le mystère Marie Roget », « Deux assassinats rue Morgue » et « La lettre volée ». Il ne faut pas oublier que Poe était aussi et surtout un poète. Cependant, dans un numéro d'août de cette année de « La Quinzaine littéraire » consacré à la littérature policière, Matthieu Letourneux, professeur de littérature à l'université a Paris- Nanterre, affirme que cette origine remonte à Eugène Sue avec « Les mystères de Paris » et à Ponson du Terrail avec « Les drames de Paris » et les aventures de Rocambole. Pour cet auteur comme pour d'autres auteurs dans cette revue il s'agit de dévoiler « la face obscure » de nos sociétés que révèlent les récits policiers au delà des énigmes ou des intrigues proprement policières et Véronique Bergen intitule son article ainsi : « Raymond Chandler : enquête sur la condition humaine ».
Nous aurons l'occasion d'y revenir.
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Donc, il y l'intrigue ou l'énigme à élucider. Sans doute, un psychiatre n'est pas en principe un détective ou un policier et l'énigme en question n'a souvent rien à voir avec les mystères de la psychopathologie. Cependant, dans les deux cas il s'agit d'une recherche. Le détective cherche un suspect ou un coupable et le psychiatre tente d'aider le sujet de trouver sa propre vérité. Et ces recherches impliquent l'utilisation d'une logique.
Un deuxième point commun concerne l'interprétation.
Dans un roman policier le détective cherche à interpréter les signes ou les indices recueillis sur la scène du crime. C'est sans doute le cas pour l'un des plus célèbres détectives de roman, Sherlock Holmes de Conan Doyle.
Mais dans un autre contexte l'interprétation fait partie du travail du psychiatre et du psychanalyste ce que l'on retrouve entre autres dans l' « Interprétation des rêves » de Freud et cela fait partie du travail du thérapeute comme du patient.
D'autre part, on connaît aussi les interprétations pathologiques dans les délires d'interprétation.
Il y sur certains points une opposition entre traduction et interprétation. En dehors de l'aspect oral ou écrit, la traduction consiste à passer un texte d'une langue à une autre en tendant à conserver le même sens et la même valeur alors que l'interprétation consiste à donner à l'énoncé dans la même langue un autre sens.
Un autre point concerne la personnalité des criminels qui apparaissent dans ces romans ou dans ces films et dans celles de certains policiers ou détectives.
Je ne vais pas essayer d'analyser la psychopathologie de ces criminels psychopathes ou psychotiques qu'on retrouve dans ces œuvres policières. Je vais juste en citer quelques uns. Sans doute le plus connu et le plus impressionnant c'est le personnage de « Psychose » d'Alfred Hitchcock interprété par Anthony Perkins. On en trouve aussi dans d'autres films du même auteur comme « L'inconnu du Nord-Express » ou, de façon différente, dans « La maison du docteur Edwards » où l'auteur s'intéresse à la psychanalyse. Pour ne pas quitter tout de suite Hitchcock on peut citer certains de ses films pendant sa période anglaise comme « Une femme disparaît » ou « Les 39 marches » où il s'agit plutôt de films d'espionnage et où l'humour atténue largement la violence de certaines actions.
Lorsqu'il s'agit de ces personnages, criminels ou enquêteurs il faut les situer dans une certaine ambiance surtout quand l'auteur crée de son côté une ambiance ou une atmosphère.
L'existence ou la qualité d'une ambiance diffère selon les romans policiers comme dans la psychiatrie. On connaît l'importance de l'ambiance dans les lieux de soin et elle dépend souvent de la présence de certaines personnes, patients ou soignants. Dans les romans policiers l'ambiance est très différente suivant l'auteur. Ainsi, dans les romans dont le ressort principal est la solution de l'énigme ou l'intrigue l'ambiance a peu d'importance. C'est le cas le plus souvent des livres d'Agatha Christie, de ceux de Conan Doyle avec Sherlock Holmes et de ceux d'Ellery Queen entre autres. Je cite ce dernier qui avait pas mal de succès dans les années 1940 - 1960 parce que Jorge Borges lui même auteur de récits à énigme le cite à plusieurs reprises dans ses notes de lecture. Dans ce genre de livres les personnages restent des personnages souvent caricaturaux comme Hercule Poirot qui par contraste montre sa brillante intelligence dans ces intrigues souvent très bien agencées par l'auteur.
Par contre, il suffit de quelques lignes à Simenon pour créer une véritable ambiance où le commissaire Maigret prend l'épaisseur d'une personne vivante au delà de son personnage.
On peut peut être prendre l'exemple de Maigret pour aborder la question de la logique ou des logiques utilisées par les enquêteurs.
Maigret c'est un taiseux qui fume sa pipe comme s'il ruminait, donne des ordres à ses inspecteurs boit de la bière ou un grog quand il est enrhumé ou grippé. Lorsqu'il est grippé, lorsqu'il qu'il a de la fièvre, il transpire et on peut dire qu'il « sécrète » et finalement il livre le secret en question. Jules Maigret apparaît comme une personne car, contrairement aux créateurs de Sherlock Holmes ou d'Hercule Poirot, Simenon le décrit comme un homme du peuple, quelqu'un qui connaît ce qu'on appelle la « nature humaine » ou simplement les gens qu'il fréquente dans leur paysage commun. Sans doute il raisonne, il interprète les faits et les paroles lors des interrogatoires et il emploie la déduction, l'induction ou ses propres intuitions par associations d'idées comme tout chercheur.
Les autres enquêteurs que je viens d'évoquer ne se situent pas vraiment dans un paysage mais plutôt sur une scène. Ils se concentrent sur leurs raisonnements déductifs à partir des faits, des indices et des témoignages sans sortir de la scène de l'énigme elle même. C'est peut être différent même chez Agatha Christie quand il s'agit de Miss Marple. Celle-ci fait souvent allusion lors de ses enquêtes à la vie de son village où elle trouve des analogies avec l'intrigue qu'elle tente de résoudre. C'est aussi le cas de l'héroïne de Patricia Wentworth, Miss Silver dont ses collègues et admirateurs disent d'elle: « Elle connaît les gens ». En fait, Miss Silver, ancienne préceptrice devenue sur le tard détective privée, prend contact avec les gens du village où elle enquête en liant conversation avec les commerçants locaux ou en aidant une domestique à faire la vaisselle dans la maison où elle a été appelée. Certains se rappellent la cuisine des pavillons de notre hôpital psychiatrique où, tout en faisant cuire les biftecks les conversations allaient bon train.
Un autre point à propos des logiques utilisées. Je parlais de déduction, d'induction ou d'intuition. Sans être très au fait de la logique en général je me risque sur ce terrain à propos de ce que Charles Spencer Peirce et Michel Balat nomment l'abduction. J'ai pensé qu'on pourrait illustrer ce genre de raisonnement par les livres de Fred Vargas avec le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. Celui-ci est entouré d'une équipe qu'on peut qualifier de rationnelle et cartésienne alors que lui même semble toujours à côté de la plaque. Ses pensées naviguent en dehors des sillons tracés. On pourrait dire en paraphrasant Victor Hugo que c'est quelqu'un qui pense à autre chose. Mais c'est en suivant les détours de ses pensées qu'il parvient à la vérité.
On dira peut être que nous sommes loin des préoccupations de la psychiatrie. Cependant ce que Jean Oury appelle la phénoménologie de la rencontre et la question du diagnostic correspond aussi à la recherche de la vérité dans ces romans.
Et les psychiatres utilisent aussi ces logiques auxquelles il faudrait ajouter la logique poétique que préconise Oury dans les relations avec les psychotiques ou la fonction poétique du langage dont parle François Tosquelles. À ce propos on pourrait évoquer le personnage de Fantômas de Marcel Allain et Pierre Souvestre et relire la « Complainte de Fantômas » de Robert Desnos.
Quand je parle de connaître les gens dans certains romans policiers je pense aussi que l'une des fonctions des équipes du Secteur Psychiatrique consistait précisément à connaître les gens. Non seulement les malades et leurs familles mais les habitants du quartier et surtout ceux qui ont une certaine influence comme les hommes politiques locaux, les policiers du commissariat, les prêtres, certains commerçants en particulier les patrons de bar.
Bien sûr on ne peut pas connaître de près tout le monde mais on peut s'attarder sur certains visages et écouter ce qui se dit surtout quand on a du mal à comprendre ce qui se passe. Ainsi, dans le dernier livre de Fred Vargas, « Quand sort la recluse », le commissaire Adamsberg note quelques mots échangés lors de plusieurs conversations, des mots et des noms qui le tracassent sans savoir pour quoi jusqu'au moment où il trouve ce pourquoi.
L'importance du regard on la retrouve dans « La lettre volée » d'Edgar Poe. On sait que Jacques Lacan a consacré l'un de ses Séminaires cette lettre volée et que Deleuze et Derrida l'ont commenté. Pour ma part je ne fais que résumer cette nouvelle de Poe. Dans cette histoire figurent d'abord le roi, la reine et le ministre. Se trouve sur une table une lettre compromettante pour la reine. Celle ci tente de la cacher mais le ministre la subtilise adroitement. Le roi ne voit rien et surtout il ne doit rien voir. Il y a donc dans cette scène des échanges de regards et des gestes surpris. Les policiers tentent de retrouver cette lettre en fouillant le cabinet et le domicile du ministre pendant son absence sans rien trouver. Car pour eux un objet comme cette lettre doit être enfermée quelque part et doit être hors de la vision extérieure. Mais les policiers ont beau sonder tous les meubles et tous les murs, planchers et plafonds la lettre reste introuvable jusqu'à ce que le préfet de police ait recours au Chevalier Dupin. Celui-ci après deux visites chez le ministre remet la lettre au préfet. En effet, la lettre en question, un peu salie et froissée se trouve en évidence au milieu d'autres lettres et cartes dans un porte cartes accroché au mur. On peut dire que « ça crève les yeux ». Et bien sûr si on a les yeux crevés on ne voit rien. Sauf si on se réfère à Œdipe qui lui, ne devient voyant qu'après qu'il se soit crevé les yeux.
Dans cette nouvelle de Poe il s'agit de dissimulation mais aussi de simulation dans la mesure où la lettre originale a été camouflée pour qu'elle ne ressemble pas à l'originale.. A ce sujet on pourrait se référer au livre de Roland Kuhn, « Phénoménologie des masques à travers le Rorcharch » avec la préface de Gaston Bachelard dans la traduction française. Il s'agit bien de dissimuler le visage grâce au masque mais aussi de simuler, de faire semblant d'avoir un autre visage ou une autre expression.
Il faut dire quelques mots des détectives sédentaires et de leurs auxiliaires. Contrairement à Sherlock Holmes et à Hercule Poirot grands voyageurs, certains détectives ne quittent guère leur domicile. C'est le cas de Néro Wolfe, le personnage de Rex Stout, dont l'embonpoint ne facilite pas ses mouvements et qui a horreur de se déplacer en voiture ou à pied. Il est vrai qu'il a un auxiliaire très mobile et efficace en la personne d'Archie Goodwin. Mais le plus sédentaire des détectives c'est sans doute Don Isidro Parodi le personnage créé par H. Bustos Domecq, c'est à dire par Adolfo Bioy Casares et Jorge Luis Borges qui ont utilisé ce pseudonyme pour écrire ensemble « Six problèmes pour Don Isidro Parodi. Donc, Don Isidro est sédentaire par force puisqu'il a été condamné à vingt ans de prison pour un crime qu'il n'a pas commis mais il s'accommode de sa situation et il reçoit divers visiteurs en proie à des difficultés qu'ils jugent insurmontables sans l'aide de l'ancien coiffeur installé dans sa cellule. Il s'agit, dans ces six épisodes, de gens, pour la plupart du genre masculin, et qui tiennent des discours plutôt labyrinthiques et qui ne manquent jamais de vanter leur intelligence, leur courage et leur franchise ou, au contraire d'afficher une humilité invraisemblable comme par exemple le petit diplomate chinois : « Mon misérable nom est Shu T'ung et j'occupe, à la risée de tous, le poste d'attaché culturel à l'ambassade de Chine, antre discrédité et malsain... ». Les auteurs s'amusent à placer des miroirs dans tous les coins pour fausser et inverser la logique des discours des divers personnages et Don Isidro ne se contente pas de piocher les bonnes pièces du puzzle mais il modifie la position des miroirs pour faire éclater la vérité.
Juste quelques mots pour les « auxiliaires » ou « seconds » qui apparaissent dans certains romans. Le plus connu de ces seconds c'est sans doute le Dr. Watson, ami fidèle de Holmes et qui s'attire inévitablement la réponse de son maître : « Élémentaire mon cher Watson ! ». Il y a aussi le capitaine Hastings, le second d'Hercule Poirot, détective amateur et sentimental dont la maladresse ne manque pas de donner quelques idées inattendues à Poirot.
Ici aussi on pourrait dire qu'on est loin de la psychiatrie mais nous avons aussi appris le métier auprès de gens plus expérimentés et savants que nous et qu'on peut parfois qualifier de maîtres et nous avons aussi reçu quelques répliques cinglantes.
J'ai parlé des détectives sédentaires mais on pourrait étendre cette notion aux situations où les détectives font autre chose que détecter et où les psychothérapeutes et les patients ne se trouvent pas ensemble dans une séance. Les détectives font ce qui leur plaît. L'un joue du violon, un autre cultive des orchidées, un troisième se demande pourquoi les œufs ne sont pas carrés et un autre que je n'ai pas encore cité se penche sur les problèmes d'échecs du maître Capablanca.
Les psychothérapeutes et psychanalystes font aussi ce qu'il leur plaît en principe. Certains jouent aussi aux échecs, écrivent des poèmes, peignent … il y en a qui tricotent, qui écrivent des « Écrits », il y en a qui écrivent même des romans policiers... En tout cas, ils continuent à travailler ou à être travaillés par ces problèmes.
Mais que font les patients ? Eux aussi, entre les séances, ils travaillent, restent en proie à leurs difficultés et souvent ils travaillent du chapeau. Quand ils bénéficient d'une certaine liberté de circulation ils font comme les autres et se présentent à leurs séances librement. Mais comme Jean Oury l'a signalé il y a des patients qui ne vont pas voir leur thérapeute librement mais qu'on amène entre deux infirmiers car le reste du temps le patient en question est en cellule.
J'en arrive à l'aspect social ou politique de certains romans policiers. En France il y a des auteurs « engagés » comme Manchette ou Daeninckx mais ces aspects sociaux apparaissent surtout dans les romans « noirs » des auteurs américains comme Daschell Hammett, Raymond Chandler, James . M. Cain et Ross Mac Donald. Bien sûr il y en a beaucoup d'autres mais on ne peut pas tous les citer. Ces auteurs explorent et dénoncent une société corrompue par l'argent et l'ambition où certains hommes politiques, hommes d'affaires ou policiers incarnent le mal aussi bien que les véritables criminels.
Ces écrivains posent la question de l'éthique dans ce genre de société, comme chez d'autres écrivains, français déjà cités ou écrivains scandinaves comme M. Sjöwall et P. Wahlöö ou Henning Mankell entre autres.
Quelques mots sur les écrivains américains.
Daschell Hammett avait été condamné à six mois de prison par la Commission Mac Carthy en 1951 pour avoir refusé de dénoncer ses amis suspects d'être communistes. Parmi ses romans les plus connus on trouve « Le faucon maltais », « La clé de verre », « Sang maudit », « L'introuvable » …. L'écriture de Hammett est incisive, sobre, aux phrases courtes et révèle le caractère d'un véritable écrivain. Parmi ses personnages il y a l'agent anonyme de l'Agence Pinkerton qu'on retrouve dans plusieurs romans et Sam Spade le privé du Faucon maltais. Ce dernier livre constitue une sorte de métaphore de cette société. Les gens s'entre-tuent pour posséder ce faucon supposé être en or alors qu'à la fin en grattant la peinture ou le vernis on s'aperçoit qu'il est en plomb. Le cynisme de certains personnages comme Spade n'empêche pas qu'ils restent fidèles à certaines valeurs humaines.
Raymond Chandler dénonce aussi la société américaine et en particulier Los Angeles. Si Hammett était tuberculeux Chandler était alcoolique et avait été interné une fois ou deux dans des hôpitaux psychiatriques. Il n'empêche qu'en créant le personnage de Philip Marlowe, en hommage au poète anglais Christopher Marlowe, il avait crée un enquêteur intègre, obstiné, à la recherche de la vérité, insubordonné, moins cynique que désenchanté et doué d'un humour souvent décapant. Deux des livres de Chandler parmi les plus connus, « Le grand sommeil » et « La dame du lac » avaient été traduit en français par Boris Vian et sa femme Michelle Vian.
On peut peut être citer un petit passage de son roman « The long goodbye », traduit à l'époque de façon assez bizarre sous le titre de
« Sur un air de navaja » . Au cours de ce roman Philip Marlowe rencontre une riche héritière fille d'un magnat de l'acier et qui possède la plupart des journaux locaux que, par ailleurs, il méprise. Marlowe tombe amoureux de cette femme, Linda Loring. Celle ci lui propose de rencontrer son père. Le chauffeur du milliardaire un noir nommé Amos va le chercher dans la limousine.
Après cet entretien :
« -Alors, me demanda-t-elle doucement, ça s'est bien passé avec mon père ?.
-Très bien. Il m'a fait un cours sur la civilisation … Telle qu'il la conçoit du moins. Il va la laisser évoluer encore quelque temps. Mais elle ferait bien de se tenir à carreau et de ne pas envahir sa vie privée. Sinon, il est capable de téléphoner à Dieu le père de tout foutre en l'air.
-Vous êtes incorrigible.
-Moi, incorrigible ? Regardez votre père en face, ma petite dame. A côté de lui, je suis juste un enfant de chœur.
Je sortis et trouvai Amos qui m'attendait avec la Cadillac. Il me ramena à Hollywood. Je lui offris un dollar, mais il le refusa. Je lui proposai alors de lui acheter les poèmes de T.S.Eliot. Il me répondit qu'il les avait déjà ».
C'est peut être chez Chandler qu'on retrouve de la façon la plus claire la question de l'éthique dans les relations inter humaines où, à côté de quelques policiers honnêtes, et des gangsters, des policiers véreux, et des hommes d'affaires corrompus on trouve de véritables malades mentaux, psychopathes et pervers.
Ross Mac Donald, grand admirateur de Chandler, campe lui aussi avec Lew Archer un détective privé intègre et humaniste. Ce qui peut nous intéresser dans ses romans c'est que, souvent, cet enquêteur doit remonter à plusieurs générations pour trouver la solution.
Bien sûr, ces commentaires ne peuvent pas rendre compte de l'ensemble du contenu de ces livres. Pour en avoir une compréhension plus large et plus précise il faudrait naturellement les lire.
Je vais essayer à présent de dire quelques mots sur Chesterton car
cet auteur, Gilbert Keith Chesterton, nous offre un véritable monde où on retrouve les problèmes sociaux, les énigmes les plus obscures, la poésie et les logiques les plus surprenantes.
Borges le considérait comme l'un de ses maîtres
Les œuvres de Chesterton sont surtout connues par les enquêtes du « Père Brown », prêtre catholique et détective amateur. Il faut savoir que Chesterton s'était converti au catholicisme en 1922 dans une Angleterre dominée par la religion protestante.
Avant les enquêtes du « Père Brown » il avait déjà écrit d'autres romans entre autres « Le nommé Jeudi ». Ce livre, préfacé dans sa traduction française par Pierre Klossowski, nous présente une série d'événements en miroir. On y trouve deux groupes. Le premier est composé de sept anarchistes qui portent tous les noms de la semaine et dont le président s'appelle Dimanche. Le deuxième groupe est formé par sept détectives qui tentent de détruire le groupe anarchiste. Ainsi, l'un des détectives, qui est aussi un poète, s'infiltre dans le groupe anarchiste et prend le nom de Jeudi car celui qui occupait cette place venait de mourir. Le poète détective attaque le premier anarchiste pour s'apercevoir que celui-ci est aussi un détective infiltré. La suite est facile à comprendre : Tous les anarchistes sont des détectives et le président est aussi le chef des détectives. On s'aperçoit en continuant la lecture que ce livre constitue aussi une métaphore de la Genèse : Dieu a travaillé six jours et le septième il s'est reposé.
Cette logique paradoxale Chesterton l'illustre aussi en affirmant que ce ne sont pas les prolétaires révoltés qui font exploser des bombes mais que les vrais anarchistes ce sont les capitalistes et les milliardaires.
On retrouve d'autres logiques chez la Père Brown en particulier dans « Le secret du Père Brown » où il vaut mieux en citer quelques lignes plutôt que les paraphraser. Ainsi : « Ce qu'ils (les scientifiques) veulent dire, c'est qu'il faut se tenir à l'extérieur de l'homme et l'étudier comme s'il était un gigantesque insecte ; en vertu d'une approche d'où l'émotion est absente et qu'ils qualifient d'impartiale ; et en vertu de ce que moi j'appelle une approche inerte et déshumanisée ». …........... « Eh bien, ce que vous appelez « le secret », c'est exactement le contraire. Je n'essaie pas de me tenir à l'extérieur de l'homme. J'essaie d'entrer dans la peau de l'assassin.... C'est en fait bien plus que cela, comprenez vous ? Je suis vraiment à l'intérieur d'un homme ; j'actionne ses bras et ses jambes : mais j'attends de savoir que je suis à l'intérieur d'un assassin, que j'ai fait miennes ses pensées, et que je me débatte avec ses passions ; jusqu'à ce que je me sois coulé dans le moule de sa haine ….. ».
Sans doute nos malades ne sont pas des assassins et je ne sais pas s'il faut essayer de s'identifier à tel ou tel malade. Je crois qu'il s'agit pour nous plutôt de sympathie que d'empathie. Mais Jean Oury disait qu'il lui arrivait parfois de mimer les gestes de certains malades.
En tout cas, il me semble que les approches logiques et éthiques de Chesterton restent très intéressantes pour nous.
* * *
Ce parcours que je croyais se résumer à une petite récréation s'est avéré plus difficile et peut être plus intéressant que prévu. En tout cas pour ceux qui ont lu des romans policiers et qui se sont approché de la psychiatrie.
Bien sûr ce texte n'est que l'esquisse de ce qu'on pourrait développer et préciser sur le plan logique, social et même poétique. Il s'agit en tout cas de questions concernant la condition humaine. Des questions qui restent souvent et heureusement sans réponses.
Jean Oury parlait d'un malade qui disait à son médecin : « J'en ai marre de me poser des réponses ! ».
Antoine Viader
LA TUCHÊ LES DIFFÉRENTS CURSUS DE FORMATION
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Le centre La Tuché se veut une structure de formation complète en art-thérapie, en proposant des parcours flexibles en termes de dominantes, de nombres de modules et de durées. Le parcours de formation complet se déroule sur deux à quatre années, composées de modules théorico pratique et de stages. Ce parcours est jalonné de la rédaction ou réalisation de divers documents, écrits ou produits dans d’autres media langagiers, dont des comptes-rendus de stages un document final, de type mémoire ; il débouche sur l’obtention d’un certificat d’art-thérapie CAAT ou CATI ou CATE suivant le niveau présenté . D’une certaine conception de l’art-thérapie… La spécificité de cette formation consiste dans le degré de complexité auquel est théorisée et mise en pratique l’art-thérapie, ainsi que dans la multiréférentialité des approches qui sont concrètement proposées au public de formation. Cette approche seule peut correspondre à la conception plurifactorielle de notre clinique, et qui demande que soient prises en compte les différentes dimensions des pathologies accueillies, des pratiques soignantes, des vecteurs sémiotiques convoqués, et finalement de la psyché humaine et des lieux de vie qui intègrent et font communiquer entre elles ces différentes dimensions. Notre conception de l’art-thérapie s’appuie sur les trois piliers suivants :
… à une certaine conception de sa transmission Notre formation se doit, à son tour, d’épouser indissociablement une telle rigueur, dans son passage par de nécessaires repères théoriques et techniques, et un telessai, au sens montaignien, de la voie de l’existence et de la parole singulières. Il est impossible d’accueillir thérapeutiquement le sujet, dans ses plus profondes détériorations psychiques et physiques, et de l’étayer dans le cheminement de sa reconstruction existentielle, sans faire soi-même le passage par une telle méthode. De là, quelques conséquences en termes d’organisation de notre formation. La formation en art-thérapie se doit d’être complète sur le plan de la pratique, de la théorie et de l’élaboration intime du rapport du futur thérapeute à son processus créatif. Cette élaboration psychique est la condition sine qua non pour que la formation ne se limite pas en une suite de techniques, aussi sophistiquées soient-elles, mais acquière la profondeur d’une méthode. Qui plus est, la dimension créatrice étant au cœur du processus art-thérapeutique, il est indispensable que le tâtonnement, étayé par le groupe, soit permis sur le temps long, afin qu’une dynamique oriente l’ensemble de la formation, par-delà la spécificité de ses différents moments (théoriques, pratiques, créatifs). Par ailleurs, la coprésence est une dimension essentielle pour la dynamique créatrice du groupe, et le corps engagé dans une pratique concrète est une condition évidente à une véritable élaboration psychique du thérapeute. Pour cette raison, la formation se fera en présentiel, et ne proposera pas de dispositif en EAD (éducation à distance). Enfin, la nature du savoir et de son mode de transmission doit être réaffirmée dans sa dimension singulière, et non générale. On entend par là que ce parcours de formation ne consistera pas en un couplage extérieur entre un corpus abstrait et une suite d’ « applications ». Une théorie est avant tout un outil dont l’efficacité et la pertinence s’éprouvent, dans l’immédiate épreuve du corps, de la pratique et de la parole. C’est pourquoi le mode d’enseignement suivra la forme d’atelier autant que de séminaire, et déterminera une relation de transmission, au sens le moins formatant du terme. De tout cela, naît non pas un savoir de l’ordre de la logique générale — d’où l’impossibilité de « cours à distance » réduits à du pur contenu, mais élaboration singulière d’un savoir personnel, dans une confrontation permanente entre questionnement des théories et concepts apportés par les différents intervenants et travail de création et d’élaboration analytique intime. Ce savoir singulier ne se construit cependant pas dans un isolement calamiteux, tant pour la personne en formation que pour ses futurs patients : il se construit au sein de l’espace commun où le partage des expériences et des élaborations forme un filet d’analyse, d’accueil respectueux, d’écoute et de réponse. Comment avec cette palette de couleurs, trouver un processus propre ? Non pas une exigence en termes de « niveaux » auxquels accéder, mais une fibre, de l’ordre de l’art, à déployer, une palette artistique intérieure. Art, thérapie, clinique, épreuve de soi et du monde : trois parcours Trois grands parcours sont proposés : un parcours fondamental en art-thérapie, un parcours artistique, un parcours théorique ; transversales, seront menées les voies d’une pratique de stages et d’une pratique d’écriture. Le champ de la « recherche-action » est le terme qui résume le mieux l’inspiration de ce parcours profond à travers les différents media artistiques, que chaque module sera amené à traverser : telle est la transversalité constitutive d’un savoir, par opposition à une somme de connaissances. Le parcours fondamental en art-thérapie scande la formation par des modules qui allient abord théorique des grands champs notionnels, constitution d’une culture historique des grands courants et moments du développement de l’art-thérapie, mais avant tout expérimentation concrète des processus structurant l’accueil et l’abord art-thérapeutiques de la création humaine et des pathologies accueillies. Ce moment vise en particulier à resituer le désir du praticien par rapport à son propre monde créatif, mais tout en construisant la nécessaire distinction entre processus créatif artistique personnel et processus créatif en tant que thérapeute. Sur le plan épistémologique, cet abord se situe dans la lignée de l’œuvre, séminale, de Laura Grignoli, sur laquelle se greffe une analyse d’inspiration amplement freudienne et postfreudienne. Le parcours artistique propose un décalage de la problématique proprement thérapeutique vers la rencontre, trois fois dans l’année, avec un créateur et son univers. Ces moments de rencontre consistent en une immersion dans une ambiance (au sens phénoménologique du terme), une problématique à la fois langagière et existentielle, d’un sujet singulier : c’est la construction d’une poiesis, création libre et emportant le sort de tout l’être jusqu’à l’expression d’une forme vive, transmissible, ouvrant à son tour un espace de partage dans lequel les sujets récepteurs s’expérimentent eux-mêmes comme créateurs, concernés dans leurs propres corps et psyché. Le parcours théorique constitue un décalage en contrepoint, vers d’autres dimensions fondamentales pour fonder une pratique de l’art-thérapie qui ne tombe pas dans un abord ni protocolaire, ni comportementaliste, du rapport au sujet en souffrance. Cette partie de la formation ne constitue pas une information, mais un véritable passage par des corpus théoriques et cliniques proches de l’art-thérapie :
Effet en retour : une ouverture épistémologique au cœur de l’art-thérapie et de sa transmission En termes de champs épistémologiques, ces trois corpus constituent le volet clinique et théorique sans doute l’apport le plus inédit de cette formation dans le champ de l’art-thérapie. Cet apport se fonde sur plus de dix ans de pratique quotidienne, dans plusieurs cadres d’intervention, en équipes ou individuellement, par des thérapeutes, sémioticiens et artistes qui constitueront les principaux intervenants dans cette formation. Cet apport, issu du dialogue constant avec les différentes praxis thérapeutiques, artistiques et autres évoquées ci-dessus, agit sur le champ de l’art-thérapie à un triple niveau :
De l’expérience partagée des stages… Enfin, une pratique de stages achèvera de construire un parcours dans lequel la personne aura traversé tous les champs nécessaires à ce que le savoir, théorique et pratique, ait été non seulement intégré, mais transformé dans son expérience intime, psychique, corporelle et pratique. Cette pratique de stages, à son tour, doit être pensée comme une source de savoir : savoir transmis et découvert, certes, sur le terrain, mais savoir forgé, au travers d’écrits ou, plus largement, de productions langagières porteuses d’une théorie, aussi variées qu’en soient les formes sémiotiques de leur expression. … à l’épreuve intime de l’écriture Cette question concerne, essentiellement, la place de l’écriture et de l’inscription d’un savoir, dans le cadre de cette transmission. Plusieurs types d’écriture sont exigés comme autant de passages nécessaires, afin que le sujet affronte l’épreuve, souvent angoissante, d’inscrire et de porter à l’échange avec le groupe une pensée qu’il signera en propre. Cette écriture ne doit évidemment pas être comprise dans le seul sens, réducteur, d’une production linguistique. Celle-ci reste centrale, à titre de lieu privilégié d’une analyse et d’une parole-carrefour entre les différentes aires sémiotiques de la formation ; ainsi, un journal devra être tenu, au fur et à mesure des deux années. L’écriture prendra également sa place dans le cadre de la production exigée au terme de ces deux années : ce qu’on appelle souvent un « mémoire », mais auquel nous souhaitons conserver plutôt le statut de « texte libre », au sens où l’entendait le pédagogue Célestin Freinet, et tel que nous souhaitons en faire une forme-sens dont tous pourront s’emparer, librement, poiétiquement, afin de forger l’agencement singulier le plus adéquat entre désir et parole — de quoi porter une éthique en langage, et la porter à l’échange où l’Autre se rencontre, s’éprouve et se respecte, tout autant que dans le quotidien de la praxis, qu’elle soit thérapeutique ou autre. « Texte » et « libre » doivent s’entendre dans l’extension maximale de ces termes : tissage entre plusieurs fils dont l’hétérogénéité et la diversité de matière ne sont pas a priori limitées, mais dont l’ampleur exigera d’autant plus d’attention à l’art et à la puissance du tissage. Loin de se réduire à ce qui souvent se réduit à une rhétorique « universitaire », de tels textes peuvent être pensés dans une perspective monographique, mais également narrative, poétique, etc. Ce pourra être, plus généralement, une création artistique ou intellectuelle ; plus généralement encore, cette production pourra prendre la forme d’une enquête. Dans tous les cas, c’est la rencontre entre angoisse — et donc désir — et une articulation langagière, qu’elle soit création ou analyse, qui constitue le critère fondamental : avoir réussi, en acceptant une position « d’embarras » (Lacan), de prendre le risque d’une parole singulière où l’autre n’est pas absent. Aussi, et c’est le point le plus loin que nous semble pouvoir être tenu cette liberté, ce « texte libre » doit pouvoir accepter tout type de sémiose, tout type de langage — pas seulement linguistique (graphique, musicale ou sonore, massive, etc.), pas seulement inscrite sous une forme fixable (performance, etc.), etc. L’important est qu’une telle parole, par-delà ses choix d’articulation et d’inscription, comporte une part d’analyse partageable, et pouvant être léguée aux générations suivantes des personnes à qui cela se transmettra. L’inscription, dans le dispositif que nous mettons en place, doit se faire dans tous les sens : dépôt d’un savoir commun dans des expériences singulières, plus ou moins novices, et dépôts des arabesques dont sont porteuses ces expériences dans le trésor commun d’une culture de transmission. Ce dispositif, on l’aura compris, a pour but de demeurer dans la pleine adéquation entre la théorie dont est porteur l’art-thérapie, et la forme à travers laquelle cette pensée-art est portée, transformée et assumée par ses sujets. C’est pour cela que nous avons insisté dans ce document de présentation sur la notion de transmission, terme souvent employé en lieu et place de « formation ». Sans renier l’exigence pédagogique, scientifique et pratique d’un souci de former, nous nous méfions de l’inévitable tendance de toute formation soit à se durcir en une conformation de son public, effet de défense d’une discipline sur un certain marché de la… formation (professionnelle ou autre), soit à se dissoudre en une (suite d’) information(s). Double écueil dont nul ne peut se prétendre protégé d’avance, mais face auquel notre dispositif propose un ensemble de pratiques corporelles, psychiques et théoriques que nous espérons à la fois vertébré, et ouvert. C’est à cette fin, en particulier, qu’un conseil scientifique, composé de personnes référentes reconnues dans leurs domaines respectifs, assurera à La Tuché un permanent regard d’analyse et de régulation en ce qui concerne autant le contenu, que la forme et que les résultats de son dispositif de formation. Pierre Johan Laffitte. |
FORMATION OBSERVATION DU NOURRISSON SELON ESTHER BICK
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JOURNÉES AVEC
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programmation en cours
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15 -16 SEPT 2017 AUTISME EVEIL DE COMA 20 ANS APRÈS AVEC PIERRE DELION ET MICHEL BALAT
15 SEPTEMBRE 2017 Argument Il y a juste 20 ans se tenait à Canet en Roussillon ce colloque dont nous étions amenés à dire ceci : « Le choix du thème était hardi, sans doute même est-ce la première fois qu'une telle confrontation était organisée. Pourtant il nous était rapidement apparu, lors de sa conception et de sa préparation, qu'un trait venait en quelque sorte unir les termes en présence : celui de la rareté des signes institués. Nous disons bien les signes« institués» afin de faire la différence avec ces signes, souvent corporels, parfois en actes, qui abondent aussi bien chez les autistes que dans l'éveil de coma. Bien entendu nous ne comptions pas faire de cette rareté le signe, à son tour, d'une proximité étiologique ou simplement descriptive. Car, du vécu que l'on peut avoir auprès des autistes à celui des personnes en éveil de coma, la différence est suffisamment importante, leurs présences respectives sont d'une qualité si distincte, que l'on ne saurait exagérer les rapports de ces deux symptomatologies. La question tournait préalablement bien plutôt autour de celle-ci : quelles sont les conditions institutionnelles que l'on peut favoriser ou établir pour permettre le travail des équipes confrontées à cette rareté, voire cette absence de paroles. Mais en fait n'étions nous pas un peu à côté ? Sans doute est-ce l'intervention de Jean Oury qui le montre le mieux en situant la question autour de l'émergence. Car évoquer l'émergence, c'est en même temps demander les conditions institutionnelles pour qu'elle soit possible, pour qu'elle soit recueillie et accueillie. Ainsi n'était-ce point la rareté des signes qui pose problème, mais la nécessité d'être là pour rencontrer ce d'où ils émergent. Nous avions convié, dans cette salle de congrès, des amis. Mais des amis non au sens habituel de ce terme (quoique), mais au sens quasi étymologique de la philia, celui qui qualifie la relation contractuelle réciproque de l'hospitalité, de l'accueil et des obligations de l'« hospitant » (tel est le mot d'Emile Benveniste pour qualifier l'hôte qui reçoit) et du xénos, de l'étranger, de l'hôte reçu. Non des amis dans un cercle qui ferme, mais une amitié prête à accepter le dissemblable, ce type d'amitié que l'on doit s'attendre à trouver dans l'accueil fait à un pensionnaire, un client, un malade, un blessé, autant de noms pour une même réalité humaine. Les interventions et les débats porteront témoignage qu'il n'en était aucun qui n'eût des lueurs ou des connaissances approfondies sur les champs des autres. C'est ainsi que pourront se tresser des bouts de cordes robustes avec des brins de psychothérapie institutionnelle, de sémiotique, de théorie du coma, du cerveau, de l'autisme. La première matinée y était consacrée à la fois à la présentation du terrain clinique et aux premières élaborations qui en permettent l'observation, voire parfois la constitution. Les interventions d'Edwige Richer et de Pierre Delion montreront à l'évidence qu'en faisant du jeune autiste ou du blessé en éveil de coma le centre de gravité institutionnel de l'établissement de soin, on retrouve des préoccupations et des réponses étonnamment semblables. Il faut dire que c'est en nous apercevant, il y a quelques années, de cette similitude des réponses que nous avions songé à cette rencontre. La présence des équipes et leur prise de parole durant les deux après-midi venaient alors préciser, ouvrir, vivifier ce que la nécessaire structure des exposés aurait pu massifier. » Que dire de plus sinon les changements qui ont eu lieu dans la prise en charge des enfants autiste, modifiant l’approche de cette pathologie qui, d’ailleurs, a connu au cours de ces 20 dernières années une transformation considérable. Pour parodier Marx : Un spectre hante le monde : le spectre de l’autisme. L’autisme est quasiment devenu la maladie du siècle et on peut dire que les autistes n’en ont guère été mieux soignés. Ce sera à coup sûr l’un des thèmes de ce nouveau colloque anniversaire. 16 MARS 2019 Invités MARIE FRANCE ET RAYMOND NEGREL
Psychopathologie des soins quotidiens – Une boussole pour soignant désorienté Mission Sans-Abri de Médecins du Monde Texte présenté aux XXXIè Journées de Psychothérapie Institutionnelle 12-13 Octobre 2017 Le texte que nous vous présentons aujourd'hui a été élaboré, pensé et rédigé en équipe afin de vous témoigner de notre travail auprès des personnes sans abri ainsi qu'au sein de notre collectif. Notre démarche est celle d'aller-vers les personnes de la rue, au rythme de trois ou quatre maraudes par semaine, de jour ou en soirée, à pied, en civil, régulièrement dans le même périmètre et toujours en binôme car il est essentiel de ne pas s’engager seul dans la rue. Parce qu’« un homme seul n'est pas un homme » disait Lacan, nous visons à créer du lien, des liens, afin d'amarrer le sujet en errance, relever et mettre en mouvement le sujet coulé dans l’asphalte du trottoir. Créer un lien pour lui permettre d’exister et de s’inscrire dans des soins somatiques ou des prises en charge sociales. Si le sens de notre action prend racines dans la rue, celle-ci acquiert toute sa signification au cours et grâce aux réunions hebdomadaires d’échanges et de travail, lieu de récits certes, mais surtout invitation à la parole avec nos inquiétudes, nos doutes et nos interrogations. Pour nous, une remise en cause permanente de nos certitudes est plus qu'obligatoire, nous ne pouvons pas y échapper. Portés par les valeurs de Médecins du Monde, « Soigner et témoigner », toute notre action s’accompagne d’une attention à l’autre, sans-abri ou Maraudeur, car la précarité n’est pas réservée aux gens de la rue : elle traverse également le vécu des habitants de la ville, des institutions, des travailleurs sociaux avec lesquels se tissent des liens invisibles. La préparation de cette présentation a été l'occasion de nombreux échanges. Écrire pour s'exposer dans sa parole est toujours une prise de risque, produit des effets inattendus et souvent féconds ; ici aussi, la mise au travail est venue révéler la tension dialectique qui s’exerce en nous et entre nous dans la réalisation de « notre mission ». « Psychopathologie des soins quotidiens, une boussole pour soignant désorienté »… De prime abord, ce sujet était fait pour nous car parler de désorientation et de boussole à des maraudeurs, forcément, ça matche ! Les « soins quotidiens » cela semblait bien être notre « job » … car ce que nous prétendons, c’est prendre soin de la personne sans abri dans une présence aussi quotidienne que possible. Mais peut-on qualifier notre action de « soins quotidiens » alors que nous faisons irruption dans la vie des SDF ? Et sommes-nous des soignants ? Psychopathologie des soins quotidiens, qu’est-ce que cela veut dire ? Avec sa psychopathologie de la vie quotidienne, Freud révèle l’inconscient qui nous gouverne. Avec cette « psychopathologie des soins quotidiens », sommes-nous invités par l’AMPI à nous intéresser à cet inconscient qui se dévoile dans nos 1 errements ? Et de quel inconscient parlons-nous ? Celui des personnes vers lesquelles nous allons ou le nôtre ? Ainsi, nous avons donc recherché nos impasses, nos dissonances, nos refuges pour tenter d’entendre quelque chose… Tel un autre maternel suffisamment bon, notre démarche est d’abord celle d'aller à la rencontre de cet autre, de ces autres en rupture avec le social, assis sur le macadam une main tendue, une casquette devant eux. C'est ainsi que nous décidons, au gré de nos pérégrinations, de nous arrêter sur les bords du chemin et d'adresser un regard, une salutation, au creux du quotidien de ces personnes exclues, au moment de la manche, du repos, du déjeuner, chez eux, sur ce bord de trottoir ainsi approprié le temps d'une halte plus ou moins éphémère. Comment s'adresser à eux et comment être accueillant ? Dans ce mouvement d’aller vers, nous nous rendons chez eux, nous les interpellons, notre présence, nos mots s’imposent à eux sans qu’ils n’en aient rien demandé. En retour, ils restent figés, ou nous regardent passivement nous rapprocher, ils nous serrent la main, nous tendent leur chapeau, nous questionnent : « Qu'est ce que vous voulez ? »... C’est vrai ça, « qu’est-ce que nous voulons » ? Pourquoi s’adresse-t-on à un tel plutôt qu’à tel autre ? Qu’est-ce que nous disons à notre corps défendant en désignant telle ou telle personne comme une personne sans abri ? Chacun fait selon son inspiration, ses peurs, ses fantasmes, les uns évitent les groupes, les autres les personnes très alcoolisées, les derniers ceux qui crient … Ce sont nos propres mouvements psychiques qui nous font nous déplacer vers les uns plutôt que vers les autres. Aller vers, c’est faire précéder l’offre à la demande. Cela commence toujours par un regard, un mouvement, un geste et quelques mots : « Bonjour, comment allez-vous ?» « Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? Vous avez besoin de quelque chose ? » « Bonjour, je m'appelle Corinne, est-ce que je peux parler avec vous ? Je ne vous dérange pas ? » « Bonjour, est-ce que je peux m'asseoir pour discuter avec vous ? » « Bonjour, moi c'est Marine et vous, c'est comment ? » Si nous nous présentons comme une équipe de MDM, ce n’est que très rarement que nous précisons notre profession, en particulier ceux d’entre nous qui pourraient faire partie des « soignants », de peur peut-être que cet énoncé ne puisse venir entraver la possibilité de la rencontre, nous réduisant à n'être les uns et les autres que des soignants et des soignés. « Bonjour, comment allez-vous ?». Cette phrase que dit-elle de nous ? N’est-ce pas une étrange façon d’aller vers : de quelle place demandons-nous à l'un de nos semblables comment il va 2 avant même de le connaître ? Apparemment « si naturelle » ou bienveillante, cette phrase ne seraitelle pas violente ou intrusive ? Elle semble inscrire d'emblée cette personne que nous souhaitons rencontrer dans une différence ; elle énonce quasi-explicitement nos fantasmes de réparation, elle véhicule nos représentations de la précarité, nous réduisant le sujet au « sans abrisme ». « Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? vous avez besoin de quelque chose ? ». L'accroche implique ici une demande matérielle, elle nous protège, légitime notre venue, correspond à nos projections… Mais ne prend-on pas le risque qu’elle ouvre et ferme la rencontre dans le même temps ? Sommes-nous vraiment là pour ça ? Pourquoi venons-nous interroger leur besoin quand le plus souvent nous ne pouvons pas y répondre ? On le voit, ce premier contact est difficile pour eux peut-être, pour nous certainement. Il n’est pas la rencontre mais il n’a de sens que s’il peut être inaugural à celle-ci. Avec pour références la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse, nous voulons déployer une clinique de l’accueil, d’humanisation du Sujet, une clinique qui permette une mise en élaboration progressive d'une parole, conduisant à une restauration du sujet et de son espace intime. Tout en défendant la logique médico-sociale de Médecins du Monde (la survie de chacun et l’accès aux soins pour tous restent pour nous une préoccupation permanente), nous souhaitons nous situer dans le champ de l'intime, au plus près du sujet pris dans une double aliénation psychique et sociale. Comment déployer cette clinique de la présence dans la rue ? Qu’est-ce que la présence dans un espace qui n’existe pas, en tant qu’il est sans limite et mouvant ? Quel espace notre présence pourrait-elle ainsi venir habiter ? Confrontés nous même à l’errance dans nos maraudes, notre premier défi est de rendre notre présence ni évanescente ni envahissante. Issu du latin sionare, le « soin » signifie « s'occuper de », il est « l'attention que l'on porte à faire quelque chose avec propreté, à entretenir quelque chose. » Il suppose quelque chose de la continuité, de la quotidienneté. C’est alors cette répétition dans le temps qui est l’objet de notre attention. La régularité de nos maraudes et nos rituels langagiers ou gestuels viennent scander le temps, marquer des limites à l’espace informe et crée les possibilités de la rencontre. Ils nous rendent présents. C’est cela notre premier engagement et c’est le plus exigeant. Car cette continuité et cette position d’accueil sont difficiles à tenir. Nous croisons un jour Emile, avec qui nous avons développé quelques liens au fil de nos maraudes, parlant avec lui de son histoire comme de l'Histoire de la France, de musique et de littérature, de chiens … Allant vers lui, l'un de nous demande une première fois « Comment allez vous ? », « bien » répond-il. Nous sommes sur une artère passante, il y a beaucoup de bruit, nous nous asseyons par terre près de lui. Distraits par cette installation, nous n’entendons pas sa réponse et ré- 3 itérons la question « Comment allez vous ? ». Emile se lève brusquement, cherchant à échapper à notre présence, il s'énerve, crie : « Mais qu'est ce que vous me voulez à la fin je n'ai pas besoin de tuteur moi, je n'ai pas besoin d'un tuteur ! ». Nous restons figés, désarçonnés, décontenancés, plongés dans notre incompréhension. Nous tentons de le calmer mais rien n’y fait, il est debout, s'agite, très impressionnant. Après un échange de regard, nous prenons la décision de partir face à son refus de nous parler et le saluons timidement. Que s’est-il passé pour Emile dans cette rencontre ? Quelle absence, quelle intrusion serions-nous venus introduire ou incarner ? Dans un après coup, une fois l'émotion de cette altercation atténuée, nous réalisons que, pour la première fois, avant d’aller vers lui, nous nous étions adressés à un autre homme non loin de lui. Cet événement, pourtant anodin, serait-il venu souligner notre appartenance à Médecins du Monde et placer Emile comme un SDF parmi tant d'autres ? Comme si, tout à coup, nous n'étions plus sur un pied d'égalité, nous venions représenter un grand Autre social trop persécuteur, un « tuteur ». Dans « tuteur » il y a presque tueur… Nous sommes-nous montrés défaillant à ne pas l’entendre, trop pris par notre propre installation ? Avons-nous fait intrusion chez lui ? Nous n’avions pas demandé si nous pouvions entrer… Ainsi, entre une absence d'Autre social fuyant ou un vécu de sa trop grande présence touchant à la persécution, nous nous situons sur un fil de funambule, tentant de ne pas vaciller entre deux écueils. Notre engagement dans la continuité est une nécessité lorsque nous faisons le pari d'un possible, d'une création dans et par le lien. Pour nous qui n’apportons rien, cette présence à l’Autre n’est faite que de cette continuité. Elle est notre clinique du quotidien, dans la répétition régulière de nos mots et de nos mouvements venant différencier les espaces pour permettre de les habiter. Répétition des soins de cet autre souvent maternel, renforçant le sentiment de continuité d’existence et débouchant sur la construction d’un récit, d’une histoire, commune qui nous lie les uns aux autres. Pour les sujets souffrant de troubles psychiatriques, la rencontre avec l'Autre dans la rue, peut avoir pour conséquence une déglaciation selon les termes de Salomon Resnik, une réanimation psychique du sujet, où nous devons faire attention aux mouvements de retour de refoulés, à la résurgence d'événements traumatiques, de mouvements d'agressivité, dans ces moments particulièrement intenses. Entre défaut ou excès de circulation, telles deux faces d'une même pièce, « l'asphaltisation » comme l’errance viennent anesthésier le sujet dans la rue, dire son impossible inscription dans le monde et le « tenir » à distance. L'émergence d'un discours adressé à un Autre pourrait entraîner une hémorragie psychique ou réactiver une fuite, face à l'incapacité d'inscription en un lieu, en une temporalité fixe et faisant sens pour le sujet. Alors que d'autres patients peuvent 4 se mouvoir physiquement comme psychiquement entre différents lieux, dans une possibilité de circulation entre les espaces externes et intimes, les plus fragiles dans la rue n’ont souvent pour seul lieu de référence que l'asphalte même, où le bord du trottoir peut venir marquer un bord de précipice psychique à la chute sans fond. L’histoire de la mission est celle de ces moments heureux où les personnes avec lesquelles se sont tissées des liens ont pu trouver un lieu où s’inscrire, vivre ; mais elle est aussi celle de moments douloureux où la décompensation somatique ou psychique nous rappelle parfois dramatiquement que ce qui nous paraît urgent ne l’est pas toujours, et que le temps de l’action doit respecter le temps psychique du sujet. Nous pourrions ainsi vous raconter l’histoire de Jean Claude ou celle de Georges qui sont décédés quelques mois suite à leur mise à l’abri. Survivre est parfois plus facile que vivre. L’équilibre est fragile, la continuité délicate à maintenir, mise à mal par le Réel. « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde », nous dit Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe (1942). Cette clinique de l'extrême, de l’absurde nous plonge inlassablement dans un non sens. Travailler en équipe, marauder en binôme ainsi que penser et développer notre boîte à outils deviennent alors sans cesse nécessaires : sans cela, comment penser cet absurde, comment faire face à cette violence ? Sans réflexion, il y a ou trop ou pas assez de retour, de continuité, prenant le risque de faire vaciller les fragiles constructions subjectives bâties sur les bords de l’errance ou de l’asphaltisation. La question du don revient massivement dans nos réflexions. Elle est omniprésente par la misère qui s’offre à nos yeux ou par la demande plus ou moins explicite des personnes que nous rencontrons. Cette dernière nous ramène une nouvelle fois à l'absurde et à l’inconfort de notre démarche. Faut-il ou non donner ? Si nous donnons un jour, que fera-t-on le jour suivant ? Si nous ne donnons pas, ne faillons-nous pas à être cet être secourable ? Nous en parlons sans cesse en réunion : « Quand je rencontre quelqu'un qui a vraiment faim comme ce soir, je fais quoi : je parle ou je lui donne un sandwich ? » « Moi je les nourris d'abord pour qu'ils parlent la semaine d'après. » J’ai rencontré Jean, je l’ai invité à venir à la Sardinade. Il m’a rétorqué « Tu vas pas m'acheter avec des sardines. » 5 « On rencontre un slovaque qui nous demande sans arrêt des baskets du 47, mais c'est pas évident de trouver des baskets du 47 ! On a fait tous les magasins de sport mais ils s'arrêtaient au 45, on était désespéré. Finalement, le mec a disparu une fois qu'on les avait trouvés, heureusement qu'on les a pas acheté ! » Moi l’autre jour j’ai demandé « Qu'est ce qui pourrait vous faire plaisir ? »… et du coup il m’a répondu : « Vous croyez qu'on a beaucoup de plaisir dans la rue ? » « Moi j'avais à manger quand j’ai maraudé hier et donc je leur ai donné… On dira que c'est parce que je suis nouvelle, que je savais pas qu’on ne donnait pas. » Nous nous sommes réunis en séminaire l’année passée pour tenter cette question. A cette occasion, sous avons redit le fondement de notre mission : s'intéresser avant tout à la relation et ce, sans céder sur notre désir qui risquerait de nous plonger dans du pur humanitaire. Pour cela, notre travail est d’accepter la frustration de ne pas aider matériellement, de se confronter à la castration, de se dégager d'une position où nous voudrions faire pour l'autre, à sa place. Nous sommes là sans rien, et dans ce « rien » se cristallise toute notre position soignante, car, ne venant rien boucher de la relation avec un objet, nous laissons plutôt dérouler quelque chose du sujet et de sa demande. Ce rien ouvre le don de confiance et la relation transférentielle. Ce que nous offrons, c’est nous-même, notre personne propre comme lieu d'adresse Autre où nous accueillons une singularité malmenée par les errements de l'exil ou de la fuite, les problématiques toxicomanes, psychotiques ou encore les questions existentielles propres à chaque sujet. Pour autant, nous ne pouvons laisser quelqu’un mourir de froid dans la rue, ou sans eau en plein été. Et il n’y a pas à se questionner : ils ont froid, on donne le duvet, ils ont soif, on donne de l’eau. Toute la difficulté est que cet objet vital ne devienne pas alors tout l’enjeu de la relation : il est un à-côté sur lequel nous n'avons pas à nous arrêter. Ainsi, nous sommes partis contents de notre séminaire avec un nouvel outil en poche « L’objet n’est pas un enjeu » ! Soit « l'objet n'est pas un enjeu », mais que devons-nous faire lorsqu'il semble le devenir ? Nous rencontrons régulièrement un groupe d'hommes. Parmi eux, des personnes qui ont un abri la nuit mais errent toute la journée durant, d’autres qui sont dans des squats ou à la rue. Plusieurs d’entre eux ont des soucis de santé importants. Ils sont pour certains pris en charge par des équipes partenaires sociales ou sanitaires. En lien avec eux, nous tentons de nous rendre présents à eux pour accompagner à terme les plus fragiles vers les soins. Souvent, quand nous allons les voir, ils sont alcoolisés et continuent à s'alcooliser devant nous tout en étant toujours accueillants. Une fois, ils nous demandent à manger. Parce que nous sentons que certains d’entre eux sont en grande difficulté et parce que « l’objet n’est pas un enjeu » et que, on leur achète de quoi se faire 6 des sandwichs. Une fois, deux fois, trois fois… Chaque fois qu'un binôme de maraudeurs passe les voir, ils sont par un transfert massif et une demande matérielle qui prend de plus en plus de place. Nous en parlons, y retournons, et cette fois, on les accompagne pour qu’ils achètent eux-mêmes. Lors d'une maraude où ils ne sont que trois, ils disent avoir froid ; nous nous engageons à leur ramener des duvets, tel jour vers telle heure. Au moment prévu, nous arrivons avec nos trois duvets : ils sont cinq ! Embêtés, nous tentons de tenir quelque chose de notre parole ou de se protéger derrière l'énonciation d'une règle : « Les duvets étaient pour telle et telle personne, si vous en voulez on vous en ramène la prochaine fois ». L’agitation, le ton montent… Nous nous sentons pris dans des enjeux groupaux qui nous échappent. Nous laissons les 3 duvets, très soucieux des effets de ce « don insuffisant », un instant angoissés à l'idée qu'ils puissent se battre, tentant de se rassurer l'instant d'après en se disant qu'ils en ont régulièrement et « de toute façon, ils les revendent ». Nous nous défendons comme nous pouvons, face à nos fantasmes, et cette réalité en étroite collusion avec un Réel inquiétant. Quelques jours plus tard, une autre équipe, une autre maraude. Ils sont toujours en groupe. Le dialogue s’engage mais nous sommes préoccupés par Rachid qui est très affaibli. Il ne veut pas qu’on appelle les secours ni aller consulter. Il tremble. Très hésitants, nous finissons par prendre congés d’eux. Puis nous revenons sur nos pas, inquiets, pour proposer un café ou un chocolat chaud. Amine nous agresse : « Et vous croyez qu’on a besoin de vous pour cela ? »... et « D’ailleurs à quoi vous servez ? ». D’autres membres du groupe viennent nous protéger « Tu sais bien qu’il n’apporte pas à manger, MDM ! ». Rachid nous retient par le regard mais ne s’exprime pas. Amine se lève, l’excitation croît. Les autres calment le jeu « Vous pouvez y aller, ne vous inquiétez pas ». Nous repartons. Dans la rencontre avec ce groupe, plusieurs phénomènes sont venus se télescoper : le groupe, la présence parmi ses membres de Rachid, très affaibli, épileptique et grand alcoolique, objet de notre souci, le froid,… Et l’effet de notre séminaire de réflexion venu nous mettre à l’abri de notre inconfort par cette belle formule que « l’objet n’est pas l’enjeu ». Lors de nos reprises en réunion hebdomadaire, dans un travail de constellation transférentielle, nous avons pu toucher du doigt ce qui sans doute s’était joué à notre insu : nous avons découvert que dans ce groupe, Amine avait une place de leader, de protecteur… En apportant ces duvets, en prenant soin de Rachid, nous étions venus déstabiliser le fonctionnement du groupe et peut-être destitué Amine dans la place qu’il prenait en son sein... Nous sommes en permanence aux prises de ce conflit : d’un côté agir face à la maladie et à la misère et d’un autre désirer respecter le temps psychique du sujet. Si l’objet n’est pas en enjeu, la place de l’objet dans les relations que nous tissons avec les personnes de la rue ne serait-elle pas tout l’enjeu de notre propre travail psychique ? Ne serait-ce 7 pas dans l’analyse « psychopathologique de nos dons » que les soignants désorientés que nous sommes pourraient trouver leur boussole ? Nous rencontrons un couple, Anne et Vincent. Anne est enceinte de sept mois. Cette situation est pour nous tout de suite une urgence, il faut que nous puissions être là si besoin est au moment de l’accouchement. Trois maraudeurs vont à leur rencontre plus régulièrement et leur donnent un numéro de téléphone. Vincent, toxicomane, n’est pas suivi ; Anne dit être « clean », elle est suivie par un CSAPA. A chacune de nos rencontres, ils nous rassurent tout en nous demandant implicitement quelque chose, jamais directement. De l’argent surtout, pour manger, pour une nuit d’hôtel, pour préparer la venue du bébé… On hésite à donner, puis on donne, on se réunit, on en parle, puis on hésite… - Pourquoi de l’argent ? Est-ce pour acheter de la drogue ? - Ils ne peuvent pas rester à la rue, cet enfant ne peut pas naître dans le caniveau, nous devons leur payer l’hôtel jusqu’à l’accouchement… Tout nous fige. Cet enfant qui peut naître sur le trottoir c’est l’image de cette détresse primordiale qui vient nous cueillir. Nous sommes comme fascinés, pris par cet hilflos mortifère, par cette jouissance inconsciente face au spectacle voyeuriste d'une réalité de la misère confinant au Réel. Nous ajoutons des réunions "exceptionnelles" au mois d'août, on essaie d'élaborer autour de cette demande toujours implicite mais omniprésente. Nous relevons toutes les incohérences de leur discours, nous tentons de comprendre leur demande. Nous les connaissons peu finalement, nous n’avons que très peu d'éléments de leur histoire. Nos fantasmes viennent recouvrir la réalité… On imagine, se répète, se questionne, puis... On redescend sur terre... Et de nouveau on imagine, se répète, se questionne. Bref, nous tournons en rond avec l'envie et le besoin pour eux comme pour nous de se décaler de ce temps chronologique mais dans une impossibilité. Ce bébé va arriver, elle va accoucher et le risque qu'elle accouche dans la rue est grand. C'est une urgence mais le temps logique de l'inconscient ne prend, lui, pas en compte cette urgence. Le temps passe... Elle accouche, tout se passe bien même si c’est moins une. Les analyses révèlent de nombreux toxiques dans le sang de la mère. S’ensuit le sevrage du bébé. Le père arrive à s'engager dans une prise en charge. Ils sont suivis par la maternité puis par trois associations différentes au moins. Nous travaillons avec les autres acteurs ; ils tentent de répondre à leur demande, cèdent puis lâchent : la maternité les fait sortir, une association leur donne une somme d’argent pour une mise à l’abri temporaire avec l’enfant puis disparaît... Semble ainsi se répéter un mouvement où l’objet n’arrive jamais à satisfaire la demande mais où il vient rompre les liens. Pendant ce temps là, nous tentons de maintenir un lien. Ils ne nous appellent que pour demander. Nous avions donné un peu d’argent pour quelques nuits d’hôtel avant l’accouchement… Cet argent n’a sans doute pas ser- 8 vi à cela… Nous cédons à nouveau sur les couches et sur la poussette, « parce que c’est le soin du bébé et que cela fait partie de la mission de MDM »… en fait la PMI fournit déjà tout cela… Nous voilà nous aussi pris dans leur propre répétition… Mais nous le lâchons pas, nous tentons de rester là pour eux, au-delà des demandes… Nous les écoutons, nous parlons de leur demande, nous ne disons non, nous tentons de les accompagner vers des acteurs qui pourraient les aider… Et ce faisant, ils continuent à nous rappeler, un lien semble s’être créé. Et demain ? Nous n’en savons rien, nous tentons de rester connecté sans imposer notre présence. De quel objet parlons-nous ? Il y a l’objet qui répond aux besoins de première nécessité sans lequel il n’y a pas de vie. La mère nourrit l’enfant de lait et de mots. Dans le dénuement extrême, et c’est le cas pour tous ces corps échoués sur l’asphalte, rigidifiés par le froid, l’ivresse ou la chaleur, il ne peut y avoir d'autre maternel sans ses soins de première nécessité. Il y a l’objet qui est le support à la découverte de l’environnement, l’objet sur lequel vient s’étayer la relation, l’objet qui permet de parler. Pendant plusieurs années, un membre de la mission a apporté à un monsieur psychotique qui vivait dans la rue chaque semaine, une canette de coca et une orange. De canette en orange s’est tissé un lien qui a permis après plusieurs années de mettre à l’abri ce monsieur. Et aujourd’hui encore, on lui apporte cette canette et cette orange hebdomadaire. Ces objets ont ouvert la possibilité d’un autre. Le don invite au contre-don, selon Marcel Mauss, il est au fondement de l’échange et de l’organisation sociale. Et puis il y a l’objet qui vient boucher la demande, parce qu’il la précède, la camoufle. Cet objet qui nous rend sourd en nous enfermant dans notre satisfaction narcissique. Citons une personne anciennement SDF « Donner, je trouve que ça instaure une hiérarchie. On n’est pas sur un pied d’égalité, cela nous met en dette. J’ai beaucoup de reconnaissance vis-à-vis de ce que l’on m’a donné quand j’étais SDF, mais revenir à la vraie vie, ce n’est pas être redevable tout le temps. Quand on reprend sa place d’humain, on doit pouvoir refuser cette dette ». La place de l’objet est chaque fois à repenser selon les situations, avant et sur le moment mais surtout dans l’après-coup car ce qui compte, ce n’est pas tant ce que nous faisons ou donnons dans la rue (faire et donner c’est aussi prendre le risque de la vie), ce qui importe c’est la pensée qui suit nos actes. Car c’est dans l’après-coup qu’un acte peut devenir passage à l’acte. 9 En conclusion : une clinique de l’humanité « Tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil italien [Lorenzo] m'apporta un morceau de pain et le fond de sa gamelle de soupe ; il me donna un de ses chandails rapiécés et écrivit pour moi une carte postale qu'il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et n'accepta rien en échange, parce qu'il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût rapporter quelque chose. […] Je crois que c'est justement à Lorenzo que je dois d'être encore vivant aujourd'hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie n'avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose d'indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant. [...] C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas oublié que moi aussi j'étais un homme. » Primo Levi, Si c'est un homme, (1947), p.186-190. A l'heure d'un lien social tarifé, marchandisé, contre-sens anthropologique, selon le mot de l'économiste Frédéric Lordon, notre mission de rue vient s'inscrire dans les rides d'un travail abandonné par le politique, se reposant sur le secteur associatif et militant. Nous nous situons ainsi aux confluences étymologiques du creux, ruga, la rue, la ride, d'un visage courroucé et sévère, le creux marquant aussi l'espace entre deux bords. Ici s'établit une première tache sur laquelle nous nous portons : du bordage, de l'étayage, auprès d'une population délaissée et fragilisée, sur les dérives de nos artères urbaines, quand celle-ci ose encore s'afficher honteusement, dont les sujets sont en proie à la violence, autant sociale que singulière, psychique, pulsionnelle, inconsciente. De déliaisons psychiques en déliaisons sociales, de l'exclusion à l'auto-exclusion et l'asphaltisation du corps dans le béton, notre clinique a pour principal objet d'ouvrir un lieu d'adresse à un Autre permettant un amarrage du Sujet dans un discours et une relation, un espace de parole qui pourra permettre de surcroît de déplier une histoire, un vécu traumatique et des événements de vie ayant abouti à des processus mortifères. Comme l'explique Michèle Benhaïm dans son dernier livre Les passions vides : « Notre travail clinique n'est pas mesurable, car combien coûte un sourire ? Ce travail est une nécessité, une obligation, une exigence, car le vide est contagieux. Faisons le pari qu'il existe des processus de création au sein même de l'effondrement subjectif, que ces mouvements seront propices à lier les égarements, et que des forces d'ancrage ouvriront un horizon là où il nous apparaît, pour l'instant, comme obstrué. ». Cela résume ce qui de façon continue nous porte, où nous misons que dans cette errance physique et psychique rencontrée dans la rue, un amarrage est possible, une inscription dans un champ social et discursif. Ces hommes et ces femmes qui se vivent 10 comme n'ayant pas de place dans le monde en sont exclus, ils sont ceux qu'on aimerait ne pas voir, ne pas entendre, et qui pourtant, par leur présence, viennent nous rappeler les effets de destruction et de rupture de liens de notre société. Notre tâche vise à restaurer ces liens rompus par la misère et la violence. Notre clinique est alors de permettre que ces sujets s'autorisent à retrouver ou parfois même trouver une place dans le monde, dans une idéologie de plaidoyer pour l’hétérogène et une anti-conformité au modèle social pour ceux ayant fait le choix de la marginalité. C'est en voyant dans le petit autre l'humanité que l'on peut redécouvrir la sienne propre, dans une fraternité autour de la souffrance humaine selon le mot de Pierre Delion, et sa potentialité d'inscription dans le champ social. Dans cette clinique que nous appellerons la clinique de l’humanité, notre posture est donc d'accepter l'inconfort et l'intranquillité, que l’on peut voir comme la résultante des projections des personnes sans abri, des motions qu’elles nous renvoient et prennent dès lors une grande place dans notre imaginaire, dans nos fantasmes, souvent morbides et angoissants, qui peut tendre à nous aliéner dans la relation établie. L'inconfort et l’intranquillité aussi d’une position de maraudeur qui peine à se définir. Face à une réalité qui confine au réel, notre travail est d’éviter les refuges de nos positions défensives de « psy » qui refuserait toute incursion dans la réalité et ne voudrait rien voir des besoins d’étayage sur l’objet, de celles de travailleurs sociaux qui tendraient à boucher le trou d'une demande que nous ne pourrions plus entendre au-delà de sa matérialité, de celles de médecins qui ne verraient plus le sujet mais le seul corps échoué et souffrant. Notre inconfort et notre intranquillité, c’est donc aussi notre renoncement. Renoncement à être des sauveurs, à venir soulager la souffrance immédiate ou satisfaire la demande apparente, à donner à la personne ce dont elle manquerait et dont l’absence l’éloignerait de notre monde. Renoncement à être des « psy » (ce que nous ne sommes jamais pour eux car ne nous présentant pas ainsi), à travailler avec eux sur leur transfert. C’est plutôt sur notre transfert qu’il nous faut travailler et pour que peut-être, dans un effet collatéral, puisse émerger un discours du sujet dans la régularité des rencontres. Renoncement donc à notre position de toute-puissance. Alors, « Qu’est-ce qu’on fout là ? » comme le dit Oury… C’est cette question que nous remettons finalement inlassablement sur le métier pour tenter de tisser ces liens, qui ne cesse de nous travailler en chaque instant de la rencontre. Nous devons alors, entre maraudeurs, nous porter mutuellement, afin de ne pas tomber dans ce qu'il en serait d'une fascination, d'une jouissance inconsciente. Nous devons dans cette rencontre 11 faire montre d'un étayage respectif entre nous, afin de permettre un décalage de possibles postures défensives face à ces situations de misère, miseria, malheur, détresse, qui inspire la pitié, en-deçà de la pauvreté, pauper, produire peu, mais qui peut encore laisser des espaces de création possible. Dans ce portage mutuel, chaque membre prend alors une fonction thérapeutique spécifique pour les autres bénévoles, et les sujets de la rue, dans une constellation transférentielle étayante, plurielle, diffractée. Nous pouvons ainsi faire collectivement face aux effets de violence qui nous sont renvoyés, dans une posture d'accueil et de maintien d'une dignité humaine. Quand la mort peut rôder au coin de l'hypothermie hivernale, de la déshydratation estivale, de la violence physique, ou de l'abandon de soi, hors de la communauté des hommes, l'homme ne serait plus qu'un coquillage vide, un musel man. La mission sans abri existe de puis 13 ans. Au départ, elle offrait des consultations aux personnes sans abri ; aujourd’hui elle propose ce travail d’aller vers et de création de liens. Cette mission prend tout son sens dans les articulations qu’elle propose avec les partenaires du réseau. Nous sommes des passeurs, ces liens que nous construisons avec les personnes, nous tentons de les reproduire avec les acteurs qui interviennent en amont ou en aval de notre action dans les prises en charge sanitaires et sociales. Ainsi, nous tentons de déployer un maillage solidaire, rigoureux et attentif autour de la personne sans abri. Face à une population sans abri de plus en plus nombreuse, protéiforme, confrontée à des difficultés de plus en plus grande devant la raréfaction des réponses institutionnelles ou associatives faute de financement, face aux phénomènes migratoires qui ne font que commencer, nous vivons la maraude comme un acte politique. C’est pour nous un engagement citoyen et concret, fait au quotidien d’interrogations, de curiosité, de passion plus que de compassion. La frontière entre le SDF et soi-même est étroite : qui va soigner qui en vérité ? » « Qui sauve un homme, sauve l'humanité » dit le Talmud. Cet acte politique doit s’ouvrir. S’ouvrir aux autres citoyens, s’ouvrir aux réseaux de proximité. C’est dans ce sens que nous souhaitons dans les années à venir faire évoluer notre action : associer de plus en plus largement les citoyens, les partenaires, et les acteurs locaux du territoire, en essayant de transmettre quelque chose de la complexité de cette clinique de l’humanité. BAIDI Christophe – DIMECH Amélie – DOUENEL Corinne – NEGREL Raymond 12 07-08 DECEMBRE 2019 DANIELLE ROULOT ET MICHEL LECARPENTIER
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LES FORMATEURS |
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L'équipe de Formation est composée telle une palette de couleurs où chaque intervenant vient partager son expérience et interroger sa pratique et le quotidien avec chacun des stagiaires pour accompagner chacun des stagiaires dans sa singularité art thérapeutique.
CO PRÉSIDENTS MICHEL BALAT ET FLORENCE FABRE
DIRECTRICE COORDINATRICE DE L'ORGANISME DE FORMATION FLORENCE FABRE
COMITÉ SCIENTIFIQUE MICHEL BALAT, PIERRE JOHAN LAFFITTE ET FLORENCE FABRE
PARCOURS FONDAMENTAL EN ART-THÉRAPIE
INTERVENANTE RÉFÉRENTE FLORENCE FABRE Art thérapeute, formatrice et fondatrice du lieu Médiations plastiques et corporelles LES INTERVANTS PONCTUELS TOLTEN THOMAS SCHIRA Psychologue croqueur sonore et musico thérapeute partagera son expérience professionnelle et ses ateliers d'écriture. Tolten est un rimailleur invétéré. Dyslexique depuis sa plus tendre enfance c'est tout naturellement qu'il s'est tourné vers la poésie. Il anime régulièrement des ateliers d'écriture et de slam dans différentes institutions (IME, hôpitaux psychiatriques, prisons, milieu scolaire). De plus, il interviens assidûment dans divers lieux de formation (université, CEMEA, etc.) ou auprès d'équipes (CMP, hôpital de jour, etc.) pour parler de cette pratique singulière qu'est l'écriture. Il a publié "L'Etre Ange Monde" aux éditions Champ Social ainsi que plusieurs poèmes ou textes sur le langage dans des revues pour travailleurs sociaux. Il travaille en tant que psychologue dans un IME. LINA AYOUBI VARLET, Théâtre thérapie, poésie LAURA GRIGNOLI ET BARBARA CIPOLLA Ecole ARTELIEU à Pescara Italie Dans le cadre de modules entre les écoles (ELNE-PESCARA) MARIE SCHMITT Marionnettiste et théâtre de l'objet |
PARCOURS THÉORIQUE
INTERVENANTS RÉFÉRENTS MICHEL BALAT nous initiera à la Sémiotique et la Psychanlyse www.balat.fr PIERRE JOHAN LAFFITTE, Pierre Johan Laffitte est rédacteur en chef du site. Sémiologue, il enseigne les sciences du langage à l’Espe de Picardie, et les rapports entre sémiotique et clinique institutionnelle des psychoses et de l’autisme dans le cadre de DU de Paris V et de Paris VII. Ses travaux se situent à la croisée de la sémiotique peircienne et de la psychothérapie institutionnelle. Il est également engagé dans le champ pédagogique, ou les mêmes problématiques, sémiotiques et cliniques, se rencontrent dans le champ des pédagogies coopératives, pédagogie institutionnelle et pédagogie Freinet. Vous pouvez trouver de plus amples informations sur son site: www.sensetpraxis.fr. LES INVITÉS MARIE FRANCE ET RAYMOND NEGREL 03/2019 MARC LEDOUX 05/2019 DANIELLE ROULOT, Medecin Psychiatre à la clinique de la Borde 12/2019 MICHEL LECARPENTIER , Medecin psychiatre à la clinique de la borde 12/2019 PIERRE DELION, 03/2020 FRANCESCA CARUANA, Artiste et Sémioticienne de l'Art ELIE POUILLAUDE Docteur en Psychologie, Psychologue clinicien et directeur d'un centre de consultation chargé d'enseignement à paris 13 ... |
PARCOURS ARTISTIQUE
INTERVENANT RÉFÉRENT MOHAMAD OMRAN Artiste Sculpteur et plasticien Doctorant sur le corps dans l'Art partagera des ateliers de modelage. Né en 1979 à Damas, Syrie, Mohamad Omran est diplômé de la faculté des Beaux-Arts de l'université de Damas en 2000. Il obtient un Master d'Histoire de l'art contemporain à l'université Lyon 2 en 2009. Il intervient, entre 2011 et 2013, à l’atelier ART-Motion à Elne ou il a suit une formation d’art thérapie. Récompensé à plusieurs reprises, il reçoit en 2003 le Grand Prix de la Biennale d'Almahabba à Lattaquié en Syrie. Depuis, ses œuvres sont présentées dans de nombreux pays comme la Jordanie, le Liban, le Danemark, la Belgique, l’Alemagne et la France. Il réside actuelement à Paris. SITE INTERNET : www.mohamadomran.com LES INVITÉS RICHARD MEIER Artiste et Editeur d'Art Edition Voix Meier www.voixeditions.com FRANCESCA CARUANA, Artiste et Sémioticienne de l'Art CLAUDE BILLÉS, artiste sérigrapheur ... |
C’est la vie… …officiellement depuis le 22 septembre 1944 (1er Vendémiaire an 152), dans une clinique de Perpinyà où, dans une chambre voisine, Aristide Maillol se mourait des suites d’un accident de voiture sur la route de Banyuls sur mer (Banyuls de la marenda par ici). Est-on assez attentif au fait que l’on nait toujours entre deux morts ? Ça balise ! L’autre, celle d’avant, avait été décisive côté bios. Après d’exaspérantes, pénibles et ternes études au Lycée Arago (du CP à la terminale), un transport passionné, comme on disait au Grand Siècle, pour mathématiques et astronomie, un transfert bienvenu sur Vincent Mazeran, par la grâce d’une longue analyse d’au moins 18 ans et une transmutation gaullo-"gauchiste" menant à une active vie politique. Mathématiques, politique et psychanalyse ont tressé, dès la fin des années 60, mon appareil à penser les pensées, côté Bion. C’est la sémiotique de Peirce, dans la rencontre avec Gérard Deledalle en 1980, puis l’analyse institutionnelle, dans celle avec Jean Oury en 1986, qui ont décidé de la suite. Des Systèmes triples de Lie à torsion, mon premier — et seul — travail mathématique, à La triade en psychanalyse qui inaugurait cette suite, un long travail invisible. En ce qui concerne le visible, un stage déterminant à l’Observatoire du mont St Michel, où j’ai eu la chance de travailler sur le grand télescope, un autre, qui allait l’être, comme vacataire au service de math de l’université de Perpignan. Puis assistant de math dans ce lieu-même, un bref séjour de 2 ans à Casablanca et à Fès, des études de psycho où se sont scellées des amitiés toujours actuelles, une thèse "ès-Lettres" sur la fameuse triade, et l’enseignement de sémiotique qui s’en est suivi. Enfin, sonnant comme un mot d’ordre de mes années militantes, la retraite à 60 ans. Pour le privé, on verra plus tard.
La Fédération inter-associations culturelles (FIAC) a pour but de créer des ponts entre les professionnels, qu'ils travaillent en établissements psychiatriques ou dans le médico-social, le social ou l'éducation afin de remédier à l'isolement et de témoigner des pratiques de ces derniers. Elle édite la revue Institutions, revue indépendante qui ne vit que par ses abonnements, et est à l'initiative de "La Boîte à outils", d'abord sous forme de hors-séries, puis, à partir de 2015, collection à part entière aux "éditions d'une". La revue accueille des témoignages et des analyses de personnes engagées dans la psychothérapie institutionnelle. La FIAC est composée d'une quarantaine d'associations membres (voir la liste ci-dessous), et organise en partenariat avec une association différente chaque année une Journée nationale de psychothérapie institutionnelle, afin de favoriser les échanges et les avancées sur le plan collectif et local.
ARTELIEU est une association scientifique culturelle à but non lucratif dont l’objectif principal est porté sur l'étude, la recherche, la diffusion des arts thérapies. Artelieu entend cueillir les rapports entre la psychopathologie et la créativité et développer ainsi une méthodologie pour l'approche thérapeutique à travers l'art. ARTELIEU a été fondé en 2003 par une équipe de psychologues, psychothérapeutes, sociologues, artistes et amateurs de l'art et il s'adresse à un public global, de l'enfant à l'adulte, y compris les personnes âgées et les porteurs de handicap, en différenciant les interventions et en créant des conditions favorables à chacun. Artelieu est avant tout un pôle de recherche, nous nous sommes donc engagés dans l’élaboration d’une bibliothèque et d'une vidéothèque sur tout ce qu'il concerne l'art-thérapie au niveau international. Nous proposons des formation, des débats, des stages, des projections sur les thématiques inhérentes à l'art et à la psychologie; Nous offrons par ailleurs un service de consultation en outre pour tous ceux qui entendent commencer une activité dans le domaine de l'art-thérapie. L'association se propose de sensibiliser et de donner des renseignements concernant toutes les formes d'art, avec un soin particulier pour les arts visuels, dans l’intention de créer une culture consciente ; elle est ouverte à la comparaison et à la collaboration avec d'autres organismes ou associations qui poursuivent des buts analogues. C'est la raison pour laquelle l'Artelieu a constitué avec Profac la Fédération Multiculturelle d'Art-Thérapie. À la vie de l'association toutes les catégories d'associés participent, dans le but de développer des activités spécifiques d'étude et de recherche sur la théorie et la pratique de l'art thérapie. Le patrimoine de l'Artelieu est constitué par le matériel produit par les associés, soit en domaine clinique que théorique, documenté par des articles et des publications. Activité de l'Artelieu étudies sur le dessin enfantin et de l'adolescence Parcours de formation en art-thérapie plastique picturale (LINK) Laboratoires expressifs (LINK) pour enfants et adultes Collaboration avec les écoles pour la gestion de Laboratoires d'art-thérapie avec du but préventif Organisation d'événements culturels, séminaires, expositions et colloques pour la diffusion de l'art-thérapie Échanges culturels (LINK) avec des associations et organisations nationales et internationales qui s'occupent d'art-thérapie Supervision sur des cas cliniques avec la méthodologie de l'art-thérapie avec les arts visuels Semaine de l'art: convergence de plus événements artistiques dans une semaine tous les années pour socialiser les initiatives réalisées Le club thérapeutique extrait texte pierre DeLION
Texte de Pierre Delion http://ancien.serpsy.org/psy_levons_voile/psychotherapie/club.html Dans son texte écrit en 1959 pour le rapport introductif aux journées annuelles de la Fédération Nationale des Sociétés Croix-Marine à Paris, Oury reprend très en détail l’histoire et la conceptualisation des clubs thérapeutiques et je ne peux qu’y renvoyer le lecteur. Pour lui, « le développement des véritables clubs est relativement récent et semble résulter de la convergence de plusieurs courants : remise en question des fondements de la psychopathologie par l’avènement du freudisme ; doctrine de la thérapeutique active d’Hermann Simon à Gütersloh après la première guerre mondiale ; développement des psychothérapies de groupe aux Etats-Unis à partir de 1930 ; les activités extra-hospitalières s’inspirant de K. Lewin à la Tavistock Clinic en Angleterre et aboutissant pendant la deuxième guerre mondiale à des applications à la thérapeutique hospitalière ; l’impulsion donnée par Bierer à la constitution de clubs socio-thérapeutiques ; l’occupationnal therapy ; le développement des méthodes actives dans le domaine de la pédagogie proposé par Makarenko, Montessori, l’école de Hambourg, le mouvement Freinet, etc ; les mouvements de jeunesse tels que le Scoutisme, les Auberges de jeunesse...(...) Nous voudrions souligner cette brusque éclosion de conceptions analogues dans divers domaines : psychiatrie, pédagogie, protection de la jeunesse,...Résultant de manifestations du profond remaniement historique et de remise en cause de la plupart de nos principes par éclatement des cadres culturels, les clubs thérapeutiques apparaissent dans cette perspective comme une étape d’une remaniement structural de la société globale. Par la remise en question du style de la vie intérieure des hôpitaux, ils ouvrent ceux-ci au monde environnant. Paradoxalement, ils deviennent des foyers de culture, refondant la vie collective sur une tradition authentique ; le phénomène de la folie retrouvant sa dignité par sa fonction de remise en question permanente de nos règles de vie » De nombreux clubs thérapeutiques, ou des structures approchantes, ont alors été réalisés : Daumézon à Fleury lès Aubrais, Sivadon et Follin à Ville Evrard, Le Guillant à Villejuif, Ey à Bonneval, Balvet et Requet à Lyon, Ueberschlag à Lannemezan, Fanon à Blida et surtout Tosquelles à Saint-Alban et Oury à la Borde. Le club thérapeutique est une structure associative rendue possible par la circulaire du 4 Février 1958. Elle s’appuie sur l’intérêt de l’intervention d’une association dans l’organisation du travail thérapeutique, évitant que l’argent gagné dans les ateliers thérapeutiques soit la propriété de l’hôpital et non de ceux qui ont travaillé. Une telle association loi 1901 est en général composée de soignants, et, si possible, de personnalités extérieures au soin, et porte le nom de comité hospitalier. Ce comité passe convention avec l’établissement de référence et créé en son sein, un club thérapeutique composé suivant les cas et les expériences de chaque service, de soignants et de patients, voire de patients seuls. Les objectifs immédiats de ces clubs thérapeutiques sont de pouvoir organiser la vie quotidienne du service en assumant la responsabilité des achats et des dépenses de chaque atelier : la cafétéria, les ateliers créatifs et/ou de production...Mais les objectifs sous-jacents sont de disposer d’unetablature institutionnelle d’espaces et de temps diversifiés possiblement utilisables par le patient, même à son insu, comme les touches d’un clavier, ou mieux, comme les éléments d’un langage. Ces lieux dans lesquels de l’argent est « gagné » viennent autoriser des activités qui en « dépensent » tels les voyages, les sorties et activités culturelles, un journal, ou un fonds de solidarité. Une assemblée générale de tous les membres du collectif a lieu chaque semaine, un bureau est élu parmi les patients ; puis ce bureau élit son président, son secrétaire et son trésorier(il arrive que le trésorier élu par ses pairs du bureau pour gérer les comptes du club thérapeutique, soit lui-même sous curatelle aux termes de la loi du 3 Janvier 1968). Des réunions ont lieu pour poser les problèmes à débattre, prendre les décisions ; des votes sont organisés pour les décisions concernant le budget du club et les orientations ; une réunion régulière a lieu pour les malades « entrants », éventuellement suivie d’un repas, pour les accueillir et leur expliquer le fonctionnement du club thérapeutique et du service, leur présenter les différentes personnes qui y occupent une fonction ; les soignants sont là comme « conseillers techniques ». Depuis la mise en place de la politique de secteur, ce dispositif a été « extrapolé » et des innovations ont eu lieu, telles que la création de « clubs de secteurs »(Denis, Le Roux, ou des « clubs extra-hospitaliers » Colmin, Buzaré, avec tout un travail très intéressant de soutènement du traitement des patients par ces activités de groupes, et des liens avec les autres associations de quartier ou de village. D’autres encore ont utilisé la « fonction club »(Oury), c’est-à-dire un opérateur qui n’a pas forcément la présentation d’un club thérapeutique mais qui peut en avoir la fonction, par exemple une classe coopérative(Laffite ), une association culturelle(Chemla ) ou un journal. On retrouve ces expériences dans différents types d’établissements comme les classes plus ou moins spécialisées(Fernand Oury, Catherine Pochet ), les Instituts Médico-Educatifs(Claude Guillon, Jean-François Aouillé), les services de Pédopsychiatrie(Yves Racine), Pierre Delion). De telles organisations du milieu humain dans lequel se déroule la vie quotidienne, même à temps partiel, plutôt que de laisser se pérenniser les attitudes de dépendance vis-à-vis des soignants et du système hospitalier, néfastes au traitement, ont permis et permettent de vivifier l’ambiance dans laquelle se passent les soins, de responsabiliser les patients sur des activités qui luttent de façon concrète contre les mécanismes d’aliénation, et surtout d’introduire de la différence entre les lieux et les moments de la journée. On comprendra l’importance de cette stratégie dans l’aspect diachronique du traitement en ce qu’elle assure une fonction phorique pour le patient, soit tout ce qui contribue à lui permettre d’être porté, tenu, soutenu, accompagné, tant qu’il ne peut le faire lui-même, comme pour l’enfant qui ne parle ni ne marche a lui aussi besoin d’être porté dans les bras et dans la parole de ses parents jusqu’à ce qu’il puisse le faire lui-même. Il y a donc une véritable dialectique entre l’accueil, le club thérapeutique et la fonction phorique. Mais cette stratégie est également importante sur le plan synchronique puisqu’elle met en évidence le chemin que le patient va être amené à prendre, et pour tout dire, à choisir, même par le négatif. Ne pas aller au rendez-vous prévu peut avoir plus d’importance que d’y avoir été sans y être vraiment. Il y a incidemment toute une réflexion sur le travail du négatif à mener dans ces nouvelles perspectives des institutions articulées entre elles, voire même « structurées comme un langage »... statut rôle fonction
Statut, Rôle, Fonction. Extrait d’un colloque à Tours. Jean Oury. Source : http://cliniquedelaborde.pagesperso-orange.fr/Auteurs/OURY%20jean/Textes/texte11.htm Je dis depuis toujours que le premier exercice à faire le matin, c’est distinguer rôle, statut et fonction. Le statut, ce n'est pas tellement sur le plan symbolique, même si ça y touche, c'est : "Tu es embauché en tant que, psychologue, infirmier ou cuisinier, c’est ton statut ». Allez voir la feuille de paye et vous verrez le statut ! Mais cela reste quelque chose qui n’est pas vraiment symbolique mais plutôt de l’ordre de la réalité, c’est à dire un mélange, un entrecroisement entre le symbolique, le réel et l’imaginaire. Par contre, le rôle, on peut le définir comme on veut. Il y a eu des thèses sur ce qu’est le rôle, par exemple un livre de madame Rochoblave qui date d'une quarantaine d’années. Il y a des questions qui se posent de façon exhaustive, mais comme c’est contradictoire, on peut choisir ce qu'on veut, on peut même inventer un sens. Alors moi j’ai inventé pour moi un sens du rôle : le rôle, souvent, c'est ce qu'on ignore soi-même, ce sont les autres qui vous le donnent. Par exemple, je pense à un schizophrène qui était vu par une psychothérapeute, médecin, de La Borde. Elle le voyait pendant quelques minutes, tous les trois ou quatre jours. Elle le voyait dix minutes en moyenne. Un jour, peut-être qu'elle était pressée ou fatiguée, elle l'a vu trois minutes. Le type s'est fâché on disant : «Vous savez, il me faut sept minutes tous les trois jours, sans quoi les mots perdent leur sens et je ne peux pas être avec les autres à table, je peux être très violent à ce moment-là I". Et en même temps, il lui a dit : "Vous êtes mon analyste I" Alors là, c'est extraordinaire : elle ne savait pas qu'elle était dans une position analytique. C'est un rôle qu'il lui a donné, qui n'était pas purement imaginaire, qui avait quelque chose à voir avec une rythmicité du temps. Parfois, on joue un rôle qu'on ignore. Il faut faire attention justement à ce qui se passe : "Tu ne savais pas que tu avais ce rôle-là pour lui ? Tu es un peu bigleux !" Pour finir, la fonction. Alors là, la fonction, c'est grandiose. C'est la fonction médico-psychothérapique. Et justement, par rapport à ce que je disais tout à l'heure, la fonction psychothérapique, en ce qui concerne les schizophrènes, doit être partagée. Je cite souvent ce mot de Pindare : "Partage est notre maître à tous". Ça fait bien de dire ça ; ça se partage. Il n'y a pas le psychothérapeute et puis ceux qui sont là, sont là seulement pour soigner. Là, je prends une distance vis-à-vis par exemple de Racamier -"Le psychanalyste sans divan» et toute cette époque où on disait qu'il y avait le psychanalyste et puis les autres... Ce n'est pas ça. La fonction soignante doit être justement ventilée. Je le disais tout à l'heure : pour un malade, une dizaine de personnes. Alors là, entre en jeu le problème de la fonction -1 et toutes ses articulations, les groupes de contrôle... La fonction soignante doit être ventilée, et on peut dire qu'elle ne peut pas être incarnée. Je dis souvent qu'un psychothérapeute qui se croit le seul psychothérapeute de tel malade pris dans une collectivité, il est complètement fou, il se prend pour un statut. Souvent dans les réunions -ça me fait bien voir, de dire ça - ou le directeur est assis à côté de moi. title 2
Le temps de l'INSCRIPTION PAR LAURENCE FANJOUX COHEN
Le temps de l’inscription. (L’usage sémiotique du temps dans le quotidien d’une psychiatrie de ville). Au début de mon activité de psychiatre, le concept de temps n’intervenait que très peu dans ma pratique quotidienne. Je faisais une psychiatrie que l’on peut qualifier de « généraliste », basée sur l’enseignement universitaire durant mes années d’internat à Marseille où se mêlaient à la fois des notions phénoménologiques et quelques rudiments psychanalytiques. Une orientation en thérapie systémique m’a conduite à travailler un an à San Francisco sur les thérapies de couple puis trois ans à Paris avec Mony Elkaïm, mais là aussi la notion de temps n’intervenait que très peu dans ma pratique. Si je réfléchissais au temps, c’était celui du temps vécu, concept que j’avais étudié dans le service du Pr Tatossian. On parlait de ralentissement du temps vécu dans les dépressions, d’accélération du temps vécu dans les manies et il nous était demandé à nous, étudiants internes de l’époque, de toujours rechercher cette dimension temporelle dans l’approche clinique des patients. Après plusieurs années de pratique au sein de différents hôpitaux marseillais, je me suis installée en cabinet de ville à Perpignan. C’est là, que le hasard m’a fait rencontrer la sémiotique qu’enseigne Michel Balat[1] à l’université. Cet enseignement est très original car il mêle à la fois des concepts sémiotiques à ceux de la psychanalyse freudienne et lacanienne. L’abord en est complexe et nécessite une approche à pas mesurés, mais les concepts qu’elle utilise se sont avérés pour moi d’une grande utilité dans la pratique quotidienne. Il me semble que celui du maniement du temps est une dimension majeure et c’est ce dont je vais essayer de vous parler aujourd’hui. Qu’est ce que la sémiotique ? C’est la science des signes. Le monde est fait de signes et la sémiotique propose des outils afin de pouvoir penser ces signes. La sémiotique qu’aborde Michel Balat[2] est celle développée par Peirce, philosophe et mathématicien américain du XIXème siècle, auteur d’une œuvre absolument majeure. Peirce affirme que la façon dont nous abordons le monde est triadique. Il existe trois façons de rencontrer le monde qu’il nomme la priméité, la secondéité et la tiercéité. La priméité est tout ce que nous rencontrons de manière immédiate, au point où on ne peut presque même pas parler de rencontre, mais une manière d’être là, avec la chose même. On pourrait dire que la priméité est ce qui a trait à l’ambiance, à ce que nous ressentons dans la rencontre avec quelqu’un mais dans une dimension qui est en deçà des mots, quelque chose qui a à voir avec la tonalité. La secondéité est une sorte de rencontre brutale avec le monde, quand quelque chose arrive et provoque en nous une sorte de surprise. La tiercéité est notre rencontre du monde dans la relation. C’est la catégorie du signe. Le signe est quelque chose qui est là pour quelqu’un [un autre signe appelé interprétant]. Il est donc par excellence de l’ordre de la tiercéité. Peirce ajoute que ces trois catégories sont hiérarchisées. Priméité et secondéité sont contenues dans la tiercéité. Mais il n’y a pas de tiercéité dans la priméité, ni dans la secondéité. Par exemple, ce qui a trait à l’ambiance, à la tonalité n’est pas lié à la relation en présence. Ces trois catégories peuvent être rapprochées des trois catégories lacaniennes du psychisme : l’imaginaire serait de l’ordre de la priméité, la secondéité serait ce que Lacan appelle le réel et le symbolique de l’ordre de la tiercéité. De la même manière et en suivant cette logique, Peirce dit que le signe peut être décomposé en trois pôles : son représentement, son objet et son interprétant. Chaque pôle mériterait un long exposé pour détailler de quoi il est fait, mais ce qui est important à retenir est que cette triade est toujours présente dans une relation. Il y a ce qui se présente, le représentement, ce qui est en question, l’objet et la signification que l’on en donne qui est l’interprétant. Nous savons tous que quand nous rencontrons quelqu’un, nous interprétons en permanence. Nous attribuons un sens à ce que nous voyons, à ce que nous vivons de cette rencontre. Peirce postule que dans ce fait même d’interpréter ce que se passe dans la rencontre, le représentement qui est présent à l’origine dans le signe va s’en trouver modifié et entraîner une nouvelle interprétation qui va entraîner une nouvelle fabrication de signes. Dès que quelque chose se présente, dans la tentative de saisir sa signification, on voit bien qu’on est confronté à un processus et non à quelque chose de figé. En terme sémiotique, ce processus est nommé une sémiose. Donc dans toute tentative de saisir le signe, on se trouve confronté non seulement à une triadicité, mais aussi à un mouvement lié à la nature même du signe. Quelles en sont les répercussions sur notre pratique de psychothérapeute ? Une des pensées majeures de la sémiotique est de dire que l’être humain a besoin d’inscrire son histoire. Et que c’est un défaut d’inscription qui est à l’origine de la souffrance psychique. La répétition que nous constatons dans nos propres vies et dans celles de nos patients serait une tentative d’inscrire ce qui ne l’a pas été. Et aller consulter un thérapeute est une des possibilités d’inscrire cette histoire. L’introspection individuelle ne nous permet pas d’inscrire notre histoire puisqu’elle est de l’ordre de ce que Peirce appelle la priméité, c’est à dire de l’imaginaire. Pour qu’il y ait inscription, il faut qu’il y ait un accès au symbolique, il faut symboliser la chose. Une autre façon d’exprimer les choses pourrait être : pour savoir ce qu’on pense, encore faut-il le dire. On croit que penser les choses est suffisant, mais cela ne suffit pas. Il faut pouvoir s’être exposé à un public, quelque qu’il soit, pour que cela puisse s’inscrire, sinon cela reste en suspens. Etre dans la tiercéité, dans la relation peut permettre cette inscription, cette symbolisation. Le travail du thérapeute est donc de fabriquer un espace où l’inscription puisse se produire. C’est ce qu’on appelle la fonction scribe[3]. On pourrait croire que ce travail n’est finalement pas si difficile que cela. Qu’il suffit d’écouter le discours du patient pour que son histoire puisse s’écrire. Mais si on a en tête que toute formulation d’un signe est, de fait, un processus triadique dans lequel patient et thérapeute sont pris, on peut mesurer que cette tâche est infiniment complexe. Un des grands axes sur lequel il est nécessaire de s’appuyer dans ce processus d’inscription, est que ni le patient, ni le thérapeute ne sait ce qui est en train de s’inscrire. Si le patient savait ce qu’il est en train de dire, cela reviendrait à dire qu’il a déjà symbolisé son questionnement et donc que sa démarche serait d’emblée vidée de son sens. Et le thérapeute, bien sûr, ne sait rien du patient. Le scribe écrit ce qu’on lui raconte sans savoir ce qu’il écrit. Il est mis dans une position de supposé savoir par le patient, et c’est probablement un des grands pièges de la relation thérapeutique : de croire que l’on sait de quoi le patient est fait. La relation thérapeutique dans son essence même nous conduit à croire cela. Bien sûr, nous pouvons repérer des choses, rassembler autour de certains indices des éléments qui vont nous permettre d’évoquer un diagnostic, envisager de soulager en proposant certains médicaments, mais le patient qui est en face de nous ne pourra jamais se résumer à ce simple diagnostic. Les choses sont beaucoup plus complexes. Lacan a une formule utile lorsqu’il dit : « Le malentendu est constitutif de l’être parlant ». Dans toute relation humaine, on croit qu’on parle de la même chose, qu’on partage les mêmes objets, mais on se trompe. La vérité ne s’attrape pas. On ne peut jamais dire « voilà, ça y est, c’est ça ! ». Dans sa découverte de la technique analytique, c’est bien là dessus que Freud insiste : il n’y a aucune domination psychique de l’analyste sur le patient puisque l’analyste ne sait pas de quoi le patient est fait. C’est tout l’art et la technique de l’analyste de venir accueillir ce que le patient lui présente. Freud le décrit ainsi dans les Conseils aux Médecins[4] « Comment faut-il que l’analyste procède ? Il devra se déplacer suivant les besoins du patient, d’une position psychique à une autre, en évitant toute spéculation ». Comme l’explique Jacques Sedat[5] dans un de ses derniers livres, « Freud renonce clairement à la position de pensée intellectualiste qui a été sa première approche du patient. Il adopte et prône désormais une « position psychique » où le psychothérapeute est capable d’osciller d’une position à l’autre, en fonction de ce que lui dicte la demande de chaque patient. (…) Cette parole n’est plus délocutive (parler de quelqu’un) , mais allocutive (parler à quelqu’un) ». Les concepts de sémiose et de processus triadique de la relation rendent bien compte de la position analytique qui annule la dimension hiérarchique. Jean Oury[6], à propos de psychiatrie institutionnelle, insiste beaucoup sur la nocivité de la hiérarchie dans les processus thérapeutiques et il affirme que cela ne peut, dans le meilleur des cas, qu’obtenir des améliorations temporaires par suggestion. Il affirme que la hiérarchie est ce qui nous reste de l’animalité. Donc, toute démarche auprès d’un thérapeute est faite pour produire une inscription et dans la nature même de la rencontre se manifeste toujours un processus. Dans ce concept de processus qui se déroule, dans le mouvement inhérent à la recherche de sens, on voit bien que la dimension temporelle est présente. On retrouve toute la notion de l’après-coup développée par Freud. Que ce qui se passe dans le présent ne se dévoilera que dans le futur. Freud dit « l’inconscient est détemporalisé ». Ainsi, ce qui se joue dans la relation psychothérapique, dans la relation transférentielle que le patient met en place, c’est le défaut d’inscription de son histoire qui appartient au passé mais qui ne pourra être saisi que lorsque la chaîne des interprétants se sera déployé dans le futur.. Il existe une logique temporelle à laquelle nous ne pouvons échapper, à laquelle nous sommes soumis dans notre condition d’être humain. Ce soubassement théorique entraîne plusieurs conséquences concrètes : Lorsqu’un patient se présente pour une thérapie, on ne peut jamais savoir quelle sera la durée nécessaire pour lui à l’inscription de son histoire. Il est impossible de pouvoir déterminer à l’avance un nombre connu de séances. La prise en charge peut ainsi être de quelques séances, plusieurs semaines, des mois voire des années. Donc, lors d’une première consultation, j’ai toujours en tête que je me dois d’être disponible pour ce patient pour une durée très longue, que je me dois de l’assumer aussi longtemps que celui-ci le nécessite. Mais bien sûr chaque séance est limitée dans le temps. Formée avec un psychanalyste lacanien, je suis adepte des séances plutôt courtes et en règle générale elles sont comprises entre vingt et trente minutes. Donc des séances brèves liées à une possibilité de prise en charge très longue. Dans la perspective temporelle, il est important de distinguer la cadence du rythme, deux vecteurs qui sont intimement liés. Au tout début d’une thérapie, on décide ensemble de la cadence à donner au travail. Très souvent une séance tous les quinze jours est suffisante pour que le travail psychique puisse se faire. Mais, cette cadence est à adapter à chaque patient. Certains ont besoin soit d’une cadence plus rapide, parfois une fois par semaine, parfois deux, soit au contraire d’une cadence plus lente, une fois par mois, même une fois tous les deux mois. Cette cadence est donc singulière et modulable. Elle se décide à deux, dans un accord entre le patient et le thérapeute. La cadence est à distinguer du rythme. Chacun a un rythme intérieur. Il est important de ne pas le négliger afin de ne pas surinterpréter des signes qui ne sont pas des symptômes mais qui sont liés au rythme. Il y a des moments dans notre vie où nous avons une ouverture intérieure pour examiner de quoi nous sommes faits. Mais ces moments passent et s’ils ne sont pas saisis pour mettre en place un processus de pensée autour de nos questionnements, l’ouverture se referme et quelque soient les efforts fournis ensuite, il n’y a plus d’accès à des choses que l’on a enfouies. On dit que la dépression est un des moments féconds d’ouverture psychique. Elle serait une chance dans la vie de chacun d’entre nous pour examiner de quoi nous sommes faits. Ainsi, dans le traitement d’une dépression, outre l’aspect médicamenteux, l’abord psychothérapique doit toujours être proposé. Par ailleurs, il est important de souligner que le travail psychique n’est pas linéaire, n’obéit pas à la loi du défilement du chronos. Il y a des moments où rien ne se passe, où dans le déroulement des séances on a l’impression d’une stagnation des choses. Ces moments-là, qu’on pourrait dire liés au rythme, liés à des mouvements intérieurs qui ne se disent pas, sont fondamentaux à respecter. De la même manière qu’il est nécessaire au thérapeute de se sentir tranquille intérieurement pour accueillir le patient, le patient doit pouvoir être tranquille, sentir qu’on lui laisse le temps. Et si ce temps semble vide, ennuyeux, le travail du thérapeute est d’accepter cet ennui, de ne rien bousculer, de ne pas chercher à provoquer des faits, des évènements. Une expression pourrait en rendre compte en disant « on ne peut pas aller plus vite que la musique ». Tenter de provoquer le patient à « sortir quelque chose » entraîne le plus souvent une rupture dans la relation thérapeutique ou malheureusement des dégâts importants. Hélène Chaigneau[7], grande thérapeute institutionnelle, disait qu’il faut traverser l’ennui. J’ai reçu ainsi pendant plusieurs années une dame d’âge mûr, très introvertie. Elle parlait très peu, quelques phrases prononcées du bout des lèvres mais qu’elle ne sortait qu’après un temps assez long qui pouvait durer plus de 20 minutes. C’est assez long 20 minutes de silence. Pendant longtemps, j’ai donné de multiples interprétations théoriques à ce silence qui provoquait en moi un contre-transfert négatif très important, jusqu’à ce que cette notion de rythme s’impose à moi et que je conçoive qu’elle mettait en place une sorte de sas en début de séance avant de pouvoir verbaliser quelque chose. Le suivi s’est poursuivi plusieurs années avec toujours ce même espace silencieux en début de séance qui lui était nécessaire. Un autre exemple de suivi illustre aussi l’aspect temporel des séances. Un jeune homme avec un long passé d’hospitalisation psychiatrique, fortement neuroleptisé, vient me demander une prise en charge pour « se sortir de la psychiatrie ». Très rapidement, il nous est apparu à tous les deux qu’une séance par semaine était largement insuffisante. Donc nous avons mis en place pendant quelques semaines une prise en charge une fois par jour, entre 5 et 10 minutes. Ceci a eu pour effet d’amener le patient à demander, pour la première fois, une hospitalisation, mais cette fois-là librement consentie, dans un établissement de son choix. Le processus d’admission dans cet établissement était assez long, articulé autour de la motivation du patient et nos multiples mini-séances ont été l’occasion de préparer cette nouvelle prise en charge qui a inauguré un mouvement fondamental dans le vécu de sa maladie. Toujours à propos de rythme et de cadence des thérapies, une mère d’une cinquantaine d’années vient me trouver pour évoquer ses relations distantes et douloureuses avec son fils adulte dont elle n’avait pas obtenu la garde dans la petite enfance suite à un divorce. Après deux entretiens où nous évoquons son histoire familiale complexe et difficile, elle me demande d’espacer les séances qu’elle trouve trop denses et qui provoquent trop de tumulte intérieur en elle. Elle demande alors que les séances soient espacées de 6 semaines puis de 8 à 10 semaines. Après deux années de suivi, elle décide que la thérapie ne lui est plus nécessaire : elle a pu nouer enfin des relations avec ce fils et dépasser un conflit majeur avec son propre père. Le succès de cette thérapie peut nous paraître étonnant : il y a eu très peu de séances, environ 5 ou 6 sur une durée de deux ans. Pourtant la problématique était massive et très ancienne. On peut avancer que son succès est lié au moment probablement très fécond lié au rythme intérieur de cette patiente. Par ailleurs, les thérapies de couple que je continue de faire régulièrement sont maintenant fortement imprégnées des concepts sémiotiques. J’ai pu remarquer que ces prises en charge étaient relativement brèves. Après quelques séances il y a, soit une résolution complète du conflit, soit un apaisement accompagné d’une demande de prise en charge individuelle par l’un des membres du couple et dans quelques rares cas une séparation (ce qui peut être considéré comme une résolution du conflit). J’ai constaté que, très souvent, je ne saisis que très peu de choses de ce qui est en jeu, et je ne peux jamais vraiment élaborer des hypothèses solides sur ce qui se passe. Mais chaque membre du couple trouve manifestement quelque chose dans cet espace de rencontre. On peut penser que dans le croisement des différentes relations transférentielles qui se mettent en place dans de telles thérapies, les concepts sémiotiques sont particulièrement utiles et efficaces dans l’inscription du questionnement du couple. Un dernier élément temporel dans la technique de la psychothérapie enseignée par la sémiotique est la nécessité de donner la possibilité d’être surpris par le patient, surpris par ce qu’il raconte. Cette position psychique consiste à nouveau à ne pas enfermer le patient dans une temporalité chronologique. De postuler qu’il n’existe pas de lien d’une séance à l’autre. Pour que justement puisse surgir des choses auxquelles on ne s’attend pas. Pour cette raison, je ne relis jamais les notes que j’ai prises lors des séances précédentes. Chaque séance est une nouvelle séance, comme si le patient que j’ai déjà rencontré était un nouveau patient. Et je laisse celui-ci amener ce qui le préoccupe dans l’ici et maintenant, lui demandant de ne rien préparer pour la séance, de ne pas chercher à anticiper sa pensée, de laisser venir ce qui se présentera. Parfois, surtout lorsque la thérapie a commencé depuis peu, il m’arrive d’avoir totalement oublié la teneur des précédents entretiens. Mais cet oubli est souvent utile, car il n’enferme pas le patient dans un attendu psychique. Cette position que l’on pourrait qualifier d’atemporelle est associée à toute une logique sémiotique appelée logique du vague jugée absolument essentielle pour laisser la singularité du patient apparaître. Pour conclure, on peut donc avancer que toute une partie du travail du psychothérapeute dans une logique sémiotique et psychanalytique est d’organiser le temps dans le processus de la thérapie. Une thérapie est l’inscription de quelque chose, la fabrication d’un concept de pensée. Cette inscription serait comme un bâtiment qu’il faudrait construire. Et pour construire un bâtiment, il est nécessaire d’utiliser un échafaudage. De la même façon, dans une thérapie, l’élément temporel, comme l’échafaudage, est indispensable au déroulement du processus, mais lorsque ce processus est arrivé à son terme et que l’on peut observer à posteriori tout ce qui a été mis en place, ce n’est en aucune façon l’élément temporel qui reste, mais l’inconscient qui a été inscrit. Ainsi on peut affirmer que la fonction de thérapeute est à la fois une fonction scribe mais aussi une fonction d’organisateur du temps. [1] Psychanalyste, maïtre de conférences de sémiotique et de psychologie à l’Université de Perpignan [2] Michel Balat, Des fondements sémiotiques de la psychanalyse : Pierce après Lacan et Freud, L’Harmattan, Paris, 2000 [3] Michel Balat, Psychanalyse, Logique, Eveil de Coma Le musement du scribe L’Harmattan, Paris 2000 [4] S. Freud, « Conseils aux médecins » (1912), in La Technique psychanalytique, PUF, 1970. [5] Jacques Sedat Freud Armand Colin- 2010 [6] Jean Oury « Continuité et discontinuité en psychiatrie ». Intervention à Reus- 30 mars 1994 [7] Hélène Chaigneau, Les institutions à l’épreuve du temps – 7ième journées de psychothérapie institutionelle- Marseille- Novembre 1993 LE SZONDI
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