Durée de la Formation
La formation se déroule entre 18 et 48 mois, à raison de 4 journées par mois sous forme de modules.
La durée de la formation sera déterminée suivant le parcours universitaire, professionnel et personnel de chaque étudiant et à la suite d'un module de découverte afin que le stagiaire et l'équipe se rencontrent et que l'équipe évalue une durée de formation.
Il vous sera demandé une lettre de motivation mentionnant votre projet personnel en Art-thérapie, un curriculum vitae, à la suite de quoi nous vous proposerons un rendez-vous.
La durée de Formation approximative est de:
- 75 journées en Formation sur l'Atelier Art & motion pour les Psychologues.
- entre 24 et 36 mois, à raison de 4 journées par mois en Formation sur l'Atelier Art & motion pour les personnes ayant de l'expérience dans le domaine du soin et/ou de l'Art, ainsi qu’une expérience auprès de public en difficulté.
- jusqu’à 48 mois soit 4 années en Formation sur l'Atelier Art & motion pour les non initiés dans les domaines de l'Art thérapie.
Il est fortement conseillé d'effectuer des stages lors de votre cursus formatif.
Notre équipe sera à même de vous accompagner dans cette démarche.
Modalité de contrôle de connaissance
Durant votre Formation:
- il vous sera demandé de créer un journal de bord de votre parcours de formation, et un qui pourra être supervisé par certaines personnes de l'équipe, ce travail mensuel permettra un contrôle continu de la formation entre vécu et questionnement alliant l'enseignement théorique à l'enseignement pratique.
- vous aurez également un travail créatif à présenter au module suivant.
En fin de parcours vous devrez présenter:
- un Journal créatif retraçant votre parcours au sein de la formation.
- un travail de recherche sous forme de mémoire universitaire.
La formation se déroule entre 18 et 48 mois, à raison de 4 journées par mois sous forme de modules.
La durée de la formation sera déterminée suivant le parcours universitaire, professionnel et personnel de chaque étudiant et à la suite d'un module de découverte afin que le stagiaire et l'équipe se rencontrent et que l'équipe évalue une durée de formation.
Il vous sera demandé une lettre de motivation mentionnant votre projet personnel en Art-thérapie, un curriculum vitae, à la suite de quoi nous vous proposerons un rendez-vous.
La durée de Formation approximative est de:
- 75 journées en Formation sur l'Atelier Art & motion pour les Psychologues.
- entre 24 et 36 mois, à raison de 4 journées par mois en Formation sur l'Atelier Art & motion pour les personnes ayant de l'expérience dans le domaine du soin et/ou de l'Art, ainsi qu’une expérience auprès de public en difficulté.
- jusqu’à 48 mois soit 4 années en Formation sur l'Atelier Art & motion pour les non initiés dans les domaines de l'Art thérapie.
Il est fortement conseillé d'effectuer des stages lors de votre cursus formatif.
Notre équipe sera à même de vous accompagner dans cette démarche.
Modalité de contrôle de connaissance
Durant votre Formation:
- il vous sera demandé de créer un journal de bord de votre parcours de formation, et un qui pourra être supervisé par certaines personnes de l'équipe, ce travail mensuel permettra un contrôle continu de la formation entre vécu et questionnement alliant l'enseignement théorique à l'enseignement pratique.
- vous aurez également un travail créatif à présenter au module suivant.
En fin de parcours vous devrez présenter:
- un Journal créatif retraçant votre parcours au sein de la formation.
- un travail de recherche sous forme de mémoire universitaire.
Quatre Axes principaux seront articulés ensemble tout le long de la Formation:
Axe 1 : La relation thérapeutique. Le temps de la séance. Le lieu. Quel espace proposer. Les différents publics. La relation Patient-Thérapeute La relation Groupe-Thérapeute Le cadre Interne et le cadre externe dans la relation. Axe 2 : Courants théoriques autour de l’Art thérapie Présentation des différents courants théoriques en jeu dans le processus d’Art thérapie : La Psychopathologie, La Sémiotique, La Psychanalyse, La Philosophie, la sociologie, L’Ethnoanthropologie théâtrale, la Psychiatrie, Psychologie Sociale, La Psychologie Clinique, L’Art ... Les Champs du soin. Les Champs de l’Education spécialisé. Les Champs de la prévention. Axe 3 : Les médiations plastiques peinture, collage, dessin, sculpture, modelage, argile, photo, écriture, le conte, la marionnette, les arts graphiques, mosaïque , marionnette, récupération, land art, techniques mixtes… Axe 4 : Les médiations corporelles Enrichir et affiner la fonction signifiante du corps afin de permettre à la personne de s'exprimer, de créer, de communiquer et d’explorer d'autres solutions Tous ces médiums peuvent êtres utilisés de manières distinctes mais aussi combinés lors des ateliers pratiques, puis accompagnés d’un retour oral ou écrit sur le travail élaboré.Théâtre, danse, mouvement et musique Modalité de contrôle de connaissance Durant votre Formation:
Le centre de ressource Le centre de ressource sera ouverts tous les lundis de 14h à 16h tout au long de l'année . Les étudiants pourront bénéficier de la bibliothèque et de la vidéothèque mise à disposition afin de traviller soit individuelement soit en groupe pour approfondir le travail théorique ou leur recherche individuelle. Cet espace a été consu pour permettre aux étudiants d'accèder à un maximum d'informations et de rentrer dans une dynamique de travail régulier pendant le processus de Formation. L'espace est aussi accès sur la recherche de stages pratique une personne ressource sera présente pour les accompagner dans leur recherche de stage et de suivi de stage. |
Nombre d'heures de FormationModules CAAT ET CATI (modules 4 jours)
Sociologie - Philosophie - Anthropologie théâtrale 144h D’ateliers pratiques de recherche-action: Médiations plastiques tel que collages, peintures, Médiations corporelles, Modelage, Musique, Théâtre, Écriture 122 h de Psychothérapie appliquée Des instances de méthodologie de projet et d’insertion professionnelle.
Module CATE 168h de formation sur l’année THÈMES ABORDÉS Les différents thèmes proposés seront articulés en fonction de l’évolution du groupe d’étudiant et des questionnements émergeants lors du module de formation. La projection - Le miroir - Le corps - La tribu - L’identité, le singulier- Le masque- La matière et les sens - Le cadre - Le corps et la voix - La mer - L’Imaginaire, le réel et le symbolique - La trace - Régression, progression et agressivité - Les marionnettes - L’identification - Le lien - Dedans – dehors - la répétition - L’improvisation - L’image du corps - La création - Le rêve - Les couleurs- La folie - Catharsis - Le mythe - Le conte - La distanciation… |
Le certificat
Le certificat sera délivré en fin de Parcours après un travail théorico-pratique dans l’organisme de Formation, validé par :
L’équipe pédagogique se réserve le droit de délivrer le diplôme adéquat au travail fourni pendant la formation professionnelle.
Dans le cas où l’étudiant en fin de durée de formation n’aura pas rempli toutes les conditions d’obtention du certificat, une commission comprenant au minima deux formateurs et la directrice de Formation statuera un rattrapage à l’étudiant(e), fixant la durée du rattrapage en formation, le tarif préférentiel à lui accorder et/ou le(s) stage(s) professionnel à effectuer.
MOYENS PERMETTANT D’APPRECIER LES RESULTATS DE L’ACTION
Evaluation 1 :
Tout le long de la formation, l’étudiant sera évalué à chaque module de formation. Cette évaluation prendra en compte :
Sa participation active au module, son implication dans son travail personnel pratique et son implication dans la recherche donnera lieu à une attestation de présence pour cette action qui fera parti de l’évaluation finale.
Evaluation 2 :
Un travail de recherche théorico-pratique sous forme de mémoire universitaire et sa soutenance devant un jury de professionnels sera évalué en vue de l’obtention du certificat d’Art-thérapie niveau 1 et/ou 2, et/ou l’évaluation d’un rattrapage.
Evaluation 3 :
Un travail créatif sur son implication personnelle dans les ateliers sera demandé sous forme de journal de bord de la formation. Ce journal sera lui aussi pris en compte pour l’évaluation finale.
- un écrit théorico-pratique
- un journal de bord personnel sur le chemin parcouru pendant la formation. Ce journal sera purement créatif.
- Stages en Institution auprès de différents publics,
- Stages de mise en situation pratique d’ateliers de groupes
- Suivi thérapeutique individuel supervisé par un professionnel du secteur psychologique.
L’équipe pédagogique se réserve le droit de délivrer le diplôme adéquat au travail fourni pendant la formation professionnelle.
Dans le cas où l’étudiant en fin de durée de formation n’aura pas rempli toutes les conditions d’obtention du certificat, une commission comprenant au minima deux formateurs et la directrice de Formation statuera un rattrapage à l’étudiant(e), fixant la durée du rattrapage en formation, le tarif préférentiel à lui accorder et/ou le(s) stage(s) professionnel à effectuer.
MOYENS PERMETTANT D’APPRECIER LES RESULTATS DE L’ACTION
Evaluation 1 :
Tout le long de la formation, l’étudiant sera évalué à chaque module de formation. Cette évaluation prendra en compte :
- Le travail pratique et théorique pendant la formation in situ.
- Le travail de Recherche-action à la maison
- Le travail de théorisation du module passé (articulation de la pratique et de la théorie) devant être rendu avant le module suivant.
- Le travail pratique à effectuer entre chaque module de formation.
- Toute absence devra être rattrapée.
Sa participation active au module, son implication dans son travail personnel pratique et son implication dans la recherche donnera lieu à une attestation de présence pour cette action qui fera parti de l’évaluation finale.
Evaluation 2 :
Un travail de recherche théorico-pratique sous forme de mémoire universitaire et sa soutenance devant un jury de professionnels sera évalué en vue de l’obtention du certificat d’Art-thérapie niveau 1 et/ou 2, et/ou l’évaluation d’un rattrapage.
Evaluation 3 :
Un travail créatif sur son implication personnelle dans les ateliers sera demandé sous forme de journal de bord de la formation. Ce journal sera lui aussi pris en compte pour l’évaluation finale.
DIPLÔME UNIVERSITAIRE MARS DECEMBRE 2025 ANIMATEUR D’ATELIERS À SENSIBILITÉ ART THÉRAPEUTIQUE |
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Permanence téléphonique: mardi mercredi jeudi 11h |- 18h SMS privilégié merci
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LA VIE QUOTIDIENNE EN DESSIN PAR ÉLODIE
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Certificat le processus de creation à l'œuvre dans les metiers du soin de l'education de la reeducation etc MODALITÉ D'ENTRÉE: OUVERT À TOUS FORMATEURS: ÉQUIPE L'Objectif est de découvrir par le cheminement art thérapeutique, les mouvements engendrés par le processus de création. Module expérientiel, à l'Issu duquel un temps sera pris pour repenser ce cheminement éclairé théoriquement afin de pouvoir être pensé sur son espace professionnel. Ce module s'inscrit dans une démarche de développement de compétences pour les personnes étant dans l'accompagnement soignant, éducatif ... Il vous serea demandé d'apporter votre matériel. Formation de niveau 4 cursus long - 4 ans 200 heures de formation 200 heures de stage 1200 euros l'année |
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TARIFS
Institution 1000 € par an, soit : 2000 €
Individuel 700 € par an, soit : 1400 €
PUBLIC
Cette formation intéresse des publics divers : les personnes travaillant sur l’autisme et la psychose ; néonatalogie ; P. M. I. ; crèches ; écoles maternelles ; I. T. E. P. ; Maisons d’Accueil Spécialisées ; etc.
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CALENDRIER |
THÈME |
AUDIO |
TRANSCRIPTION |
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2018 02 et 03 Février |
La fonction phorique, l'élévation, l'aisthésis et la présomption |
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2017 03 et 04 Février 19 et 20 mai 13 et 14 Octobre |
La prise en charge du patient psychotique et des processus d’institutionnalisation. |
13 oct audio |
Introduction par le Dr Fanjoux Cohen Lien |
2016 29 et 30 Janvier 21 et 22 octobre |
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2015 27 et 28 Mars 26 et 27 Juin |
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2014 10 et 11 janvier 11 et 12 Avril 31 Octobre et 1er novembre |
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2013 15 et 16 mars 29 juin |
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2012 21 Janvier 26 et 27 mai 19 et 20 octobre |
FORMATEURS
LAURENCE FANJOUX COHEN ET MARC LEDOUX LÉOPOLD SZONDI
psychiatre hongrois, a développé intuitivement une théorie pulsionnelle articulée autour d’un fameux test. Celui-ci fut mis au point en 1937 et appelé dans un premier temps « diagnostic expérimental des pulsions » et ensuite malencontreusement « test de Szondi ». Comme le dit Szondi lui-même « je n’avais jamais songé à gratifier du nom de test cette méthode de diagnostic de Psychologie profonde ». Bien plus qu’un outil d’évaluation, le test de Szondi permet l’investigation des processus pulsionnels à l’œuvre chez l’individu. L’idée intuitive de Szondi était que la liberté et la contrainte déterminent le destin de l’homme. La contrainte selon Szondi se trouve selon une prédisposition génétique alors que la liberté se manifeste par la capacité de l’homme de transformer les tâches que lui imposent sa prédisposition et la vie. Ce jeu de destin par la contrainte et la liberté devient manifeste dans des domaines importants de la vie : choix en amour, en amitié, dans la profession, la maladie et la mort. Recherchant une simplification dans la recherche des déterminants familiaux d’une personne, Szondi a développé une méthode basée sur le principe du choix. Dans le test on est invité à exprimer sa sympathie et son antipathie pour la photo de visages dont l’histoire clinique personnifie de manière radicale les facteurs spécifiques de la pulsion de l’homme. Cette théorie a été revisitée par l’école catholique de Louvain autour de Jacques Schotte dans les années 1970 qui a permis de « dégager la structure cachée du schéma pulsionnel szondien ». La base biologique génétique a été mise de côté pour favoriser une autre exploration des fondements analytiques, particulièrement la valeur structurale du schéma pulsionnel (Triebsystem). La conception des grands registres de la nosographie psychiatrique s’y trouve renouvelée : les thymopsychopathies, les perversions, les névroses et les psychoses L’apport de la pensée de philosophes comme Henri Maldiney et la pathosophie de Viktor Von Weizsäcker ont été majeurs dans le développement de ces concepts. MARC LEDOUX
docteur en philosophie, docteur en psychologie et sociologie, psychanalyste. Il enseigne à l’université de Louvain la Neuve, de Gand, à l’hôpital psychiatrique de Bierbeek ainsi qu’à l’université Paris Diderot. Il travaille depuis vingt ans à la clinique de La Borde à Cour-Chevemy et y anime chaque mercredi soir un séminaire autour du test de Szondi. Depuis 2011, il vient régulièrement à Elne parler de Szondi et des différentes théories qui viennent étayer le diagnostic expérimental des pulsions : « Actuellement, quand on aborde la souffrance de l’être humain, on l’aborde chacun à sa manière, chacun avec sa discipline, et finalement, il ne reste plus grand chose pour savoir comment l’homme vit. Pour restituer tout simplement la dimension de l’homme qui vit, l’homme vivant, l’outil szondien essaye de situer l’être humain dans ce qui le pousse ou ce qui l’immobilise dans les différentes dimensions de la vie. L’outil szondien permet de penser le rapport entre ces différentes dimensions. On peut presque dire que tous les secteurs du travail de soin sont caractérisés par l’absence de penser ces rapports, d’où une énorme dispersion, un énorme gaspillage dans les prises en charge. Avec cet outil de Szondi qui permet de penser les rapports entre les différentes dimensions, on arrive à la fois à construire un champ théorique et un champ pratique. Il est finalement une sorte de référence pour « comment prendre soin des gens dans toutes les dimensions ». LAURENCE FANJOUX COHEN
J’ai entendu parler de Szondi pour la première fois lors des causeries de Michel (Balat) à Canet. Je crois que c’était en 2005-2006. Pendant presque une année, il nous a parlé des connecteurs logiques articulés avec le schéma pulsionnel szondien et les fantasmes originaires. D’emblée, j’ai accroché. Et je n’ai plus décroché !... Le livre de Lekeuche et Mélon (Dialectique des pulsions) que nous avait conseillé Michel m’a été très utile pour commencer à saisir les concepts szondiens. A l’époque, j’ai cherché ensuite des formations pour approfondir les choses mais je n’ai rien trouvé dans notre région. Lorsque je suis allé faire le stage d’une semaine à La Borde en 2011, j’ai bien sûr assisté au séminaire de Marc (Ledoux) du mercredi soir. C’était passionnant. Il nous a parlé du contact à partir d’un cas clinique et d’un profil. Et tout naturellement, dans la foulée, on a donc organisé une journée à Canet où Marc est venu pour la première fois. Les gens étaient enthousiastes. Je crois qu’il nous avait parlé aussi du contact, de la mélancolie, de Szondi bien sûr… Ensuite plusieurs personnes qui assistent régulièrement tous les lundis aux causeries de Michel ont souhaité que Marc revienne et c’est ainsi que depuis, il vient trois à quatre fois par an nous parler de Szondi, mais aussi de psychothérapie institutionnelle, du travail à La Borde, de Freud, Lacan, Schotte… Dans ma pratique de psychiatre libérale, j’ai progressivement intégré le test de Szondi. Je trouve que c’est un outil fantastique ! La passation du test avec son côté ludique introduit une dimension de jeu qui assouplit la relation. Par exemple pour les adolescents très fermés, hostiles d’emblée à une prise en charge psychiatrique et qui sont amenés par des parents inquiets. De plus, le fait que le test doit être repassé dix fois pour avoir dix profils fait rentrer, de facto, la personne dans un processus. Le thérapeute n’est plus dans une position hiérarchique de supposé savoir qui est souvent si nocive à tout processus thérapeutique. On est penchés, le patient et moi-même sur son profil szondien, on en parle, on en papote, on en joue… voyons, que va dire Szondi aujourd’hui ?... Je n’utilise pas le test pour redresser ou formaliser un diagnostic. Ou en tout cas, pas fréquemment. J’ai en tête quand même quelques adolescents, qui a la suite d’une hospitalisation en psychiatrie étaient surdosés en neuroleptiques et pour qui le diagnostic de schizophrénie avait été posé de façon définitive. Le passage du Szondi a permis pour eux d’ouvrir des possibles et ainsi de diminuer, voire pour certains d’arrêter les neuroleptiques et de modifier le diagnostic. Mais souvent, je ne fais pas d’interprétation intempestive comme le conseille Szondi et le rappelle fréquemment Marc, mais j’utilise les résultats pour pointer certaines accentuations pulsionnelles flagrantes. Je me souviens d’une patiente qui pendant plusieurs années multipliaient les crises que je qualifiais d’hystériques et qui déambulais anarchiquement entre son analyste, des hospitalisations dans tous les établissements de la ville où le diagnostic de bipolarité était retenu, et mes consultations. Je lui ai enfin proposé de faire un test de Szondi qui a montré des accentuations massives dans le vecteur de la toxicomanie. Toxicomanie qu’elle mentionnait parfois mais qu’elle incluait dans une problématique de couple et que j’avais jusque-là toujours minimisée. Le test nous a permis de positionner cette problématique de façon centrale ce qui a complètement modifié les choses pour elle. La complexité du test vient s’opposer à toutes les théories simplistes qui font florès aujourd’hui. L’être humain est complexe. Nous sommes tous soumis à des pulsions contradictoires. Comprendre ce qui nous anime doit être lu dans son ensemble avec ses accentuations, ses zones immobiles. Prendre du temps, prendre son temps, c’est aussi beaucoup ça qu’apporte le passage du test de Szondi. |
INTERVENTIONS DE MARC LEDOUX
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CALENDRIER |
THÈME |
AUDIO |
TRANSCRIPTION |
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2018 02 et 03 Février |
La fonction phorique, l'élévation, l'aisthésis et la présomption |
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2017 03 et 04 Février 19 et 20 mai 13 et 14 Octobre |
La prise en charge du patient psychotique et des processus d’institutionnalisation. |
13 oct audio |
Introduction par le Dr Fanjoux Cohen Lien |
2016 29 et 30 Janvier 21 et 22 octobre |
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2015 27 et 28 Mars 26 et 27 Juin |
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2014 10 et 11 janvier 11 et 12 Avril 31 Octobre et 1er novembre |
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2013 15 et 16 mars 29 juin |
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2012 21 Janvier 26 et 27 mai 19 et 20 octobre |
FORMATEURS
Dr Laurence Fanjoux Cohen
et Marc Ledoux
Dr Laurence Fanjoux Cohen
et Marc Ledoux
Argument
Il y a juste 20 ans se tenait à Canet en Roussillon ce colloque dont nous étions amenés à dire ceci :
« Le choix du thème était hardi, sans doute même est-ce la première fois qu'une telle confrontation était organisée. Pourtant il nous était rapidement apparu, lors de sa conception et de sa préparation, qu'un trait venait en quelque sorte unir les termes en présence : celui de la rareté des signes institués. Nous disons bien les signes« institués» afin de faire la différence avec ces signes, souvent corporels, parfois en actes, qui abondent aussi bien chez les autistes que dans l'éveil de coma. Bien entendu nous ne comptions pas faire de cette rareté le signe, à son tour, d'une proximité étiologique ou simplement descriptive.
Car, du vécu que l'on peut avoir auprès des autistes à celui des personnes en éveil de coma, la différence est suffisamment importante,
leurs présences respectives sont d'une qualité si distincte, que l'on ne saurait exagérer les rapports de ces deux symptomatologies. La
question tournait préalablement bien plutôt autour de celle-ci : quelles sont les conditions institutionnelles que l'on peut favoriser ou établir pour permettre le travail des équipes confrontées à cette rareté, voire cette absence de paroles. Mais en fait n'étions nous pas un peu à côté ?
Sans doute est-ce l'intervention de Jean Oury qui le montre le mieux en situant la question autour de l'émergence. Car évoquer l'émergence, c'est en même temps demander les conditions institutionnelles pour qu'elle soit possible, pour qu'elle soit recueillie et accueillie. Ainsi n'était-ce point la rareté des signes qui pose problème, mais la nécessité d'être là pour rencontrer ce d'où ils émergent.
Nous avions convié, dans cette salle de congrès, des amis. Mais des amis non au sens habituel de ce terme (quoique), mais au sens quasi étymologique de la philia, celui qui qualifie la relation contractuelle réciproque de l'hospitalité, de l'accueil et des obligations de l'« hospitant » (tel est le mot d'Emile Benveniste pour qualifier l'hôte qui reçoit) et du xénos, de l'étranger, de l'hôte reçu. Non des amis dans un cercle qui ferme, mais une amitié prête à accepter le dissemblable, ce type d'amitié que l'on doit s'attendre à trouver dans l'accueil fait à un pensionnaire, un client, un malade, un blessé, autant de noms pour une même réalité humaine.
Les interventions et les débats porteront témoignage qu'il n'en était aucun qui n'eût des lueurs ou des connaissances approfondies sur les champs des autres. C'est ainsi que pourront se tresser des bouts de cordes robustes avec des brins de psychothérapie institutionnelle, de sémiotique, de théorie du coma, du cerveau, de l'autisme.
La première matinée y était consacrée à la fois à la présentation du terrain clinique et aux premières élaborations qui en permettent l'observation, voire parfois la constitution. Les interventions d'Edwige Richer et de Pierre Delion montreront à l'évidence qu'en faisant du jeune autiste ou du blessé en éveil de coma le centre de gravité institutionnel de l'établissement de soin, on retrouve des préoccupations et des réponses étonnamment semblables. Il faut dire que c'est en nous apercevant, il y a quelques années, de cette similitude des réponses que nous avions songé à cette rencontre. La présence des équipes et leur prise de parole durant les deux après-midi venaient alors préciser, ouvrir, vivifier ce que la nécessaire structure des exposés aurait pu massifier. »
Que dire de plus sinon les changements qui ont eu lieu dans la prise en charge des enfants autiste, modifiant l’approche de cette pathologie qui, d’ailleurs, a connu au cours de ces 20 dernières années une transformation considérable. Pour parodier Marx : Un spectre hante le monde : le spectre de l’autisme. L’autisme est quasiment devenu la maladie du siècle et on peut dire que les autistes n’en ont guère été mieux soignés. Ce sera à coup sûr l’un des thèmes de ce nouveau colloque anniversaire.
Il y a juste 20 ans se tenait à Canet en Roussillon ce colloque dont nous étions amenés à dire ceci :
« Le choix du thème était hardi, sans doute même est-ce la première fois qu'une telle confrontation était organisée. Pourtant il nous était rapidement apparu, lors de sa conception et de sa préparation, qu'un trait venait en quelque sorte unir les termes en présence : celui de la rareté des signes institués. Nous disons bien les signes« institués» afin de faire la différence avec ces signes, souvent corporels, parfois en actes, qui abondent aussi bien chez les autistes que dans l'éveil de coma. Bien entendu nous ne comptions pas faire de cette rareté le signe, à son tour, d'une proximité étiologique ou simplement descriptive.
Car, du vécu que l'on peut avoir auprès des autistes à celui des personnes en éveil de coma, la différence est suffisamment importante,
leurs présences respectives sont d'une qualité si distincte, que l'on ne saurait exagérer les rapports de ces deux symptomatologies. La
question tournait préalablement bien plutôt autour de celle-ci : quelles sont les conditions institutionnelles que l'on peut favoriser ou établir pour permettre le travail des équipes confrontées à cette rareté, voire cette absence de paroles. Mais en fait n'étions nous pas un peu à côté ?
Sans doute est-ce l'intervention de Jean Oury qui le montre le mieux en situant la question autour de l'émergence. Car évoquer l'émergence, c'est en même temps demander les conditions institutionnelles pour qu'elle soit possible, pour qu'elle soit recueillie et accueillie. Ainsi n'était-ce point la rareté des signes qui pose problème, mais la nécessité d'être là pour rencontrer ce d'où ils émergent.
Nous avions convié, dans cette salle de congrès, des amis. Mais des amis non au sens habituel de ce terme (quoique), mais au sens quasi étymologique de la philia, celui qui qualifie la relation contractuelle réciproque de l'hospitalité, de l'accueil et des obligations de l'« hospitant » (tel est le mot d'Emile Benveniste pour qualifier l'hôte qui reçoit) et du xénos, de l'étranger, de l'hôte reçu. Non des amis dans un cercle qui ferme, mais une amitié prête à accepter le dissemblable, ce type d'amitié que l'on doit s'attendre à trouver dans l'accueil fait à un pensionnaire, un client, un malade, un blessé, autant de noms pour une même réalité humaine.
Les interventions et les débats porteront témoignage qu'il n'en était aucun qui n'eût des lueurs ou des connaissances approfondies sur les champs des autres. C'est ainsi que pourront se tresser des bouts de cordes robustes avec des brins de psychothérapie institutionnelle, de sémiotique, de théorie du coma, du cerveau, de l'autisme.
La première matinée y était consacrée à la fois à la présentation du terrain clinique et aux premières élaborations qui en permettent l'observation, voire parfois la constitution. Les interventions d'Edwige Richer et de Pierre Delion montreront à l'évidence qu'en faisant du jeune autiste ou du blessé en éveil de coma le centre de gravité institutionnel de l'établissement de soin, on retrouve des préoccupations et des réponses étonnamment semblables. Il faut dire que c'est en nous apercevant, il y a quelques années, de cette similitude des réponses que nous avions songé à cette rencontre. La présence des équipes et leur prise de parole durant les deux après-midi venaient alors préciser, ouvrir, vivifier ce que la nécessaire structure des exposés aurait pu massifier. »
Que dire de plus sinon les changements qui ont eu lieu dans la prise en charge des enfants autiste, modifiant l’approche de cette pathologie qui, d’ailleurs, a connu au cours de ces 20 dernières années une transformation considérable. Pour parodier Marx : Un spectre hante le monde : le spectre de l’autisme. L’autisme est quasiment devenu la maladie du siècle et on peut dire que les autistes n’en ont guère été mieux soignés. Ce sera à coup sûr l’un des thèmes de ce nouveau colloque anniversaire.
RICHARD MEIER
Richard Meier, éditeur et plasticien. http://www.voixeditions.com Richard Meier suit sa voie depuis plus de trente ans. Une voie polyphonique. Suivre sa voie ne signifie pas avoir vocation à. R.M. n’est pas de ceux qui en ont une. Mais il sait se vouer à ce qu’il aime faire. Il suit sa voie sans regarder au loin, sans prévoir. Il avance, pas à pas, ou plutôt livre à livre pour, au final, laisser des traces nettes, un vrai parcours. Un peu comme les voies de chemin de fer, des voies qui épousent la géographie de la terre, et qui, quand c’est nécessaire, la heurte de front, la terre, en tunnels. Pour s’y frayer un passage, une voie. Conduit par l’envie, le désir, il « flashe » pour un texte, le travail d’un artiste et il choisit, sur le champ, très vite, presque à l’instinct, d’en faire livre. Il sait ce qui fera livre ou ne le fera pas. À chacun ses éprouvettes. Dick Higgins disait combien était cruciale l’expérience de faire un livre et il ajoutait que la seule bonne question à se poser, en en tournant les pages, était « De quoi ai-je fait l’expérience ? ». Chaque livre né sous les auspices de Richard Meier est de l’ordre de l’expérience. Du « essayons », de la prise de risques, du « osons l’erreur », de l’interrogation, du questionnement, de l’attente impatiente, de l’émotion, du à peu-près, de la victoire, du « eurêka ! »… |
MOHAMAD OMRAN
Né en 1979 à Damas, Syrie, Mohamad Omran est diplômé de la faculté des Beaux-Arts de l'université de Damas en 2000. Il obtient un Master d'Histoire de l'art contemporain à l'université Lyon 2 en 2009. Il intervient, entre 2011 et 2013, à l’atelier ART-Motion à Elne ou il a suit une formation d’art thérapie.
Récompensé à plusieurs reprises, il reçoit en 2003 le Grand Prix de la Biennale d'Almahabba à Lattaquié en Syrie. Depuis, ses œuvres sont présentées dans de nombreux pays comme la Jordanie, le Liban, le Danemark, la Belgique, l’Alemagne et la France. Il réside actuelement à Paris. MARIA LUIS |
CLAUDE BILLÉS
Bio/démarche /// pictural et artificiel _ peinture, collage, photographie alternative, image digitale, vidéo, typographie, design graphique, graffiti, dessin, sérigraphie sont les mots qui constituent mon vocabulaire d'artiste. je suis à la fois pictural comme peinture et pictural comme image... ...artificiel comme impliqué dans ma démarche créatrice de ce qui n'est pas le naturel mais le fabriqué...par la main de l'homme que je suis... Activités : Arts plastiques - Arts graphiques Disciplines : Peinture - Photo – Images numériques - Collage – Gravure - Vidéo Je suis né à Perpignan en Catalogne en 1969 et d'autant que je me souvienne j'ai toujours été motivé par le fait de créer. L'acte créatif peut prendre différentes formes et ce n'est pas tellement ni le résultat, ni la technique, ni le regard de l'autre mais plutôt le chemin pris dans cet engagement de créer qui me motive véritablement… s'installer à l'atelier - ou sur un coin de table, ou derrière un ordinateur - pour commencer un nouveau travail consiste à prendre une route dont je ne connais pas la destination finale - Je souhaite me surprendre et avant tout prendre du plaisir, dans le sens ou j'aime être surpris, j'aime avoir l'impression d'inventer, de révéler quelque chose de nouveau… Il parait que tous les sentiments passent dans la création ; alors je ne cherche surtout pas à séduire ou à être ce que je ne suis pas - le véritable enjeu de ma vie d'artiste est d'être moi même et seulement moi même, exister en tant que singulier et n'avoir rien de plus à donner que ce que je suis... Mon art se nourrit des circonstances qui naissent tout au long des chemins que je prends durant l’acte créatif. Peu importe les outils et peu importe la technique… Mes travaux sont toujours le résultat d’un moment ou les maitres mots sont «expérimentation», «accident» et «équilibre».
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FLORENCE FABRE
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- Michel Balat www.balat.fr depuis L'Origine du projet Art-motion
- ARTELIEU Partenaire Italien depuis 2008 dans le cadre de rencontres d'étudiants et de Colloques www.artelieu.it
- AMPI: Association méditérannéenne de Psychothérapie Institutionelle. Les journées de formations de L'AMPI sont intégrées aux cursus de Formation d'Art thérapie de la TUCHÊ
- Laboratoire de Recherche EXPERICE PARIS 8 Affilié aux travaux de recherches de "ART MOTION TUCHÊ ACCUEILLETTE" experice.univ-paris13.fr
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Elne, le vendredi 10 Janvier 2014
La mélancolie Exposé de Marc Ledoux
Je vais faire ce soir une traversée sur la mélancolie. Ce sera impossible d’arriver à la manière de Maldiney… à qui j’aimerais faire un hommage. Il vient de mourir. 102 ans. Mais ce sera trop compliqué je crois pour traverser et arriver à la manière dont Maldiney a essayé d’approcher au plus proche la mélancolie, surtout à travers Binswanger. Je ne sais pas si on aura le temps… on verra…
On peut dire que la mélancolie c’est en même temps la folie au sens psychiatrique du terme et l’expression de l’âme humaine dans son noyau le plus profond. C’est un mot, c’est une notion qui rend possible, c’est rare, entre la pensée actuelle et la tradition antique à partir de la question universelle : d’où vient la folie, d’où vient le chagrin profond, la fureur, le suicide et où cela nous amène. En opposition avec ceux qui invoquaient une raison surnaturelle ou une punition divine, la pensée médicale donnait la priorité dès l’antiquité à une cause naturelle. Toute la théorie de la bile noire. Je ne sais pas si je dois m’arrêter là, parce que cela demande beaucoup d’explications autour de Platon… toute cette tradition, mais j’y reviendrai pour dire tout ce qui m’a le plus passionné là-dedans.
Donc la théorie de la bile noire est le noyau d’une approche passionnelle de la mélancolie qui s’est transformée plus tard dans une approche nerveuse. Le noir, l’oppressif et la lourdeur restent présents comme un continuum aussi bien dans la clinique que dans la littérature. Et donc, c’est à partir de là que je dois être honnête, c’est un cours que j’ai préparé pour Louvain, que je continue à préparer, à partir de cet axe là avec en première partie, l’antiquité, Platon et la doctrine de la manie, Aristote et la doctrine qui est un peu connue de la génialité et…
LFC : génial ?
M : oui, génial, l’homme et le génie. C’est déjà plus connu ça, ce rapport dans la mélancolie. C’est un petit texte de ce grand livre d’Aristote. Il y a Jacky Pigeaud qui a fait une traduction et un bon commentaire dans ce petit livre : « l’homme de génie et la mélancolie ».
Si ce soir on s’arrête là-dessus, on va faire une heure, j’ai pensé, allez lis Jacky Pigeaud et c’est bon, pour ensuite faire celui-là, ce gros livre. Mais si vous voulez, on peut faire Aristote...
En 1621, à la fin de la renaissance, il y a ce livre en deux tomes, le livre de la vie, le livre de l’univers : L’anatomie de la mélancolie de Robert Burton. Là, je vais m’arrêter un peu quand même.
Et dans une première partie, je voulais commenter aussi un dialogue avec le livre de Gladys Swaine « Dialogue avec l’insensé », un article magnifique qu’elle a écrit sur « Permanence et transformation de la mélancolie. »
Dans la deuxième partie, je vais aborder ce qu’est la pensée psychiatrique autour de la mélancolie, avec deux méthodologies : la méthodologie sémiologique avec Kraepelin et la méthodologie typologique, le classique de Tellenbach La mélancolie. Dans mon cours, je continue tout de suite avec une rencontre entre la psychanalyse et la phénoménologie, et puis aussi Binswanger et son livre difficile Mélancolie et manie. Et surtout Binswanger relu par Maldiney. Je ne sais pas où on arrivera tout à l’heure. Demain, certainement, quand on fera les profils, si vous êtes d’accord, j’aborderai la mélancolie selon Szondi.
Alors, je vais vite, je laisse tomber Platon et Aristote, et je viens là, il faut essayer de suivre. Je lis l’introduction de Starobinski, vous connaissez, c’est bien ça, ça fait un an qu’il est là, et c’est un recueil des articles, d’abord sur sa thèse qu’il a fait sur le traitement de la mélancolie et puis après, quand il est devenu critique littéraire et qu’il n’était plus psychiatre, et qu’il a beaucoup écrit sur Burton, et puis aussi sur Baudelaire, Joyce. Qu’est ce que dit Starobinski sur Anatomie de la mélancolie ? Simplement. Pour l’introduire : La publication de Anatomie de la mélancolie, en Angleterre, en 1628,-fin de la renaissance-, à Oxford marque un des grands moments du parcours de la mélancolie. C’est une synthèse géniale qui rassemble tout ce qui a été dit de notable sur la mélancolie en y joignant le rappel des innombrables histoires cliniques, légendaires ou poétiques que cette maladie de l’âme marqua de son ombre et nous offre la somme complète du sujet. … le livre de Burton fut un succès de librairie… c’est l’un des grands textes de la littérature anglaise. Elle se présente comme le livre d’un lecteur –ah ! livre d’un lecteur, pas livre d’un auteur, ça commence-, qui a ouvert une infinité de livres pour composer le sien puis pour le dilater et le compléter. -Il fait partie de la même tradition que Montaigne par exemple.- Ce livre où se déposent tant de mémoires littéraires fut aussi un livre sur ce trésor de langage pour les écrivains –anglais surtout- et surtout un répertoire d’exemples, où dans ce domaine, l’exemple est contagieux. On le sent présent toutes les fois au XVIIIème siècle où il est question de l’English maladie. Keats –superbe- l’a fréquenté et on en a la preuve dans les annotations d’un exemplaire que Keats possédait. L’ode sur la mélancolie de John Keates ! C’est un poème qu’il faut lire ! Superbe.
Le traité de Burton appartient à une époque où la langue de la médecine n’était encore qu’une ramification descriptive et spéculative de la physique laquelle se rattachait à la philosophie.
Voilà. C’est qui Burton ? Un étudiant, un assistant qui vivait à Oxford. Il a passé toute sa vie dans le collège d’Oxford, il n’en est jamais sorti, il était bibliothécaire et il s’appelle lui même un étudiant éternel qui lit, fait des recherches, qui écrit et qui vit une vie très solitaire. Il le dit « je mène une vie d’étudiant comme Démocrite vivait seul dans son jardin ». Donc, Burton va écrire ce livre sous le pseudonyme de Démocrite.
C’est qui Démocrite ? Il y a Démocrite le vieux et Démocrite le jeune. Et Burton écrit sous le pseudo de Démocrite le jeune. Démocrite s’est établi dans la solitude, à l’écart de la ville d’Abdère. Il rit indifféremment de tout. Il y a un grand passage dans la deuxième partie du livre, c’est peut-être le point de rencontre entre la tradition antique et la pensée actuelle : est-ce qu’on rit d’un malade ou est-ce qu’on pleure avec sa souffrance? Les grands fous… est-ce qu’ils nous font rire ou pleurer ? C’était déjà la grande question chez Démocrite. Il rit indifféremment de tout. Ses compatriotes le tiennent pour fou et souhaitant ramener à la raison leur grand homme, ils appellent au secours Hippocrate. Telle est la fiction qui se développe au long les lettres qui nous ont été transmises par le corpus hippocratique. Avant de partir pour Abdère, Hippocrate exprime son opinion sur les deux symptômes qui lui ont été signalés par les citoyens de la ville d’Abdère. Assurément, rire indifféremment de tout sans respecter de distinction entre les biens et les mots, c’est folie. Hippocrate compte le faire savoir à Démocrite en lui disant franchement « tu souffres de mélancolie ». Mais, ajoute Hippocrate, la solitude est un symptôme ambigu. Il faut savoir faire la différence entre la solitude du contemplatif et celle de l’homme que tourmente la bile noire. Les Abdéritains,- les habitants d’Abdère- n’en sont pas capables. L’apparence extérieure est la même, les fous et les contemplatifs se détournent des hommes regardant l’aspect de leurs semblables comme l’aspect d’êtres étrangers. D’avance Hippocrate s’attend à trouver en Démocrite un homme emporté vers une région supérieure par le fait d’une excessive vigueur de l’âme. Hippocrate est résolu à venir examiner le prétendu malade en personne. Il n’accepte aucune rémunération. Il n’a le désir que de regarder, d’écouter celui qu’on croit malade et ainsi d’en arriver au savoir, à la prognosis qui légitimera la décision touchant un éventuel traitement, c’est à dire l’administration d’hellébore (de plantes). L’entrevue d’Hippocrate et de Démocrite dans une lettre fameuse connue sous le nom de « lettre à Damagète… Hippocrate venu pour observer, découvre dans une solitude ombragée un homme studieux qui lit, qui médite, qui observe les entrailles d’animaux entièrement ouverts. Démocrite lui fait savoir qu’il dissèque les animaux pour découvrir le siège de la bile et pour mieux comprendre les causes de la folie. La solitude de Démocrite est donc parfaitement justifiée. Ce n’est pas celle de l’homme que tourmente une humeur corrompue, mais celle du sage qui cherche les causes cachées et qui a entreprit de reconnaître de ses propres yeux la nature et la situation de la bile. Il domine ainsi de toute la hauteur d’une connaissance précise et objective ceux qui ont mis en doute la santé de son esprit. Il sait que la santé et la maladie sont affaires de justes proportions humorales. Etc. etc. etc.
Ce qui est très important, et en particulier parce qu’on est à la fin de la renaissance, c’est la construction et la structure de l’œuvre. Ça commence avec le frontispice, comme il appelle ça à l’époque. C’est énorme ! Tout, cette énorme œuvre est résumée dans la page de couverture, le frontispice.
Là, voyez ce petit signe ! L’emblème de Saturne ! Vous avez regardé Mélancolie de Lars Von Trier ? Le livre est écrit sous le signe de Saturne. Qui était Saturne pour Burton ? C’était la dernière des planètes, un dieu rejeté, qui pourtant avait gouverné le siècle d’or. Il est, dit Gérard de Nerval, le soleil de la mélancolie. C’est quelqu’un qui possédait une vision immédiate du monde supérieur, et qui s’est glissé dans une pensée mathématico-géométrique jusqu’au désespoir. Il a essayé de penser sur un mode mathématico-géométrique cette vision immédiate du monde supérieur. Et comme il a du constater que ce n’était pas possible, il s’est glissé dans le désespoir, Saturne. Et là, il vit avec les exclus, les errants dans la sécheresse et dans le froid.
En haut, … Au milieu, Démocrite le vieux qui lit un livre sous un arbre. En bas, au milieu, c’est Démocrite le Jeune, le pseudonyme de Burton, l’auteur. L’ainé est entouré par des animaux, signe de jalousie et de solitude. A gauche, l’amoureux et les superstitieux, à droite, l’hypochondriaque et le maniaque et en dessous les plantes qui guérissent.
Dans la structure même, le titre : Anatomie de la mélancolie. Il va faire allusion à l’étymologie du mot anatomie, c’est à dire mettre à nu, en pleine lumière. La folie de l’homme raisonnable est anatomisée par le clin d’œil d’un fou. C’est presque son leitmotiv à Burton, son fil conducteur.
Donc on a le frontispice et puis la dédicace à son maitre Berkeley. Troisième chose, il y a un poème en latin adressé à son livre, puisque lui, Burton, il est le lecteur du livre. C’est très actuel ! Foucault n’a rien inventé en disant qu’il n’y a pas d’auteur de livre. On écrit que ce qu’on a lu. Donc il est lecteur. Burton, dans toute sa génialité, va remercier, dans un poème, son livre. Ensuite, on a un résumé de la mélancolie dans une forme de dialogue. Et ensuite, on a ce qui est devenu célèbre, et je vais un peu insister là dessus : une préface satirique. A partir de la page 165 jusqu’à loin, 442. Une préface satirique.
Après, on a un avertissement au lecteur, et surtout au lecteur qui utilise mal son temps, qui s’ennuie, qui ne fait rien, qui est feignant. Au lecteur feignant ! Salaud ! Pendant tout le livre, il n’arrête pas de s’en prendre aux feignants. Des gens qui disent « je ne sais pas quoi faire aujourd’hui… je vais lire un livre ». Il leur en veut. Comme si c’était un divertissement de lire un livre…
Public : une occupation
ML : alors, là ! Il leur en veut… à mort ! Il faut étudier un livre ! N’importe lequel ! Même une bande dessinée. Tout le temps que ce monsieur a passé à écrire pour pouvoir tout condenser dans un livre, et nous on va s’amuser un peu, comme si c’était… donc, vraiment un avertissement au lecteur.
Et ensuite il va écrire un poème satirique, cynique, en dix strophes, superbe :
En alternance, pleurer et rire, Héraclite c’est celui qui pleure et Démocrite c’est celui qui rit.
Pleure donc Héraclite tes pleurs conviennent au temps
Tu ne vois que le laid, tu ne vois que le triste
Et toi Démocrite, tu peux rire, tu en as le droit
Tu ne vois que vanité tu ne vois que folie
L’un comme l’autre dans les pleurs ou le rire
Exprime l’effort exprime la douleur
Il nous faut à présent hélas ce monde est insensé
Mille Héraclite mille Démocrite
Il faut aussi si grande est la folie
Envoyer tout le monde
à …
Et enfin, on a le texte lui-même.
Première et deuxième parties du texte : c’est une synthèse géniale autour de la mélancolie. D’abord les grandes théories physiques dans lesquelles sont pensés ensemble l’âme et le corps, puis la définition de la mélancolie et leur variation dans leur place dans l’ensemble des maladies, c’et une classification nosologique avant la lettre, puis troisième grand chapitre, c’est l’hygiène. C’est très actuel. Quand on lit ça, c’est comme quand on se trouve dans un supermarché avec une vendeuse et qui nous donne des outils sur la diététique. C’est superbe. Comment arriver à avoir un équilibre alimentaire ? Il appelle ça « l’accent sur le diététique ». Quel est le sens de faire du sport ? Quel est le rapport entre veiller et dormir…
Après, on a les moyens thérapeutiques. On peut s’imaginer sur quoi il va mettre l’accent celui-là. Sur le travail ! Un moyen contre la paresse et ne rien faire. C’est vraiment sa bête noire à Burton, ne rien faire… s’il avait lu l’éloge de la paresse, je pense que cela l’aurait rendu complètement fou…
Et la dernière partie, superbe, c’est la mélancolie de l’amour, c’est un livre en soi, la mélancolie religieuse, très beau, puis le rapport entre le suicide et le désespoir.
Donc, vous avez le choix.
Je commente un tout petit peu pour vous montrer comment il travaille, la préface satirique. Si ça vous intéresse. On a pas tout le temps l’occasion d’entendre parler ou de lire l’anatomie de la mélancolie. J’ai un copain qui m’a dit qu’à Londres, il y a une pièce de théâtre qui a été montée à partir de l’anatomie de la mélancolie. Il est allé voir sur internet : deux heures et demie superbes avec des gens qui déclament des extraits du livre et en particulier la préface satirique.
Qu’est ce que c’est pour lui une satire ? C’est une forme littéraire qui consiste en des vers et de la prose pour faire une critique de tout. Tout ce qui concerne les saloperies qu’on fait dans la vie et sur des situations ridicules. Et cette critique est moralisante. Et Burton prend le mélancolique comme porte-parole de la satire. C’est quand même extraordinaire. C’est la tonalité du mélancolique qui est le porte-parole, celui qui peut tout critiquer sur un mode moralisant, masqué par sa bile noire qui expulse toute la saleté, qui n’épargne personne et qui n’a pas honte.
Fin renaissance dans une préface. Quand j’ai vu ça, j’ai pensé « on n’a rien ajouté ». On a fait une théorie, on a mis ça dans un cadre, il y a des psychanalystes qui se fatiguent en cherchant comment ça se fait que le mélancolique n’a pas de honte, et Burton, je le vois dans sa chambre à Oxford, sous une forme théâtrale, il nous amène tout ça. C’est ça que j’ai trouvé passionnant. Ce coco. Incarné par Démocrite le jeune. Celui qui a été exclu. Il s’est isolé à Abdère et Hippocrate, après l’avoir observé, va dire aux citoyens d’Abdère : « vous me demandez qui est fou ? C’est vous et pas Démocrite. » C’est très actuel quand même. Ce sont qui les fous ? Ceux qui les soignent ou ceux qui sont fous, soi-disant ? La plupart du temps, ce sont ceux qui les soignent qui sont fous. Mais il faut avoir la force de la satire pour oser le dire. Et si on le dit maintenant, on pense que celui qui le dit est fou donc on ne l’écoute pas. Ou c’est peut-être le truc pour aller dans un congrès de psychiatrie institutionnelle pour dire que les malades sont bons et ce sont les soignants qui sont fous, ça va bien…
Quelle est la construction de sa préface satirique ? D’abord c’est la lettre qui contient l’entrevue entre Hippocrate et Démocrite. Et puis une utopie qu’il va fabriquer. Comment rendre une société vivable dans laquelle on a nettoyé toutes les saloperies, toutes les piques, toutes les situations ridicules. Il va donc reprendre cette lettre.
Ce qui est le plus important si vous avez envie de le lire, vous pouvez prendre n’importe quelle entrée, c’est que Burton se présente comme un acteur qui joue sur une scène. Il fait du théâtre. Il y a tout un développement sur le théâtre. La maladie et le théâtre. C’est un acteur avec un masque qui va se laisser démasquer. Qu’est ce que fait le malade quand il va voir quelqu’un ? Est-il prêt à se laisser démasquer ? Quand je me démasque, je peux me défendre aussi. Je peux me masquer, je peux jouer un rôle. C’est ça, dit-il, la vie : s’adresser à, par la possibilité de se faire démasquer, et nu devant les autres, seul, se doubler. Je donne un exemple :
Déjà quand il écrit sous le pseudonyme de Démocrite le jeune, autant de bonnes raisons pour s’envelopper et se cacher comme d’autres l’ont fait avant lui sous le nom de Démocrite. Pour le vieux Démocrite et son cadet, un seul souci, regarder, écouter, comprendre, s’adonner à la vie théorique et un seul projet, parler de la folie et de ses causes dans un grand livre. Or le livre de la folie du vieux Démocrite a été perdu. Quelle perte pour le monde ! Ce livre perdu, sans prétendre l’égaler, on peut rêver de le remplacer. Et Burton se porte volontaire. Au passage, ce masque a glissé. Un prénom, Robert, nous est livré comme le sujet du savoir. Croyez en Robert qui en a fait l’expérience. Donc il se dédouble, et il se parle à lui-même. Déjà on avait la structure de l’auteur et du lecteur, et là aussi Croyez en Robert qui en a fait l’expérience. Plus loin quand il empruntera une ligne d’un ouvrage de son frère ainé, une note nous apprendra que celui-ci s’appelle William Burton et désormais nous savons tout. L’auteur tient son masque à la main. Il évoquera plus loin son lieu natal etc. etc. etc.
Burton n’hésite pas. Il décrit Démocrite comme un petit vieillard soucieux très mélancolique de nature, fuyant la société dans ses vieux jours et très adonné à la solitude. Après avoir développé le portrait légendaire du philosophe d’Abdère, Burton trace le sien. Assurément, il n’est pas la réplique exacte de celui dont il usurpe le nom ; il n’a pas voyagé, il n’excelle pas dans les mathématiques et les sciences naturelles, il n’a pas été invité à donner les lois dans une cité. En sa qualité de fellow du collège d’Oxford, il a simplement lu beaucoup de livres sans grande méthode. Mais les similitudes l’emportent et l’autoportrait construit à coup de citations rejoint l’original antique construit lui aussi de citations juxtaposées. Même gout de la solitude, même caractère mélancolique, Saturne fut le maître de ma naissance, même rire sur toutes choses, je ris de tout, même genre de vie privée, même célibat de vieil étudiant. Je mène toujours la vie d’un vieil étudiant, comme on disait au début, dans son collège, comme Démocrite en son jardin, etc. etc.
Et à la fin, dans la préface satirique, il donne déjà quelque chose sur la mélancolie :
Burton nous apprend que la mélancolie est déjà à elle seule un masque suffisant pour dire son fait au monde. Nul besoin de déposer la défroque du clown, nul besoin d’agiter une marotte et un grelot, Burton pourtant éprouve le besoin de se cacher derrière un pseudonyme. Il dissimule sa mélancolie personnelle sous une mélancolie légendaire et superlative. Il veut être fidèle à l’archétype d’une tristesse exaltée jusqu’au rire et installé dans la plus vigoureuse contradiction. Le philosophe d’Abdère est accusé de folie par ses concitoyens mais Hippocrate salue en lui une sagesse souveraine. Pour dénoncer les maléfices de l’apparence, quel homme aura plus de titres que celui dont l’apparence fut si mal interprétée. Tenu pour délirant, victime exemplaire de l’opinion des hommes, il a le droit d’inverser l’accusation et de proclamer que le monde est fou. Derrière cette apparence de folie que les hommes lui imputent et ce n’est qu’un masque, Démocrite peut rire sous cape, il peut rire aux éclats. Il méprise le monde et sa petite sagesse. Il veut bien être fou et s’ils appellent les médecins pour le guérir, il se met d’accord avec eux pour les juger incurablement stupides.
Là, c’est Starobinski : Tel est le personnage que Burton veut jouer sur le théâtre du monde. C’est un guide, un exemple, un modèle. N’oublions pas que dès la première phase du texte, nous avons devant nous une figure d’emprunt, et je cite : « Estimable lecteur, je présume que tu seras fort curieux de savoir quel est ce personnage burlesque ou cet acteur masqué qui s’avance si insolemment sur le commun théâtre à la face de l’univers en se revêtant du nom d’un autre homme ». Celui qui s’adresse à nous parle d’une voix contrefaite. C’est peut-être qu’il n’a peut-être pas de voix ni de ton qui lui soit propre. Sa propre vie, il la voit à distance comme une partie du spectacle universel. La conscience réflexive est merveilleusement neutre et détachée. Pour s’exprimer, il faut qu’elle fabule son image même. N’être rien ou jouer ce qu’on est. Burton . 1621. Or l’image légendaire du mélancolique est un costume seyant pour affirmer la pure négation qui est l’acte fondamental de la conscience. Le vêtement noir dit le deuil et la séparation, le chapeau à larges bords abattu sur le visage interpose une paupière supplémentaire entre le regard et le monde. Le mimétisme à l’égard d’une attitude et d’un type humain préexistant va de pair avec l’insuffisance intérieure. Le mélancolique n’a pas assez de vigueur pour se passer des secours d’une forme établie d’avance. Depuis … , l’idée d’un lien très étroit unissant la mélancolie et le génie et les vertus contemplatives s’est généralisée. Il n’est presque point de grands personnages à la fin du XVIème siècle qui ne revendiquent délibérément ce tempérament comme un privilège et qui ne le signalent que par quelque trait de grimage ou de vêtement. Indice de supériorité intellectuelle, la noire livrée du mélancolique devient l’apanage du diseur de vérité et du démasqueur masqué. Méphistophélès, le mélancolique du romantisme. Il peut reprendre au magasin des accessoires le justaucorps d’Hamlet. Mais à peu de détails près, c’est le costume du clergyman en Angleterre.
Et voilà. Et ça continue. Mais j’arrête avec l’Anatomie de la mélancolie. J’espère que ça vous donne envie. Ça coûte 60 euros, les deux !
JA : c’est l’édition Corti ?
ML : oui, oui.
Après je fais, on arrive bientôt dans … il y a cet article de Gladys Swayne « Permanence et transformation dans la mélancolie ». Qu’est ce qu’elle fait ? Elle fait une lecture transversale de la mélancolie en mettant l’accent sur les ruptures significatives dans la construction de la notion de la mélancolie à travers l’histoire.
Il y a 4 ruptures pour elle. D’abord, il y a la rupture avec la théorie humorale d’Hippocrate. On exclut la théorie de la bile noire pour mettre à sa place le nouveau statut de l’homme qui pense et dès que l’homme pense, dit-elle, il y a l’idée d’un mal de la raison. L’homme, comme sujet, doué avec une autonomie propre pour pouvoir se poser vis-à-vis du monde ce statut épistémologique a tout de suite des conséquences autour de l’idée de la folie. Le trouble de l’intelligence remplace le trouble humoral et pour la première fois dans l’histoire la folie est un trouble intime de la pensée. Elle dit la folie est délire et si on ne fait pas attention, on pense toujours ça. Quand il y a quelqu’un qui ne délire pas, on ne dit pas qu’il est fou. Attention. Le psychotique qui ne délire pas, on ne dit pas qu’il est fou. On dit qu’il est fou uniquement quand il délire. Mais, non ! Il y a longtemps qu’on pensait ça. Il y a bien longtemps, avant Descartes, qu’on va dire que l’être humain est un sujet qui peut penser vis-à-vis du monde, qu’il peut placer un objet devant lui. Donc elle dit que c’est à ce moment-là qu’on dit que la folie est le délire, c’est à dire de dire que les idées d’un sujet sont touchées, les qualités, les caractéristiques des idées d’un sujet sont touchées. Qu’est-ce qui est touché profondément ? C’est sa maîtrise vis-à-vis de ses propres idées. Il ne maîtrise plus ses pensées. Il ne maîtrise plus ses idées. Un grand texte de Biswanger s’appelle « Fuite des idées ». On ne maîtrise plus ses idées. Et la mélancolie fonctionne dans ce discours-là sur un échelon des idées de pensée. Donc d’une part on peut être touché dans tout ce qui se présente à l’esprit, et on peut être touché, et c’est là que la mélancolie arrive, autour d’un objet. Souvent très minimal, mais indestructible. Et c’est ça la mélancolie. Je ne peux pas me distancier, je ne peux pas sortir ce qui est dans ma tête et le placer devant moi. Comme un objet à étudier. Ça peut être n’importe quoi. Une poussière. Un crayon. Elle donne des exemples dans l’histoire. Un pot d’encre. Elle ne dit pas obsédé. Il y a un pot d’encre qui est dans mon esprit, j’essaye de le mettre devant moi et je n’y arrive pas. C’est la définition à ce moment-là de la mélancolie comme un trouble intellectuel partiel. L’intelligence est touchée autour d’une idée. Et en contraste avec ça, la manie est d’être touché sur un mode général. La fuite des idées, ce n’est pas une idée qui se ballade partout mais on est touché dans l’ensemble de ce qu’on pense.
Et puis ensuite il y a une rupture avec cette idée que c’est un trouble de l’intelligence. Et je suis désolé, c’est un belge, Ghislain. Gladys Swayne en parle et pour nous c’est quelqu’un d’important. Ghislain, vous n’avez sûrement jamais entendu parler du lui. Sûrement pas. L’hôpital Ghislain de Gand. Le musée Ghislain. Et c’est ce psychiatre, un grand clinicien qui avait une passion pour l’architecture, qui a construit le premier hôpital psychiatrique, dans le nord. Dans son livre de 1835 Traité sur les phrénopathies, il dit : je ne dis rien de nouveau, mais j’écoute et je vais essayer de découvrir ce qui se couvre dans les mots. Qu’est-ce qui se couvre dans la mélancolie ? la souffrance. Je ne vous raconte rien de nouveau mais j’essaye d’articuler sur ce quoi vous ne vous êtes pas arrêtés, la souffrance. Et la souffrance qui fait mal et qui produit du chagrin et de la douleur. Ce n’est pas la douleur qui produit la souffrance mais l’inverse. Von Weizsäcker n’était pas né à l’époque ! à l’époque, et on le dit encore, ça permet n’importe quoi, on disait que les fous vivaient enfermés à l’intérieur d’eux, dans leur propre monde et qu’ils n’en souffraient pas ! . C’est très touchant de les voir vivre dans leur propre monde. C’est dans Kant ça. Que ça serait au moment où on les sort de leur propre monde qu’ils en souffrent, donc laisse-les ! Et Ghislain se bat contre ça. Tous ses livres sont là pour se battre contre Kant et contre ces préjugés. Et pour lui la souffrance de l’esprit, c’est le principe de tout trouble et en particulier de la mélancolie. L’homme mélancolique, en opposition avec les schizophrènes, n’est pas irrationnel. Et en opposition avec les normopathes, il n’est pas bête. L’homme normal, l’homme moyen est bête. Pas le mélancolique. Il n’est pas irrationnel comme peut l’être le psychotique et il n’est pas bête comme peut l’être l’homme moyen. Mais sa souffrance produit un tel changement fondamental que des troubles intellectuels peuvent en être une conséquence. Sa souffrance est telle que même des fonctions intellectuelles peuvent être touchées car débordées par le trop de souffrance. Je cite dans Gladys Swayne : « Primitivement, l’aliénation est un état de malaise, d’anxiété et de souffrance, une douleur morale intellectuelle et cérébrale comme on voudra l’entendre. Dire que l’aliénation est un trouble intellectuel et de jugement serait une proposition erronée. Ce serait prendre le symptôme secondaire pour le phénomène fondamental. Vous suivez ? Si vous vous endormez, vous le dites. Beaucoup d’aliénés ne déraisonnent point. Tous, cependant, à de très rares exceptions près souffrent. C’est là l’altération-mère d’où provient le dérangement dans les idées, le trouble de l’intelligence, l’aberration dans les qualités instinctives et toutes la série des actes violents et bizarres qui caractérisent l’aliénation mentale sous ses différentes formes et dans ses diverses combinaisons.
Et Ghislain va donc très logiquement décrire des mélancolies sans délire, dont il fera la forme la plus simple sous laquelle le mode souffrant puisse se présenter. Et ainsi Ghislain peut nous donner une bonne description de ce que nous appelons aujourd’hui mélancolie.
Troisième rupture : rupture avec le contraste entre délire partiel et délire général. « On n’est pas fou à moitié, on est pas fou au ¾, il y a toujours une dimension saine, il y a toujours un bout de moi qui est sain, et on peut toujours faire des acrobaties pour intégrer les parties non saines dans les parties saines ». On entend ça dans la psychologie du moi dans les versions extrêmement modernes. C’est Ghislain qui s’oppose à ça. Il ne dit pas qu’il y a une partie folle et pas l’autre. Il y a un état général qui est le fond de la maladie. Le délire n’est que partiel dans sa manifestation. Et c’est à partir de ce moment-là, -et là je dois me calmer, à chaque fois ça me fait la même chose, à cet endroit-là, je m’énerve, ça me fait monter au plafond, et ce n’est pas bon… Pour personne… Calme !- Les conséquences de cette idée qu’il existe un état général qui est le fond de la maladie, lié à la souffrance fait que cela devient possible dans l’histoire, mais c’est oublié maintenant, qu’on peut penser la manie et la mélancolie dans une unité, dans une entité nosologique, c’est à dire la folie circulaire. C’est Pierre Falret, merci, qui le premier a utilisé le mot folie circulaire. Ou, c’est la même chose dans la nosologie, ou la folie à double forme. C’est Boulainger. La même affection peut se manifester sous deux formes selon le principe de l’alternance construite à partir de la folie circulaire, du cycle. -Si on était un peu intelligent et si on s’intéressait encore à l’histoire, on ne serait pas tombé, comme on le voit dans certaines revues de psychanalyse, sur ces aberrations, les troubles bipolaires. Cette revue qui est tombée dans mes mains, qui s’appelle je crois Figures de la psychanalyse, il y a les grands noms des psychanalystes parisiens… la critique sur la structure bipolaire, je n’en ai pas trouvé. Nul. Moi, j’étais déçu. Si on regarde l’histoire, qu’est ce qui fait le passage de circulaire, cyclique à bi ? Qu’est ce qui fait qu’on doit penser dans un système binaire et qu’on ne peut pas penser dans un système cyclique. C’est tout bête.
Donc, Gladys Swayne nous dit qu’on arrive à une sorte de synthèse où les troubles fondamentaux existent dans un état général qui précède le délire, c’est le fond de la maladie. Cela peut se manifester sous deux formes : un état d’expansion dans la manie et un état de dépression dans la mélancolie…
Moi, j’aime bien Kraepelin. Ce n’est pas de ma faute, j’ai une affinité pour Kraepelin. Et lui, il va approfondir cette synthèse. Je peux le faire ? Vite. Mais il est superbe. C’était un homme passionné. C’est pas ce vieux con qui nous a fait des manuels de psychiatrie… pas du tout. Je les hallucine… c’est vrai.
Public : rires
ML : Kraepelin est le premier qui a essayé de penser de faire une science psychiatrique. Et qui choisit pour construire cette science la sémiologie. L’autre qui va essayer de construire une science psychiatrique c’est Tellenbach qui va lui utiliser la typologie. Donc, d’abord Kraepelin. Qu’est ce qu’il fait ? Je crois que Schotte avait tort, il était prétentieux; il disait que le seul en psychiatrie qui avait essayé de combiner la pratique, la clinique et la théorie avec sa propre vie, c’était Szondi. Qu’on pouvait lire à travers sa vie toute sa théorie. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas le seul. Kraepelin aussi. Il était tellement passionné par son travail, on va voir où cela la menait qu’on ne peut pas penser sa théorie sans voir sa propre vie. Et qui se pose des questions extraordinaires. C’est bizarre mais moi, je l’aime bien. Il a vécu de 1856 jusqu’en 1926. Il a fait des études de médecine, d’abord la psychiatrie chez Wundt à Leibznicht, et ensuite, une épiphanie, il est allé à Munich chez Van Gudden. Vous connaissez ?
Public : non. (Rires).
ML : vous avez vu le film Ludwig de Visconti ? Van Gudden avait été convoqué par les conseillers de Ludwig pour essayer de le soigner. Mais soigner Ludwig, c’était d’abord l’apprivoiser et essayer d’entrer dans ce monde bizarre et l’on voit bien chez Visconti comment il glisse dans cette sorte d’identification à Wagner, dans cette fureur, dans cette solitude, enfermé dans l’explosion projective, mégalomaniaque. Comment avoir accès à ça ? C’était à un moment où Kraepelin était l’assistant de Van Gudden. Et Van Gudden entre dans la vie de Ludwig et développe à petite dose une folie à deux avec le roi. Et Kraepelin se demande ce qui se passe. Il a essayé en étant élève d’aider son maitre. Impossible ! Plus de prise sur cette folie qu’il voyait se développer. Et c’est à partir de ce moment là que Kraepelin va se questionner jusqu’à la fin de sa vie : mais qu’est ce que c’est que ça, l’être humain ? Qu’y a t-il dans l’être humain pour mener jusque là ? La maladie, peut-être ne faut-il pas l’étudier là où elle se manifeste mais là où elle va nous mener. Je trouve ça génial comme intuition. L’être humain est une énigme. Chez les grecs, il y avait l’oracle. Il y avait des rituels qui pouvaient nous dire « ça t’amènera là ». Maintenant cela n’existe plus. L’oracle, c’est peut-être la maladie. Qui nous montre à quel prix l’énigme en nous peut nous mener. Ça a été le fil conducteur de tout son travail. A partir de là, il est passionné par à la fois, être avec les malades, et en même temps, faire des recherches. Donc il va travailler dans la clinique royale à Munich et il va construire un institut de recherches psychiatriques et toute sa vie, il va la consacrer à ça. Sa grande œuvre est le manuel de psychiatrie. Huit éditions ! Je trouve ça, pas obsessionnel… mais… à chaque fois qu’il édite quelque chose, hop… il repense… pour approfondir… huit fois ! Donc ces différentes éditions connaissent une grande évolution et c’est dans la huitième édition qu’il étudie pour la première fois la psychose maniaco-dépressive. C’est lui qui l’appelle ainsi. Pourquoi a t-il attendu si longtemps pour oser s’attaquer à cette maladie ? Parce que, c’est vrai que ça revient toujours au même point. C’est cyclique. Schuman, il fait des cycles de lieder pour piano, de chants, et hop ça revient toujours au même point. Il n’y a pas d’évolution. Moi qui me demande où cela peut mener, je dois accepter, dans la clinique, qu’il y a quelque chose qui ramène au point de départ. Donc Kraepelin était confronté à cette problématique. Et il attendu jusqu’à la fin pour essayer d’écrire quelque chose sur cette structure cyclique. Pourquoi il est embêté avec cette structure cyclique ? Parce que son but et sa méthode était de délimiter et de regrouper des formes de maladies. Ce qu’on appellera plus tard des classifications. Mais ce qui est plus important c’est de concevoir l’évolution de la maladie. La maladie s’individualise, se singularise et se définit selon l’évolution qui est typique à chacun. Il n’y a pas deux schizophrènes pareils, il n’y a pas deux enfants autistes semblables. Dans la symptomatologie, oui, mais pas dans la manière dont cela évolue. Et Kraepelin dit que le diagnostic à faire est d’essayer de faire un pronostic précis. Ça c’est le diagnostic. Ce n’est que le pronostic qui fonde le diagnostic. On ne peut jamais, dit-il, faire un diagnostic exact. Arrêtons de penser cela. Si la psychiatrie est une science qui se fonde sur l’énigme de l’être humain, elle ne peut pas faire de diagnostic. On peut s’approcher, on peut trouver des possibilités, on peut délimiter, cela peut nous aider pour le travail thérapeutique, mais ne commençons pas avec le diagnostic. C’est nul. C’est Kraepelin qui dit ça. C’est pas mal, non ? On avait pas Laing Cooper et tout ça pour faire de l’antipsychiatrie. Dans les études de psychiatrie, on ne l’étudie pas. C’est dommage. Alors que dit-il sur la maladie maniaco-dépressive ? Il s’inscrit dans la tradition de Falret sur la folie circulaire, et sur Esquirol. Il est mignon Esquirol, enfin, je ne sais pas s’il était mignon, mais pour moi, quand on le lit, je le trouve mignon… il dit que si on veut faire un champ psychiatrique scientifique il faut distinguer la mélancolie des phénomènes littéraires, critiques, et il va donc lui donner un autre nom : la lypémanie. Kraepelin trouve ça superbe, adopte le nom et définit donc la mélancolie comme maladie de la passion où l’excessif de la passion est la cause des faux jugements et des troubles de l’intelligence. Il fait donc une synthèse de ce que dit Ghislain. Et avec son souci de regrouper des formes de maladies, à partir de la folie circulaire, à partir de la lypémanie, il va essayer de faire des formes de maladies. Il arrive à 4 formes cliniques : des états maniaques, avec des sous-rubriques, la manie aigue, la manie délirante, la lypémanie. Et c’est vrai, dans la clinique de tous les jours, on dit « il fait une phase maniaque ». C’est quoi une phase maniaque ? Décrivez-la, est-ce aigu ou pas, est-ce délirant ou pas ? Quand c’est délirant, il n’y a pas grand-chose à faire, mais quand c’est aigu, vas-y vite parce qu’il va courir sous le train ou sous une voiture. Ce n’est pas suicidaire, mais c’est aigu. Rien ne l’arrête, donc il faut l’arrêter. Si c’est délirant, il n’y a rien à faire.
Dans les états dépressifs, il situe la mélancolie simple caractérisée par la stupeur. Il était intelligent quand même. Puis, la mélancolie compliquée. Où il n’y a pas seulement l’état stuporeux, mais il y a aussi des mouvements. Troisième forme, la mélancolie délirante qui va aussi avec des hallucinations fantastiques et des idées hypochondriaques, c’est ce qu’on appelle le syndrome de Cottard. C’est vrai, les délires de petitesse, de négation, je ne vaux rien, pour Kraepelin, cela fait partie d’une forme délirante mélancolique. Cottard l’a très bien décrit mais en syndrome. Et Kraepelin, hop, il l’intègre dans la mélancolie délirante. Et il délimite aussi les états fondamentaux avec des périodes stables et des variations de l’humeur qui ont des extrêmes. Et là, c’est tout l’art de la pharmacie, des régulateurs de l’humeur, comment varier la posologie, ce sont des gens que l’on doit voir tous les jours. Si vous avez quelqu’un qui est en phase maniaque, il faut le voir tous les jours. Et si vous travaillez en ville, trois, quatre fois par semaine. Il ne faut pas faire payer à chaque fois. Et maintenant on peut prolonger les intervalles. Mais quand les gens vieillissent, les intervalles sont de plus en plus courts.
Allez, on fait Freud. Si vous pouvez vous concentrer encore un petit peu, sur Freud. Dans quel contexte a-t-il écrit « Deuil et mélancolie » ? Dans Totem et Tabou, on avait vu quand on avait étudié la phobie, le problème de la mort et en particulier la mort du père constitue le matériau psychique et il découvre dans l’anthropologie l’identification totémique et cela va lui offrir une élaboration idéale. Il dit que le problème de la mort du père est un problème car il y a là une collusion de la mort et du désir. Seulement là, se demande t-il ? Non, et tout de suite, la possibilité de tomber malade par cette sorte de collusion entre le désir et la mort trouve aussi des témoignages dans le chagrin pathologique, dans la nostalgie des névrosés comme l’homme aux rats ou dans la nostalgie des paranoïaques comme Schreber. Schreber est un homme nostalgique. Et dans le système des élaborations morbides de la mort, de la perte, comme sont la phobie, l’obsession, la paranoïa, il manque une pièce clinique très importante, la mélancolie. Donc, il passe de la mort du père à la mort de l’objet d’amour en général et en particulier, de la perte et de la mort du premier objet : le sein de la mère. Centré sur la perte de l’objet, cette réflexion sur la collusion entre le désir et la mort s’écrit dans quelques œuvres, dont « Deuil et mélancolie » est le noyau et on doit, je pense, le lire avec Métapsychologie, son texte sur l’inconscient et surtout le complément métapsychologie de la théorie du rêve. Donc des textes écrits entre 14 et 18. Ça, c’est le contexte.
Quel est le sort de l’objet perdu ?
C’est à Abraham que Freud doit le point de départ de « Deuil et mélancolie ». Abraham était le premier à essayer de donner une méthodologie de la clinique de la structure maniacodépressive et des états voisins. Ses états voisins étaient pour Abraham, l’état de deuil et l’état de dépression de la névrose obsessionnelle. Pour nous qui sommes intéressés dans l’anthropopsychiatrie, comment situer les maladies en rapport les unes avec les autres, Abraham est important quand il essaye de faire un rapport entre la dépression, la névrose obsessionnelle, le deuil et cette maladie cyclique, la structure maniaco-dépressive. Freud aussi ! Et donc, Abraham écrit son texte en 1912, Freud écrit « Deuil et Mélancolie » en 1915 et Abraham reprend ensuite ses premières investigations avec les apports de Freud dans son texte superbe de 1924 : les états maniaco-dépressifs et les états prégénitaux de l’organisation de la libido qui va connaître une suite chez Mélanie Klein : le deuil et ses rapports avec les états maniacodépressifs.
Chez Freud : il commence, c’est ma lecture de ce texte « Deuil et Mélancolie », par des rapports entre le rêve et le deuil. Le rêve est le modèle normal des troubles psychiques par lesquels on peut tomber malade et qu’on retrouve dans les hallucinations psychotiques. Donc, les hallucinations psychotiques sont la pathologie du rêve. Et le deuil, qui est un affect normal, à comparer avec sa psychopathologie : la névrose narcissique que Freud appelle la mélancolie. Pour lui, c’est une névrose narcissique. Je cite un texte, mais Michel n’est pas là et je ne vais pas vous emmerder de le dire en allemand : Deuil et Mélancolie, Amen !, p 429 pour ceux qui l’ont en allemand : Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’un substitut dans une abstraction comme il y a la patrie, la liberté, un idéal, etc. Souvent, chez de nombreuses personnes, se manifestent comme conséquences importantes et immédiates, l’existence d’une mélancolie à la place d’un deuil, chez ces personnes, on suppose l’existence d’une prédisposition morbide. Les deux réactions lors de la perte de l’objet d’amour ont en commun une dépression profondément douloureuse, une perte d’intérêt pour le monde extérieur, dans la mesure- et c’est toujours dans les petits détails qu’on doit lire Freud-, dans la mesure où il ne rappelle pas le défunt. Donc, il y a un énorme intérêt quand cette personne peut parler ou se rappeler le défunt. Troisième perte de la capacité d’aimer, c’est-à-dire de choisir un nouvel objet d’amour, est l’inhibition de toute activité. La mélancolie présente un trait supplémentaire qui lui est propre : la diminution du sentiment d’estime de soi qui peut aller des autoreproches jusqu’aux auto injures. Jusqu’à l’attente délirante du châtiment.
Voilà, ça c’est descriptif. En quoi consiste ce travail que produit le deuil, le travail de deuil ? Qu’est-ce qui fait que c’est si douloureux, le deuil ? C’est une question que Freud s’est toujours posée et à laquelle il n’a jamais pu répondre. Qu’est-ce qui fait que c’est si douloureux, le deuil ? C’est un travail dit-il commandé par l’épreuve de réalité. L’objet aimé n’est plus. Il faut retirer toute la libido des liens qui la retiennent à l’objet. Contre cette exigence, il se lève une rébellion – c’est souvent quelque chose qu’on oublie quand on lit deuil et mélancolie- l’homme n’abandonne pas volontairement une position libidinale. La rébellion peut aller jusqu’à un délaissement de la réalité et au maintien de l’objet. Qu’on va retrouver dans la psychose hallucinatoire. Normalement, le respect de la réalité l’emporte et quelqu’un qui est en deuil ne glisse pas nécessairement vers une psychose hallucinatoire, il peut s’arrêter auprès des monologues intérieurs ou du dialogue-monologue et il décrit dans compléments théoriques des moments dépressifs. Kuhn va le reprendre : le carrousel des pensées le soir. Il y a des monologues où on parle avec celui ou celle dont on doit retirer la libido. On parle à l’objet qui m’a quitté, on parle à l’objet d’amour qui est mort. Donc, cela ne glisse pas nécessairement vers une psychose hallucinatoire mais vers des monologues intérieurs, vers des dialogues-monologues. C’est très bien décrit par Kuhn.
Donc, normalement la réalité l’emporte, mais ces tâches de respect de réalité s’accompagnent, je le cite- je l’ai travaillé en flamand donc je traduis-, s’accompagne en détail avec une grande dépense de temps et d’énergie d’investissement de l’objet et pendant ce temps l’existence de l’objet perdu se poursuit psychiquement. Chacun des souvenirs, chacun des espoirs qui attachaient la libido à l’objet est instable et surinvesti et c’est quand même là que le détachement de la libido doit s’accomplir. L’accomplissement du commandement de la réalité, de ne pas glisser dans une psychose hallucinatoire, est un compromis douloureux et inexplicable. La douleur est une énigme. Comme à l’envers la joie triomphale du maniaque est aussi une énigme. Je n’arrive pas expliquer cela. Il va réessayer plusieurs fois. Il n’y arrive pas. Qu’est ce qui se passe dans la mélancolie ?
Ce trouble de sentiment de soi est différent du deuil parce qu’il est basé sur le statut même de l’événement que constitue la perte de l’objet aimé. Ça on connaît, c’est une phrase qu’on devait apprendre par cœur dans les cours de psychopathologie : l’homme en deuil sait ce qu’il a perdu à la mort de la personne aimée, le mélancolique sait qui il a perdu mais non ce qu’il a perdu en cette personne.
Ça, c’est la grande différence pour lui, à ce moment-là. La perte du mélancolique est plus morale que dans le deuil. Dans le deuil c’est le monde qui est devenu vide et dans la mélancolie, c’est le moi qui est vide. Ce vide affecte le moi lui-même et c’est pourquoi ce travail du mélancolique reste énigmatique et extrêmement intérieur, beaucoup plus que le travail de deuil. Et là, c’est un coup de génie de Freud, il va s’arrêter auprès de cette énigme. Moi, j’aimerais bien de temps en temps, ne pas avoir ce texte de Freud et être dans sa tête, et … comment il a pu trouver ça ! Après coup, c’est facile, quand on le lit. Et il dit : ce trait énigmatique dans le travail du mélancolique se comprend dans l’écoute des plaintes, des autoreproches et qu’on les prend au sérieux. Et il y a un texte de Biswanger, dans Mélancolie et manie, où à Bellevue, la clinique où il travaille, il y a un malade David Bürge qui est dans un monde d’autoreproches et du jour au lendemain, ce dont il se plaint est résolu. Les infirmières, les médecins avaient une patience extrême avec lui, pendant un an, tous ces autoreproches, toujours les mêmes, et eux ils écoutaient, patiemment. Et du jour au lendemain, c’est résolu. Et hop, il y a une autre plainte qui arrive, un autre autoreproche. Et Binswanger explique bien, il dit, on est humains, on ne peut pas s’empêcher d’être irrités contre lui. Et c’est là qu’il dit que le délire mélancolique est interchangeable, ce n’est pas le thème qui est important. Mais on verra ça demain.
Mais Freud, lui, dit donc que ce trait énigmatique se comprend dans l’écoute des plaintes et des autoreproches et il fait tout un paragraphe pour dire qu’il faut les prendre au sérieux. C’est quoi, l’écoute psychanalytique ? C’est pas écouter avec une oreille flottante!.... on écoute quelque chose, des mots, on écoute pas des phrases. On écoute des mots. C’est là ce paragraphe célèbre sur écouter les plaintes. Et pourtant, dit-il, le mélancolique ne se comporte pas comme quelqu’un qui serait plein de remords, qui serait gêné de se plaindre, ah j’en ai marre de me plaindre, ce n’est pas hystérique, mais pourtant il y a une dimension hystérique dans ces plaintes, mais c’est sans remords. Il se proclame à grand bruit le plus monstrueux des hommes, il s’exhibe, il jouit à importuner autrui de ses lamentations. Pas de honte. Burton l’avait déjà dit. Il a perdu le respect de soi. Mais pour quelle raison ? Ce n’est pas une perte de l’objet qu’il aurait subi mais une perte concernant son propre moi, ce vide affecte le moi, cette perte de respect concerne son propre moi. Puis il analyse les plaintes. Les plaintes s’appliquent à une autre personne qu’il aime et qu’il a aimée. Les autoreproches sont les reproches adressés à un objet d’amour, à quelqu’un d’autre, reproches renversés de celui-ci sur le moi propre. C’est toute la mécanique de ce texte. Se plaindre, c’est accuser. Et son comportement est celui d’un révolté. Et on voit chez Freud toujours cette structure : une constellation psychique qui est celle de la révolte, il est révolté contre quelqu’un. Mais qu’est ce qui fait qu’il va évoluer vers l’accablement mélancolique ? Donc de la révolte à l’accablement. Qu’est ce qui se passe dans ce passage ? Quel est le processus de ce passage, quelles sont les conditions qui rendent ce passage possible ?
Et hop, deuxième coup de génie ! Une identification inconsciente. Et là, le texte devient difficile. Pour cela, il faut étudier, dit-il, la relation du moi avec l’objet d’amour et la perte de cet objet et il faut étudier, à nouveau, encore une fois, et à partir d’Introduction au narcissisme, quelle est l’étoffe du moi. Et on suit Freud, à partir de là, je vais un peu vite là : il dit, c’est presque un conte, qu’il existait un choix d’objet et sous l’influence d’une blessure ou d’une déception, il y a eu un choc. Je le cite. Le résultat n’est pas un retrait normal mais un autre qui exige quelque chose. L’investissement de l’objet était très peu résistant. Et la libido retirée dans le moi servait à établir une identification du moi avec l’objet abandonné. Et à partir de là, l’ombre de l’objet tombe sur le moi. Ça, c’est la phrase que tout le monde connaît.
Troisième coup de génie. Ça, c’est le processus. L’ombre de l’objet tombe sur le moi. Et qu’est ce qui va se passer dans la libido ? Tu n’es pas trop intéressé dans l’autre quand même, il aimait l’autre pour soi-même. Donc, si l’autre s’en va, la libido n’est pas très résistante, il se retire dans son propre moi et voilà. L’ombre de l’objet tombe sur le moi et ça fait une instance du moi clivée en deux. Le moi peut être jugé à l’intérieur de lui même comme une instance particulière, comme un objet, comme un objet abandonné. Donc, il y a le moi, et il y a une instance du moi qui juge. De cette façon là, la perte de l’objet s’est transformée en une perte du moi et le résultat est que le conflit entre le moi et la personne aimée s’est transformé dans une scission entre une critique du moi et le moi modifié par l’identification. Ça va ? Donc, on est parti de la relation entre le moi et l’objet, et puis on est passé à l’étoffe du moi où à l’intérieur du moi, il y a une scission entre une critique et l’objet critiqué. Je me punis moi-même. Et là, on est dans une mélancolie délirante. Le moi qui critique l’objet à l’intérieur du moi. C’est ça que va prendre Szondi. Et là, on est dans l’approche d’Abraham, la dimension cannibalique du moi.
Donc le processus énigmatique de Freud de la mélancolie est éclairé en partie par ce mécanisme de l’identification. Et là, il donne une définition de l’identification qui est géniale, je trouve, notez-là, Amen ! on ne la trouve pas dans les cours de psychopathologie : c’est un mode de transformation de l’investissement d’objet peu résistant. Un tel investissement qui fait le tour dans le moi, va justement, éclairer la nature narcissique du moi.
Donc, on ne part pas du narcissisme qui serait déjà là, et on mettrait des couches dessus et ça va se complexifier, non ! C’est grâce à l’identification qu’il y a le narcissisme. La nature narcissique du moi se produit par l’identification. Qu’est ce qui fait que je choisis quelqu’un comme l’amour-propre ? Qu’est ce qui fait que je choisis l’objet d’amour comme un choix d’étayage, un choix ancestral ? Je choisis dans l’autre avec qui je vis mon arrière grand-mère ou mon arrière grand-père ? Ou qu’est ce qui fait que je choisis moi-même ? Moi d’accord, mais le fait que je peux choisir quelqu’un ? Et bien ça, c’est l’identification ! Et cet autre-là, ce n’est pas énorme, mais c’est important qu’il soit là sinon je ne peux plus m’aimer moi-même. S’il n’est plus là, je ne vaux plus rien, et tant qu’il est là, je peux faire la parade. C’est ça que Freud dit.
Donc un tel investissement qui fait retour dans le moi manifeste sa nature narcissique et sa régression vers cette nature narcissique nous renvoie au choix d’objet narcissique et ancestral. Le bénéfice de cette opération narcissique est que le choix d’objet n’a pas à être abandonné. Il y a une faible résistance de l’investissement, il revient toujours sur ce mot resistenz, et il y a une forte fixation à l’objet, bien sûr.
Donc, paradoxalement, le mélancolique est à la fois très dépendant de son objet et très narcissique. C’est du béton, le mélancolique. Moi, moi moi moi moi. Mais ce moi justement, ne peut fonctionner que dans cette fixation à l’objet mais l’objet n’est pas très important. Il est seulement important pour fixer son narcissisme. Et il dit : si l’identification narcissique avec l’objet devient le substitut de l’investissement d’amour, c’est que l’objet était un double narcissique du moi. A travers l’autre, je n’aime que moi-même. Finalement, je n’aime que moi-même.
GF : oui, et deux fois !
ML : oui, deux fois. Et c’est ça pour Szondi. On va voir. C’est la première fois qu’il utilise cette terminologie dans deuil et mélancolie. Il va, et ça c’est important dans la clinique, quand on travaille avec des gens qui ont des tendances mélancoliques, ou qui sont dans un deuil douloureux, il fait la différence dans ce texte entre l’identification narcissique et l’identification hystérique. Il dit que dans l’identification hystérique, elle se manifeste cliniquement dans un mime qui condense le désir de l’hystérique, c’est à dire le désir inconscient d’une identité sexuelle et la défense. Dans l’hystérie, la relation d’objet se maintient mais elle est interdite, et seul le symptôme, dans ce mime, et le rêve en sont des traces. L’identification hystérique ne touche pas le moi, ne transforme pas le moi. Au contraire, elle le protège. Elle permet que le moi reste intact. Elle le protège de l’angoisse. Et c’est souvent dans ces moments-là, au moment de tomber amoureux, au moment d’un événement où monte le désir, mais de quel ordre est cet objet ? L’investissement libidinal, etc, etc. Tandis que l’identification narcissique transforme le moi parce qu’elle amène la relation perdue et son conflit à l’intérieur du moi où il n’y a plus de protection. Et la conséquence de porter à l’intérieur du moi cette relation perdue et son conflit, c’est un clivage douloureux et c’est ça que va prendre Szondi de Freud. Un clivage douloureux entre l’instauration d’un tribunal intériorisé qui prononce un verdict, une impardonnable culpabilité du moi. Mais comment, tu oses dire que tu as aimé l’autre ? Paf, je constate que l’autre n’était là que pour moi-même parce que sans lui, je ne serais pas grand-chose. Mais, lui, l’autre, il n’a servi que pour moi, pour gonfler mon moi. Alors, là, si tu fais un accès mélancolique, je n’ai pas besoin de porter plainte contre toi, tu portes plainte toi-même, et le verdict est vite fait. Une impardonnable culpabilité. Et on imagine bien que Szondi a pris ça, lui l’homme paroxysmal, l’homme du juge, du tribunal. Il va prendre ça chez Freud. L’identification narcissique, dit Freud, altère le moi, transforme le moi mais le salaud de mélancolique, c’est un salaud le mélancolique, il préserve l’objet auquel il ne renonce pas. Il ne peut pas renoncer à l’objet et tant mieux qu’il ne peut pas, sinon il se tue… mais, dit Freud, pour son malheur.
SD : il est compatissant
ML : Non !! Je ne sais pas s’il compatit. Il ne comprend pas la douleur. L’identification narcissique et l’identification mélancolique sont synonymes et il va le développer en mettant en rapport le type du choix de la maladie. Et Abraham développe cette étape du développement libidinal et surtout la phase cannibalique. Je dévore l’autre, je le prends en moi. Les crimes passionnels sont souvent des crimes mélancoliques. Comme ça il m’appartiendra toujours et il ne bougera pas. Sauf quand moi je veux. Je peux le vomir. Là, il bouge. Donc il dit qu’il existe un moi qui choisit son objet, ça veut dire quoi, qu’il le dévore, qu’il l’incorpore, qu’il le transforme dans le moi. Pour Szondi, c’est très important. Choisir quelqu’un. Est-ce cannibalique ou pas ? Est ce sadique ou pas ? Il doit donc y avoir dit-il quelque chose de plus pour pouvoir l’incorporer.
JA : gardes-en pour demain.
rires
ML : oui. Vous êtes fatigués ?
Pourquoi je le garde en moi, pourquoi je ne peux pas le lâcher ? Parce qu’il y a de l’ambivalence. Si je ne le garde pas, l’autre peut me taper dessus, donc je le fais à mon image. Bon, et voilà, c’est tout. On verra ce qu’on fait demain matin.
Samedi 11 Janvier 2014
Georges a demandé de reprendre au point où Freud rajoute quelque chose. Et c’est vrai… là, j’ai pataugé.
C’est la première fois que Freud utilise cette notion-carrefour, l’identification inconsciente, l’identification narcissique ou l’identification mélancolique et comme toujours, pour essayer de mieux cerner l’identification narcissique, il la compare à l’identification hystérique. L’identification narcissique provoque une transformation du moi. Et dans la mélancolie, cette transformation du moi se produit en important la relation perdue et son conflit à l’intérieur du moi. Il va y avoir dans le moi ce clivage douloureux et ce tribunal intériorisé prononce un verdict, c’est à dire cette impardonnable culpabilité du moi.
LFC : Dans la mélancolie de Burton, il n’y a pas du tout cette notion de culpabilité ?
ML : Non, il dit très bien qu’il n’y a pas du tout de honte.
LFC : donc, là, on ne parle pas de la même mélancolie.
ML : mais le coup de génie de Burton, à la fin de la renaissance, c’est de décrire par la forme satyrique cette folie. Et chez nos peintres flamands, à la même époque, il y a cette monstruosité sans aucune honte.
LJ : il y a ce musée à Bruges qui est époustouflant
DP : Il faudrait aussi bien distinguer la honte de la culpabilité, en particulier chez Herman.
ML : Oui ! Et on disait hier que Freud n’avait rien inventé quand il écrit qu’il n’y a pas de honte dans la mélancolie.
LFC : Tu disais hier que Burton évoquait les critiques vis-à-vis du monde de la mélancolie, mais qu’il ne parlait pas des autoreproches tels qu’ils sont décrits par Freud.
ML : Oui, mais la manière dont Burton présente le mélancolique comme un acteur/auteur masqué qui se présente ainsi doublé, il existe toutes ces critiques qu’il se fait à lui même, à l’auteur, mais c’est lui l’acteur. Dans le moi mélancolique chez Freud, il y a aussi un doublement, cette instance critique divisée en deux, cette scission…
GP : D’où nait la culpabilité ?
ML : il n’y a pas de culpabilité en soi, mais cela peut aller jusqu’au délire de culpabilité !
GP : Et l’autocritique ?
ML : dans la mélancolie simple, non, il n’y a pas de culpabilité.
LFC : Mais quand le mélancolique tient des propos comme « et si je n’avais pas fais ceci ou cela, cela ne se serait pas produit »
ML : ah, ça, c’est la phénoménologie. C’est autre chose. C’est à partir du temps. Freud ne parle pas de ça.
LFC : Mais l’autoreproche ?
ML : L’autoreproche chez Freud est un reproche adressé à l’autre. Il y a deux instances dans le moi. Cette scission du moi. Le moi qui se reproche par le moi qui juge.
Public : c’est un jeu
Public : c’est un reproche à lui qui n’est pas lui
ML : c’est le moi. C’est un jeu d’acteur.
GP : Quand on dit « l’ombre de l’objet qui tombe sur le moi », en quoi consiste l’ombre ?
ML : L’ombre ? On ne sait pas. C’est par l’identification. Freud dit qu’on ne sait pas. C’est un travail très énigmatique. On ne sait pas comment on peut l’aborder. C’est qui l’autre ? C’est à partir de là qu’il va dire que le narcissisme existe par le mécanisme de l’identification. Il n’y a pas le narcissisme puis l’identification. C’est l’inverse. Il y a l’objet aimé et perdu qui va constituer le narcissisme. Et l’ombre de l’objet c’est cette combinaison entre le moi qui émerge à partir de cette identification. Mais on ne sait pas. Il dit en même temps que la libido qui est investit dans l’autre est peu résistante. Il n’y a pas grand-chose. C’est pour ça qu’il peut tomber sur le moi. Donc c’est une partie énigmatique de l’objet. Le mélancolique sait qui il a perdu, mais il ne sait pas ce qu’il a perdu. C’est quoi « ce » qu’il a perdu ? C’est ça qu’il a perdu.
LJ : L’autre il est juste là un peu présent ?
ML : Il est dévoré. C’est là où on va. Il est incorporé. Il ne reste rien.
LFC : l’objet peut changer ?
ML : le thème peut changer. Mais on reprendra ça plus tard. C’est une toute autre approche de Binswanger. Il a dit à Freud qu’il n’était pas allé assez loin.
Mais revenons à Freud. C’est crucial de bien comprendre ce qu’est l’identification. Si l’identification est le stade préliminaire qui rend possible le choix d’objet – l’ombre de l’objet a à voir avec le choix de l’objet qu’on fait. Et on avait dit hier soir, que le choix d’objet était ancestral… pour m’aimer moi-même, quelle est la trace de l’arrière grand-père ou de l’arrière grand-mère dans mon choix d’objet ? Déjà dans le choix d’objet d’amour, il y a une ombre de l’ancestral. Mais on n’en sait rien. Même douze ans d’analyse sur le divan ne va pas découvrir nécessairement la trace de l’arrière-arrière grand-père ou grand-mère dans notre choix d’amour.
GP : ça sert à quoi alors ?
ML : à rien ! (rires) à s’occuper un peu !
Public : à s’endormir ! (rires)
ML : à payer sa culpabilité qu’on s’endort auprès de quelqu’un sans plus ! (rires)
DP : qu’on s’endort à l’ombre ! (rires)
ML : si l’identification, dit Freud, est la première manière dont le moi élit son objet, alors elle est l’œuvre du narcissisme puisqu’il existe un moi qui élit son objet. Et c’est toute cette dialectique chez Freud ! L’identification manifeste fait apparaître le moi. Sans le mécanisme de l’identification, on ne peut pas parler du Moi. Aimer l’objet dit-il, c’est le dévorer, c’est l’incorporer, c’est le transformer dans le moi. Et il ajoute qu’une telle incorporation n’entraine pas, pour chacun de nous, une mélancolie. Cette incorporation est nécessaire pour nous tous, mais cela n’entraîne pas pour nous tous une mélancolie, ou une position dépressive, comme chez Mélanie Klein. Freud dit qu’il doit y avoir dans la relation narcissique du mélancolique quelque chose de plus que l’incorporation pour provoquer la mélancolie. Et c’est là qu’il parle de l’ambivalence, de l’intensité de l’ambivalence. Et il va, pour une fois, être d’accord avec un élève, Karl Abraham. Il va se référer explicitement à Karl Abraham et à ce qu’il avait élaboré autour de la dépression névrotico-obsessionnelle.
On connaît bien l’ambivalence obsessionnelle mais qu’est ce qui fait qu’il y a cette dimension dépressive dans la névrose obsessionnelle ? Freud dit que le deuil pathologique de l’obsessionnel a un lien avec les autoreproches qu’il se fait. Il se sent responsable de la mort de l’objet. Après la mort, nous sommes en présence de ce que le conflit d’ambivalence produit à lui seul. Il n’y a pas de retrait de la libido dans le moi et les autoreproches se produisent tout seuls. Les autoreproches procèdent du retournement des pulsions sadiques et haineuses sur le moi mais le moi ne disparaît pas. Ce retournement s’opère par identification à l’objet mais le moi reste intact dans la névrose obsessionnelle. C’est une scène. Il va jouer sur la scène devant lui cette structure d’ambivalence de la haine et de l’amour mais le moi reste spectateur. Ça, c’est l’approche de Lacan de la névrose obsessionnelle. Il va se mettre dans les gradins d’une arène et il se regarde sans savoir que c’est lui qui est dans l’arène en train de tuer l’autre. Personne ne sait que c’est lui et lui d’abord mais il n’empêche que lui, il regarde bien.
GP : oui, comme tous les névrosés
ML : oui, exact
GP : comment peut-on entendre la dimension du sevrage par rapport à la perte de l’objet?
ML : dans le deuil, comment je peux me sevrer de quelqu’un ?
GP : comment une crise vitale se résout en intention mentale ? Tout à l’heure, tu parlais d’incorporation d’objet, c’est un objet réel qui est incorporé. Le lait… il est arrêté… le lait est au bébé mais le sein est à la mère... Tu parles de la dimension cannibalique… c’est parce que l’enfant refuse de perdre le sein qu’il va le représenter. Donc la dimension cannibalique…
ML : mais Freud dit : qu’est ce qui fait que cette incorporation n’entraîne pas pour chacun d’entre nous une mélancolie ? C’est là où il dit qu’il faut quelque chose de plus. Et donc, il prend Abraham et dit qu’il ne faut pas seulement une dimension orale mais aussi une dimension anale. Cette ambivalence, ce conflit, cette haine sont nécessaires pour déclencher une mélancolie.
GP : le corps est orienté alors
ML : je ne sais pas si le corps est orienté, ça c’est un autre langage
GP : il y a la bouche d’en haut et la bouche d’en bas.
ML : oui, ça, ce sont des images du corps. En tout cas, ce n’est pas le langage de Freud.
GP : non, mais c’est pour voir s’il y a des liens, pour pouvoir l’articuler.
ML : quel est le langage d’Aulagnier ? Là, c’est presque des pictogrammes. Peut-être que c’est à partir de là, des textes de Métapsychologie et les autres, ce qu’on expulse et ce qu’on garde.
GP : quand tu parles de l’ombre de l’objet, cela me fait penser à comment cela tombe dans le corps.
ML : oui, mais, ce n’est pas le langage de Freud, ça.
GP : le moi n’est pas constitué, il est en phase de constitution
ML : moi, j’aime bien quand Freud dit que le moi n’existe pas. C’est par l’identification qu’on voit que le moi marche. S’il n’y avait pas d’identification, il n’y aurait pas de moi. Il y a cette dialectique entre l’identification et le moi. L’un ne va pas sans l’autre. Le narcissisme ne fonctionne que s’il y a identification. Ça, c’est la trouvaille de Freud. Le moi se constitue par l’identification. Et on voit bien dans les névroses et surtout dans la névrose obsessionnelle où il y a la question de la haine et du sadisme plus que dans les autres névroses, -la haine n’est pas primordiale dans l’hystérie, au contraire c’est plutôt l’idéal-, on voit bien que le moi n’est pas touché, il n’est pas transformé. Il regarde, intact. Il va rester intact. Et personne ne s’aperçoit que c’est lui qui est en question. Il peut projeter dans l’arène ce qui se passe. Lacan utilise l’image de l’arène pour rendre compte de ce qui est énigmatique pour Freud, ce travail intérieur.
GP : l’arène intérieure a son pourtour de gravats
ML : je ne sais pas
GP : c’est Lacan, quand il parle du moi.
ML : Ah bon ?
GP : Oui, pour Lacan, le stade du miroir, c’est dans les 6-18 mois
ML : Oui, oui, oui… mais il a toujours dit que c’était pour faire plaisir à je ne sais qui….
GP : c’est d’abord dans l’autre que je me reconnais. C’est le premier temps.
ML : oui, la me-connaissance est une méconnaissance, oui.
GP : c’est propre à l’être humain
ML : ce qui est important pour Freud et je ne sais pas s’il aurait été d’accord avec Lacan, c’est « explique-moi ce moment jubilatoire ». Il constate chez le petit, quand il va s’aliéner dans cette image, que cela provoque un moment jubilatoire. Ce qui intéresse Freud c’est ça. « Qu’est ce que c’est ce moment jubilatoire ? » « je ne peux pas expliquer la joie triomphante du maniaque ni la douleur du deuil. ». Qu’est ce qui est de la joie dans l’aliénation ?
JA : sur la figuration de la mort, est ce qu’on a des petits mélancoliques ? Cela arrive plus tard la mélancolie.
ML : je ne crois pas. Il y a profondément des structures maniaco-dépressives chez tout le monde mais il n’y a pas de mélancolie chez tout le monde. Freud dit que la mélancolie est un trouble du moi. C’est un trouble du SCH dans le Szondi. Il y a des dépressions partout, c’est universel, mais pas de mélancolie. Non, il n’y a pas de petits mélancoliques. Dans la littérature peut-être… Baudelaire appelle sa maladie une petite mélancolie.
JA : à l’adolescence, c’est une étape quand même…
ML : non, ce n’est pas une étape. Il y a des moments de joie, il y a des moments de vide, on ne peut jamais expliquer pourquoi, c’est ça qui donne le rythme de la vie. Quand il n’y a plus ces alternances, cela peut s’immobiliser et devenir une maladie. Mais cela n’a rien à voir avec l’adolescence ou les petits… en tout cas, les petits, les ados, les adultes sont des coupures qui ont été introduites à la fin du XIXème, avant cela n’existait pas. Donc, il faut arrêter de dire que cette classe d’âge correspond à quelque chose de spécifique…
JA : c’est quand l’enfant commence à penser la mort.
ML : c’est quoi la mort pour un enfant ? C’est quelque chose qui ne continue pas à naître. « Mon lapin qui meurt, c’est plus important que la mort d’un grand parent qui a vécu 100 000 ans… tout le monde pleure le grand-père et personne ne s’intéresse à moi qui pleure mon lapin qui a vécu 2 jours. » ça marque un petit. C’est ça la mort pour un petit. C’est de ne pas pouvoir continuer à naître. « Ah, vous avez tous un délire d’immortalité, vous ! » Le mortel est impossible pour le petit. « Mais vous êtes impossibles ! » C’est ça la mort pour le petit. « Laissez le grand-père ou le grand-mère tranquilles, ils ont fait plein d’enfants, ils peuvent être tranquilles maintenant ». Ce qui intéresse l’enfant dans un petit oiseau qui est mort, c’est comment le faire renaître.
Et Freud demande ce qu’est le suicide. Hier on posait la question pourquoi la mélancolie fascinait tant les gens. Parce qu’il y a cette question de la fureur, de la haine, du chagrin et le mystère du suicide. Pourquoi on ne peut pas attendre la mort ? Pourquoi on se la donne ? Pourquoi on est impatient avec quelque chose qui est là ? Qui ne s’est jamais trompé dans l’histoire. Personne n’est jamais devenu immortel.
GP : le germen est immortel dit Freud dans Introduction au narcissisme.
ML : ah peut-être… oui… elles ne peuvent pas se suicider.
Le retournement de cette haine peut avoir dans la mélancolie des effets catastrophiques. Et c’est ça qu’explique bien la phénoménologie. Et c’est peut-être cette approche-là du suicide qui a ouvert le champ de la phénoménologie. Il n’y a qu’un acte, et je trouve ça terrible, qu’un acte transcendantal vital du mélancolique, c’est le suicide. C’est ça qu’a abordé la phénoménologie.
Freud dit que c’est le sadisme qui fournit l’explication de cette énigmatique tendance au suicide. Freud dit, et je lis : « L’analyse de la mélancolie nous enseigne que le moi ne peut se tuer que lorsqu’il peut, de par le retour de l’investissement d’objet, se traiter lui-même comme un objet, lorsqu’il lui est loisible de diriger contre soi l’hostilité qui concerne un objet et qui représente la réaction originelle du moi contre des objets du monde extérieur. » Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il peut se tuer.
Et on retrouve ça chez Abraham. Cette tendance énigmatique au suicide. Pour Abraham, et moi j’aime bien ça, la mélancolie est la forme archaïque du deuil. Il y a un moment introjectif cannibalique dans le deuil. Il n’y a qu’à regarder les rites funéraires. Il va mettre l’accent sur le lien entre le cannibalisme, le deuil et la mélancolie. Il va développer quelque chose que Freud n’avait pas vu, c’est l’introjection du mort. Pourquoi on garde le mort. L’introjection du mort qui assure la pérennité du mort à l’intérieur du moi. L’objet aimé qui meurt survit dans le moi. C’est très actuel. Par exemple, cette énigme de ceux qui ont survécus dans les camps et qui se sont suicidés comme Primo Lévi, Bettelheim. L’objet aimé métabolisé dans le moi est le seul moyen que le moi puisse continuer à vivre. Abraham dit que le moi ne dispose que de cette seule ressource narcissique, l’introjection métabolisée pour garder l’objet et pour se maintenir en vie. Si on va se sevrer de l’objet aimé, on meurt.
Public : Le moi meurt.
ML : On meurt ! Le suicide peut arriver !
Moi, j’adore faire des entretiens avec des gens à qui on peut demander, sans qu’on nous prenne pour des fous, d’aller chercher une chaise pour les morts. Et on peut ainsi avoir 6 ou 8 chaises, comme ça, autour de nous et comme le dit von Weizsäcker, on fait le tour, on demande la permission pour faire la conversation. Au lieu de les éliminer, de dire qu’on va les oublier ! C’est ça qu’il dit Abraham. Le moi ne dispose que de cette ressource narcissique pour se maintenir en vie. Mais mon cœur gonfle. Tu t’imagines tous ces morts qui sont là ! Et là-dedans, il peut y avoir des gens que j’ai beaucoup aimés, une arrière grand-mère par exemple... Et il dit que dans la mélancolie, à travers les autoreproches, dans le fait de dire que je suis un monstre, que je ne vaux rien, que je suis le plus mauvais, etc., etc., et bien, dans ces autoreproches, il y a une énorme toute-puissance. Il y a une surestimation de soi. Et c’est là-dessus que Szondi continue. Il y a une toute-puissance inversée. Et celui qui se prend pour rien du tout ne se prend pas pour rien. La part du moi qui est ainsi surestimée, c’est la haine. C’est la haine qui est énorme. Cette démesure en négatif dit Freud, cette démesure de la haine, -qui touche le moi bien sûr-, cette démesure démoniaque laisse percer le narcissisme mélancolique. Abraham dit qu’il y a souvent chez le mélancolique quelque chose de Faust. Un des plus grands textes de la littérature, c’est Faust. Le pacte avec le diable. A Louvain, il y a un prof, qui est mort maintenant, qui a consacré toute sa vie à un petit texte de Freud sur un peintre « La névrose démoniaque au XIXème siècle ». C’est un tout petit texte d’une dizaine de pages. Et ce prof a consacré toute sa vie aux archives de ce texte. Quel était ce peintre, quel était son délire, et quel était ce pacte avec le diable, le contexte de Faust, quand Starobinski décrit Méphistophélès comme un grand mélancolique, c’est parce qu’il s’identifie au diable. Cette haine diabolique ! ça c’est le rapport de Abraham à la mélancolie. Cette ambivalence qui va aller jusqu’au délire démoniaque ! Voilà. C’est un peu plus clair qu’hier soir ?
On passe à qui ? Tellenbach ?
Cette pensée psychiatrique qui passe par la sémiologie chez Kraepelin, passe aussi par une méthodologie typologique. Et Tellenbach va constituer une méthodologie centrée autour du type mélancolique. Mais qu’est ce que ça veut dire « type »? Son livre La mélancolie n’est plus édité. La première édition était en 1961 et la troisième en 1976. Il a aussi écrit un livre « Goût et atmosphère ».
Donc on va aller dans un monde qui n’est plus du tout un monde mécanique. On peut dire tout ce qu’on veut, que la logique psychanalytique est géniale, mais cela reste un peu mécanique. On va substantifier des termes et on va essayer de les associer l’un à l’autre par des mécaniques. La phénoménologie, elle, va essayer de rendre possible toutes ces mécaniques. Ils sont bien ces concepts, mais ils viennent d’où ? Qu’est ce qui les rend possibles ? On arrive dans cette zone-là. On doit faire un tour dans la tête et passer d’une pensée mécanique à une pensée de possibilité. Tellenbach fait la différence entre un symptôme et un phénomène. Il part d’un exemple très simple : le névrosé obsessionnel est hanté par la propreté et le symptôme est toujours le même ; par exemple il passe son temps à se laver. C’est un symptôme. Mais l’analyse phénoménologique met en évidence une intentionnalité tout à fait divergente du même symptôme. L’analyse phénoménologique n’explique pas le symptôme mais essaye de voir quelles sont ses possibilités. Dans un cas, c’est possible que cela soit pour éviter de salir les autres et dans un autre cas, c’est pour se débarrasser de la saleté qui est sur lui. Ce sont deux phénomènes très différents. C’est à partir de là qu’il fait la différence entre le symptôme et le phénomène. La phénoménologie étudie les phénomènes et pas les symptômes. Dans mélancolie et manie, Binswanger dit qu’il faut dépasser la symptomatologie. D’accord Freud, d’accord les autoreproches, l’absence de honte, d’accord l’objet perdu. Mais ce qui intéresse les phénoménologues sont les conditions de possibilité de la thématique. Ce qu’il va appeler la thématique. Ce qui se détache du thème pour nous ouvrir un autre espace. Dans un premier temps, on laisse les symptômes et on va étudier ce qui les rend possibles. Phénomène. L’analyse phénoménologique s’occupe des phénomènes. C’est ce qui est le plus souvent caché, l’intentionnalité est le plus souvent cachée : il ne peut pas s’empêcher de se laver mais on ne sait pas son intentionnalité. Le symptôme nous montre quelque chose qu’on est tenté d’expliquer parce qu’on a toute une conceptualisation d’avance, un modèle théorique, nosologique, comportementaliste, psychanalytique, etc. qui nous donne un moyen pour interpréter le symptôme. Je ne peux pas arrêter de me laver. Le comportementaliste va donner un sens complètement différent d’une approche psychanalytique ou interactionnelle ou je ne sais pas quoi. Donc, le symptôme qui nous tombe dessus est interprété selon une afférence diagnostique. Cela n’intéresse pas la phénoménologie. Elle étudie seulement le phénomène. Ce n’est pas un indice de maladie comme dans la symptomatologie mais c’est une manière d’être qui est directement liée à l’expérience phénoménologique. Ça, c’est la première chose, la différence entre symptôme et phénomène.
Deuxième chose : Tellenbach va approfondir un vieux concept qui reprend Platon, Aristote, il reprend cette idée fondamentale, la physis et il va donner ce concept profond qui englobe tout : l’endon. Qui va donner endogène. Pourquoi il fait cette sorte de métaphysique ? On lui reproche. Comment ! Tu fais de la philosophie, tu ne fais pas de la clinique. Il dit qu’il utilise ce terme car toutes les explications somatiques, biologiques, psychologiques, psychanalytiques sont insuffisantes. Parce que cela ne peut pas expliquer la globalité de la maladie. Il constate que Freud, dans « Deuil et mélancolie », en faisant un tableau de la symptomatologie de l’être humain dans un état dépressif n’explique pas. Il n’explique pas pourquoi le dépressif ne peut pas se lever et fait la fête le soir. Il ne peut pas l’expliquer. Il le constate. Pourquoi il y a cette asthénie ? Pourquoi il y a cette lourdeur? Freud dit bien que la douleur, la joie, il ne peut pas l’expliquer. Tellenbach plaide pour une approche endogène, c’est à dire pour penser ensemble les modifications nycthémérales, c’est à dire les troubles de rythme et les mécanismes psychiques. Le processus endogène, l’endokinèse, le mouvement de cet ensemble pour pouvoir penser tous ces phénomènes ensemble. La mélancolie de Tellenbach est un grand classique. Moi, je l’aime beaucoup.
Donc il reprend ce concept grec de physis, la nature d’Aristote et il traduit physis par endon pour décrire le processus comme source d’énergie, energeia, le processus de nature qui rend cohérent dans un ensemble le moi et le monde. On ne va couper le dedans et le dehors. En psychanalyse, souvent on coupe le dedans et le dehors. Il n’y a pas de coupure. Il y a toujours une réciprocité entre le dedans et le dehors. Chez Lacan aussi ! La bande de Moebius, c’est bien pour dire qu’il n’y a pas de coupure entre le dehors et le dedans. La mélancolie chez Tellenbach est une révélation de cette liaison originaire du moi et du monde et du monde et du moi qui se manifeste sous des formes spécifiques dans des situations spécifiques. On quitte le mot objet. On quitte la logique de l’objet et on passe à une logique de la situation. Il ne parle plus de l’objet. Oublions le mot objet. Et Lacan, il est mignon avec son objet a ! C’est une trouvaille mais… pfff… il faut chercher sa queue à l’objet a, hein ! Là, la phénoménologie dit fini l’objet ! Fini ! On parle de la situation. Et bien, ces formes et ces situations est ce qu’il appelle endogène. Cette liaison originaire du monde et du moi se montre dans la mélancolie sous des formes spécifiques dans des situations spécifiques. Ça, c’est la deuxième chose. Première distinction symptôme/phénomène, deuxième distinction, objet/situation. Bon, c’est ainsi que j’ai abordé la mélancolie. C’est un livre difficile et je l’ai abordé ainsi pour que vous puissiez le travailler, le concept d’endon.
Troisième chose : la description d’une structure typique. Le type mélancolique qui vit dans des situations caractéristiques, on donnera des exemples, ces types mélancoliques qui ont un vécu qu’il ne faut pas bouger. J’anticipe : quand vous travaillez en psychiatrie ou dans la santé mentale, toutes ces conneries, on entend : « on a un projet pour lui ! Il va se déplacer. Il va venir à un atelier. ou si on est un peu pervers, il a 25 ans, il pourrait sortir de la maison familiale, de la niche, il faut qu’il déménage ! ». Aaaah. Quand quelqu’un est touché par le type mélancolique, attention ! Il peut là, glisser inévitablement vers un état mélancolique. Et Tellenbach dit que deux concepts sont importants : situation et type. Qu’est ce que la situation ? Comment dit-on que l’homme n’est pas un objet mais en situation ? L’être humain est lié aux autres par être en situation de. Une relation originaire entre une personne et le monde qui n’est pas statique et qui produit. La relation est une production constante de l’être au monde. En français, ils ont forcé le mot : l’être au monde situationne constamment le monde. Il n’est pas objet, il situationne toujours. Et cette situation qu’il situationne, elle est vécue. Et Tellenbach dit que la vie humaine et une succession permanente de vivre des situations. On utilise ce mot tout le temps et on ne s’y arrête pas. La phénoménologie le fait et s’arrête sur les mots qu’on utilise souvent et auxquels on ne fait pas attention. « Il est dans une situation difficile ! ». Si on fait attention, on peut voir que l’on utilise énormément ce mot « situation ». Il dit : « la situation du type est quelque chose qui se laisse appréhender comme produit par la typique d’une personne. » dans le commerce les uns avec les autres, comment je peux situer le par rapport à l’autre ? Parce que sa situation est typique. Le type constitue le contexte de renvoi aux autres hommes comme telle ou telle situation de telle ou telle personne. Je cite Tellenbach : « Le type situationne ceux-ci selon leur spécificité propre. » Cela arrive, quand on dit qu’on reconnaît telle ou telle personne à sa façon de marcher, à son pas. Il n’a même pas besoin de parler. On le reconnaît. C’est typiquement lui. Le « typiquement » renvoie à la situation du sujet d’être au monde.
LJ : est ce qu’on peut parler de singularité ?
ML : c’est plus large, car la singularité, on ne peut pas en faire un ensemble. Le type situationne selon leur spécificité. Tout le monde est singulier mais ce n’est pas pour autant qu’on peut le nommer. La méthodologie de la typologie renvoie aux autres. De se situer dans un ensemble. Et la connexion entre type et situation se montre, dit-il, dans deux mécanismes fondamentaux de la mélancolie : l’includence et la rémanence regroupés dans le mot intraduisible, je ne sais pas comment ils l’ont traduit… ordentichkleit, l’esprit d’ordre. Ordentichkleit est le mot fondamental, difficile à traduire : c’est quelqu’un qui vit selon un ordre dans le temps et dans l’espace mais aussi la manière. Il vit selon la morale. Il faut vivre comme il faut. Il faut s’adapter aux convenances, selon le sens du devoir. « Mets-toi correctement à table. Quand on est en famille, tu peux laisser rouler ton tracteur sur la table, mais quand il y a des gens qui viennent, il faut être convenable. Les convenances c’est pour le public. » « Je ne comprends plus rien. Pourquoi faut-il être comme ça quand quelqu’un vient ? Est-ce le représentant de la morale ? Il y a le représentant des machines à laver et le représentant de la morale. ! » Pour le petit, c’est quelque chose ! Cela s’apprend mais ne se comprend pas. Le texte de Maldiney, Comprendre, parle de ça : il y a en nous, dans notre vie, une césure, entre apprendre et comprendre. J’apprends des choses que je ne comprends pas. Et je peux demander à mes parents, mais ils sont bouche bée : « c’est comme ça ! Tu te tiens droit quand les grands parents viennent ! ». Tout cela est inclus dans le concept ordentichkleit.
Au niveau de l’espace, Tellenbach dit qu’il y a une tendance au maintien de tout ce qui est donné : le d-. Il y a quelque chose qui est là, qui est donné. Vous êtes mariés, vous êtes heureux. Qu’est ce que vous avez encore à faire dans votre vie ? Le garder ! d- ! Retenir, garder, conserver. Cette tendance à maintenir ce qui est donné. Ce peut être toute la vie. Et quand il y a un mort ou une maladie dans une famille où je m’épanouis, ça peut glisser vers la mélancolie. Donc, quand on travaille en clinique, c’est très important de toujours tenir compte de la situation qui peut changer d’un jour à l’autre.
Au niveau du temps, ce sont des gens qui sont des fanatiques du programme. Le goût de ce qui est programmé, de tout ce qui peut se programmer. En 1961, il donne l’exemple prophétique des programmes de télévision. Depuis les années 60 ils se sont multipliés ! Enormément ! Il y en a maintenant une quarantaine. On les trouve près de la caissière dans les supermarchés. Et ça touche profondément l’esprit d‘ordre, l’ordentichkleit. Donc ils vont jouer avec ça, et ça produit des conneries ! J’ai demandé à la caissière : mais vous en vendez combien ? Elle m’a répondu : énormément ! Et il paraît qu’il y a une lutte terrible pour celui qui sera proposé juste à côté de la caissière. Vous ne vous êtes pas aperçus ? Et bien, je crois que si on veut faire de la recherche clinique, ce sont les endroits où il faut aller, où les gens sont en situation. On ne va pas étudier quelqu’un mais on va étudier le vécu dans telle ou telle situation. Et quand on regarde des personnes qui vivent leur petite vie dans leur petite maison, on n’a pas à juger, il y a toujours tout près, la télécommande et un programme TV. Ça fait de l’ordre dans leur vie. C’est ça le travail clinique ! Il dit ça en 62, Tellenbach ! Cet esprit spéculatif, il était un homme très grand, imposant, sérieux. Et il racontait ces histoires là au bistrot, il prenait un Schweppes… il avait un humour… Chaleureux, très chaleureux, timide, et qui raconte qu’il avait été voir des caissières de supermarchés pour demander… et moi j’étais jaloux, et j’ai fait la même chose. Et c’était aussi pour organiser à La Borde un atelier télé et pour ne pas qu’il y ait le soir la bagarre pour regarder les programmes. Il y avait un petit gamin que je suivais, et son paroxysme montait, montait parce qu’il cachait la télécommande… la dernière fois, je lui ai dis : je vais trouver pour toi, pour Noel, une télé doudou. Mais je n’en ai pas encore trouvé. D’ailleurs, j’en profite pour vous demander : est-ce que vous savez où je pourrais trouver une télé doudou ?
GP : il te faut aussi un plaid… et un oreiller…
ML : oui, c’est ça que je cherche… allez tu me le donnes
Public… rires
ML : donc l’esprit d’ordre au niveau de l’espace et du temps donne aussi d’autres traits de ce type mélancolique : un degré élevé d’auto exigence, bien sûr. C’est une sur-identification au rôle social, professionnel, ou intime. Il n’y a pas de distance entre le moi et le rôle. Il n’y a rien de pire pour quelqu’un qui est touché dans cette zone de la vie de l’esprit et de l’ordre, il n’y a rien de pire que d’être dans la solitude. Il n’y a rien de pire parce qu’ils ne peuvent pas s’identifier à un rôle. Ils sont seuls. La vie du type mélancolique est donc, dit-il, une vie qui est soumise au travail, au devoir et à une conscience morale pour garder l’ordre pré-donné. Le travail, le devoir, la conscience morale sont les gardiens de l’ordre pré-donné. Que cela ne bouge pas. Si ça bouge, si il y a un changement, il y a peut-être quelque chose qu’il n’a pas bien fait. Il est en faute. Il y a chez ces types mélancoliques, toujours une menace de la faute. Ils prennent tout au sérieux. Et c’est par là qu’il aborde Kierkegaard. Il a écrit un livre sur Goethe et Kierkegaard pour préparer son livre sur la mélancolie. Il a fait une sorte de pathographie de Kierkegaard et de Goethe comme tous les deux types mélancoliques en disant que tous les deux prennent tout au sérieux. Il donne plein d’exemples. Et il y a le texte de Kierkegaard sur le sérieux. Il n’avait pas le choix de ne pas travailler. Il dit par exemple de Kierkegaard qu’il met en question toutes ses constructions de système qu’il brise. Pourquoi ? Pour délimiter autrement. C’est ça le sérieux. Tout ce que je vis doit être délimité. Avec des limites très précises. Et c’est là-dedans qu’il s’enferme dans les limites et c’est à l’intérieur de ces limites qu’il peut trouver un équilibre et une certaine indépendance. Je suis même indépendant de Dieu, dit Kierkegaard. Je suis dans la foi mais je fais des péchés pour montrer mon indépendance par rapport à Dieu. Parce que je l’ai délimité dans ma vie. Ce n’est pas celui-là, ce n’est pas celui-là, ni celui-ci… mais celui-là.
Donc cet équilibre et cette indépendance sont extrêmement fragile parce qu’il n’y a pas d’ouverture au changement. Et quand il y a un changement, c’est un changement pour pouvoir le délimiter tout de suite. Il n’y a jamais que des buts proches et il ne peut pas vivre dans la perspective. Ça, c’est la première grande chose, c’est la grande auto exigence.
La deuxième tendance est la tendance à la communication symbiotique. Pour Tellenbach, communication symbiotique c’est faire pour autrui. Il fait pour autrui, il fait à la place de l’autre, pas comme un masochiste mais pour ne pas être en faute ou en dette. Si l’autre fait quelque chose pour moi, je pourrai lui être redevable. Non ! Pas de dette ! Surtout vers l’autre familial.
Alors, dette. C’est difficile en français. Pour nous c’est facile. Debet. Débit. Dans le sens financier. C’est dans ce sens là.
JA : parfois, on vient au secours des surendettés et on leur raye leur ardoise
ML : ça, c’est terrifiant pour le mélancolique. Toutes ces conneries sont terribles pour le mélancolique, c’est invivable.
GP : on n’en voit plus des mélancoliques !
ML : on n’en voit pas parce qu’ils sont trop proches. Ils sont là !
SD : ils sont partout !
(rires)
ML : ils sont là ! Viens un peu à La Borde. Il y en a qui tombent profondément malades et qui sont dans une souffrance suicidaire, dans une souffrance d’errance… comment se fait-il qu’ils n’arrivent pas à faire les formalités administratives ? C’est parce que leur spécificité typique est interpellée et ils ne peuvent pas faire les changements. Va à la préfecture pour faire ton passeport. C’est rien du tout mais c’est énorme ! Le type mélancolique qui peut glisser à ce moment là…
Donc, faire pour autrui ou ne pas rester en faute dans le sens du débit, et c’est une terminologie de Heidegger, une sollicitude particulière. J’assume à la place de l’autre toutes ses tâches. Tous ses besoins, tout ce qu’il a à faire… je le fais à la place de l’autre. Cette sollicitude, fürsorge, j’anticipe, la protention du souci. Tous ces traits reposent sur une double négation : ne pas être non-ordonné, ne pas être non-actif. Ne demande pas à un type mélancolique de ne rien faire aujourd’hui ! Rien faire ? Aaaaaah ! C’est une catastrophe. Ne pas être indifférent. Ne pas être non-parfait. Tu t’imagines la souffrance ?
Et c’est là que Tellenbach arrive avec les deux concepts : l’includence et la rémanence.
C’est quoi l’includence ? Les limites, comme on l’a dit, sont capitales et elles protègent de ce qui peut compromettre l’ordre. Le type mélancolique, et là on arrive petit à petit dans le paradoxe, dans la contradiction insupportable qui va amener la crise, et qui va glisser inévitablement à l’état mélancolique, donc, le type mélancolique doit être séparé de ce qui peut le menacer mais en même temps il exige la proximité des autres et la proximité aux autres. Et là, -c’est le noyau de son raisonnement et là il donne plein d’exemples-, cette antinomie interne est toujours dans un équilibre critique. Il est toujours plus ou moins en crise. Et la crise devient vraiment menaçante, peut exploser quand il s’enferme dans des limites qu’il aurait à dépasser pour réaliser ses autoexigences. Il ne peut pas arrêter de travailler et quand il travaille, il doit bien faire. Il est trois heures de l’après-midi, il a fini ce qu’il devait faire. C’est parfait. Aaaaaah… il reste jusqu’à 11h du soir. Pour pouvoir continuer ses autoexigences, il doit dépasser ses limites. Donc tous les jours, il y a une possibilité de crise. Donc il doit programmer, et on doit le laisser pour qu’il puisse programmer un travail jusqu’au soir. A La Borde, ce n’est pas grave si la vaisselle est finie à 5h. Enfin, ça dépend avec qui ! Si certains sont touchés par ce situationnel mélancolique, ce n’est pas grave s’ils finissent la vaisselle vers 5-6 h de l’après-midi. Ce n’est pas grave. Mais il y a des obsessionnels et ce n’est pas du tout la même chose que le type mélancolique. Ils veulent que cela soit propre à 2h parce que sinon les microbes vont se balader, jusqu’à 5 h ça va pas non ? Et il y a de la viande de porc qui traîne encore à 4 h de l’après midi et qu’on doit remettre le couvert à 7h, tu t’imagines le bordel ? Mais ça soigne le type mélancolique ! Ce n’est pas cher pour la sécurité sociale.
LFC : On pourrait dire que chez l’obsessionnel, il n’y a pas cette notion de sérieux ?
ML : oui, tout à fait. Exact ! Il y a cette délimitation mais pour ne pas tuer. Il ne faut pas laisser trainer les microbes, car ils peuvent tuer quand même, et en même temps, c’est ça que je veux, mais de façon cachée. Cette collusion, comme dit Freud, entre le désir et la mort. Je désire qu’il crève, mais quand même, non… ! Je ne peux pas le montrer ! Tout ce travail paroxysmal qui peut amener jusqu’à la crise.
C’est le phénoménologue Kuhn qui parle de l’includence et de sa pathogénie dans la dépression du déménagement. C’est un phénomène qui a été très étudié par Kuhn, Zutt, etc. : ils situationne le monde comme maison. Et s’y enferme en lui donnant de l’espace et en s’y fixant. Très sensible à ce qui est changement de maison, au déménagement, au changement dans l’aménagement. Dis-moi comment ta chambre est aménagée et je te dirai qui tu es. Qu’est-ce que le travail thérapeutique, le prendre soin de ? Ce n’est pas de creuser son âme, c’est mettre de l’ordre dans sa maison, dans sa manière de situationner son monde. Donc, on fait le ménage dans sa chambre. Et plus personne n’accepte de faire ça. Les infirmiers ne le font pas, les aides-soignants ne le font pas parce qu’ils donnent le bain, il faut des équipes d’entretien, des techniciens de surface, ou quelques âmes qui se dévouent pour faire le ménage, mais ça devient de plus en plus dramatique à La Borde. Il y a des gens qui viennent en stage et des gens les manipulent vite, ils sont superbement touchés et ils prennent le balai. Ou des gens passionnés…
GP : vous ne faites pas l’analyse des pratiques ?
ML : Mais justement ils en font trop. La pratique, c’est la pratique de la clinique et pas la pratique professionnelle. Et dans l’analyse des pratiques, on fait de l’analyse institutionnelle, et là, bien dis donc, bravo ! On peut en parler !
Il situationne le monde comme maison. Quand il déménage, il doit dépasser des limites de l’ordre de l’habitat, et cela ne passe plus. Ça, c’est l’includence.
La rémanence, au niveau du temps. Ça, c’est la phrase, superbe, peut-être la plus originale du livre de Tellenbach : la menace de rester derrière soi. De rester derrière ses exigences à soi, mais surtout de rester derrière soi. Il est dans tous les cas, dit Tellenbach, l’être en faute quant à ses exigences, en ce qui concerne l’autre, la coexistence avec l’autre, les tâches à faire. Il est toujours derrière. Trop tard, en faute ! Le sentiment de faute apparaît comme le facteur décisif de la rémanence. Qu’est ce que ça veut dire ? Il donne deux exemples. Le premier dans le domaine professionnel : où est-il structuralement toujours en faute ? Il doit être, - ça, c’est totalement spéculatif de la part de Tellenbach, mais on le reconnaît tout le temps dans la vie quotidienne-, il doit être constamment actif, sans jamais remettre au lendemain. La perspective du type mélancolique est limitée à la journée présente, mais il exige en même temps l’exactitude et la justesse de ce qu’il fait.
LFC : l’includence est à l’espace ce que la rémanence est au temps.
ML : oui. donc il est toujours dans cette antinomie et à un moment, ça explose et il glisse dans l’état mélancolique. Dans la relation à l’autre, il se fixe le devoir d’être correct, il se fixe la tâche d’assurer la vie de ses proches. Et là, la perversion de la société… les assurances-vie. Bien sûr que c’est une clientèle énorme les types mélancoliques ! Qui ne va pas à la banque se faire une assurance vie ? S’assurer la vie ? C’est à dire se fixer, dans une délimitation donnée, la mort ? Il se fixe donc la tâche d’assurer la vie de ses proches. Ce qui exige, entre autres, l’indépendance matérielle. « J’ai ma cagnotte sous ma couette, et personne ne sait combien et ma tendre épouse me soupçonne que je vais voir les putes, parce que je lui cache, mais cela est pour s’assurer que je pourrais payer demain l’hôpital ou les lunettes… et quand elle dit que je vais voir les putes… » tchack… catastrophe mélancolique. Il ne comprend pas.
Donc cela conduit à la surestimation de l’argent. Et toi, quand tu dis qu’il n’y a plus de mélancoliques, tu parles ! Ceux qui sont touchés, qui situationnent l’argent. Quand il tombe malade, c’est la première chose à laquelle il pense : mais comment assurer ? Comment je vais trouver un substitut de mon salaire ? C’est un souci ! Comment se fait-il qu’il n’y a pas de mélancolie en Afrique ? Il y a une solidarité qui se joue autrement ! Nous, on est des connards et on le sait même pas. Donc, conséquence, dit Tellenbach, cette menace d’être en faute, de ne pas être à la hauteur de l’autoexigence, peut faire passer du débit à la culpabilité qui ne peut pas être déchargée. Je suis toujours potentiellement en faute.
Par exemple : Combien je paye la nourrice, celle qui va s’occuper de ma famille ? Quand on s’en va, on ne sait jamais ce qui peut se passer. La baby-sitter, on devrait la payer une fortune. Mais quand même, on va chercher quelqu’un qu’on ne va pas payer très cher, ou alors on va demander à des amis qu’on ne va pas payer… mais qu’on va payer quand même… Mais combien ? Pas le même prix qu’un ticket de cinéma ? Oh, peut-être quand même… on peut peut-être trouver un équilibre critique… je vais payer la nourrice 8 euros, 9 euros par heure et comme ça, on peut se permettre, comme couple de sortir au cinéma… voilà, cela le travaille toute la journée. Cet être en faute qui peut à certains moments se trouver en dette. La culpabilité ne peut jamais être déchargée, et elle est immanente jusqu’au délire parfois. Pour le type mélancolique, la faute même ne fait pas partie de la quotidienneté de la vie. Pourtant, ce n’est pas grave de se tromper, ce n’est pas grave de faire une connerie. Ça fait partie de la vie. On ne doit pas apprendre à faire des choses bien, on doit apprendre à faire des conneries. Ah, c’est rigolo les conneries ! La faute et la connerie sont immanentes à la vie. Pour le type mélancolique, non ! La faute est toujours transcendante, au delà de la simplicité de la vie quotidienne. J’aime bien cette approche. Donc le mélancolique rate la mort immanente qui fait partie de la vie, la mort comme sacrifice, la mort comme quelque chose où on ne peut pas tout faire, la mort comme finitude, la mort dans tous les sens du terme. Il rate ça. Je ne peux pas tout avoir. Il y a des gens qui ont plus d’argent que moi, mais ce n’est pas possible, comment ils font ? J’ai cinq enfants, je n’ai pas encore cinq appartements pour chacun des enfants. Aaaaah… donc, il y a la mort dans l’avoir. La mort ne fait pas partie de l’immanence de la vie. C’est pourquoi Tellenbach dit que c’est dans le suicide qu’il atteint ce dont tout le monde parle : la mort. Et c’est ça qui est terrible. Je n’ai accès à la vie, c’est à dire à la mort immanente que dans le suicide. Cette antinomie de la mort, cette antinomie du suicide. Comme je le disais tout à l’heure, le suicide, pour lui, c’est la vie. Et quand il est décidé, c’est impossible de le raisonner. C’est la raison pour laquelle, et j’avais donné l’exemple il y a longtemps mais je vais le refaire dans l’hommage à Maldiney, dans Ouvrir le livre, p 36, l’exemple de son copain Kuhn qui dit à un patient : « je vous donne rendez-vous lundi, je vous propose d’aller à Paris ce week-end, allez dimanche matin sur le pont à côté du grand palais et s’il fait beau, il y a le ciel bleu et les nuages qui bougent, c’est un Rorschach vivant. Vous allez à pied jusqu’à Beaubourg voir l’exposition permanente de Mondrian ». Ce type l’a fait et il est revenu le lundi chez Kuhn en disant: « mais ça existe, un mouvement de la vie chez un peintre qui peut se condenser dans une immobilité mouvante ! J’ai découvert que la mort fait partie du mouvement de la vie condensée dans cette immobilité rayonnante de Mondrian ». Voilà il avait découvert la mort immanente dans la vie…
Bon, ça c’était Tellenbach.
Maintenant, on va voir Mélancolie et Manie de Binswanger. Je trouve ce livre le plus difficile au monde. Moi, je n’arrive pas à distinguer ce livre de ce qu’en a dit Maldiney. J’ai toujours lu Binswanger par le regard de Maldiney. Mais ça va. Je l’aime beaucoup. C’est facile. Quand je me suis mis à travailler Binswanger lui-même… pffff… Et j’avais demandé à Maldiney, je lui avais demandé à la fin de sa vie, mais enfin mon coco, les passages les plus difficiles de Binswanger, tu ne les commentes pas ! Et il me répondait : mais non, c’est trop compliqué. Voilà, c’est un défi et je vous fais part de ce défi là.
Ce n’est pas un texte clinique mais un texte méthodologique. Il a édité ce texte en 1960, il avait déjà 80 ans. Ce n’est pas le titre qui est important, Mélancolie et Manie, mais le sous-titre Etudes phénoménologiques. Il inscrit son texte dans son évolution de penseur. C’est un approfondissement de sa pensée à partir de la clinique, à partir de ce que ça lui fait d’être touché par les gens malades. Les gens malades il les connaît depuis tout petit Binswanger, à Bellevue, où il vivait avec ses parents, ses grands-parents. Là-bas, les petits, beaucoup plus qu’à La Borde, vivaient avec et entre les malades. Et il y a ce témoignage prenant, je trouve, à la page 30 : « durant toute ma vie, j’ai revu la figure gémissante et le regard profondément mélancolique de cette femme si nettement devant moi, que j’étais extrêmement surpris de constater, au cours de mes recherches, qu’au moment de son séjour je n’avais que dix ans. Que j’aie pu être si profondément impressionné par cette figure, par ce destin, vient de ce qu’encore enfants nous étions souvent avec nos malades et nous apprenions beaucoup sur leur histoire au travers des discussions des adultes.
Si cette figure humaine, en tant que première impression de la menace intérieure et extérieure qui pèse sur notre vie, a représenté un repère précoce de mon expérience au sens de la connaissance pratique de l’homme, maintenant à la fin de ma vie elle apparaît aussi comme une figure de réalité transcendantale objective du point de vue de mon expérience scientifique. Devant ce cas clinique de mélancolie nous ne posons donc pas la question de savoir comment la symptomatologie clinique et donc l’autoreproche mélancolique sont dérivables « des dominantes de la structure de personnalité », de la constitution caractérologique et morphologique, du tempérament, de l’hérédité, etc., -ce n’est pas ma question, je vais plus loin que Freud- mais nous posons la question, qu’est-il survenu effectivement ici ?- Que s’est-il produit ici dans le survenir transcendantal du Dasein ?
J’ai dit « concentration extrême, ne comprend rien et essaye de suivre ! » (rires), avec mes excuses, pour moi-même, ce n’est pas évident.
Je donne brièvement quelques éléments de l’évolution de sa pensée : en 1930 il écrit son texte Rêve et existence. C’est là qu’il prend pour thème quelque chose qui a une objectivité délimitée, qu’on peut se représenter devant nous, comme un problème, la direction de sens. Le mot sens a trois couches : il y a le sens comme direction, dans quel sens je vais, le sens dans le sens de la signification, et le sens qui trouve sa base dans la structure sensorielle. Ces trois dimensions sont condensées dans direction-sens. Par exemple dans les rêves. Binswanger et la phénoménologie ne va pas s’arrêter aux associations des mots qui sont des contenus, il va détacher des mots l’espace dans lesquels ils fonctionnent. Et quel sens prend le mot dans les trois couches. Donc, il va thématiser dans des verbes moteurs, dans des mots qui ouvrent un mouvement, il va thématiser dans des contrastes : loin/proche, haut/bas, étroit/large, gauche/droite avec la signification haut/élévation par exemple, bas/la chute. loin/proche, proximité/distance. Donc, il y a tout un travail de métaphorisation
Dans Rêves et existence et dans des ouvrages qui suivent, la différence entre la schizophrénie et la mélancolie, c’est qu’il y a trop de proximité, une surproximité dans la schizophrénie et dans la mélancolie, une non-proximité.
Deuxième étape dans son évolution : il y a les thèmes. Il y a le thème du reproche dans la mélancolie, la plainte. Il a été en dialogue permanent avec Freud avec des hauts et des bas. Qu’est ce qui est à thématiser dans ces thèmes et que Freud n’a pas fait, dit-il. Qu’est ce que le mélancolique thématise ? Il joue sur les mots, il y a quelque chose à thématiser, il y a quelque chose athématique, quelque chose qui rend ces thèmes possibles. Les conditions de possibilités de ces thèmes, qu’il va développer dans des textes de 35 dans la fuite des idées, dans les études sur la schizophrénie en 57, dans mélancolie et manie en 60 et dans le délire en 1965. Donc il avait 85 ans quand il a une dernière fois essayé de trouver un espace en deçà des thématiques. Ce qui les rend possibles.
Comment, dit-il, inclure les thèmes, par exemple, le thème de l’autoreproche « si je n’avais pas… » « si j’avais fait ceci ou cela… ». Vous connaissez l’exemple : un dimanche après-midi, il fait beau, on prend le petit train jaune avec des amis, et je propose à quelqu’un de changer de place dans le compartiment. Deux minutes après il y a un accident, et celui qui a changé de place est mort. « Si je n’avais pas proposé l’excursion », ou bien – « si seulement il n’avait pas changé de place avec mon mari » etc., etc. du si, du si ne pas, du « si j’avais » « si je n’avais pas ». Comment inclure les thèmes des autoreproches dans les conditions de possibilité s de ces thèmes ? C’est ça la question.
Comment il travaille ? Il avait toujours comme base de travail Husserl. Il est ensuite passé au Dasein de Heidegger. Les existentiaux du Dasein, les thématiques, les caractéristiques pour ainsi dire brièvement de l’existence humaine, l’existence humaine qui est marquée par le souci, par l’angoisse de mort, par la facticité. Je suis là et pas ailleurs. Comment arriver à être là et pas ailleurs ? Comme ce patient que nous avons vu hier après-midi : mais comment ça se fait que je suis ailleurs ? Il y a des moments où je suis déconnecté ! je suis ailleurs ! oh là là ! Comment me rattraper et redevenir là ? Qu’est ce que ça veut dire l’être-là ? Le Dasein ? A partir d’ici, je suis là ? A partir de là, je suis ici ? Toutes ces thématiques là…
Donc il passe de Husserl à Heidegger et il revient sur Husserl. Il passe de la Daseinanalyse à l’analyse de l’existence humaine tout court d’Husserl dans un texte extrêmement difficile : Logique formelle et logique transcendantale. Moi, j’ai essayé et je suis trop bête et je ne le comprends pas et je l’ai abandonné. Et je me suis facilité la vie avec un texte auquel il se réfère : c’est un texte de Szilasi qui était un assistant de Heidegger et Husserl : Introduction à la philosophie de Husserl. Et il se réfère lui aussi à un texte de Fink que j’ai commandé par Amazon et auquel je ne comprends rien : Introduction à la 6ième méditation cartésienne de Husserl.
Bon. Je lis ce texte de Szilasi « Pendant que je parle, donc dans la présentation, j’ai déjà des protentions, sinon je ne pourrais pas terminer la phrase – on pourrait traduire dans Lacan, avec les points de capiton etc., ce serait peut-être plus accessible, mais laissons tomber et continuer avec Szilasi– de même, je dispose, dans le « pendant » de la présentation, également de la rétention, sinon je ne saurais à propos de quoi je parle. D’accord ? Binswanger, pour nous faire comprendre, reprend souvent cet exemple simple de Szilasi. Il dit : Tout trouble, toute maladie renvoie à une forme essentielle d’intentionnalité. AAAH ! Donc il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la schizophrénie, il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la mélancolie, il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la dépression, il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la névrose obsessionnelle, à la manie. Et la forme essentielle de l’intentionnalité consiste dans sa mise en forme. Ce qu’il appelle aussi la forme constitutive. Constitutive n’a rien à voir avec la constitution mais avec ce qui la constitue, ce qui met en forme. D’accord ? Il part de Cécile Münsch[1]. « si je n’avais pas ». Et là, il dit : « Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut se référer à Husserl Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps. » (Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewußtseins). Quand Husserl parle du temps, c’est beaucoup plus logique qu’une description des caractéristiques du temps de Heidegger. C’est la conscience intime du temps et pas ses caractéristiques. Comment la conscience a conscience du temps ? Le pas historique marqué par cet exposé apparaît dans le fait qu’Husserl comprend « le temps » à partir de l’intentionnalité, plus précisément qu’il développe sa recherche dans la constitution, dans la mise en forme de la conscience subjective du temps, de l’objectivité temporelle. C’est quoi ? Ce n’est pas le temps objectif. Ce n’est pas le temps de l’horloge. L’objectivité temporelle n’a rien à voir avec ça. Il va à partir de l’intentionnalité vers la mise en forme des objets temporels intentionnels. Qu’est ce qui met en forme le passé, le présent et l’avenir ? Je suis dirigé vers l’avenir à partir du passé. Je ne m’occupe pas de ça mais de ce qui les rend possibles, ce temps divisible en passé, présent, à-venir. Il s’agit donc de mettre en évidence les vérités aprioriques qui appartiennent aux moments de la mise en forme de l’objectivité temporelle. Quels sont les moments aprioriques de l’objectivité temporelle ? C’est ça la conscience intime du temps. Je dois découvrir les vérités aprioriques, à la Kant, de l’objectivité temporelle. Ça va ?
Husserl désigne les moments structuraux intentionnels constitutifs des objets temporels, avenir, passé, présent, comme protentio, retentio et præsentatio. Normalement ces moments s’intriquent constamment entre eux et se retrouvent ensemble autour de la structure du « à propos de quoi » (Worüber), du thème actuel. A propos de cet accident de train, se constituent ces vérités aprioriques de l’objectivité temporelle, passé présent avenir, cette mise en forme, c’est quoi, qu’est ce qui va émerger, pourquoi je suis collé au passé ? ça ne sert à rien de dire que le mélancolique vit dans le passé, que l’avenir est barré parce qu’il se retrouve dans le passé, que le présent est submergé par le passé qui ne peut pas aller vers l’avenir. Cela ne sert à rien de dire ça.
Il s’agit donc pour nous de dévoiler les « modes déficients » de ces trois dimensions protentio, retentio et præsentatio et de leur interaction. Cela est naturellement tout autre chose que de constater que les mélancoliques « n’arrivent pas à se détacher du passé », « collent au passé », « sont entièrement dominés par le passé », tout autre chose que de constater qu’ils « sont coupés de l’avenir », « ne voient aucun avenir devant eux », ou encore que pour eux « le présent ne signifie rien » ou « qu’il est totalement vide ». Nous ne devons pas partir non plus de la douleur à propos de la mort du mari,-Freud, ce n’est pas la peine de te casser la tête sur le pourquoi de la douleur- ni de la « figure gémissante » que prennent ici la patiente et cette douleur elle même car ce sont des données « intuitives » (einfühlbar) – que je peux ressentir-. Je disais bien que quand il était petit, il a été marqué toute sa vie par cette figure gémissante, toute sa vie, il était marqué. Non je ne dois pas partir de ces données intuitives, qu’on peut ressentir et qui sont acquises dans la connaissance pratique de l’homme. Ce qu’il a fait pendant longtemps. Il en va différemment de l’autoreproche permanent d’être coupable. … Même si nous pouvons encore « pénétrer par intropathie » cet autoreproche nous ne pouvons plus le faire – et ça, c’est nouveau !- pour ce qui s’y impose cliniquement pour nous comme mélancolique.
Il y a aussi des autoreproches dans la névrose obsessionnelle. Ça, on l’avait dit. L’explication de Freud et d’Abraham ne suffit pas pour vraiment saisir à sa racine cette possibilité de cet autoreproche « si je n’avais pas ». L’exemple le plus clair, c’est David Bürge[2] : « si je n’avais pas versé cette caution » et une fois que la caution est versée et donc que le problème semble résolu, ça ne sert à rien, rien n’est résolu parce qu’il reprend avec une autre thématique. Donc, ce n’est pas le thème qui est important en soi. Je dois aller plus loin. Qu’est ce qui fait que je ne peux pas me détacher et que je reste dans cette vérité apriorique de l’objectivité temporelle ? ça va ? Quand j’en parle pour la 10 millième fois, dans ma tête, ça devient plus clair.
En tant que psychose, la manie et la mélancolie sont tout aussi peu pénétrables sur le fondement de la connaissance pratique que la schizophrénie. N’essaye pas de comprendre. Mais il n’en résulte nullement, comme ce serait le cas chez Jaspers, qu’en tant que non pénétrables (…) et par là non compréhensibles elles pourraient et devraient être seulement expliquées causalement ou génétiquement. Ces études prouvent le contraire.
Alors, comment je peux articuler ces conditions de possibilités ? Si vous avez compris jusque là, c’est bon.
Dans le discours, « si je n’avais pas proposé l’excursion » ou alors dans le cas de David Bürge « si je n’avais pas fait la bêtise d’assumer cette caution je ne serais pas tombé malade ». Il était persuadé de ne jamais récupérer son argent et par conséquent de devoir toujours rester malade… toute une années durant il se plaignit quotidiennement devant nous médecins de ce que sa dépression venait seulement du fait de s’être porté caution peu de temps auparavant d’une somme de 40 000F, somme considérable, mais cependant nullement ruineuse dans sa situation et ne pouvant conduire objectivement à un délire de ruine. Et donc, il arrive à, dans le discours, « si je n’avais pas fait la bêtise d’assumer cette caution », « si je n’avais pas fait ceci, cela ne serait pas arrivé»
Cela nous apprend que dans le discours du si, du si ne pas, si j’avais, si je n’avais pas, on passe du passé, présent, avenir, on passe à protentio, retentio, præsentatio. Ça veut dire quoi ? Il s’agit manifestement de possibilités vides. Et ça, c’est le point de départ de Maldiney. J’extrapole énormément, mais dans la mélancolie il y a un trouble du transpossible et dans la schizophrénie, il y a un trouble du transpassible. C’est extrêmement difficile. Mais, c’est à partir de là.
Donc, il s’agit manifestement de possibilités vides. En général, où il y a question de possibilités, je peux finir ma phrase. Une protention. D’accord ? Là où il est question de possibilités, il s’agit d’actes protentifs – le passé ne contient pas de possibilités. Mais ici ce qui est possibilité libre « si… » se retire dans le passé « si je n’avais pas... » . Donc, Maldiney va aborder ça par la linguistique de Gustave Guillaume. Dans la grammaire, -pas la grand-mère hein !, allez aide moi, comment on dit ?-, dans la grammaire même, il y a cette possibilité de se retirer dans le passé. C’est la grammaire même. Ça il le prouve avec Gustave Guillaume. Ça, je pourrai vous le faire, c’est plus quotidien pour moi, mais il faudrait toute une journée.
Là, Binswanger, il ne parle pas de ça. Il dit : ce qui est possibilité libre se retire dans le passé. Cela signifie que les actes protentifs constitutifs doivent devenir des intentions vides. La protention devient de ce fait autonome dans la mesure où elle n’a plus de « à propos de quoi »,- l’à propos de quoi n’est plus en question, c’est pourquoi elle est interchangeable. Si la caution est payée, on peut dire, c’est résolu. Il passe tout de suite à un autre thème. Et pour la femme Cécile Münch qui n’arrive pas à faire le deuil de son mari, elle n’y est pour rien dans cet accident, et pourtant, elle n’arrive pas à s’en sortir – la protention devient de ce fait autonome – dans une phrase, je dis et je suis lié par ce que je dis pour pouvoir terminer la phrase. Il y a une logique de la phrase. Je peux même la comprendre. Il y a de la communication possible si les vérités aprioriques marchent. Je peux comprendre cette phrase. Là, non. La protention devient autonome. Elle n’a plus rien à voir avec l’ « à propos de ». Plus rien qu’il lui resterait à « produire » si ce n’est l’objectivité temporelle du vide « à venir » ou du vide « en tant qu’avenir ».
Quand la possibilité libre se retire dans le passé ou plus exactement quand la rétention se confond avec la protention, on ne débouche plus sur un « à propos de quoi » authentique mais seulement sur une discussion vide. Ceci est le signe qu’avec l’altération de la protention, le « processus » tout entier, le caractère tout entier de flux ou de continuité non seulement de la temporalisation, mais de « la pensée » en général, est altéré !
Ce n’est pas seulement le temps mais à partir des vérités aprioriques du temps que l’ensemble de la vie qui est altérée. De ce point de vue la mélancolie est une maladie bien plus « grave », une altération « bien plus profonde » que nous ne le supposons généralement au vu de sa curabilité.
Et quand j’ai dit hier soir, avec l’exemple de David Bürge, que les thèmes étaient interchangeables, donc qu’il y a avait quelque chose en deçà des thèmes. Tout ce qui se dit n’a de place nulle part.
Voilà, ça c’est ce qui est le plus important. Ça va ? Vous avez suivi la ligne ? Oui, c’est compliqué. Cliniquement, ça ne sert à rien de discuter avec les mélancoliques.
GP : comme avec tout le monde.
ML : non.
GP : essaye de convaincre l’autre et tu verras ce que ça donne.
ML : c’est vrai.
[1] Le cas Cécile Münsch : patiente mélancolique suite à la mort de son mari dans un accident de train. Le point central de ses plaintes était qu’elle avait proposé l’excursion au cours de laquelle l’accident avait eu lieu.
[2] Patient de 45 ans, commerçant qui toute une année durant, se plaignait devant les médecins de ce que sa dépression venait seulement du fait de s’être porté caution peu de temps auparavant.
La mélancolie Exposé de Marc Ledoux
Je vais faire ce soir une traversée sur la mélancolie. Ce sera impossible d’arriver à la manière de Maldiney… à qui j’aimerais faire un hommage. Il vient de mourir. 102 ans. Mais ce sera trop compliqué je crois pour traverser et arriver à la manière dont Maldiney a essayé d’approcher au plus proche la mélancolie, surtout à travers Binswanger. Je ne sais pas si on aura le temps… on verra…
On peut dire que la mélancolie c’est en même temps la folie au sens psychiatrique du terme et l’expression de l’âme humaine dans son noyau le plus profond. C’est un mot, c’est une notion qui rend possible, c’est rare, entre la pensée actuelle et la tradition antique à partir de la question universelle : d’où vient la folie, d’où vient le chagrin profond, la fureur, le suicide et où cela nous amène. En opposition avec ceux qui invoquaient une raison surnaturelle ou une punition divine, la pensée médicale donnait la priorité dès l’antiquité à une cause naturelle. Toute la théorie de la bile noire. Je ne sais pas si je dois m’arrêter là, parce que cela demande beaucoup d’explications autour de Platon… toute cette tradition, mais j’y reviendrai pour dire tout ce qui m’a le plus passionné là-dedans.
Donc la théorie de la bile noire est le noyau d’une approche passionnelle de la mélancolie qui s’est transformée plus tard dans une approche nerveuse. Le noir, l’oppressif et la lourdeur restent présents comme un continuum aussi bien dans la clinique que dans la littérature. Et donc, c’est à partir de là que je dois être honnête, c’est un cours que j’ai préparé pour Louvain, que je continue à préparer, à partir de cet axe là avec en première partie, l’antiquité, Platon et la doctrine de la manie, Aristote et la doctrine qui est un peu connue de la génialité et…
LFC : génial ?
M : oui, génial, l’homme et le génie. C’est déjà plus connu ça, ce rapport dans la mélancolie. C’est un petit texte de ce grand livre d’Aristote. Il y a Jacky Pigeaud qui a fait une traduction et un bon commentaire dans ce petit livre : « l’homme de génie et la mélancolie ».
Si ce soir on s’arrête là-dessus, on va faire une heure, j’ai pensé, allez lis Jacky Pigeaud et c’est bon, pour ensuite faire celui-là, ce gros livre. Mais si vous voulez, on peut faire Aristote...
En 1621, à la fin de la renaissance, il y a ce livre en deux tomes, le livre de la vie, le livre de l’univers : L’anatomie de la mélancolie de Robert Burton. Là, je vais m’arrêter un peu quand même.
Et dans une première partie, je voulais commenter aussi un dialogue avec le livre de Gladys Swaine « Dialogue avec l’insensé », un article magnifique qu’elle a écrit sur « Permanence et transformation de la mélancolie. »
Dans la deuxième partie, je vais aborder ce qu’est la pensée psychiatrique autour de la mélancolie, avec deux méthodologies : la méthodologie sémiologique avec Kraepelin et la méthodologie typologique, le classique de Tellenbach La mélancolie. Dans mon cours, je continue tout de suite avec une rencontre entre la psychanalyse et la phénoménologie, et puis aussi Binswanger et son livre difficile Mélancolie et manie. Et surtout Binswanger relu par Maldiney. Je ne sais pas où on arrivera tout à l’heure. Demain, certainement, quand on fera les profils, si vous êtes d’accord, j’aborderai la mélancolie selon Szondi.
Alors, je vais vite, je laisse tomber Platon et Aristote, et je viens là, il faut essayer de suivre. Je lis l’introduction de Starobinski, vous connaissez, c’est bien ça, ça fait un an qu’il est là, et c’est un recueil des articles, d’abord sur sa thèse qu’il a fait sur le traitement de la mélancolie et puis après, quand il est devenu critique littéraire et qu’il n’était plus psychiatre, et qu’il a beaucoup écrit sur Burton, et puis aussi sur Baudelaire, Joyce. Qu’est ce que dit Starobinski sur Anatomie de la mélancolie ? Simplement. Pour l’introduire : La publication de Anatomie de la mélancolie, en Angleterre, en 1628,-fin de la renaissance-, à Oxford marque un des grands moments du parcours de la mélancolie. C’est une synthèse géniale qui rassemble tout ce qui a été dit de notable sur la mélancolie en y joignant le rappel des innombrables histoires cliniques, légendaires ou poétiques que cette maladie de l’âme marqua de son ombre et nous offre la somme complète du sujet. … le livre de Burton fut un succès de librairie… c’est l’un des grands textes de la littérature anglaise. Elle se présente comme le livre d’un lecteur –ah ! livre d’un lecteur, pas livre d’un auteur, ça commence-, qui a ouvert une infinité de livres pour composer le sien puis pour le dilater et le compléter. -Il fait partie de la même tradition que Montaigne par exemple.- Ce livre où se déposent tant de mémoires littéraires fut aussi un livre sur ce trésor de langage pour les écrivains –anglais surtout- et surtout un répertoire d’exemples, où dans ce domaine, l’exemple est contagieux. On le sent présent toutes les fois au XVIIIème siècle où il est question de l’English maladie. Keats –superbe- l’a fréquenté et on en a la preuve dans les annotations d’un exemplaire que Keats possédait. L’ode sur la mélancolie de John Keates ! C’est un poème qu’il faut lire ! Superbe.
Le traité de Burton appartient à une époque où la langue de la médecine n’était encore qu’une ramification descriptive et spéculative de la physique laquelle se rattachait à la philosophie.
Voilà. C’est qui Burton ? Un étudiant, un assistant qui vivait à Oxford. Il a passé toute sa vie dans le collège d’Oxford, il n’en est jamais sorti, il était bibliothécaire et il s’appelle lui même un étudiant éternel qui lit, fait des recherches, qui écrit et qui vit une vie très solitaire. Il le dit « je mène une vie d’étudiant comme Démocrite vivait seul dans son jardin ». Donc, Burton va écrire ce livre sous le pseudonyme de Démocrite.
C’est qui Démocrite ? Il y a Démocrite le vieux et Démocrite le jeune. Et Burton écrit sous le pseudo de Démocrite le jeune. Démocrite s’est établi dans la solitude, à l’écart de la ville d’Abdère. Il rit indifféremment de tout. Il y a un grand passage dans la deuxième partie du livre, c’est peut-être le point de rencontre entre la tradition antique et la pensée actuelle : est-ce qu’on rit d’un malade ou est-ce qu’on pleure avec sa souffrance? Les grands fous… est-ce qu’ils nous font rire ou pleurer ? C’était déjà la grande question chez Démocrite. Il rit indifféremment de tout. Ses compatriotes le tiennent pour fou et souhaitant ramener à la raison leur grand homme, ils appellent au secours Hippocrate. Telle est la fiction qui se développe au long les lettres qui nous ont été transmises par le corpus hippocratique. Avant de partir pour Abdère, Hippocrate exprime son opinion sur les deux symptômes qui lui ont été signalés par les citoyens de la ville d’Abdère. Assurément, rire indifféremment de tout sans respecter de distinction entre les biens et les mots, c’est folie. Hippocrate compte le faire savoir à Démocrite en lui disant franchement « tu souffres de mélancolie ». Mais, ajoute Hippocrate, la solitude est un symptôme ambigu. Il faut savoir faire la différence entre la solitude du contemplatif et celle de l’homme que tourmente la bile noire. Les Abdéritains,- les habitants d’Abdère- n’en sont pas capables. L’apparence extérieure est la même, les fous et les contemplatifs se détournent des hommes regardant l’aspect de leurs semblables comme l’aspect d’êtres étrangers. D’avance Hippocrate s’attend à trouver en Démocrite un homme emporté vers une région supérieure par le fait d’une excessive vigueur de l’âme. Hippocrate est résolu à venir examiner le prétendu malade en personne. Il n’accepte aucune rémunération. Il n’a le désir que de regarder, d’écouter celui qu’on croit malade et ainsi d’en arriver au savoir, à la prognosis qui légitimera la décision touchant un éventuel traitement, c’est à dire l’administration d’hellébore (de plantes). L’entrevue d’Hippocrate et de Démocrite dans une lettre fameuse connue sous le nom de « lettre à Damagète… Hippocrate venu pour observer, découvre dans une solitude ombragée un homme studieux qui lit, qui médite, qui observe les entrailles d’animaux entièrement ouverts. Démocrite lui fait savoir qu’il dissèque les animaux pour découvrir le siège de la bile et pour mieux comprendre les causes de la folie. La solitude de Démocrite est donc parfaitement justifiée. Ce n’est pas celle de l’homme que tourmente une humeur corrompue, mais celle du sage qui cherche les causes cachées et qui a entreprit de reconnaître de ses propres yeux la nature et la situation de la bile. Il domine ainsi de toute la hauteur d’une connaissance précise et objective ceux qui ont mis en doute la santé de son esprit. Il sait que la santé et la maladie sont affaires de justes proportions humorales. Etc. etc. etc.
Ce qui est très important, et en particulier parce qu’on est à la fin de la renaissance, c’est la construction et la structure de l’œuvre. Ça commence avec le frontispice, comme il appelle ça à l’époque. C’est énorme ! Tout, cette énorme œuvre est résumée dans la page de couverture, le frontispice.
Là, voyez ce petit signe ! L’emblème de Saturne ! Vous avez regardé Mélancolie de Lars Von Trier ? Le livre est écrit sous le signe de Saturne. Qui était Saturne pour Burton ? C’était la dernière des planètes, un dieu rejeté, qui pourtant avait gouverné le siècle d’or. Il est, dit Gérard de Nerval, le soleil de la mélancolie. C’est quelqu’un qui possédait une vision immédiate du monde supérieur, et qui s’est glissé dans une pensée mathématico-géométrique jusqu’au désespoir. Il a essayé de penser sur un mode mathématico-géométrique cette vision immédiate du monde supérieur. Et comme il a du constater que ce n’était pas possible, il s’est glissé dans le désespoir, Saturne. Et là, il vit avec les exclus, les errants dans la sécheresse et dans le froid.
En haut, … Au milieu, Démocrite le vieux qui lit un livre sous un arbre. En bas, au milieu, c’est Démocrite le Jeune, le pseudonyme de Burton, l’auteur. L’ainé est entouré par des animaux, signe de jalousie et de solitude. A gauche, l’amoureux et les superstitieux, à droite, l’hypochondriaque et le maniaque et en dessous les plantes qui guérissent.
Dans la structure même, le titre : Anatomie de la mélancolie. Il va faire allusion à l’étymologie du mot anatomie, c’est à dire mettre à nu, en pleine lumière. La folie de l’homme raisonnable est anatomisée par le clin d’œil d’un fou. C’est presque son leitmotiv à Burton, son fil conducteur.
Donc on a le frontispice et puis la dédicace à son maitre Berkeley. Troisième chose, il y a un poème en latin adressé à son livre, puisque lui, Burton, il est le lecteur du livre. C’est très actuel ! Foucault n’a rien inventé en disant qu’il n’y a pas d’auteur de livre. On écrit que ce qu’on a lu. Donc il est lecteur. Burton, dans toute sa génialité, va remercier, dans un poème, son livre. Ensuite, on a un résumé de la mélancolie dans une forme de dialogue. Et ensuite, on a ce qui est devenu célèbre, et je vais un peu insister là dessus : une préface satirique. A partir de la page 165 jusqu’à loin, 442. Une préface satirique.
Après, on a un avertissement au lecteur, et surtout au lecteur qui utilise mal son temps, qui s’ennuie, qui ne fait rien, qui est feignant. Au lecteur feignant ! Salaud ! Pendant tout le livre, il n’arrête pas de s’en prendre aux feignants. Des gens qui disent « je ne sais pas quoi faire aujourd’hui… je vais lire un livre ». Il leur en veut. Comme si c’était un divertissement de lire un livre…
Public : une occupation
ML : alors, là ! Il leur en veut… à mort ! Il faut étudier un livre ! N’importe lequel ! Même une bande dessinée. Tout le temps que ce monsieur a passé à écrire pour pouvoir tout condenser dans un livre, et nous on va s’amuser un peu, comme si c’était… donc, vraiment un avertissement au lecteur.
Et ensuite il va écrire un poème satirique, cynique, en dix strophes, superbe :
En alternance, pleurer et rire, Héraclite c’est celui qui pleure et Démocrite c’est celui qui rit.
Pleure donc Héraclite tes pleurs conviennent au temps
Tu ne vois que le laid, tu ne vois que le triste
Et toi Démocrite, tu peux rire, tu en as le droit
Tu ne vois que vanité tu ne vois que folie
L’un comme l’autre dans les pleurs ou le rire
Exprime l’effort exprime la douleur
Il nous faut à présent hélas ce monde est insensé
Mille Héraclite mille Démocrite
Il faut aussi si grande est la folie
Envoyer tout le monde
à …
Et enfin, on a le texte lui-même.
Première et deuxième parties du texte : c’est une synthèse géniale autour de la mélancolie. D’abord les grandes théories physiques dans lesquelles sont pensés ensemble l’âme et le corps, puis la définition de la mélancolie et leur variation dans leur place dans l’ensemble des maladies, c’et une classification nosologique avant la lettre, puis troisième grand chapitre, c’est l’hygiène. C’est très actuel. Quand on lit ça, c’est comme quand on se trouve dans un supermarché avec une vendeuse et qui nous donne des outils sur la diététique. C’est superbe. Comment arriver à avoir un équilibre alimentaire ? Il appelle ça « l’accent sur le diététique ». Quel est le sens de faire du sport ? Quel est le rapport entre veiller et dormir…
Après, on a les moyens thérapeutiques. On peut s’imaginer sur quoi il va mettre l’accent celui-là. Sur le travail ! Un moyen contre la paresse et ne rien faire. C’est vraiment sa bête noire à Burton, ne rien faire… s’il avait lu l’éloge de la paresse, je pense que cela l’aurait rendu complètement fou…
Et la dernière partie, superbe, c’est la mélancolie de l’amour, c’est un livre en soi, la mélancolie religieuse, très beau, puis le rapport entre le suicide et le désespoir.
Donc, vous avez le choix.
Je commente un tout petit peu pour vous montrer comment il travaille, la préface satirique. Si ça vous intéresse. On a pas tout le temps l’occasion d’entendre parler ou de lire l’anatomie de la mélancolie. J’ai un copain qui m’a dit qu’à Londres, il y a une pièce de théâtre qui a été montée à partir de l’anatomie de la mélancolie. Il est allé voir sur internet : deux heures et demie superbes avec des gens qui déclament des extraits du livre et en particulier la préface satirique.
Qu’est ce que c’est pour lui une satire ? C’est une forme littéraire qui consiste en des vers et de la prose pour faire une critique de tout. Tout ce qui concerne les saloperies qu’on fait dans la vie et sur des situations ridicules. Et cette critique est moralisante. Et Burton prend le mélancolique comme porte-parole de la satire. C’est quand même extraordinaire. C’est la tonalité du mélancolique qui est le porte-parole, celui qui peut tout critiquer sur un mode moralisant, masqué par sa bile noire qui expulse toute la saleté, qui n’épargne personne et qui n’a pas honte.
Fin renaissance dans une préface. Quand j’ai vu ça, j’ai pensé « on n’a rien ajouté ». On a fait une théorie, on a mis ça dans un cadre, il y a des psychanalystes qui se fatiguent en cherchant comment ça se fait que le mélancolique n’a pas de honte, et Burton, je le vois dans sa chambre à Oxford, sous une forme théâtrale, il nous amène tout ça. C’est ça que j’ai trouvé passionnant. Ce coco. Incarné par Démocrite le jeune. Celui qui a été exclu. Il s’est isolé à Abdère et Hippocrate, après l’avoir observé, va dire aux citoyens d’Abdère : « vous me demandez qui est fou ? C’est vous et pas Démocrite. » C’est très actuel quand même. Ce sont qui les fous ? Ceux qui les soignent ou ceux qui sont fous, soi-disant ? La plupart du temps, ce sont ceux qui les soignent qui sont fous. Mais il faut avoir la force de la satire pour oser le dire. Et si on le dit maintenant, on pense que celui qui le dit est fou donc on ne l’écoute pas. Ou c’est peut-être le truc pour aller dans un congrès de psychiatrie institutionnelle pour dire que les malades sont bons et ce sont les soignants qui sont fous, ça va bien…
Quelle est la construction de sa préface satirique ? D’abord c’est la lettre qui contient l’entrevue entre Hippocrate et Démocrite. Et puis une utopie qu’il va fabriquer. Comment rendre une société vivable dans laquelle on a nettoyé toutes les saloperies, toutes les piques, toutes les situations ridicules. Il va donc reprendre cette lettre.
Ce qui est le plus important si vous avez envie de le lire, vous pouvez prendre n’importe quelle entrée, c’est que Burton se présente comme un acteur qui joue sur une scène. Il fait du théâtre. Il y a tout un développement sur le théâtre. La maladie et le théâtre. C’est un acteur avec un masque qui va se laisser démasquer. Qu’est ce que fait le malade quand il va voir quelqu’un ? Est-il prêt à se laisser démasquer ? Quand je me démasque, je peux me défendre aussi. Je peux me masquer, je peux jouer un rôle. C’est ça, dit-il, la vie : s’adresser à, par la possibilité de se faire démasquer, et nu devant les autres, seul, se doubler. Je donne un exemple :
Déjà quand il écrit sous le pseudonyme de Démocrite le jeune, autant de bonnes raisons pour s’envelopper et se cacher comme d’autres l’ont fait avant lui sous le nom de Démocrite. Pour le vieux Démocrite et son cadet, un seul souci, regarder, écouter, comprendre, s’adonner à la vie théorique et un seul projet, parler de la folie et de ses causes dans un grand livre. Or le livre de la folie du vieux Démocrite a été perdu. Quelle perte pour le monde ! Ce livre perdu, sans prétendre l’égaler, on peut rêver de le remplacer. Et Burton se porte volontaire. Au passage, ce masque a glissé. Un prénom, Robert, nous est livré comme le sujet du savoir. Croyez en Robert qui en a fait l’expérience. Donc il se dédouble, et il se parle à lui-même. Déjà on avait la structure de l’auteur et du lecteur, et là aussi Croyez en Robert qui en a fait l’expérience. Plus loin quand il empruntera une ligne d’un ouvrage de son frère ainé, une note nous apprendra que celui-ci s’appelle William Burton et désormais nous savons tout. L’auteur tient son masque à la main. Il évoquera plus loin son lieu natal etc. etc. etc.
Burton n’hésite pas. Il décrit Démocrite comme un petit vieillard soucieux très mélancolique de nature, fuyant la société dans ses vieux jours et très adonné à la solitude. Après avoir développé le portrait légendaire du philosophe d’Abdère, Burton trace le sien. Assurément, il n’est pas la réplique exacte de celui dont il usurpe le nom ; il n’a pas voyagé, il n’excelle pas dans les mathématiques et les sciences naturelles, il n’a pas été invité à donner les lois dans une cité. En sa qualité de fellow du collège d’Oxford, il a simplement lu beaucoup de livres sans grande méthode. Mais les similitudes l’emportent et l’autoportrait construit à coup de citations rejoint l’original antique construit lui aussi de citations juxtaposées. Même gout de la solitude, même caractère mélancolique, Saturne fut le maître de ma naissance, même rire sur toutes choses, je ris de tout, même genre de vie privée, même célibat de vieil étudiant. Je mène toujours la vie d’un vieil étudiant, comme on disait au début, dans son collège, comme Démocrite en son jardin, etc. etc.
Et à la fin, dans la préface satirique, il donne déjà quelque chose sur la mélancolie :
Burton nous apprend que la mélancolie est déjà à elle seule un masque suffisant pour dire son fait au monde. Nul besoin de déposer la défroque du clown, nul besoin d’agiter une marotte et un grelot, Burton pourtant éprouve le besoin de se cacher derrière un pseudonyme. Il dissimule sa mélancolie personnelle sous une mélancolie légendaire et superlative. Il veut être fidèle à l’archétype d’une tristesse exaltée jusqu’au rire et installé dans la plus vigoureuse contradiction. Le philosophe d’Abdère est accusé de folie par ses concitoyens mais Hippocrate salue en lui une sagesse souveraine. Pour dénoncer les maléfices de l’apparence, quel homme aura plus de titres que celui dont l’apparence fut si mal interprétée. Tenu pour délirant, victime exemplaire de l’opinion des hommes, il a le droit d’inverser l’accusation et de proclamer que le monde est fou. Derrière cette apparence de folie que les hommes lui imputent et ce n’est qu’un masque, Démocrite peut rire sous cape, il peut rire aux éclats. Il méprise le monde et sa petite sagesse. Il veut bien être fou et s’ils appellent les médecins pour le guérir, il se met d’accord avec eux pour les juger incurablement stupides.
Là, c’est Starobinski : Tel est le personnage que Burton veut jouer sur le théâtre du monde. C’est un guide, un exemple, un modèle. N’oublions pas que dès la première phase du texte, nous avons devant nous une figure d’emprunt, et je cite : « Estimable lecteur, je présume que tu seras fort curieux de savoir quel est ce personnage burlesque ou cet acteur masqué qui s’avance si insolemment sur le commun théâtre à la face de l’univers en se revêtant du nom d’un autre homme ». Celui qui s’adresse à nous parle d’une voix contrefaite. C’est peut-être qu’il n’a peut-être pas de voix ni de ton qui lui soit propre. Sa propre vie, il la voit à distance comme une partie du spectacle universel. La conscience réflexive est merveilleusement neutre et détachée. Pour s’exprimer, il faut qu’elle fabule son image même. N’être rien ou jouer ce qu’on est. Burton . 1621. Or l’image légendaire du mélancolique est un costume seyant pour affirmer la pure négation qui est l’acte fondamental de la conscience. Le vêtement noir dit le deuil et la séparation, le chapeau à larges bords abattu sur le visage interpose une paupière supplémentaire entre le regard et le monde. Le mimétisme à l’égard d’une attitude et d’un type humain préexistant va de pair avec l’insuffisance intérieure. Le mélancolique n’a pas assez de vigueur pour se passer des secours d’une forme établie d’avance. Depuis … , l’idée d’un lien très étroit unissant la mélancolie et le génie et les vertus contemplatives s’est généralisée. Il n’est presque point de grands personnages à la fin du XVIème siècle qui ne revendiquent délibérément ce tempérament comme un privilège et qui ne le signalent que par quelque trait de grimage ou de vêtement. Indice de supériorité intellectuelle, la noire livrée du mélancolique devient l’apanage du diseur de vérité et du démasqueur masqué. Méphistophélès, le mélancolique du romantisme. Il peut reprendre au magasin des accessoires le justaucorps d’Hamlet. Mais à peu de détails près, c’est le costume du clergyman en Angleterre.
Et voilà. Et ça continue. Mais j’arrête avec l’Anatomie de la mélancolie. J’espère que ça vous donne envie. Ça coûte 60 euros, les deux !
JA : c’est l’édition Corti ?
ML : oui, oui.
Après je fais, on arrive bientôt dans … il y a cet article de Gladys Swayne « Permanence et transformation dans la mélancolie ». Qu’est ce qu’elle fait ? Elle fait une lecture transversale de la mélancolie en mettant l’accent sur les ruptures significatives dans la construction de la notion de la mélancolie à travers l’histoire.
Il y a 4 ruptures pour elle. D’abord, il y a la rupture avec la théorie humorale d’Hippocrate. On exclut la théorie de la bile noire pour mettre à sa place le nouveau statut de l’homme qui pense et dès que l’homme pense, dit-elle, il y a l’idée d’un mal de la raison. L’homme, comme sujet, doué avec une autonomie propre pour pouvoir se poser vis-à-vis du monde ce statut épistémologique a tout de suite des conséquences autour de l’idée de la folie. Le trouble de l’intelligence remplace le trouble humoral et pour la première fois dans l’histoire la folie est un trouble intime de la pensée. Elle dit la folie est délire et si on ne fait pas attention, on pense toujours ça. Quand il y a quelqu’un qui ne délire pas, on ne dit pas qu’il est fou. Attention. Le psychotique qui ne délire pas, on ne dit pas qu’il est fou. On dit qu’il est fou uniquement quand il délire. Mais, non ! Il y a longtemps qu’on pensait ça. Il y a bien longtemps, avant Descartes, qu’on va dire que l’être humain est un sujet qui peut penser vis-à-vis du monde, qu’il peut placer un objet devant lui. Donc elle dit que c’est à ce moment-là qu’on dit que la folie est le délire, c’est à dire de dire que les idées d’un sujet sont touchées, les qualités, les caractéristiques des idées d’un sujet sont touchées. Qu’est-ce qui est touché profondément ? C’est sa maîtrise vis-à-vis de ses propres idées. Il ne maîtrise plus ses pensées. Il ne maîtrise plus ses idées. Un grand texte de Biswanger s’appelle « Fuite des idées ». On ne maîtrise plus ses idées. Et la mélancolie fonctionne dans ce discours-là sur un échelon des idées de pensée. Donc d’une part on peut être touché dans tout ce qui se présente à l’esprit, et on peut être touché, et c’est là que la mélancolie arrive, autour d’un objet. Souvent très minimal, mais indestructible. Et c’est ça la mélancolie. Je ne peux pas me distancier, je ne peux pas sortir ce qui est dans ma tête et le placer devant moi. Comme un objet à étudier. Ça peut être n’importe quoi. Une poussière. Un crayon. Elle donne des exemples dans l’histoire. Un pot d’encre. Elle ne dit pas obsédé. Il y a un pot d’encre qui est dans mon esprit, j’essaye de le mettre devant moi et je n’y arrive pas. C’est la définition à ce moment-là de la mélancolie comme un trouble intellectuel partiel. L’intelligence est touchée autour d’une idée. Et en contraste avec ça, la manie est d’être touché sur un mode général. La fuite des idées, ce n’est pas une idée qui se ballade partout mais on est touché dans l’ensemble de ce qu’on pense.
Et puis ensuite il y a une rupture avec cette idée que c’est un trouble de l’intelligence. Et je suis désolé, c’est un belge, Ghislain. Gladys Swayne en parle et pour nous c’est quelqu’un d’important. Ghislain, vous n’avez sûrement jamais entendu parler du lui. Sûrement pas. L’hôpital Ghislain de Gand. Le musée Ghislain. Et c’est ce psychiatre, un grand clinicien qui avait une passion pour l’architecture, qui a construit le premier hôpital psychiatrique, dans le nord. Dans son livre de 1835 Traité sur les phrénopathies, il dit : je ne dis rien de nouveau, mais j’écoute et je vais essayer de découvrir ce qui se couvre dans les mots. Qu’est-ce qui se couvre dans la mélancolie ? la souffrance. Je ne vous raconte rien de nouveau mais j’essaye d’articuler sur ce quoi vous ne vous êtes pas arrêtés, la souffrance. Et la souffrance qui fait mal et qui produit du chagrin et de la douleur. Ce n’est pas la douleur qui produit la souffrance mais l’inverse. Von Weizsäcker n’était pas né à l’époque ! à l’époque, et on le dit encore, ça permet n’importe quoi, on disait que les fous vivaient enfermés à l’intérieur d’eux, dans leur propre monde et qu’ils n’en souffraient pas ! . C’est très touchant de les voir vivre dans leur propre monde. C’est dans Kant ça. Que ça serait au moment où on les sort de leur propre monde qu’ils en souffrent, donc laisse-les ! Et Ghislain se bat contre ça. Tous ses livres sont là pour se battre contre Kant et contre ces préjugés. Et pour lui la souffrance de l’esprit, c’est le principe de tout trouble et en particulier de la mélancolie. L’homme mélancolique, en opposition avec les schizophrènes, n’est pas irrationnel. Et en opposition avec les normopathes, il n’est pas bête. L’homme normal, l’homme moyen est bête. Pas le mélancolique. Il n’est pas irrationnel comme peut l’être le psychotique et il n’est pas bête comme peut l’être l’homme moyen. Mais sa souffrance produit un tel changement fondamental que des troubles intellectuels peuvent en être une conséquence. Sa souffrance est telle que même des fonctions intellectuelles peuvent être touchées car débordées par le trop de souffrance. Je cite dans Gladys Swayne : « Primitivement, l’aliénation est un état de malaise, d’anxiété et de souffrance, une douleur morale intellectuelle et cérébrale comme on voudra l’entendre. Dire que l’aliénation est un trouble intellectuel et de jugement serait une proposition erronée. Ce serait prendre le symptôme secondaire pour le phénomène fondamental. Vous suivez ? Si vous vous endormez, vous le dites. Beaucoup d’aliénés ne déraisonnent point. Tous, cependant, à de très rares exceptions près souffrent. C’est là l’altération-mère d’où provient le dérangement dans les idées, le trouble de l’intelligence, l’aberration dans les qualités instinctives et toutes la série des actes violents et bizarres qui caractérisent l’aliénation mentale sous ses différentes formes et dans ses diverses combinaisons.
Et Ghislain va donc très logiquement décrire des mélancolies sans délire, dont il fera la forme la plus simple sous laquelle le mode souffrant puisse se présenter. Et ainsi Ghislain peut nous donner une bonne description de ce que nous appelons aujourd’hui mélancolie.
Troisième rupture : rupture avec le contraste entre délire partiel et délire général. « On n’est pas fou à moitié, on est pas fou au ¾, il y a toujours une dimension saine, il y a toujours un bout de moi qui est sain, et on peut toujours faire des acrobaties pour intégrer les parties non saines dans les parties saines ». On entend ça dans la psychologie du moi dans les versions extrêmement modernes. C’est Ghislain qui s’oppose à ça. Il ne dit pas qu’il y a une partie folle et pas l’autre. Il y a un état général qui est le fond de la maladie. Le délire n’est que partiel dans sa manifestation. Et c’est à partir de ce moment-là, -et là je dois me calmer, à chaque fois ça me fait la même chose, à cet endroit-là, je m’énerve, ça me fait monter au plafond, et ce n’est pas bon… Pour personne… Calme !- Les conséquences de cette idée qu’il existe un état général qui est le fond de la maladie, lié à la souffrance fait que cela devient possible dans l’histoire, mais c’est oublié maintenant, qu’on peut penser la manie et la mélancolie dans une unité, dans une entité nosologique, c’est à dire la folie circulaire. C’est Pierre Falret, merci, qui le premier a utilisé le mot folie circulaire. Ou, c’est la même chose dans la nosologie, ou la folie à double forme. C’est Boulainger. La même affection peut se manifester sous deux formes selon le principe de l’alternance construite à partir de la folie circulaire, du cycle. -Si on était un peu intelligent et si on s’intéressait encore à l’histoire, on ne serait pas tombé, comme on le voit dans certaines revues de psychanalyse, sur ces aberrations, les troubles bipolaires. Cette revue qui est tombée dans mes mains, qui s’appelle je crois Figures de la psychanalyse, il y a les grands noms des psychanalystes parisiens… la critique sur la structure bipolaire, je n’en ai pas trouvé. Nul. Moi, j’étais déçu. Si on regarde l’histoire, qu’est ce qui fait le passage de circulaire, cyclique à bi ? Qu’est ce qui fait qu’on doit penser dans un système binaire et qu’on ne peut pas penser dans un système cyclique. C’est tout bête.
Donc, Gladys Swayne nous dit qu’on arrive à une sorte de synthèse où les troubles fondamentaux existent dans un état général qui précède le délire, c’est le fond de la maladie. Cela peut se manifester sous deux formes : un état d’expansion dans la manie et un état de dépression dans la mélancolie…
Moi, j’aime bien Kraepelin. Ce n’est pas de ma faute, j’ai une affinité pour Kraepelin. Et lui, il va approfondir cette synthèse. Je peux le faire ? Vite. Mais il est superbe. C’était un homme passionné. C’est pas ce vieux con qui nous a fait des manuels de psychiatrie… pas du tout. Je les hallucine… c’est vrai.
Public : rires
ML : Kraepelin est le premier qui a essayé de penser de faire une science psychiatrique. Et qui choisit pour construire cette science la sémiologie. L’autre qui va essayer de construire une science psychiatrique c’est Tellenbach qui va lui utiliser la typologie. Donc, d’abord Kraepelin. Qu’est ce qu’il fait ? Je crois que Schotte avait tort, il était prétentieux; il disait que le seul en psychiatrie qui avait essayé de combiner la pratique, la clinique et la théorie avec sa propre vie, c’était Szondi. Qu’on pouvait lire à travers sa vie toute sa théorie. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas le seul. Kraepelin aussi. Il était tellement passionné par son travail, on va voir où cela la menait qu’on ne peut pas penser sa théorie sans voir sa propre vie. Et qui se pose des questions extraordinaires. C’est bizarre mais moi, je l’aime bien. Il a vécu de 1856 jusqu’en 1926. Il a fait des études de médecine, d’abord la psychiatrie chez Wundt à Leibznicht, et ensuite, une épiphanie, il est allé à Munich chez Van Gudden. Vous connaissez ?
Public : non. (Rires).
ML : vous avez vu le film Ludwig de Visconti ? Van Gudden avait été convoqué par les conseillers de Ludwig pour essayer de le soigner. Mais soigner Ludwig, c’était d’abord l’apprivoiser et essayer d’entrer dans ce monde bizarre et l’on voit bien chez Visconti comment il glisse dans cette sorte d’identification à Wagner, dans cette fureur, dans cette solitude, enfermé dans l’explosion projective, mégalomaniaque. Comment avoir accès à ça ? C’était à un moment où Kraepelin était l’assistant de Van Gudden. Et Van Gudden entre dans la vie de Ludwig et développe à petite dose une folie à deux avec le roi. Et Kraepelin se demande ce qui se passe. Il a essayé en étant élève d’aider son maitre. Impossible ! Plus de prise sur cette folie qu’il voyait se développer. Et c’est à partir de ce moment là que Kraepelin va se questionner jusqu’à la fin de sa vie : mais qu’est ce que c’est que ça, l’être humain ? Qu’y a t-il dans l’être humain pour mener jusque là ? La maladie, peut-être ne faut-il pas l’étudier là où elle se manifeste mais là où elle va nous mener. Je trouve ça génial comme intuition. L’être humain est une énigme. Chez les grecs, il y avait l’oracle. Il y avait des rituels qui pouvaient nous dire « ça t’amènera là ». Maintenant cela n’existe plus. L’oracle, c’est peut-être la maladie. Qui nous montre à quel prix l’énigme en nous peut nous mener. Ça a été le fil conducteur de tout son travail. A partir de là, il est passionné par à la fois, être avec les malades, et en même temps, faire des recherches. Donc il va travailler dans la clinique royale à Munich et il va construire un institut de recherches psychiatriques et toute sa vie, il va la consacrer à ça. Sa grande œuvre est le manuel de psychiatrie. Huit éditions ! Je trouve ça, pas obsessionnel… mais… à chaque fois qu’il édite quelque chose, hop… il repense… pour approfondir… huit fois ! Donc ces différentes éditions connaissent une grande évolution et c’est dans la huitième édition qu’il étudie pour la première fois la psychose maniaco-dépressive. C’est lui qui l’appelle ainsi. Pourquoi a t-il attendu si longtemps pour oser s’attaquer à cette maladie ? Parce que, c’est vrai que ça revient toujours au même point. C’est cyclique. Schuman, il fait des cycles de lieder pour piano, de chants, et hop ça revient toujours au même point. Il n’y a pas d’évolution. Moi qui me demande où cela peut mener, je dois accepter, dans la clinique, qu’il y a quelque chose qui ramène au point de départ. Donc Kraepelin était confronté à cette problématique. Et il attendu jusqu’à la fin pour essayer d’écrire quelque chose sur cette structure cyclique. Pourquoi il est embêté avec cette structure cyclique ? Parce que son but et sa méthode était de délimiter et de regrouper des formes de maladies. Ce qu’on appellera plus tard des classifications. Mais ce qui est plus important c’est de concevoir l’évolution de la maladie. La maladie s’individualise, se singularise et se définit selon l’évolution qui est typique à chacun. Il n’y a pas deux schizophrènes pareils, il n’y a pas deux enfants autistes semblables. Dans la symptomatologie, oui, mais pas dans la manière dont cela évolue. Et Kraepelin dit que le diagnostic à faire est d’essayer de faire un pronostic précis. Ça c’est le diagnostic. Ce n’est que le pronostic qui fonde le diagnostic. On ne peut jamais, dit-il, faire un diagnostic exact. Arrêtons de penser cela. Si la psychiatrie est une science qui se fonde sur l’énigme de l’être humain, elle ne peut pas faire de diagnostic. On peut s’approcher, on peut trouver des possibilités, on peut délimiter, cela peut nous aider pour le travail thérapeutique, mais ne commençons pas avec le diagnostic. C’est nul. C’est Kraepelin qui dit ça. C’est pas mal, non ? On avait pas Laing Cooper et tout ça pour faire de l’antipsychiatrie. Dans les études de psychiatrie, on ne l’étudie pas. C’est dommage. Alors que dit-il sur la maladie maniaco-dépressive ? Il s’inscrit dans la tradition de Falret sur la folie circulaire, et sur Esquirol. Il est mignon Esquirol, enfin, je ne sais pas s’il était mignon, mais pour moi, quand on le lit, je le trouve mignon… il dit que si on veut faire un champ psychiatrique scientifique il faut distinguer la mélancolie des phénomènes littéraires, critiques, et il va donc lui donner un autre nom : la lypémanie. Kraepelin trouve ça superbe, adopte le nom et définit donc la mélancolie comme maladie de la passion où l’excessif de la passion est la cause des faux jugements et des troubles de l’intelligence. Il fait donc une synthèse de ce que dit Ghislain. Et avec son souci de regrouper des formes de maladies, à partir de la folie circulaire, à partir de la lypémanie, il va essayer de faire des formes de maladies. Il arrive à 4 formes cliniques : des états maniaques, avec des sous-rubriques, la manie aigue, la manie délirante, la lypémanie. Et c’est vrai, dans la clinique de tous les jours, on dit « il fait une phase maniaque ». C’est quoi une phase maniaque ? Décrivez-la, est-ce aigu ou pas, est-ce délirant ou pas ? Quand c’est délirant, il n’y a pas grand-chose à faire, mais quand c’est aigu, vas-y vite parce qu’il va courir sous le train ou sous une voiture. Ce n’est pas suicidaire, mais c’est aigu. Rien ne l’arrête, donc il faut l’arrêter. Si c’est délirant, il n’y a rien à faire.
Dans les états dépressifs, il situe la mélancolie simple caractérisée par la stupeur. Il était intelligent quand même. Puis, la mélancolie compliquée. Où il n’y a pas seulement l’état stuporeux, mais il y a aussi des mouvements. Troisième forme, la mélancolie délirante qui va aussi avec des hallucinations fantastiques et des idées hypochondriaques, c’est ce qu’on appelle le syndrome de Cottard. C’est vrai, les délires de petitesse, de négation, je ne vaux rien, pour Kraepelin, cela fait partie d’une forme délirante mélancolique. Cottard l’a très bien décrit mais en syndrome. Et Kraepelin, hop, il l’intègre dans la mélancolie délirante. Et il délimite aussi les états fondamentaux avec des périodes stables et des variations de l’humeur qui ont des extrêmes. Et là, c’est tout l’art de la pharmacie, des régulateurs de l’humeur, comment varier la posologie, ce sont des gens que l’on doit voir tous les jours. Si vous avez quelqu’un qui est en phase maniaque, il faut le voir tous les jours. Et si vous travaillez en ville, trois, quatre fois par semaine. Il ne faut pas faire payer à chaque fois. Et maintenant on peut prolonger les intervalles. Mais quand les gens vieillissent, les intervalles sont de plus en plus courts.
Allez, on fait Freud. Si vous pouvez vous concentrer encore un petit peu, sur Freud. Dans quel contexte a-t-il écrit « Deuil et mélancolie » ? Dans Totem et Tabou, on avait vu quand on avait étudié la phobie, le problème de la mort et en particulier la mort du père constitue le matériau psychique et il découvre dans l’anthropologie l’identification totémique et cela va lui offrir une élaboration idéale. Il dit que le problème de la mort du père est un problème car il y a là une collusion de la mort et du désir. Seulement là, se demande t-il ? Non, et tout de suite, la possibilité de tomber malade par cette sorte de collusion entre le désir et la mort trouve aussi des témoignages dans le chagrin pathologique, dans la nostalgie des névrosés comme l’homme aux rats ou dans la nostalgie des paranoïaques comme Schreber. Schreber est un homme nostalgique. Et dans le système des élaborations morbides de la mort, de la perte, comme sont la phobie, l’obsession, la paranoïa, il manque une pièce clinique très importante, la mélancolie. Donc, il passe de la mort du père à la mort de l’objet d’amour en général et en particulier, de la perte et de la mort du premier objet : le sein de la mère. Centré sur la perte de l’objet, cette réflexion sur la collusion entre le désir et la mort s’écrit dans quelques œuvres, dont « Deuil et mélancolie » est le noyau et on doit, je pense, le lire avec Métapsychologie, son texte sur l’inconscient et surtout le complément métapsychologie de la théorie du rêve. Donc des textes écrits entre 14 et 18. Ça, c’est le contexte.
Quel est le sort de l’objet perdu ?
C’est à Abraham que Freud doit le point de départ de « Deuil et mélancolie ». Abraham était le premier à essayer de donner une méthodologie de la clinique de la structure maniacodépressive et des états voisins. Ses états voisins étaient pour Abraham, l’état de deuil et l’état de dépression de la névrose obsessionnelle. Pour nous qui sommes intéressés dans l’anthropopsychiatrie, comment situer les maladies en rapport les unes avec les autres, Abraham est important quand il essaye de faire un rapport entre la dépression, la névrose obsessionnelle, le deuil et cette maladie cyclique, la structure maniaco-dépressive. Freud aussi ! Et donc, Abraham écrit son texte en 1912, Freud écrit « Deuil et Mélancolie » en 1915 et Abraham reprend ensuite ses premières investigations avec les apports de Freud dans son texte superbe de 1924 : les états maniaco-dépressifs et les états prégénitaux de l’organisation de la libido qui va connaître une suite chez Mélanie Klein : le deuil et ses rapports avec les états maniacodépressifs.
Chez Freud : il commence, c’est ma lecture de ce texte « Deuil et Mélancolie », par des rapports entre le rêve et le deuil. Le rêve est le modèle normal des troubles psychiques par lesquels on peut tomber malade et qu’on retrouve dans les hallucinations psychotiques. Donc, les hallucinations psychotiques sont la pathologie du rêve. Et le deuil, qui est un affect normal, à comparer avec sa psychopathologie : la névrose narcissique que Freud appelle la mélancolie. Pour lui, c’est une névrose narcissique. Je cite un texte, mais Michel n’est pas là et je ne vais pas vous emmerder de le dire en allemand : Deuil et Mélancolie, Amen !, p 429 pour ceux qui l’ont en allemand : Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’un substitut dans une abstraction comme il y a la patrie, la liberté, un idéal, etc. Souvent, chez de nombreuses personnes, se manifestent comme conséquences importantes et immédiates, l’existence d’une mélancolie à la place d’un deuil, chez ces personnes, on suppose l’existence d’une prédisposition morbide. Les deux réactions lors de la perte de l’objet d’amour ont en commun une dépression profondément douloureuse, une perte d’intérêt pour le monde extérieur, dans la mesure- et c’est toujours dans les petits détails qu’on doit lire Freud-, dans la mesure où il ne rappelle pas le défunt. Donc, il y a un énorme intérêt quand cette personne peut parler ou se rappeler le défunt. Troisième perte de la capacité d’aimer, c’est-à-dire de choisir un nouvel objet d’amour, est l’inhibition de toute activité. La mélancolie présente un trait supplémentaire qui lui est propre : la diminution du sentiment d’estime de soi qui peut aller des autoreproches jusqu’aux auto injures. Jusqu’à l’attente délirante du châtiment.
Voilà, ça c’est descriptif. En quoi consiste ce travail que produit le deuil, le travail de deuil ? Qu’est-ce qui fait que c’est si douloureux, le deuil ? C’est une question que Freud s’est toujours posée et à laquelle il n’a jamais pu répondre. Qu’est-ce qui fait que c’est si douloureux, le deuil ? C’est un travail dit-il commandé par l’épreuve de réalité. L’objet aimé n’est plus. Il faut retirer toute la libido des liens qui la retiennent à l’objet. Contre cette exigence, il se lève une rébellion – c’est souvent quelque chose qu’on oublie quand on lit deuil et mélancolie- l’homme n’abandonne pas volontairement une position libidinale. La rébellion peut aller jusqu’à un délaissement de la réalité et au maintien de l’objet. Qu’on va retrouver dans la psychose hallucinatoire. Normalement, le respect de la réalité l’emporte et quelqu’un qui est en deuil ne glisse pas nécessairement vers une psychose hallucinatoire, il peut s’arrêter auprès des monologues intérieurs ou du dialogue-monologue et il décrit dans compléments théoriques des moments dépressifs. Kuhn va le reprendre : le carrousel des pensées le soir. Il y a des monologues où on parle avec celui ou celle dont on doit retirer la libido. On parle à l’objet qui m’a quitté, on parle à l’objet d’amour qui est mort. Donc, cela ne glisse pas nécessairement vers une psychose hallucinatoire mais vers des monologues intérieurs, vers des dialogues-monologues. C’est très bien décrit par Kuhn.
Donc, normalement la réalité l’emporte, mais ces tâches de respect de réalité s’accompagnent, je le cite- je l’ai travaillé en flamand donc je traduis-, s’accompagne en détail avec une grande dépense de temps et d’énergie d’investissement de l’objet et pendant ce temps l’existence de l’objet perdu se poursuit psychiquement. Chacun des souvenirs, chacun des espoirs qui attachaient la libido à l’objet est instable et surinvesti et c’est quand même là que le détachement de la libido doit s’accomplir. L’accomplissement du commandement de la réalité, de ne pas glisser dans une psychose hallucinatoire, est un compromis douloureux et inexplicable. La douleur est une énigme. Comme à l’envers la joie triomphale du maniaque est aussi une énigme. Je n’arrive pas expliquer cela. Il va réessayer plusieurs fois. Il n’y arrive pas. Qu’est ce qui se passe dans la mélancolie ?
Ce trouble de sentiment de soi est différent du deuil parce qu’il est basé sur le statut même de l’événement que constitue la perte de l’objet aimé. Ça on connaît, c’est une phrase qu’on devait apprendre par cœur dans les cours de psychopathologie : l’homme en deuil sait ce qu’il a perdu à la mort de la personne aimée, le mélancolique sait qui il a perdu mais non ce qu’il a perdu en cette personne.
Ça, c’est la grande différence pour lui, à ce moment-là. La perte du mélancolique est plus morale que dans le deuil. Dans le deuil c’est le monde qui est devenu vide et dans la mélancolie, c’est le moi qui est vide. Ce vide affecte le moi lui-même et c’est pourquoi ce travail du mélancolique reste énigmatique et extrêmement intérieur, beaucoup plus que le travail de deuil. Et là, c’est un coup de génie de Freud, il va s’arrêter auprès de cette énigme. Moi, j’aimerais bien de temps en temps, ne pas avoir ce texte de Freud et être dans sa tête, et … comment il a pu trouver ça ! Après coup, c’est facile, quand on le lit. Et il dit : ce trait énigmatique dans le travail du mélancolique se comprend dans l’écoute des plaintes, des autoreproches et qu’on les prend au sérieux. Et il y a un texte de Biswanger, dans Mélancolie et manie, où à Bellevue, la clinique où il travaille, il y a un malade David Bürge qui est dans un monde d’autoreproches et du jour au lendemain, ce dont il se plaint est résolu. Les infirmières, les médecins avaient une patience extrême avec lui, pendant un an, tous ces autoreproches, toujours les mêmes, et eux ils écoutaient, patiemment. Et du jour au lendemain, c’est résolu. Et hop, il y a une autre plainte qui arrive, un autre autoreproche. Et Binswanger explique bien, il dit, on est humains, on ne peut pas s’empêcher d’être irrités contre lui. Et c’est là qu’il dit que le délire mélancolique est interchangeable, ce n’est pas le thème qui est important. Mais on verra ça demain.
Mais Freud, lui, dit donc que ce trait énigmatique se comprend dans l’écoute des plaintes et des autoreproches et il fait tout un paragraphe pour dire qu’il faut les prendre au sérieux. C’est quoi, l’écoute psychanalytique ? C’est pas écouter avec une oreille flottante!.... on écoute quelque chose, des mots, on écoute pas des phrases. On écoute des mots. C’est là ce paragraphe célèbre sur écouter les plaintes. Et pourtant, dit-il, le mélancolique ne se comporte pas comme quelqu’un qui serait plein de remords, qui serait gêné de se plaindre, ah j’en ai marre de me plaindre, ce n’est pas hystérique, mais pourtant il y a une dimension hystérique dans ces plaintes, mais c’est sans remords. Il se proclame à grand bruit le plus monstrueux des hommes, il s’exhibe, il jouit à importuner autrui de ses lamentations. Pas de honte. Burton l’avait déjà dit. Il a perdu le respect de soi. Mais pour quelle raison ? Ce n’est pas une perte de l’objet qu’il aurait subi mais une perte concernant son propre moi, ce vide affecte le moi, cette perte de respect concerne son propre moi. Puis il analyse les plaintes. Les plaintes s’appliquent à une autre personne qu’il aime et qu’il a aimée. Les autoreproches sont les reproches adressés à un objet d’amour, à quelqu’un d’autre, reproches renversés de celui-ci sur le moi propre. C’est toute la mécanique de ce texte. Se plaindre, c’est accuser. Et son comportement est celui d’un révolté. Et on voit chez Freud toujours cette structure : une constellation psychique qui est celle de la révolte, il est révolté contre quelqu’un. Mais qu’est ce qui fait qu’il va évoluer vers l’accablement mélancolique ? Donc de la révolte à l’accablement. Qu’est ce qui se passe dans ce passage ? Quel est le processus de ce passage, quelles sont les conditions qui rendent ce passage possible ?
Et hop, deuxième coup de génie ! Une identification inconsciente. Et là, le texte devient difficile. Pour cela, il faut étudier, dit-il, la relation du moi avec l’objet d’amour et la perte de cet objet et il faut étudier, à nouveau, encore une fois, et à partir d’Introduction au narcissisme, quelle est l’étoffe du moi. Et on suit Freud, à partir de là, je vais un peu vite là : il dit, c’est presque un conte, qu’il existait un choix d’objet et sous l’influence d’une blessure ou d’une déception, il y a eu un choc. Je le cite. Le résultat n’est pas un retrait normal mais un autre qui exige quelque chose. L’investissement de l’objet était très peu résistant. Et la libido retirée dans le moi servait à établir une identification du moi avec l’objet abandonné. Et à partir de là, l’ombre de l’objet tombe sur le moi. Ça, c’est la phrase que tout le monde connaît.
Troisième coup de génie. Ça, c’est le processus. L’ombre de l’objet tombe sur le moi. Et qu’est ce qui va se passer dans la libido ? Tu n’es pas trop intéressé dans l’autre quand même, il aimait l’autre pour soi-même. Donc, si l’autre s’en va, la libido n’est pas très résistante, il se retire dans son propre moi et voilà. L’ombre de l’objet tombe sur le moi et ça fait une instance du moi clivée en deux. Le moi peut être jugé à l’intérieur de lui même comme une instance particulière, comme un objet, comme un objet abandonné. Donc, il y a le moi, et il y a une instance du moi qui juge. De cette façon là, la perte de l’objet s’est transformée en une perte du moi et le résultat est que le conflit entre le moi et la personne aimée s’est transformé dans une scission entre une critique du moi et le moi modifié par l’identification. Ça va ? Donc, on est parti de la relation entre le moi et l’objet, et puis on est passé à l’étoffe du moi où à l’intérieur du moi, il y a une scission entre une critique et l’objet critiqué. Je me punis moi-même. Et là, on est dans une mélancolie délirante. Le moi qui critique l’objet à l’intérieur du moi. C’est ça que va prendre Szondi. Et là, on est dans l’approche d’Abraham, la dimension cannibalique du moi.
Donc le processus énigmatique de Freud de la mélancolie est éclairé en partie par ce mécanisme de l’identification. Et là, il donne une définition de l’identification qui est géniale, je trouve, notez-là, Amen ! on ne la trouve pas dans les cours de psychopathologie : c’est un mode de transformation de l’investissement d’objet peu résistant. Un tel investissement qui fait le tour dans le moi, va justement, éclairer la nature narcissique du moi.
Donc, on ne part pas du narcissisme qui serait déjà là, et on mettrait des couches dessus et ça va se complexifier, non ! C’est grâce à l’identification qu’il y a le narcissisme. La nature narcissique du moi se produit par l’identification. Qu’est ce qui fait que je choisis quelqu’un comme l’amour-propre ? Qu’est ce qui fait que je choisis l’objet d’amour comme un choix d’étayage, un choix ancestral ? Je choisis dans l’autre avec qui je vis mon arrière grand-mère ou mon arrière grand-père ? Ou qu’est ce qui fait que je choisis moi-même ? Moi d’accord, mais le fait que je peux choisir quelqu’un ? Et bien ça, c’est l’identification ! Et cet autre-là, ce n’est pas énorme, mais c’est important qu’il soit là sinon je ne peux plus m’aimer moi-même. S’il n’est plus là, je ne vaux plus rien, et tant qu’il est là, je peux faire la parade. C’est ça que Freud dit.
Donc un tel investissement qui fait retour dans le moi manifeste sa nature narcissique et sa régression vers cette nature narcissique nous renvoie au choix d’objet narcissique et ancestral. Le bénéfice de cette opération narcissique est que le choix d’objet n’a pas à être abandonné. Il y a une faible résistance de l’investissement, il revient toujours sur ce mot resistenz, et il y a une forte fixation à l’objet, bien sûr.
Donc, paradoxalement, le mélancolique est à la fois très dépendant de son objet et très narcissique. C’est du béton, le mélancolique. Moi, moi moi moi moi. Mais ce moi justement, ne peut fonctionner que dans cette fixation à l’objet mais l’objet n’est pas très important. Il est seulement important pour fixer son narcissisme. Et il dit : si l’identification narcissique avec l’objet devient le substitut de l’investissement d’amour, c’est que l’objet était un double narcissique du moi. A travers l’autre, je n’aime que moi-même. Finalement, je n’aime que moi-même.
GF : oui, et deux fois !
ML : oui, deux fois. Et c’est ça pour Szondi. On va voir. C’est la première fois qu’il utilise cette terminologie dans deuil et mélancolie. Il va, et ça c’est important dans la clinique, quand on travaille avec des gens qui ont des tendances mélancoliques, ou qui sont dans un deuil douloureux, il fait la différence dans ce texte entre l’identification narcissique et l’identification hystérique. Il dit que dans l’identification hystérique, elle se manifeste cliniquement dans un mime qui condense le désir de l’hystérique, c’est à dire le désir inconscient d’une identité sexuelle et la défense. Dans l’hystérie, la relation d’objet se maintient mais elle est interdite, et seul le symptôme, dans ce mime, et le rêve en sont des traces. L’identification hystérique ne touche pas le moi, ne transforme pas le moi. Au contraire, elle le protège. Elle permet que le moi reste intact. Elle le protège de l’angoisse. Et c’est souvent dans ces moments-là, au moment de tomber amoureux, au moment d’un événement où monte le désir, mais de quel ordre est cet objet ? L’investissement libidinal, etc, etc. Tandis que l’identification narcissique transforme le moi parce qu’elle amène la relation perdue et son conflit à l’intérieur du moi où il n’y a plus de protection. Et la conséquence de porter à l’intérieur du moi cette relation perdue et son conflit, c’est un clivage douloureux et c’est ça que va prendre Szondi de Freud. Un clivage douloureux entre l’instauration d’un tribunal intériorisé qui prononce un verdict, une impardonnable culpabilité du moi. Mais comment, tu oses dire que tu as aimé l’autre ? Paf, je constate que l’autre n’était là que pour moi-même parce que sans lui, je ne serais pas grand-chose. Mais, lui, l’autre, il n’a servi que pour moi, pour gonfler mon moi. Alors, là, si tu fais un accès mélancolique, je n’ai pas besoin de porter plainte contre toi, tu portes plainte toi-même, et le verdict est vite fait. Une impardonnable culpabilité. Et on imagine bien que Szondi a pris ça, lui l’homme paroxysmal, l’homme du juge, du tribunal. Il va prendre ça chez Freud. L’identification narcissique, dit Freud, altère le moi, transforme le moi mais le salaud de mélancolique, c’est un salaud le mélancolique, il préserve l’objet auquel il ne renonce pas. Il ne peut pas renoncer à l’objet et tant mieux qu’il ne peut pas, sinon il se tue… mais, dit Freud, pour son malheur.
SD : il est compatissant
ML : Non !! Je ne sais pas s’il compatit. Il ne comprend pas la douleur. L’identification narcissique et l’identification mélancolique sont synonymes et il va le développer en mettant en rapport le type du choix de la maladie. Et Abraham développe cette étape du développement libidinal et surtout la phase cannibalique. Je dévore l’autre, je le prends en moi. Les crimes passionnels sont souvent des crimes mélancoliques. Comme ça il m’appartiendra toujours et il ne bougera pas. Sauf quand moi je veux. Je peux le vomir. Là, il bouge. Donc il dit qu’il existe un moi qui choisit son objet, ça veut dire quoi, qu’il le dévore, qu’il l’incorpore, qu’il le transforme dans le moi. Pour Szondi, c’est très important. Choisir quelqu’un. Est-ce cannibalique ou pas ? Est ce sadique ou pas ? Il doit donc y avoir dit-il quelque chose de plus pour pouvoir l’incorporer.
JA : gardes-en pour demain.
rires
ML : oui. Vous êtes fatigués ?
Pourquoi je le garde en moi, pourquoi je ne peux pas le lâcher ? Parce qu’il y a de l’ambivalence. Si je ne le garde pas, l’autre peut me taper dessus, donc je le fais à mon image. Bon, et voilà, c’est tout. On verra ce qu’on fait demain matin.
Samedi 11 Janvier 2014
Georges a demandé de reprendre au point où Freud rajoute quelque chose. Et c’est vrai… là, j’ai pataugé.
C’est la première fois que Freud utilise cette notion-carrefour, l’identification inconsciente, l’identification narcissique ou l’identification mélancolique et comme toujours, pour essayer de mieux cerner l’identification narcissique, il la compare à l’identification hystérique. L’identification narcissique provoque une transformation du moi. Et dans la mélancolie, cette transformation du moi se produit en important la relation perdue et son conflit à l’intérieur du moi. Il va y avoir dans le moi ce clivage douloureux et ce tribunal intériorisé prononce un verdict, c’est à dire cette impardonnable culpabilité du moi.
LFC : Dans la mélancolie de Burton, il n’y a pas du tout cette notion de culpabilité ?
ML : Non, il dit très bien qu’il n’y a pas du tout de honte.
LFC : donc, là, on ne parle pas de la même mélancolie.
ML : mais le coup de génie de Burton, à la fin de la renaissance, c’est de décrire par la forme satyrique cette folie. Et chez nos peintres flamands, à la même époque, il y a cette monstruosité sans aucune honte.
LJ : il y a ce musée à Bruges qui est époustouflant
DP : Il faudrait aussi bien distinguer la honte de la culpabilité, en particulier chez Herman.
ML : Oui ! Et on disait hier que Freud n’avait rien inventé quand il écrit qu’il n’y a pas de honte dans la mélancolie.
LFC : Tu disais hier que Burton évoquait les critiques vis-à-vis du monde de la mélancolie, mais qu’il ne parlait pas des autoreproches tels qu’ils sont décrits par Freud.
ML : Oui, mais la manière dont Burton présente le mélancolique comme un acteur/auteur masqué qui se présente ainsi doublé, il existe toutes ces critiques qu’il se fait à lui même, à l’auteur, mais c’est lui l’acteur. Dans le moi mélancolique chez Freud, il y a aussi un doublement, cette instance critique divisée en deux, cette scission…
GP : D’où nait la culpabilité ?
ML : il n’y a pas de culpabilité en soi, mais cela peut aller jusqu’au délire de culpabilité !
GP : Et l’autocritique ?
ML : dans la mélancolie simple, non, il n’y a pas de culpabilité.
LFC : Mais quand le mélancolique tient des propos comme « et si je n’avais pas fais ceci ou cela, cela ne se serait pas produit »
ML : ah, ça, c’est la phénoménologie. C’est autre chose. C’est à partir du temps. Freud ne parle pas de ça.
LFC : Mais l’autoreproche ?
ML : L’autoreproche chez Freud est un reproche adressé à l’autre. Il y a deux instances dans le moi. Cette scission du moi. Le moi qui se reproche par le moi qui juge.
Public : c’est un jeu
Public : c’est un reproche à lui qui n’est pas lui
ML : c’est le moi. C’est un jeu d’acteur.
GP : Quand on dit « l’ombre de l’objet qui tombe sur le moi », en quoi consiste l’ombre ?
ML : L’ombre ? On ne sait pas. C’est par l’identification. Freud dit qu’on ne sait pas. C’est un travail très énigmatique. On ne sait pas comment on peut l’aborder. C’est qui l’autre ? C’est à partir de là qu’il va dire que le narcissisme existe par le mécanisme de l’identification. Il n’y a pas le narcissisme puis l’identification. C’est l’inverse. Il y a l’objet aimé et perdu qui va constituer le narcissisme. Et l’ombre de l’objet c’est cette combinaison entre le moi qui émerge à partir de cette identification. Mais on ne sait pas. Il dit en même temps que la libido qui est investit dans l’autre est peu résistante. Il n’y a pas grand-chose. C’est pour ça qu’il peut tomber sur le moi. Donc c’est une partie énigmatique de l’objet. Le mélancolique sait qui il a perdu, mais il ne sait pas ce qu’il a perdu. C’est quoi « ce » qu’il a perdu ? C’est ça qu’il a perdu.
LJ : L’autre il est juste là un peu présent ?
ML : Il est dévoré. C’est là où on va. Il est incorporé. Il ne reste rien.
LFC : l’objet peut changer ?
ML : le thème peut changer. Mais on reprendra ça plus tard. C’est une toute autre approche de Binswanger. Il a dit à Freud qu’il n’était pas allé assez loin.
Mais revenons à Freud. C’est crucial de bien comprendre ce qu’est l’identification. Si l’identification est le stade préliminaire qui rend possible le choix d’objet – l’ombre de l’objet a à voir avec le choix de l’objet qu’on fait. Et on avait dit hier soir, que le choix d’objet était ancestral… pour m’aimer moi-même, quelle est la trace de l’arrière grand-père ou de l’arrière grand-mère dans mon choix d’objet ? Déjà dans le choix d’objet d’amour, il y a une ombre de l’ancestral. Mais on n’en sait rien. Même douze ans d’analyse sur le divan ne va pas découvrir nécessairement la trace de l’arrière-arrière grand-père ou grand-mère dans notre choix d’amour.
GP : ça sert à quoi alors ?
ML : à rien ! (rires) à s’occuper un peu !
Public : à s’endormir ! (rires)
ML : à payer sa culpabilité qu’on s’endort auprès de quelqu’un sans plus ! (rires)
DP : qu’on s’endort à l’ombre ! (rires)
ML : si l’identification, dit Freud, est la première manière dont le moi élit son objet, alors elle est l’œuvre du narcissisme puisqu’il existe un moi qui élit son objet. Et c’est toute cette dialectique chez Freud ! L’identification manifeste fait apparaître le moi. Sans le mécanisme de l’identification, on ne peut pas parler du Moi. Aimer l’objet dit-il, c’est le dévorer, c’est l’incorporer, c’est le transformer dans le moi. Et il ajoute qu’une telle incorporation n’entraine pas, pour chacun de nous, une mélancolie. Cette incorporation est nécessaire pour nous tous, mais cela n’entraîne pas pour nous tous une mélancolie, ou une position dépressive, comme chez Mélanie Klein. Freud dit qu’il doit y avoir dans la relation narcissique du mélancolique quelque chose de plus que l’incorporation pour provoquer la mélancolie. Et c’est là qu’il parle de l’ambivalence, de l’intensité de l’ambivalence. Et il va, pour une fois, être d’accord avec un élève, Karl Abraham. Il va se référer explicitement à Karl Abraham et à ce qu’il avait élaboré autour de la dépression névrotico-obsessionnelle.
On connaît bien l’ambivalence obsessionnelle mais qu’est ce qui fait qu’il y a cette dimension dépressive dans la névrose obsessionnelle ? Freud dit que le deuil pathologique de l’obsessionnel a un lien avec les autoreproches qu’il se fait. Il se sent responsable de la mort de l’objet. Après la mort, nous sommes en présence de ce que le conflit d’ambivalence produit à lui seul. Il n’y a pas de retrait de la libido dans le moi et les autoreproches se produisent tout seuls. Les autoreproches procèdent du retournement des pulsions sadiques et haineuses sur le moi mais le moi ne disparaît pas. Ce retournement s’opère par identification à l’objet mais le moi reste intact dans la névrose obsessionnelle. C’est une scène. Il va jouer sur la scène devant lui cette structure d’ambivalence de la haine et de l’amour mais le moi reste spectateur. Ça, c’est l’approche de Lacan de la névrose obsessionnelle. Il va se mettre dans les gradins d’une arène et il se regarde sans savoir que c’est lui qui est dans l’arène en train de tuer l’autre. Personne ne sait que c’est lui et lui d’abord mais il n’empêche que lui, il regarde bien.
GP : oui, comme tous les névrosés
ML : oui, exact
GP : comment peut-on entendre la dimension du sevrage par rapport à la perte de l’objet?
ML : dans le deuil, comment je peux me sevrer de quelqu’un ?
GP : comment une crise vitale se résout en intention mentale ? Tout à l’heure, tu parlais d’incorporation d’objet, c’est un objet réel qui est incorporé. Le lait… il est arrêté… le lait est au bébé mais le sein est à la mère... Tu parles de la dimension cannibalique… c’est parce que l’enfant refuse de perdre le sein qu’il va le représenter. Donc la dimension cannibalique…
ML : mais Freud dit : qu’est ce qui fait que cette incorporation n’entraîne pas pour chacun d’entre nous une mélancolie ? C’est là où il dit qu’il faut quelque chose de plus. Et donc, il prend Abraham et dit qu’il ne faut pas seulement une dimension orale mais aussi une dimension anale. Cette ambivalence, ce conflit, cette haine sont nécessaires pour déclencher une mélancolie.
GP : le corps est orienté alors
ML : je ne sais pas si le corps est orienté, ça c’est un autre langage
GP : il y a la bouche d’en haut et la bouche d’en bas.
ML : oui, ça, ce sont des images du corps. En tout cas, ce n’est pas le langage de Freud.
GP : non, mais c’est pour voir s’il y a des liens, pour pouvoir l’articuler.
ML : quel est le langage d’Aulagnier ? Là, c’est presque des pictogrammes. Peut-être que c’est à partir de là, des textes de Métapsychologie et les autres, ce qu’on expulse et ce qu’on garde.
GP : quand tu parles de l’ombre de l’objet, cela me fait penser à comment cela tombe dans le corps.
ML : oui, mais, ce n’est pas le langage de Freud, ça.
GP : le moi n’est pas constitué, il est en phase de constitution
ML : moi, j’aime bien quand Freud dit que le moi n’existe pas. C’est par l’identification qu’on voit que le moi marche. S’il n’y avait pas d’identification, il n’y aurait pas de moi. Il y a cette dialectique entre l’identification et le moi. L’un ne va pas sans l’autre. Le narcissisme ne fonctionne que s’il y a identification. Ça, c’est la trouvaille de Freud. Le moi se constitue par l’identification. Et on voit bien dans les névroses et surtout dans la névrose obsessionnelle où il y a la question de la haine et du sadisme plus que dans les autres névroses, -la haine n’est pas primordiale dans l’hystérie, au contraire c’est plutôt l’idéal-, on voit bien que le moi n’est pas touché, il n’est pas transformé. Il regarde, intact. Il va rester intact. Et personne ne s’aperçoit que c’est lui qui est en question. Il peut projeter dans l’arène ce qui se passe. Lacan utilise l’image de l’arène pour rendre compte de ce qui est énigmatique pour Freud, ce travail intérieur.
GP : l’arène intérieure a son pourtour de gravats
ML : je ne sais pas
GP : c’est Lacan, quand il parle du moi.
ML : Ah bon ?
GP : Oui, pour Lacan, le stade du miroir, c’est dans les 6-18 mois
ML : Oui, oui, oui… mais il a toujours dit que c’était pour faire plaisir à je ne sais qui….
GP : c’est d’abord dans l’autre que je me reconnais. C’est le premier temps.
ML : oui, la me-connaissance est une méconnaissance, oui.
GP : c’est propre à l’être humain
ML : ce qui est important pour Freud et je ne sais pas s’il aurait été d’accord avec Lacan, c’est « explique-moi ce moment jubilatoire ». Il constate chez le petit, quand il va s’aliéner dans cette image, que cela provoque un moment jubilatoire. Ce qui intéresse Freud c’est ça. « Qu’est ce que c’est ce moment jubilatoire ? » « je ne peux pas expliquer la joie triomphante du maniaque ni la douleur du deuil. ». Qu’est ce qui est de la joie dans l’aliénation ?
JA : sur la figuration de la mort, est ce qu’on a des petits mélancoliques ? Cela arrive plus tard la mélancolie.
ML : je ne crois pas. Il y a profondément des structures maniaco-dépressives chez tout le monde mais il n’y a pas de mélancolie chez tout le monde. Freud dit que la mélancolie est un trouble du moi. C’est un trouble du SCH dans le Szondi. Il y a des dépressions partout, c’est universel, mais pas de mélancolie. Non, il n’y a pas de petits mélancoliques. Dans la littérature peut-être… Baudelaire appelle sa maladie une petite mélancolie.
JA : à l’adolescence, c’est une étape quand même…
ML : non, ce n’est pas une étape. Il y a des moments de joie, il y a des moments de vide, on ne peut jamais expliquer pourquoi, c’est ça qui donne le rythme de la vie. Quand il n’y a plus ces alternances, cela peut s’immobiliser et devenir une maladie. Mais cela n’a rien à voir avec l’adolescence ou les petits… en tout cas, les petits, les ados, les adultes sont des coupures qui ont été introduites à la fin du XIXème, avant cela n’existait pas. Donc, il faut arrêter de dire que cette classe d’âge correspond à quelque chose de spécifique…
JA : c’est quand l’enfant commence à penser la mort.
ML : c’est quoi la mort pour un enfant ? C’est quelque chose qui ne continue pas à naître. « Mon lapin qui meurt, c’est plus important que la mort d’un grand parent qui a vécu 100 000 ans… tout le monde pleure le grand-père et personne ne s’intéresse à moi qui pleure mon lapin qui a vécu 2 jours. » ça marque un petit. C’est ça la mort pour un petit. C’est de ne pas pouvoir continuer à naître. « Ah, vous avez tous un délire d’immortalité, vous ! » Le mortel est impossible pour le petit. « Mais vous êtes impossibles ! » C’est ça la mort pour le petit. « Laissez le grand-père ou le grand-mère tranquilles, ils ont fait plein d’enfants, ils peuvent être tranquilles maintenant ». Ce qui intéresse l’enfant dans un petit oiseau qui est mort, c’est comment le faire renaître.
Et Freud demande ce qu’est le suicide. Hier on posait la question pourquoi la mélancolie fascinait tant les gens. Parce qu’il y a cette question de la fureur, de la haine, du chagrin et le mystère du suicide. Pourquoi on ne peut pas attendre la mort ? Pourquoi on se la donne ? Pourquoi on est impatient avec quelque chose qui est là ? Qui ne s’est jamais trompé dans l’histoire. Personne n’est jamais devenu immortel.
GP : le germen est immortel dit Freud dans Introduction au narcissisme.
ML : ah peut-être… oui… elles ne peuvent pas se suicider.
Le retournement de cette haine peut avoir dans la mélancolie des effets catastrophiques. Et c’est ça qu’explique bien la phénoménologie. Et c’est peut-être cette approche-là du suicide qui a ouvert le champ de la phénoménologie. Il n’y a qu’un acte, et je trouve ça terrible, qu’un acte transcendantal vital du mélancolique, c’est le suicide. C’est ça qu’a abordé la phénoménologie.
Freud dit que c’est le sadisme qui fournit l’explication de cette énigmatique tendance au suicide. Freud dit, et je lis : « L’analyse de la mélancolie nous enseigne que le moi ne peut se tuer que lorsqu’il peut, de par le retour de l’investissement d’objet, se traiter lui-même comme un objet, lorsqu’il lui est loisible de diriger contre soi l’hostilité qui concerne un objet et qui représente la réaction originelle du moi contre des objets du monde extérieur. » Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il peut se tuer.
Et on retrouve ça chez Abraham. Cette tendance énigmatique au suicide. Pour Abraham, et moi j’aime bien ça, la mélancolie est la forme archaïque du deuil. Il y a un moment introjectif cannibalique dans le deuil. Il n’y a qu’à regarder les rites funéraires. Il va mettre l’accent sur le lien entre le cannibalisme, le deuil et la mélancolie. Il va développer quelque chose que Freud n’avait pas vu, c’est l’introjection du mort. Pourquoi on garde le mort. L’introjection du mort qui assure la pérennité du mort à l’intérieur du moi. L’objet aimé qui meurt survit dans le moi. C’est très actuel. Par exemple, cette énigme de ceux qui ont survécus dans les camps et qui se sont suicidés comme Primo Lévi, Bettelheim. L’objet aimé métabolisé dans le moi est le seul moyen que le moi puisse continuer à vivre. Abraham dit que le moi ne dispose que de cette seule ressource narcissique, l’introjection métabolisée pour garder l’objet et pour se maintenir en vie. Si on va se sevrer de l’objet aimé, on meurt.
Public : Le moi meurt.
ML : On meurt ! Le suicide peut arriver !
Moi, j’adore faire des entretiens avec des gens à qui on peut demander, sans qu’on nous prenne pour des fous, d’aller chercher une chaise pour les morts. Et on peut ainsi avoir 6 ou 8 chaises, comme ça, autour de nous et comme le dit von Weizsäcker, on fait le tour, on demande la permission pour faire la conversation. Au lieu de les éliminer, de dire qu’on va les oublier ! C’est ça qu’il dit Abraham. Le moi ne dispose que de cette ressource narcissique pour se maintenir en vie. Mais mon cœur gonfle. Tu t’imagines tous ces morts qui sont là ! Et là-dedans, il peut y avoir des gens que j’ai beaucoup aimés, une arrière grand-mère par exemple... Et il dit que dans la mélancolie, à travers les autoreproches, dans le fait de dire que je suis un monstre, que je ne vaux rien, que je suis le plus mauvais, etc., etc., et bien, dans ces autoreproches, il y a une énorme toute-puissance. Il y a une surestimation de soi. Et c’est là-dessus que Szondi continue. Il y a une toute-puissance inversée. Et celui qui se prend pour rien du tout ne se prend pas pour rien. La part du moi qui est ainsi surestimée, c’est la haine. C’est la haine qui est énorme. Cette démesure en négatif dit Freud, cette démesure de la haine, -qui touche le moi bien sûr-, cette démesure démoniaque laisse percer le narcissisme mélancolique. Abraham dit qu’il y a souvent chez le mélancolique quelque chose de Faust. Un des plus grands textes de la littérature, c’est Faust. Le pacte avec le diable. A Louvain, il y a un prof, qui est mort maintenant, qui a consacré toute sa vie à un petit texte de Freud sur un peintre « La névrose démoniaque au XIXème siècle ». C’est un tout petit texte d’une dizaine de pages. Et ce prof a consacré toute sa vie aux archives de ce texte. Quel était ce peintre, quel était son délire, et quel était ce pacte avec le diable, le contexte de Faust, quand Starobinski décrit Méphistophélès comme un grand mélancolique, c’est parce qu’il s’identifie au diable. Cette haine diabolique ! ça c’est le rapport de Abraham à la mélancolie. Cette ambivalence qui va aller jusqu’au délire démoniaque ! Voilà. C’est un peu plus clair qu’hier soir ?
On passe à qui ? Tellenbach ?
Cette pensée psychiatrique qui passe par la sémiologie chez Kraepelin, passe aussi par une méthodologie typologique. Et Tellenbach va constituer une méthodologie centrée autour du type mélancolique. Mais qu’est ce que ça veut dire « type »? Son livre La mélancolie n’est plus édité. La première édition était en 1961 et la troisième en 1976. Il a aussi écrit un livre « Goût et atmosphère ».
Donc on va aller dans un monde qui n’est plus du tout un monde mécanique. On peut dire tout ce qu’on veut, que la logique psychanalytique est géniale, mais cela reste un peu mécanique. On va substantifier des termes et on va essayer de les associer l’un à l’autre par des mécaniques. La phénoménologie, elle, va essayer de rendre possible toutes ces mécaniques. Ils sont bien ces concepts, mais ils viennent d’où ? Qu’est ce qui les rend possibles ? On arrive dans cette zone-là. On doit faire un tour dans la tête et passer d’une pensée mécanique à une pensée de possibilité. Tellenbach fait la différence entre un symptôme et un phénomène. Il part d’un exemple très simple : le névrosé obsessionnel est hanté par la propreté et le symptôme est toujours le même ; par exemple il passe son temps à se laver. C’est un symptôme. Mais l’analyse phénoménologique met en évidence une intentionnalité tout à fait divergente du même symptôme. L’analyse phénoménologique n’explique pas le symptôme mais essaye de voir quelles sont ses possibilités. Dans un cas, c’est possible que cela soit pour éviter de salir les autres et dans un autre cas, c’est pour se débarrasser de la saleté qui est sur lui. Ce sont deux phénomènes très différents. C’est à partir de là qu’il fait la différence entre le symptôme et le phénomène. La phénoménologie étudie les phénomènes et pas les symptômes. Dans mélancolie et manie, Binswanger dit qu’il faut dépasser la symptomatologie. D’accord Freud, d’accord les autoreproches, l’absence de honte, d’accord l’objet perdu. Mais ce qui intéresse les phénoménologues sont les conditions de possibilité de la thématique. Ce qu’il va appeler la thématique. Ce qui se détache du thème pour nous ouvrir un autre espace. Dans un premier temps, on laisse les symptômes et on va étudier ce qui les rend possibles. Phénomène. L’analyse phénoménologique s’occupe des phénomènes. C’est ce qui est le plus souvent caché, l’intentionnalité est le plus souvent cachée : il ne peut pas s’empêcher de se laver mais on ne sait pas son intentionnalité. Le symptôme nous montre quelque chose qu’on est tenté d’expliquer parce qu’on a toute une conceptualisation d’avance, un modèle théorique, nosologique, comportementaliste, psychanalytique, etc. qui nous donne un moyen pour interpréter le symptôme. Je ne peux pas arrêter de me laver. Le comportementaliste va donner un sens complètement différent d’une approche psychanalytique ou interactionnelle ou je ne sais pas quoi. Donc, le symptôme qui nous tombe dessus est interprété selon une afférence diagnostique. Cela n’intéresse pas la phénoménologie. Elle étudie seulement le phénomène. Ce n’est pas un indice de maladie comme dans la symptomatologie mais c’est une manière d’être qui est directement liée à l’expérience phénoménologique. Ça, c’est la première chose, la différence entre symptôme et phénomène.
Deuxième chose : Tellenbach va approfondir un vieux concept qui reprend Platon, Aristote, il reprend cette idée fondamentale, la physis et il va donner ce concept profond qui englobe tout : l’endon. Qui va donner endogène. Pourquoi il fait cette sorte de métaphysique ? On lui reproche. Comment ! Tu fais de la philosophie, tu ne fais pas de la clinique. Il dit qu’il utilise ce terme car toutes les explications somatiques, biologiques, psychologiques, psychanalytiques sont insuffisantes. Parce que cela ne peut pas expliquer la globalité de la maladie. Il constate que Freud, dans « Deuil et mélancolie », en faisant un tableau de la symptomatologie de l’être humain dans un état dépressif n’explique pas. Il n’explique pas pourquoi le dépressif ne peut pas se lever et fait la fête le soir. Il ne peut pas l’expliquer. Il le constate. Pourquoi il y a cette asthénie ? Pourquoi il y a cette lourdeur? Freud dit bien que la douleur, la joie, il ne peut pas l’expliquer. Tellenbach plaide pour une approche endogène, c’est à dire pour penser ensemble les modifications nycthémérales, c’est à dire les troubles de rythme et les mécanismes psychiques. Le processus endogène, l’endokinèse, le mouvement de cet ensemble pour pouvoir penser tous ces phénomènes ensemble. La mélancolie de Tellenbach est un grand classique. Moi, je l’aime beaucoup.
Donc il reprend ce concept grec de physis, la nature d’Aristote et il traduit physis par endon pour décrire le processus comme source d’énergie, energeia, le processus de nature qui rend cohérent dans un ensemble le moi et le monde. On ne va couper le dedans et le dehors. En psychanalyse, souvent on coupe le dedans et le dehors. Il n’y a pas de coupure. Il y a toujours une réciprocité entre le dedans et le dehors. Chez Lacan aussi ! La bande de Moebius, c’est bien pour dire qu’il n’y a pas de coupure entre le dehors et le dedans. La mélancolie chez Tellenbach est une révélation de cette liaison originaire du moi et du monde et du monde et du moi qui se manifeste sous des formes spécifiques dans des situations spécifiques. On quitte le mot objet. On quitte la logique de l’objet et on passe à une logique de la situation. Il ne parle plus de l’objet. Oublions le mot objet. Et Lacan, il est mignon avec son objet a ! C’est une trouvaille mais… pfff… il faut chercher sa queue à l’objet a, hein ! Là, la phénoménologie dit fini l’objet ! Fini ! On parle de la situation. Et bien, ces formes et ces situations est ce qu’il appelle endogène. Cette liaison originaire du monde et du moi se montre dans la mélancolie sous des formes spécifiques dans des situations spécifiques. Ça, c’est la deuxième chose. Première distinction symptôme/phénomène, deuxième distinction, objet/situation. Bon, c’est ainsi que j’ai abordé la mélancolie. C’est un livre difficile et je l’ai abordé ainsi pour que vous puissiez le travailler, le concept d’endon.
Troisième chose : la description d’une structure typique. Le type mélancolique qui vit dans des situations caractéristiques, on donnera des exemples, ces types mélancoliques qui ont un vécu qu’il ne faut pas bouger. J’anticipe : quand vous travaillez en psychiatrie ou dans la santé mentale, toutes ces conneries, on entend : « on a un projet pour lui ! Il va se déplacer. Il va venir à un atelier. ou si on est un peu pervers, il a 25 ans, il pourrait sortir de la maison familiale, de la niche, il faut qu’il déménage ! ». Aaaah. Quand quelqu’un est touché par le type mélancolique, attention ! Il peut là, glisser inévitablement vers un état mélancolique. Et Tellenbach dit que deux concepts sont importants : situation et type. Qu’est ce que la situation ? Comment dit-on que l’homme n’est pas un objet mais en situation ? L’être humain est lié aux autres par être en situation de. Une relation originaire entre une personne et le monde qui n’est pas statique et qui produit. La relation est une production constante de l’être au monde. En français, ils ont forcé le mot : l’être au monde situationne constamment le monde. Il n’est pas objet, il situationne toujours. Et cette situation qu’il situationne, elle est vécue. Et Tellenbach dit que la vie humaine et une succession permanente de vivre des situations. On utilise ce mot tout le temps et on ne s’y arrête pas. La phénoménologie le fait et s’arrête sur les mots qu’on utilise souvent et auxquels on ne fait pas attention. « Il est dans une situation difficile ! ». Si on fait attention, on peut voir que l’on utilise énormément ce mot « situation ». Il dit : « la situation du type est quelque chose qui se laisse appréhender comme produit par la typique d’une personne. » dans le commerce les uns avec les autres, comment je peux situer le par rapport à l’autre ? Parce que sa situation est typique. Le type constitue le contexte de renvoi aux autres hommes comme telle ou telle situation de telle ou telle personne. Je cite Tellenbach : « Le type situationne ceux-ci selon leur spécificité propre. » Cela arrive, quand on dit qu’on reconnaît telle ou telle personne à sa façon de marcher, à son pas. Il n’a même pas besoin de parler. On le reconnaît. C’est typiquement lui. Le « typiquement » renvoie à la situation du sujet d’être au monde.
LJ : est ce qu’on peut parler de singularité ?
ML : c’est plus large, car la singularité, on ne peut pas en faire un ensemble. Le type situationne selon leur spécificité. Tout le monde est singulier mais ce n’est pas pour autant qu’on peut le nommer. La méthodologie de la typologie renvoie aux autres. De se situer dans un ensemble. Et la connexion entre type et situation se montre, dit-il, dans deux mécanismes fondamentaux de la mélancolie : l’includence et la rémanence regroupés dans le mot intraduisible, je ne sais pas comment ils l’ont traduit… ordentichkleit, l’esprit d’ordre. Ordentichkleit est le mot fondamental, difficile à traduire : c’est quelqu’un qui vit selon un ordre dans le temps et dans l’espace mais aussi la manière. Il vit selon la morale. Il faut vivre comme il faut. Il faut s’adapter aux convenances, selon le sens du devoir. « Mets-toi correctement à table. Quand on est en famille, tu peux laisser rouler ton tracteur sur la table, mais quand il y a des gens qui viennent, il faut être convenable. Les convenances c’est pour le public. » « Je ne comprends plus rien. Pourquoi faut-il être comme ça quand quelqu’un vient ? Est-ce le représentant de la morale ? Il y a le représentant des machines à laver et le représentant de la morale. ! » Pour le petit, c’est quelque chose ! Cela s’apprend mais ne se comprend pas. Le texte de Maldiney, Comprendre, parle de ça : il y a en nous, dans notre vie, une césure, entre apprendre et comprendre. J’apprends des choses que je ne comprends pas. Et je peux demander à mes parents, mais ils sont bouche bée : « c’est comme ça ! Tu te tiens droit quand les grands parents viennent ! ». Tout cela est inclus dans le concept ordentichkleit.
Au niveau de l’espace, Tellenbach dit qu’il y a une tendance au maintien de tout ce qui est donné : le d-. Il y a quelque chose qui est là, qui est donné. Vous êtes mariés, vous êtes heureux. Qu’est ce que vous avez encore à faire dans votre vie ? Le garder ! d- ! Retenir, garder, conserver. Cette tendance à maintenir ce qui est donné. Ce peut être toute la vie. Et quand il y a un mort ou une maladie dans une famille où je m’épanouis, ça peut glisser vers la mélancolie. Donc, quand on travaille en clinique, c’est très important de toujours tenir compte de la situation qui peut changer d’un jour à l’autre.
Au niveau du temps, ce sont des gens qui sont des fanatiques du programme. Le goût de ce qui est programmé, de tout ce qui peut se programmer. En 1961, il donne l’exemple prophétique des programmes de télévision. Depuis les années 60 ils se sont multipliés ! Enormément ! Il y en a maintenant une quarantaine. On les trouve près de la caissière dans les supermarchés. Et ça touche profondément l’esprit d‘ordre, l’ordentichkleit. Donc ils vont jouer avec ça, et ça produit des conneries ! J’ai demandé à la caissière : mais vous en vendez combien ? Elle m’a répondu : énormément ! Et il paraît qu’il y a une lutte terrible pour celui qui sera proposé juste à côté de la caissière. Vous ne vous êtes pas aperçus ? Et bien, je crois que si on veut faire de la recherche clinique, ce sont les endroits où il faut aller, où les gens sont en situation. On ne va pas étudier quelqu’un mais on va étudier le vécu dans telle ou telle situation. Et quand on regarde des personnes qui vivent leur petite vie dans leur petite maison, on n’a pas à juger, il y a toujours tout près, la télécommande et un programme TV. Ça fait de l’ordre dans leur vie. C’est ça le travail clinique ! Il dit ça en 62, Tellenbach ! Cet esprit spéculatif, il était un homme très grand, imposant, sérieux. Et il racontait ces histoires là au bistrot, il prenait un Schweppes… il avait un humour… Chaleureux, très chaleureux, timide, et qui raconte qu’il avait été voir des caissières de supermarchés pour demander… et moi j’étais jaloux, et j’ai fait la même chose. Et c’était aussi pour organiser à La Borde un atelier télé et pour ne pas qu’il y ait le soir la bagarre pour regarder les programmes. Il y avait un petit gamin que je suivais, et son paroxysme montait, montait parce qu’il cachait la télécommande… la dernière fois, je lui ai dis : je vais trouver pour toi, pour Noel, une télé doudou. Mais je n’en ai pas encore trouvé. D’ailleurs, j’en profite pour vous demander : est-ce que vous savez où je pourrais trouver une télé doudou ?
GP : il te faut aussi un plaid… et un oreiller…
ML : oui, c’est ça que je cherche… allez tu me le donnes
Public… rires
ML : donc l’esprit d’ordre au niveau de l’espace et du temps donne aussi d’autres traits de ce type mélancolique : un degré élevé d’auto exigence, bien sûr. C’est une sur-identification au rôle social, professionnel, ou intime. Il n’y a pas de distance entre le moi et le rôle. Il n’y a rien de pire pour quelqu’un qui est touché dans cette zone de la vie de l’esprit et de l’ordre, il n’y a rien de pire que d’être dans la solitude. Il n’y a rien de pire parce qu’ils ne peuvent pas s’identifier à un rôle. Ils sont seuls. La vie du type mélancolique est donc, dit-il, une vie qui est soumise au travail, au devoir et à une conscience morale pour garder l’ordre pré-donné. Le travail, le devoir, la conscience morale sont les gardiens de l’ordre pré-donné. Que cela ne bouge pas. Si ça bouge, si il y a un changement, il y a peut-être quelque chose qu’il n’a pas bien fait. Il est en faute. Il y a chez ces types mélancoliques, toujours une menace de la faute. Ils prennent tout au sérieux. Et c’est par là qu’il aborde Kierkegaard. Il a écrit un livre sur Goethe et Kierkegaard pour préparer son livre sur la mélancolie. Il a fait une sorte de pathographie de Kierkegaard et de Goethe comme tous les deux types mélancoliques en disant que tous les deux prennent tout au sérieux. Il donne plein d’exemples. Et il y a le texte de Kierkegaard sur le sérieux. Il n’avait pas le choix de ne pas travailler. Il dit par exemple de Kierkegaard qu’il met en question toutes ses constructions de système qu’il brise. Pourquoi ? Pour délimiter autrement. C’est ça le sérieux. Tout ce que je vis doit être délimité. Avec des limites très précises. Et c’est là-dedans qu’il s’enferme dans les limites et c’est à l’intérieur de ces limites qu’il peut trouver un équilibre et une certaine indépendance. Je suis même indépendant de Dieu, dit Kierkegaard. Je suis dans la foi mais je fais des péchés pour montrer mon indépendance par rapport à Dieu. Parce que je l’ai délimité dans ma vie. Ce n’est pas celui-là, ce n’est pas celui-là, ni celui-ci… mais celui-là.
Donc cet équilibre et cette indépendance sont extrêmement fragile parce qu’il n’y a pas d’ouverture au changement. Et quand il y a un changement, c’est un changement pour pouvoir le délimiter tout de suite. Il n’y a jamais que des buts proches et il ne peut pas vivre dans la perspective. Ça, c’est la première grande chose, c’est la grande auto exigence.
La deuxième tendance est la tendance à la communication symbiotique. Pour Tellenbach, communication symbiotique c’est faire pour autrui. Il fait pour autrui, il fait à la place de l’autre, pas comme un masochiste mais pour ne pas être en faute ou en dette. Si l’autre fait quelque chose pour moi, je pourrai lui être redevable. Non ! Pas de dette ! Surtout vers l’autre familial.
Alors, dette. C’est difficile en français. Pour nous c’est facile. Debet. Débit. Dans le sens financier. C’est dans ce sens là.
JA : parfois, on vient au secours des surendettés et on leur raye leur ardoise
ML : ça, c’est terrifiant pour le mélancolique. Toutes ces conneries sont terribles pour le mélancolique, c’est invivable.
GP : on n’en voit plus des mélancoliques !
ML : on n’en voit pas parce qu’ils sont trop proches. Ils sont là !
SD : ils sont partout !
(rires)
ML : ils sont là ! Viens un peu à La Borde. Il y en a qui tombent profondément malades et qui sont dans une souffrance suicidaire, dans une souffrance d’errance… comment se fait-il qu’ils n’arrivent pas à faire les formalités administratives ? C’est parce que leur spécificité typique est interpellée et ils ne peuvent pas faire les changements. Va à la préfecture pour faire ton passeport. C’est rien du tout mais c’est énorme ! Le type mélancolique qui peut glisser à ce moment là…
Donc, faire pour autrui ou ne pas rester en faute dans le sens du débit, et c’est une terminologie de Heidegger, une sollicitude particulière. J’assume à la place de l’autre toutes ses tâches. Tous ses besoins, tout ce qu’il a à faire… je le fais à la place de l’autre. Cette sollicitude, fürsorge, j’anticipe, la protention du souci. Tous ces traits reposent sur une double négation : ne pas être non-ordonné, ne pas être non-actif. Ne demande pas à un type mélancolique de ne rien faire aujourd’hui ! Rien faire ? Aaaaaah ! C’est une catastrophe. Ne pas être indifférent. Ne pas être non-parfait. Tu t’imagines la souffrance ?
Et c’est là que Tellenbach arrive avec les deux concepts : l’includence et la rémanence.
C’est quoi l’includence ? Les limites, comme on l’a dit, sont capitales et elles protègent de ce qui peut compromettre l’ordre. Le type mélancolique, et là on arrive petit à petit dans le paradoxe, dans la contradiction insupportable qui va amener la crise, et qui va glisser inévitablement à l’état mélancolique, donc, le type mélancolique doit être séparé de ce qui peut le menacer mais en même temps il exige la proximité des autres et la proximité aux autres. Et là, -c’est le noyau de son raisonnement et là il donne plein d’exemples-, cette antinomie interne est toujours dans un équilibre critique. Il est toujours plus ou moins en crise. Et la crise devient vraiment menaçante, peut exploser quand il s’enferme dans des limites qu’il aurait à dépasser pour réaliser ses autoexigences. Il ne peut pas arrêter de travailler et quand il travaille, il doit bien faire. Il est trois heures de l’après-midi, il a fini ce qu’il devait faire. C’est parfait. Aaaaaah… il reste jusqu’à 11h du soir. Pour pouvoir continuer ses autoexigences, il doit dépasser ses limites. Donc tous les jours, il y a une possibilité de crise. Donc il doit programmer, et on doit le laisser pour qu’il puisse programmer un travail jusqu’au soir. A La Borde, ce n’est pas grave si la vaisselle est finie à 5h. Enfin, ça dépend avec qui ! Si certains sont touchés par ce situationnel mélancolique, ce n’est pas grave s’ils finissent la vaisselle vers 5-6 h de l’après-midi. Ce n’est pas grave. Mais il y a des obsessionnels et ce n’est pas du tout la même chose que le type mélancolique. Ils veulent que cela soit propre à 2h parce que sinon les microbes vont se balader, jusqu’à 5 h ça va pas non ? Et il y a de la viande de porc qui traîne encore à 4 h de l’après midi et qu’on doit remettre le couvert à 7h, tu t’imagines le bordel ? Mais ça soigne le type mélancolique ! Ce n’est pas cher pour la sécurité sociale.
LFC : On pourrait dire que chez l’obsessionnel, il n’y a pas cette notion de sérieux ?
ML : oui, tout à fait. Exact ! Il y a cette délimitation mais pour ne pas tuer. Il ne faut pas laisser trainer les microbes, car ils peuvent tuer quand même, et en même temps, c’est ça que je veux, mais de façon cachée. Cette collusion, comme dit Freud, entre le désir et la mort. Je désire qu’il crève, mais quand même, non… ! Je ne peux pas le montrer ! Tout ce travail paroxysmal qui peut amener jusqu’à la crise.
C’est le phénoménologue Kuhn qui parle de l’includence et de sa pathogénie dans la dépression du déménagement. C’est un phénomène qui a été très étudié par Kuhn, Zutt, etc. : ils situationne le monde comme maison. Et s’y enferme en lui donnant de l’espace et en s’y fixant. Très sensible à ce qui est changement de maison, au déménagement, au changement dans l’aménagement. Dis-moi comment ta chambre est aménagée et je te dirai qui tu es. Qu’est-ce que le travail thérapeutique, le prendre soin de ? Ce n’est pas de creuser son âme, c’est mettre de l’ordre dans sa maison, dans sa manière de situationner son monde. Donc, on fait le ménage dans sa chambre. Et plus personne n’accepte de faire ça. Les infirmiers ne le font pas, les aides-soignants ne le font pas parce qu’ils donnent le bain, il faut des équipes d’entretien, des techniciens de surface, ou quelques âmes qui se dévouent pour faire le ménage, mais ça devient de plus en plus dramatique à La Borde. Il y a des gens qui viennent en stage et des gens les manipulent vite, ils sont superbement touchés et ils prennent le balai. Ou des gens passionnés…
GP : vous ne faites pas l’analyse des pratiques ?
ML : Mais justement ils en font trop. La pratique, c’est la pratique de la clinique et pas la pratique professionnelle. Et dans l’analyse des pratiques, on fait de l’analyse institutionnelle, et là, bien dis donc, bravo ! On peut en parler !
Il situationne le monde comme maison. Quand il déménage, il doit dépasser des limites de l’ordre de l’habitat, et cela ne passe plus. Ça, c’est l’includence.
La rémanence, au niveau du temps. Ça, c’est la phrase, superbe, peut-être la plus originale du livre de Tellenbach : la menace de rester derrière soi. De rester derrière ses exigences à soi, mais surtout de rester derrière soi. Il est dans tous les cas, dit Tellenbach, l’être en faute quant à ses exigences, en ce qui concerne l’autre, la coexistence avec l’autre, les tâches à faire. Il est toujours derrière. Trop tard, en faute ! Le sentiment de faute apparaît comme le facteur décisif de la rémanence. Qu’est ce que ça veut dire ? Il donne deux exemples. Le premier dans le domaine professionnel : où est-il structuralement toujours en faute ? Il doit être, - ça, c’est totalement spéculatif de la part de Tellenbach, mais on le reconnaît tout le temps dans la vie quotidienne-, il doit être constamment actif, sans jamais remettre au lendemain. La perspective du type mélancolique est limitée à la journée présente, mais il exige en même temps l’exactitude et la justesse de ce qu’il fait.
LFC : l’includence est à l’espace ce que la rémanence est au temps.
ML : oui. donc il est toujours dans cette antinomie et à un moment, ça explose et il glisse dans l’état mélancolique. Dans la relation à l’autre, il se fixe le devoir d’être correct, il se fixe la tâche d’assurer la vie de ses proches. Et là, la perversion de la société… les assurances-vie. Bien sûr que c’est une clientèle énorme les types mélancoliques ! Qui ne va pas à la banque se faire une assurance vie ? S’assurer la vie ? C’est à dire se fixer, dans une délimitation donnée, la mort ? Il se fixe donc la tâche d’assurer la vie de ses proches. Ce qui exige, entre autres, l’indépendance matérielle. « J’ai ma cagnotte sous ma couette, et personne ne sait combien et ma tendre épouse me soupçonne que je vais voir les putes, parce que je lui cache, mais cela est pour s’assurer que je pourrais payer demain l’hôpital ou les lunettes… et quand elle dit que je vais voir les putes… » tchack… catastrophe mélancolique. Il ne comprend pas.
Donc cela conduit à la surestimation de l’argent. Et toi, quand tu dis qu’il n’y a plus de mélancoliques, tu parles ! Ceux qui sont touchés, qui situationnent l’argent. Quand il tombe malade, c’est la première chose à laquelle il pense : mais comment assurer ? Comment je vais trouver un substitut de mon salaire ? C’est un souci ! Comment se fait-il qu’il n’y a pas de mélancolie en Afrique ? Il y a une solidarité qui se joue autrement ! Nous, on est des connards et on le sait même pas. Donc, conséquence, dit Tellenbach, cette menace d’être en faute, de ne pas être à la hauteur de l’autoexigence, peut faire passer du débit à la culpabilité qui ne peut pas être déchargée. Je suis toujours potentiellement en faute.
Par exemple : Combien je paye la nourrice, celle qui va s’occuper de ma famille ? Quand on s’en va, on ne sait jamais ce qui peut se passer. La baby-sitter, on devrait la payer une fortune. Mais quand même, on va chercher quelqu’un qu’on ne va pas payer très cher, ou alors on va demander à des amis qu’on ne va pas payer… mais qu’on va payer quand même… Mais combien ? Pas le même prix qu’un ticket de cinéma ? Oh, peut-être quand même… on peut peut-être trouver un équilibre critique… je vais payer la nourrice 8 euros, 9 euros par heure et comme ça, on peut se permettre, comme couple de sortir au cinéma… voilà, cela le travaille toute la journée. Cet être en faute qui peut à certains moments se trouver en dette. La culpabilité ne peut jamais être déchargée, et elle est immanente jusqu’au délire parfois. Pour le type mélancolique, la faute même ne fait pas partie de la quotidienneté de la vie. Pourtant, ce n’est pas grave de se tromper, ce n’est pas grave de faire une connerie. Ça fait partie de la vie. On ne doit pas apprendre à faire des choses bien, on doit apprendre à faire des conneries. Ah, c’est rigolo les conneries ! La faute et la connerie sont immanentes à la vie. Pour le type mélancolique, non ! La faute est toujours transcendante, au delà de la simplicité de la vie quotidienne. J’aime bien cette approche. Donc le mélancolique rate la mort immanente qui fait partie de la vie, la mort comme sacrifice, la mort comme quelque chose où on ne peut pas tout faire, la mort comme finitude, la mort dans tous les sens du terme. Il rate ça. Je ne peux pas tout avoir. Il y a des gens qui ont plus d’argent que moi, mais ce n’est pas possible, comment ils font ? J’ai cinq enfants, je n’ai pas encore cinq appartements pour chacun des enfants. Aaaaah… donc, il y a la mort dans l’avoir. La mort ne fait pas partie de l’immanence de la vie. C’est pourquoi Tellenbach dit que c’est dans le suicide qu’il atteint ce dont tout le monde parle : la mort. Et c’est ça qui est terrible. Je n’ai accès à la vie, c’est à dire à la mort immanente que dans le suicide. Cette antinomie de la mort, cette antinomie du suicide. Comme je le disais tout à l’heure, le suicide, pour lui, c’est la vie. Et quand il est décidé, c’est impossible de le raisonner. C’est la raison pour laquelle, et j’avais donné l’exemple il y a longtemps mais je vais le refaire dans l’hommage à Maldiney, dans Ouvrir le livre, p 36, l’exemple de son copain Kuhn qui dit à un patient : « je vous donne rendez-vous lundi, je vous propose d’aller à Paris ce week-end, allez dimanche matin sur le pont à côté du grand palais et s’il fait beau, il y a le ciel bleu et les nuages qui bougent, c’est un Rorschach vivant. Vous allez à pied jusqu’à Beaubourg voir l’exposition permanente de Mondrian ». Ce type l’a fait et il est revenu le lundi chez Kuhn en disant: « mais ça existe, un mouvement de la vie chez un peintre qui peut se condenser dans une immobilité mouvante ! J’ai découvert que la mort fait partie du mouvement de la vie condensée dans cette immobilité rayonnante de Mondrian ». Voilà il avait découvert la mort immanente dans la vie…
Bon, ça c’était Tellenbach.
Maintenant, on va voir Mélancolie et Manie de Binswanger. Je trouve ce livre le plus difficile au monde. Moi, je n’arrive pas à distinguer ce livre de ce qu’en a dit Maldiney. J’ai toujours lu Binswanger par le regard de Maldiney. Mais ça va. Je l’aime beaucoup. C’est facile. Quand je me suis mis à travailler Binswanger lui-même… pffff… Et j’avais demandé à Maldiney, je lui avais demandé à la fin de sa vie, mais enfin mon coco, les passages les plus difficiles de Binswanger, tu ne les commentes pas ! Et il me répondait : mais non, c’est trop compliqué. Voilà, c’est un défi et je vous fais part de ce défi là.
Ce n’est pas un texte clinique mais un texte méthodologique. Il a édité ce texte en 1960, il avait déjà 80 ans. Ce n’est pas le titre qui est important, Mélancolie et Manie, mais le sous-titre Etudes phénoménologiques. Il inscrit son texte dans son évolution de penseur. C’est un approfondissement de sa pensée à partir de la clinique, à partir de ce que ça lui fait d’être touché par les gens malades. Les gens malades il les connaît depuis tout petit Binswanger, à Bellevue, où il vivait avec ses parents, ses grands-parents. Là-bas, les petits, beaucoup plus qu’à La Borde, vivaient avec et entre les malades. Et il y a ce témoignage prenant, je trouve, à la page 30 : « durant toute ma vie, j’ai revu la figure gémissante et le regard profondément mélancolique de cette femme si nettement devant moi, que j’étais extrêmement surpris de constater, au cours de mes recherches, qu’au moment de son séjour je n’avais que dix ans. Que j’aie pu être si profondément impressionné par cette figure, par ce destin, vient de ce qu’encore enfants nous étions souvent avec nos malades et nous apprenions beaucoup sur leur histoire au travers des discussions des adultes.
Si cette figure humaine, en tant que première impression de la menace intérieure et extérieure qui pèse sur notre vie, a représenté un repère précoce de mon expérience au sens de la connaissance pratique de l’homme, maintenant à la fin de ma vie elle apparaît aussi comme une figure de réalité transcendantale objective du point de vue de mon expérience scientifique. Devant ce cas clinique de mélancolie nous ne posons donc pas la question de savoir comment la symptomatologie clinique et donc l’autoreproche mélancolique sont dérivables « des dominantes de la structure de personnalité », de la constitution caractérologique et morphologique, du tempérament, de l’hérédité, etc., -ce n’est pas ma question, je vais plus loin que Freud- mais nous posons la question, qu’est-il survenu effectivement ici ?- Que s’est-il produit ici dans le survenir transcendantal du Dasein ?
J’ai dit « concentration extrême, ne comprend rien et essaye de suivre ! » (rires), avec mes excuses, pour moi-même, ce n’est pas évident.
Je donne brièvement quelques éléments de l’évolution de sa pensée : en 1930 il écrit son texte Rêve et existence. C’est là qu’il prend pour thème quelque chose qui a une objectivité délimitée, qu’on peut se représenter devant nous, comme un problème, la direction de sens. Le mot sens a trois couches : il y a le sens comme direction, dans quel sens je vais, le sens dans le sens de la signification, et le sens qui trouve sa base dans la structure sensorielle. Ces trois dimensions sont condensées dans direction-sens. Par exemple dans les rêves. Binswanger et la phénoménologie ne va pas s’arrêter aux associations des mots qui sont des contenus, il va détacher des mots l’espace dans lesquels ils fonctionnent. Et quel sens prend le mot dans les trois couches. Donc, il va thématiser dans des verbes moteurs, dans des mots qui ouvrent un mouvement, il va thématiser dans des contrastes : loin/proche, haut/bas, étroit/large, gauche/droite avec la signification haut/élévation par exemple, bas/la chute. loin/proche, proximité/distance. Donc, il y a tout un travail de métaphorisation
Dans Rêves et existence et dans des ouvrages qui suivent, la différence entre la schizophrénie et la mélancolie, c’est qu’il y a trop de proximité, une surproximité dans la schizophrénie et dans la mélancolie, une non-proximité.
Deuxième étape dans son évolution : il y a les thèmes. Il y a le thème du reproche dans la mélancolie, la plainte. Il a été en dialogue permanent avec Freud avec des hauts et des bas. Qu’est ce qui est à thématiser dans ces thèmes et que Freud n’a pas fait, dit-il. Qu’est ce que le mélancolique thématise ? Il joue sur les mots, il y a quelque chose à thématiser, il y a quelque chose athématique, quelque chose qui rend ces thèmes possibles. Les conditions de possibilités de ces thèmes, qu’il va développer dans des textes de 35 dans la fuite des idées, dans les études sur la schizophrénie en 57, dans mélancolie et manie en 60 et dans le délire en 1965. Donc il avait 85 ans quand il a une dernière fois essayé de trouver un espace en deçà des thématiques. Ce qui les rend possibles.
Comment, dit-il, inclure les thèmes, par exemple, le thème de l’autoreproche « si je n’avais pas… » « si j’avais fait ceci ou cela… ». Vous connaissez l’exemple : un dimanche après-midi, il fait beau, on prend le petit train jaune avec des amis, et je propose à quelqu’un de changer de place dans le compartiment. Deux minutes après il y a un accident, et celui qui a changé de place est mort. « Si je n’avais pas proposé l’excursion », ou bien – « si seulement il n’avait pas changé de place avec mon mari » etc., etc. du si, du si ne pas, du « si j’avais » « si je n’avais pas ». Comment inclure les thèmes des autoreproches dans les conditions de possibilité s de ces thèmes ? C’est ça la question.
Comment il travaille ? Il avait toujours comme base de travail Husserl. Il est ensuite passé au Dasein de Heidegger. Les existentiaux du Dasein, les thématiques, les caractéristiques pour ainsi dire brièvement de l’existence humaine, l’existence humaine qui est marquée par le souci, par l’angoisse de mort, par la facticité. Je suis là et pas ailleurs. Comment arriver à être là et pas ailleurs ? Comme ce patient que nous avons vu hier après-midi : mais comment ça se fait que je suis ailleurs ? Il y a des moments où je suis déconnecté ! je suis ailleurs ! oh là là ! Comment me rattraper et redevenir là ? Qu’est ce que ça veut dire l’être-là ? Le Dasein ? A partir d’ici, je suis là ? A partir de là, je suis ici ? Toutes ces thématiques là…
Donc il passe de Husserl à Heidegger et il revient sur Husserl. Il passe de la Daseinanalyse à l’analyse de l’existence humaine tout court d’Husserl dans un texte extrêmement difficile : Logique formelle et logique transcendantale. Moi, j’ai essayé et je suis trop bête et je ne le comprends pas et je l’ai abandonné. Et je me suis facilité la vie avec un texte auquel il se réfère : c’est un texte de Szilasi qui était un assistant de Heidegger et Husserl : Introduction à la philosophie de Husserl. Et il se réfère lui aussi à un texte de Fink que j’ai commandé par Amazon et auquel je ne comprends rien : Introduction à la 6ième méditation cartésienne de Husserl.
Bon. Je lis ce texte de Szilasi « Pendant que je parle, donc dans la présentation, j’ai déjà des protentions, sinon je ne pourrais pas terminer la phrase – on pourrait traduire dans Lacan, avec les points de capiton etc., ce serait peut-être plus accessible, mais laissons tomber et continuer avec Szilasi– de même, je dispose, dans le « pendant » de la présentation, également de la rétention, sinon je ne saurais à propos de quoi je parle. D’accord ? Binswanger, pour nous faire comprendre, reprend souvent cet exemple simple de Szilasi. Il dit : Tout trouble, toute maladie renvoie à une forme essentielle d’intentionnalité. AAAH ! Donc il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la schizophrénie, il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la mélancolie, il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la dépression, il y a une forme essentielle d’intentionnalité qui correspond à la névrose obsessionnelle, à la manie. Et la forme essentielle de l’intentionnalité consiste dans sa mise en forme. Ce qu’il appelle aussi la forme constitutive. Constitutive n’a rien à voir avec la constitution mais avec ce qui la constitue, ce qui met en forme. D’accord ? Il part de Cécile Münsch[1]. « si je n’avais pas ». Et là, il dit : « Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut se référer à Husserl Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps. » (Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewußtseins). Quand Husserl parle du temps, c’est beaucoup plus logique qu’une description des caractéristiques du temps de Heidegger. C’est la conscience intime du temps et pas ses caractéristiques. Comment la conscience a conscience du temps ? Le pas historique marqué par cet exposé apparaît dans le fait qu’Husserl comprend « le temps » à partir de l’intentionnalité, plus précisément qu’il développe sa recherche dans la constitution, dans la mise en forme de la conscience subjective du temps, de l’objectivité temporelle. C’est quoi ? Ce n’est pas le temps objectif. Ce n’est pas le temps de l’horloge. L’objectivité temporelle n’a rien à voir avec ça. Il va à partir de l’intentionnalité vers la mise en forme des objets temporels intentionnels. Qu’est ce qui met en forme le passé, le présent et l’avenir ? Je suis dirigé vers l’avenir à partir du passé. Je ne m’occupe pas de ça mais de ce qui les rend possibles, ce temps divisible en passé, présent, à-venir. Il s’agit donc de mettre en évidence les vérités aprioriques qui appartiennent aux moments de la mise en forme de l’objectivité temporelle. Quels sont les moments aprioriques de l’objectivité temporelle ? C’est ça la conscience intime du temps. Je dois découvrir les vérités aprioriques, à la Kant, de l’objectivité temporelle. Ça va ?
Husserl désigne les moments structuraux intentionnels constitutifs des objets temporels, avenir, passé, présent, comme protentio, retentio et præsentatio. Normalement ces moments s’intriquent constamment entre eux et se retrouvent ensemble autour de la structure du « à propos de quoi » (Worüber), du thème actuel. A propos de cet accident de train, se constituent ces vérités aprioriques de l’objectivité temporelle, passé présent avenir, cette mise en forme, c’est quoi, qu’est ce qui va émerger, pourquoi je suis collé au passé ? ça ne sert à rien de dire que le mélancolique vit dans le passé, que l’avenir est barré parce qu’il se retrouve dans le passé, que le présent est submergé par le passé qui ne peut pas aller vers l’avenir. Cela ne sert à rien de dire ça.
Il s’agit donc pour nous de dévoiler les « modes déficients » de ces trois dimensions protentio, retentio et præsentatio et de leur interaction. Cela est naturellement tout autre chose que de constater que les mélancoliques « n’arrivent pas à se détacher du passé », « collent au passé », « sont entièrement dominés par le passé », tout autre chose que de constater qu’ils « sont coupés de l’avenir », « ne voient aucun avenir devant eux », ou encore que pour eux « le présent ne signifie rien » ou « qu’il est totalement vide ». Nous ne devons pas partir non plus de la douleur à propos de la mort du mari,-Freud, ce n’est pas la peine de te casser la tête sur le pourquoi de la douleur- ni de la « figure gémissante » que prennent ici la patiente et cette douleur elle même car ce sont des données « intuitives » (einfühlbar) – que je peux ressentir-. Je disais bien que quand il était petit, il a été marqué toute sa vie par cette figure gémissante, toute sa vie, il était marqué. Non je ne dois pas partir de ces données intuitives, qu’on peut ressentir et qui sont acquises dans la connaissance pratique de l’homme. Ce qu’il a fait pendant longtemps. Il en va différemment de l’autoreproche permanent d’être coupable. … Même si nous pouvons encore « pénétrer par intropathie » cet autoreproche nous ne pouvons plus le faire – et ça, c’est nouveau !- pour ce qui s’y impose cliniquement pour nous comme mélancolique.
Il y a aussi des autoreproches dans la névrose obsessionnelle. Ça, on l’avait dit. L’explication de Freud et d’Abraham ne suffit pas pour vraiment saisir à sa racine cette possibilité de cet autoreproche « si je n’avais pas ». L’exemple le plus clair, c’est David Bürge[2] : « si je n’avais pas versé cette caution » et une fois que la caution est versée et donc que le problème semble résolu, ça ne sert à rien, rien n’est résolu parce qu’il reprend avec une autre thématique. Donc, ce n’est pas le thème qui est important en soi. Je dois aller plus loin. Qu’est ce qui fait que je ne peux pas me détacher et que je reste dans cette vérité apriorique de l’objectivité temporelle ? ça va ? Quand j’en parle pour la 10 millième fois, dans ma tête, ça devient plus clair.
En tant que psychose, la manie et la mélancolie sont tout aussi peu pénétrables sur le fondement de la connaissance pratique que la schizophrénie. N’essaye pas de comprendre. Mais il n’en résulte nullement, comme ce serait le cas chez Jaspers, qu’en tant que non pénétrables (…) et par là non compréhensibles elles pourraient et devraient être seulement expliquées causalement ou génétiquement. Ces études prouvent le contraire.
Alors, comment je peux articuler ces conditions de possibilités ? Si vous avez compris jusque là, c’est bon.
Dans le discours, « si je n’avais pas proposé l’excursion » ou alors dans le cas de David Bürge « si je n’avais pas fait la bêtise d’assumer cette caution je ne serais pas tombé malade ». Il était persuadé de ne jamais récupérer son argent et par conséquent de devoir toujours rester malade… toute une années durant il se plaignit quotidiennement devant nous médecins de ce que sa dépression venait seulement du fait de s’être porté caution peu de temps auparavant d’une somme de 40 000F, somme considérable, mais cependant nullement ruineuse dans sa situation et ne pouvant conduire objectivement à un délire de ruine. Et donc, il arrive à, dans le discours, « si je n’avais pas fait la bêtise d’assumer cette caution », « si je n’avais pas fait ceci, cela ne serait pas arrivé»
Cela nous apprend que dans le discours du si, du si ne pas, si j’avais, si je n’avais pas, on passe du passé, présent, avenir, on passe à protentio, retentio, præsentatio. Ça veut dire quoi ? Il s’agit manifestement de possibilités vides. Et ça, c’est le point de départ de Maldiney. J’extrapole énormément, mais dans la mélancolie il y a un trouble du transpossible et dans la schizophrénie, il y a un trouble du transpassible. C’est extrêmement difficile. Mais, c’est à partir de là.
Donc, il s’agit manifestement de possibilités vides. En général, où il y a question de possibilités, je peux finir ma phrase. Une protention. D’accord ? Là où il est question de possibilités, il s’agit d’actes protentifs – le passé ne contient pas de possibilités. Mais ici ce qui est possibilité libre « si… » se retire dans le passé « si je n’avais pas... » . Donc, Maldiney va aborder ça par la linguistique de Gustave Guillaume. Dans la grammaire, -pas la grand-mère hein !, allez aide moi, comment on dit ?-, dans la grammaire même, il y a cette possibilité de se retirer dans le passé. C’est la grammaire même. Ça il le prouve avec Gustave Guillaume. Ça, je pourrai vous le faire, c’est plus quotidien pour moi, mais il faudrait toute une journée.
Là, Binswanger, il ne parle pas de ça. Il dit : ce qui est possibilité libre se retire dans le passé. Cela signifie que les actes protentifs constitutifs doivent devenir des intentions vides. La protention devient de ce fait autonome dans la mesure où elle n’a plus de « à propos de quoi »,- l’à propos de quoi n’est plus en question, c’est pourquoi elle est interchangeable. Si la caution est payée, on peut dire, c’est résolu. Il passe tout de suite à un autre thème. Et pour la femme Cécile Münch qui n’arrive pas à faire le deuil de son mari, elle n’y est pour rien dans cet accident, et pourtant, elle n’arrive pas à s’en sortir – la protention devient de ce fait autonome – dans une phrase, je dis et je suis lié par ce que je dis pour pouvoir terminer la phrase. Il y a une logique de la phrase. Je peux même la comprendre. Il y a de la communication possible si les vérités aprioriques marchent. Je peux comprendre cette phrase. Là, non. La protention devient autonome. Elle n’a plus rien à voir avec l’ « à propos de ». Plus rien qu’il lui resterait à « produire » si ce n’est l’objectivité temporelle du vide « à venir » ou du vide « en tant qu’avenir ».
Quand la possibilité libre se retire dans le passé ou plus exactement quand la rétention se confond avec la protention, on ne débouche plus sur un « à propos de quoi » authentique mais seulement sur une discussion vide. Ceci est le signe qu’avec l’altération de la protention, le « processus » tout entier, le caractère tout entier de flux ou de continuité non seulement de la temporalisation, mais de « la pensée » en général, est altéré !
Ce n’est pas seulement le temps mais à partir des vérités aprioriques du temps que l’ensemble de la vie qui est altérée. De ce point de vue la mélancolie est une maladie bien plus « grave », une altération « bien plus profonde » que nous ne le supposons généralement au vu de sa curabilité.
Et quand j’ai dit hier soir, avec l’exemple de David Bürge, que les thèmes étaient interchangeables, donc qu’il y a avait quelque chose en deçà des thèmes. Tout ce qui se dit n’a de place nulle part.
Voilà, ça c’est ce qui est le plus important. Ça va ? Vous avez suivi la ligne ? Oui, c’est compliqué. Cliniquement, ça ne sert à rien de discuter avec les mélancoliques.
GP : comme avec tout le monde.
ML : non.
GP : essaye de convaincre l’autre et tu verras ce que ça donne.
ML : c’est vrai.
[1] Le cas Cécile Münsch : patiente mélancolique suite à la mort de son mari dans un accident de train. Le point central de ses plaintes était qu’elle avait proposé l’excursion au cours de laquelle l’accident avait eu lieu.
[2] Patient de 45 ans, commerçant qui toute une année durant, se plaignait devant les médecins de ce que sa dépression venait seulement du fait de s’être porté caution peu de temps auparavant.
Maldiney, le transpossible et le transpassible. Exposé de Marc Ledoux
Elne, le 11 avril 2014
Marc Ledoux : Bon allez, sur Maldiney. La dernière fois, j’en ai un peu parlé, il venait de mourir et je vous ai demandé si c’est possible de se réunir autour de lui. Et dans un élan maniaque, j’avais proposé le transpossible et le transpassible, mais c’est extrêmement difficile et comme je suis très attaché à lui, je veux le respecter et à partir de moi même, essayer d’aller au fond de ses textes, d’autant plus que plus je le lis, plus c’est difficile. Alors je ne sais pas, si je le fais comme je l’ai préparé, c’est terriblement compliqué, Laurence m’a dit tout à l’heure de raconter des anecdotes, mais quoi, je raconte quoi ? Il a souvent raconté, c’était un homme très sérieux.
Georges Perez : Comment vous êtes vous rencontrés ?
ML : Moi ?
Laurence Fanjoux Cohen : Oui, toi !
ML : Mais, moi, je ne suis personne !
LFC : Justement
ML : je ne sais plus.
Michel Balat : Il faudrait avoir les interviews d’Oury. On a entendu hier sur France Culture, les cris de Marc.
ML : je ne sais plus où je l’ai rencontré la première fois… c’était à Louvain… avec Schotte. (allume un cigare)
GP : C’est interdit de fumer Marc
MB : tu es gonflé !
ML : (éteint son cigare) Non, non. Il a raison.
Je sais qu’il m’a dit un jour, c’était un colloque qu’on faisait sur le Szondi, Schotte était là et comme à chaque fois on essayait d’aborder chaque vecteur de manière la plus large possible. C’était sur le vecteur C et c’est un texte qu’on peut retrouver dans le livre Le contact et dans le livre L’homme et sa folie et j’avais fait quelque chose sur Schuman. Et plus tard, à Budapest, sur le vecteur P, c’était un moment superbe, comme on était dans la ville de Bartók, j’avais fait quelque chose sur Bartók et lui, on se connaissait déjà, il disait c’est bien. Moi, j’ai abordé la peinture par l’œuvre-même et jamais par le peintre, ni par l’histoire. Ça, c’est sa phrase célèbre : « il n’y a pas d’histoire de l’art ». Il n’y en a pas. Même quand ils ont fait il y a 5 ans une journée pour lui à Royaumont, il y avait Didi-Huberman qui avait été son élève à Lyon, et qui avait écrit tout et n’importe quoi, et là, il avait essayé de tuer son maitre en disant « il y a bien une histoire de l’art ! ». Mais, là, Maldiney était encore très vif, et il a bien réagi contre ça. Il disait qu’il abordait la peinture par la peinture même, de la même façon que moi Marc, je pouvais aborder Bartók et Schumann par leur musique et non par leur biographie. C’est vrai que j’avais essayé de faire apparaître la psychopathologie ou la structure existentielle de ces musiciens à travers une analyse de leur musique. Donc, ça, c’est quelque chose qui nous a lié. Je l’aimais beaucoup. Et à chaque fois qu’il venait chez nous, avec sa femme qui est peintre, on se retrouvait. Il racontait des histoires. Par exemple sur ses dernières œuvres. Ouvrir le rien. L’art nu. « Marc, tu l’as lu ? Je te le donne. Parce que pour la première fois, j’ai écrit ma propre vision sur la peinture. Jusque là, c’était à propos de, où je pouvais développer des petites choses. Mais là, c’est ma grande œuvre. Des gens me demandent pourquoi je parle toujours des mêmes peintres. Cézanne, Mondrian, même un flamand… surtout sa sculpture, il aimait beaucoup le baroque. Mais il disait qu’il n’y a pas de baroque en Europe mais au Brésil où je l’ai accompagné une fois. Ça c’était impressionnant quand même… dans L’art nu, il y a un monsieur dont j’ai oublié le nom qui a fait une sculpture devant une église, sur cette grande esplanade. Là dessus, il a beaucoup écrit. Kandinsky, Delaunay, Bazaine, Van Gogh bien sûr, Nicolas de Staël. Les gens demandaient donc, pourquoi toujours les mêmes, pourquoi pas sur Gauguin ? Il était très hostile aux musées, au comment les musées étaient conçus, et à quoi ils servent… il était très hostile et il y allait quand même. C’était très parlant pour moi qui n’y connais rien, de l’accompagner quand il allait voir une expo. Courbet par exemple à Paris. Il disait « j’écris sur les peintres qui me regardent. Qui me touchent. Et ce sont les peintures qui me regardent. Et il y en a qui m’ont regardé, qui m’ont touché et c’est là dessus que je travaille. » C’est une petite anecdote qui est restée. Son grand ami peintre, Tal Coat… il faisait de la montagne avec lui. Quand je l’ai eu au téléphone un mois avant sa mort, il allait bien, il attendait la mort mais sa tête allait bien et il écrivait encore, il lisait encore, Hegel, toujours le même… il me disait qu’il y avait une chose qu’il regrettait, c’est de ne plus pouvoir monter le Cervin, il le faisait maintenant dans sa tête. C’était une des premières montagnes qu’il avait montée. Il était alpiniste. IL parle souvent à partir de son vécu, quand il est sur la crête du Cervin avec Tal Coat, quand il voit soudainement non pas un objet apparaître mais à la fois dans cette opposition du ciel et la terre, il y a l’apparaître. Et cette sensation, il va l’utiliser souvent pour essayer d’approfondir sa phénoménologie.
De la même façon, ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il a écrit un texte de son expérience des camps de concentration, son vécu. Tout à l’heure, on verra ce que c’était pour lui l’expérience. C’était pas loin de Besançon, Notre …ch’est pas quoi, où il a d’abord été mis dans un camp de travail puis ensuite dans un camp de concentration. Il a écrit un tout petit texte après sa libération La porte ouverte. Quand on était ensemble avec Schotte, Roland Kuhn et Jean-Marc Poulard, il aimait bien Jean Marc Poulard aussi, il racontait : « qu’est ce qui fait que Primo Lévi, Bettelheim n’ont pas pu survivre ? » et là-dedans aussi, Szondi.
C’est par Schotte que Maldiney a rencontré la psychiatrie. Après la libération, il n’y avait pas de poste pour Maldiney pour enseigner en France et donc il est venu à Gand qui à l’époque était une ville francophone, et c’est là où il a enseigné à l’école des Hautes Etudes. Il a enseigné Malebranche surtout. Et c’est là qu’on avait envoyé Schotte suivre un séminaire de quelqu’un dont on ne comprend rien, -c’est peut-être ça que j’imite, ce n’est pas la peine quand on parle de Maldiney de le comprendre, on a parlé de Maldiney, on a compris, et alors ?... donc c’est cette phrase à laquelle je me suis identifié, il faut être un peu turlutte quand même…- donc Schotte est allé écouter un séminaire de Maldiney sur Malebranche et en sortant il a dit « mais je ne comprends rien, mais un jour je vais le comprendre », ça c’était la phrase de leur première rencontre. Et une amitié s’est liée entre eux. Surtout dans l’essayer de comprendre ce que Maldiney écrivait. Et Maldiney venait nous écouter et… hop, de temps en temps, il y avait quelque chose qui le frappait et cela l’aidait à continuer à développer ses trucs. Par exemple, sur le contact, il avait lu des textes de Philippe (Lekeuche) et de Mélon, et hop, voilà, ça l’a aidé à approfondir la dimension de l’humeur et du contact dans son développement du moi par exemple. Et c’était là aussi que Schotte a pris cette phrase de Maldiney, qu’il disait souvent : « quand je vais essayer de faire des cours, je vais essayer que les gens soient intéressés mais qu’ils ne comprennent pas. Pour leur donner envie de travailler. Pour leur donner envie d’aller travailler les textes que je cite ». Voilà, il nous invite à continuer à le lire et à le travailler. Ce n’est pas simplement lire. Mais de travailler. Voilà, cet axe là vient de Schotte et de Maldiney.
Il y a eu un moment, c’était à Lyon où il repris ça : il m’a dit, -alors Marc, tu n’es pas français ? Non, je ne suis pas français. -Mais essaye quand même. Essaye de suivre, je t’emmène, essaye de suivre un atelier de poésie d’André du Bouchet. André du Bouchet qui était marié à la fille de Nicolas de Staël faisait un atelier de poésie à Avignon. Moi, j’avais essayé de lire des phrases d’André du Bouchet et… rien, rien, rien… Il me disait « c’est pas grave, c’est le rien ! ». Bon, alors tu m’emmerdes avec ton rien. Mais si on regarde, c’est toujours la même thématique du rien. Le blanc, le vide, chez André du Bouchet. Et donc, il m’avait emmené suivre un atelier de poésie d’André du Bouchet à Avignon. Et dans la voiture, il essayait de trouver des mots pour que je puisse trouver l’espace dans lequel André du Bouchet travaillait.
La même chose avec Oury. On retrouve un témoignage dans l’annexe de Création et schizophrénie, leur dialogue à Beaubourg. C’était lors d’une exposition que l’atelier peinture des pensionnaires de La Borde avait organisé à Beaubourg, et Maldiney avait demandé d’exposer les œuvres d’un pensionnaire dans un espace uniquement à lui. Avec de l’espace autour des oeuvres pour circuler. C’est à dire pour pouvoir tourner autour de la peinture. Et quand on lit ses textes, il va souvent entrer dans la peinture, la sculpture, les masques, par le contraste entre la face et le profil. Et donc, dans cette expo à Beaubourg, le soir il a dialogué avec le Dr Oury, et l’après midi il avait demandé d’être seul pendant trois heures pour aller marcher autour de ces peintures. Et au bout de deux heures, il m’avait proposé d’y aller avec lui. Allez Marc, veux-tu venir avec moi ? Avec lui, je me sentais toujours tout petit, mais en même temps fier, bien sûr, et j’ai donc pu marcher une heure avec lui, -et ce n’était pas difficile pour me taire !- et il commençait à rassembler ses mots, -lui, il n’improvisait jamais un texte, jamais, le contraire de Schotte- quand il faisait un texte, il l’avait écrit son texte, comme pour sa femme quand elle faisait une peinture. Donc, il allait s’asseoir et il essayait de rassembler des mots qui venaient quand il était touché par tel ou tel détail d’une peinture.
C’est aussi par Schotte qu’il a rencontré Roland Kuhn et Binswanger... Et Roland Kuhn était le grand spécialiste du Rorschach et le lui avait expliqué, et un peu comme il a utilisé le Szondi, il va stratégiquement faire appel au Rorschach. Quand il analyse un Rorschach, et ça il savait très bien le faire, alors qu’il n’arrivait pas à lire un profil, mais il analysait bien un Rorschach comme la peinture. Donc je me souviens, il analysait la peinture de la même façon qu’il pouvait le faire avec une tache du Rorschach. Et donc, voilà, le soir, et ça, c’était un moment superbe je trouve, ce dialogue entre lui et Oury pour essayer à partir d’une articulation avec la peinture, de faire le passage avec ce qui se passe dans la psychopathologie. C’est quelque chose qu’il a toujours essayé de faire. Comment la peinture ou la psychopathologie ou la dialectique entre la psychopathologie et l’art nous ouvre, nous permet de mieux approfondir qu’est ce que c’est l’homme ? C’était sa question tout le temps. C’était la question pour le philosophe. C’était un philosophe et rien d’autre qu’un philosophe, mais bon, qu’est ce que ça veut dire rien d’autre ? Qu’est ce que c’est l’homme ? Qu’est ce que c’est être ?
Il a abordé cette question par énormément de champs dont la peinture, la psychopathologie et on peut dire par la philosophie même. Chacune de ses œuvres est un recueil de textes. Il y a trois semaines, j’avais fait à Louvain « Maldiney et Szondi » et je ne m’en sortais pas de la chronologie, non pas que je sois obsessionnel mais je disais que j’aurais aimé travailler chez lui comment les concepts se sont construits et s’il y avait une possibilité d’avoir une certaine chronologie. Nulle part on ne trouve une chronologie de ses textes. Une fois, je lui avais demandé. Il m’a dit « ouiii Marc, je vais chercher, mais là, je ne sais plus… ».
Une de ses œuvres la plus difficile, c’est le livre Aîtres de la langue et demeures de la pensée, ça alors mes amis, si vous pouvez lire ça, on se revoit dans dix ans. Où la question de l’être humain est abordée surtout par la philosophie grecque concentrée sur la linguistique. Quelle est la philosophie de la langue chez les grecs, reprise par deux grands spécialistes, d’une part l’historien que Schotte a traduit, Johanns Lohmann, et d’autre part ce linguiste inconnu jusque ce que Maldiney l’a fait connaître : Gustave Guillaume. Gustave Guillaume qui va de Paris jusqu’à Laval et qui n’a jamais réuni ses textes. Et maintenant il y a plusieurs personnes de l’ULB à Bruxelles qui travaillent pour rassembler les textes de Gustave Guillaume. Pour Maldiney, Guillaume est le linguiste beaucoup plus important que de Saussure par exemple. Et donc dans ce livre, Maldiney aborde l’être humain d’une part par la philosophie grecque concentrée sur la linguistique et d’autre part par, ….brrrrrrrr.., la musique ! La base mathématique de la musique comme elle a été à l’origine chez Pythagore, etc, etc… et par exemple, lors d’une journée à Royaumont il y a 5-6 ans, il y avait un ensemble qui a joué de la musique très ancienne qui a été reconstruite pour pouvoir la jouer comme on pouvait le faire dans la Grèce Antique. Et moi, j’étais à côté de lui, il était extrêmement surpris. C’était pour lui quelque chose de l’événement. Ils avaient trouvé un ensemble qui fait cette musique-là avec les mêmes éléments de construction musicale. Moi, quand j’étais petit, j’avais fait du solfège et de l’harmonie, et je croyais que je connaissais quelque chose à la musique, … tu parles ! Donc, ça aussi, ça ne m’a pas déprimé, c’est un grand mot mais, … un peu quand même… ah là là là là… je lisais ce texte sur la musique dans ce livre et je ne comprenais plus rien ! à quoi ça sert d’avoir fait de l’harmonie ?
Quoi d’autre comme anecdote ? Ah oui ! C’est qui Tosquellas ? Oury m’a dit un jour qu’il était en voyage avec Tosquellas, de St Alban à Marvejols, c’est une anecdote que tout le monde connait… Tosquellas disait à Oury « tu sais ce que c’est la schizophrénie ? C’est un collapsus de la transcendance ». Oury raconte ça à Maldiney. Et hop ! ça aussi c’est une phrase qu’on va retrouver tout le temps. Cette phrase ne l’a plus jamais quitté. Et il me disait : « mais, Marc, toi qui travaille à La Borde, c’est qui Tosquellas ? Et toi, tu es allé avec Oury et Schotte chez Tosquellas après le 1er janvier, -il faisait très froid, c’est vrai, j’avais été là-bas-, toi qui connaît Tosquellas, c’est qui Tosquellas, où est-ce qu’il a trouvé cette phrase ? Elle est géniale ! » A chaque fois qu’on va trouver quelque chose qu’il développe à partir de la transcendance comme concept philosophique, la transcendance chez Kant, l’ego transcendantal chez Husserl, des textes qu’il connaissait par cœur, -enfin par cœur, je n’en sais rien, mais en tout cas qu’il a travaillé toute sa vie-, et tout d’un coup il y a quelqu’un qui va extrapoler ce concept fondamental de la philosophie pour essayer de circonscrire ce qu’est la schizophrénie. Alors, c’est une phrase qui a eu l’effet d’un événement. C’est vrai. Il a toujours dit ça. « Marc, ça c’est un événement dans ma pensée qui n’arrête pas de se penser ». Toujours, on va retrouver un commentaire sur la transcendance. Il va toujours l’appliquer à propos de la schizophrénie.
Il était lecteur permanent d’un couple de philosophes Husserl et Heidegger. Il n’a jamais arrêté, pas un jour dit-il, d’avoir lu Heidegger. Au début, il ne pouvait pas le lire dans le texte. Donc, il lisait les peu de traductions. Et nous, on avait un prof à Louvain, de Waelhens qui avait traduit Heidegger. Et de Waelhens et Schotte étaient bon copains et donc, c’est aussi par Schotte, que Maldiney a poussé de Waelhens à traduire Heidegger. Sein und zeit, l’être et le temps, une des premières traductions a été faite par de Waelhens, un de nos flamands. De Waelhens et Von Breda, qui était un curé. C’est lui qui a été un gardien extrêmement veillant des oeuvres de Husserl. Quand Husserl a été déporté, sa femme a pu rassembler quelques textes, fuir jusqu’à Louvain et là, elle a été protégée par Von Breda. C’est là que l’institut Husserl a été édifié et a stocké ses œuvres. Et plein de gens comme Derrida, Levinas, etc etc… sont venus travailler là les textes de Husserl. Maldiney aussi. Voilà. Ils étaient tout le temps ensemble. Maldiney et de Waelhens. De Waelhens allait au foot et buvait du whisky et Maldiney travaillait. Et quand il en avait marre de voir de Waelhens boire du whisky, il rentrait chez lui faire de la montagne. Et puis il revenait à l’institut travailler sur les archives. Pendant trois ans. Comme Ricoeur a pu le faire aussi plus tard. Derrida aussi venait. Ça existe toujours les archives de Husserl. On est fiers un peu quand même ! Pas Louvain La Neuve ! Pas chez les wallons ! Chez nous ! Ils sont là !
Après, petit à petit, Maldiney a appris l’allemand, il a suivi des cours d’allemand, mais il a surtout appris dans les textes, et puis ensuite, à la fin, les trente dernières années, il a toujours lu Heidegger et Husserl dans le texte.
Ce qu’on ne sait pas très bien, c’est que pendant des années, quand il a commencé son enseignement à Lyon, il a beaucoup commenté Freud et Lacan. Il a pendant une vingtaine d’années fait deux séminaires, un sur Freud où il commentait surtout les textes qui étaient les plus importants pour Lacan, Psychopathologie de la vie quotidienne et Die Traumdeutung et les cas cliniques. Il faisait aussi un séminaire par semaine sur Lacan où il a surtout commenté le premier Lacan, le stade du miroir, la parole, l’agressivité en psychanalyse, le rapport de Daniel Lagache, et c’est au moment, ça va presque ensemble, où il a rencontré Szondi, qu’il dit, - et on peut le lire à travers ses textes- « je suis plus en affinité avec le concept et la dynamique de la pulsion qu’avec l’axe « l’inconscient et le langage . D’accord Lacan, mais ce n’est pas mon affinité. Mon affinité est beaucoup plus szondienne ». Parce que Szondi va essayer tous les clivages qui existent, et ça commençait à cette époque, -maintenant, qu’est ce que c’est maintenant ? c’est du morcellement, c’est de la dissociation à l’intérieur de la psychanalyse, il y a des chapelles partout, il y a des je ne sais pas quoi, comment on peut appeler ça, chaque psychanalyste est sa propre école…etc…- c’était au début de toute cette querelle à l’intérieur de la psychanalyse et Maldiney disait : mon affinité va avec la théorie des pulsions de Szondi parce que cette théorie peut rassembler tout ce qui est dissocié à l’intérieur de la psychanalyse. C’était au moment où Lacan était très hostile vis à vis de Ich analyse, analyse du moi, qu’est ce que c’est le moi, et lalala… tout ce truc là qu’on connaît… et lui dit : non, non, non, on va sauver le moi, le vecteur du moi. Mais ce n’est pas du tout le même statut logique que chez Lacan. Et on peut donner une autre structure à ce moi à partir de mon affinité avec la pulsionnalité. Il faisait Freud et Lacan, et hop, il rencontre Schotte qui lui fait rencontrer Szondi et c’est là, que hop… et c’est après que Maldiney va se spécialiser dans des textes comme psychose et présence d’où vient le concept de la pulsion. Ce n’est pas Freud qui a conceptualisé la pulsion. C’est Fitche, c’est Schering, et c’est Freud qui a pris chez ces philosophes là, à sa sauce, la pulsion.
Une des premières choses que j’avais faites, mais je ne l’ai pas fait tout seul, avec quelqu’un qui faisait sa thèse sur la pulsion, on a creusé un peu comme des pervers, qu’est ce que Freud a laissé tomber et qu’est ce qu’il a pris chez Fitche, chez Schering. Un peu une lecture perverse de ça…
Bon voilà pour les anecdotes. Est ce que maintenant je peux travailler sur son concept qu’il a développé à la fin ? Schotte dit que c’est peut-être le concept le plus difficile et le plus important pour toute la psychiatrie. Et quand Schotte dit psychiatrie, c’est l’anthropopsychiatrie. C’est peut-être le concept qui nous aidera à aller le plus loin. Ce n’est pas un concept, mais deux ! Le transpossible et le transpassible. Bon, si vous en avez marre, levez vous et partez ! rires… Parce que c’est difficile.
J’ai essayé d’aborder ça à travers tout son travail. J’essaye de le construire petit à petit. Ces deux concepts, le transpossible et le transpassible. C’est à partir aussi de de Waelhens et de Schotte avec le Pathei mathos : apprendre par l’épreuve. Et seulement par elle. Maldiney disait que cela pouvait être l’épigraphe de tout son travail. C’était le nom d’une collection dans laquelle est paru l’analyse du destin de Szondi.
GP : ça s’écrit comment ?
ML : ça s’écrit en grec. P-a-t-h-e-i m-a-t-h-o-s
GP : non, mais je demande comment tu l’écris l’épreuve ? les preuves ?
ML : apprendre par l’épreuve ! Pathei mathos ! Eprouver ! une souffrance, une épreuve !
LFC : ne me regarde pas comme ça. Ce n’est pas moi qui ai demandé ! C’est celui qui ne veut pas qu’on fume qui demande !
DS : il ne veut pas comprendre.
Rires
ML : Francis Ponge auquel Maldiney a consacré deux livres, Le legs des choses et Le vouloir dire de Francis Ponge. Quand on connaît un peu Von Weizsäcker, je ne peux pas trop le dire, mais on est entre nous, j’étais content quand on a pu traduire Pathosophie… juste avant de mourir il m’a dit « mais Marc, tu l’as fait sortir trop tard la traduction. Je n’ai pas eu le courage de le lire –c’est vrai, c’est terrible en allemand- je suis fatigué maintenant pour vraiment travailler jour et nuit ce livre en français. Tu l’as fait sortir trop tard. Pourquoi tu as attendu tant d’années – il m’engueulait un peu- c’est vrai, tu l’avais commencé, tu me l’as dit, et puis ensuite tu l’as laissé tomber, pourquoi tu as attendu ? ». Donc, voilà, on trouvait Von Weizsäcker, mais pas Pathosophie. Donc, Le vouloir dire de Francis Ponge, son deuxième livre.
Un autre, mais on pourrait en parler des heures, le linguiste de Rennes, Gagnepain. Pour nous, en psychiatrie institutionnelle, les plans qu’il a dessinés sont importants. Maldiney l’utilise beaucoup moins. Schotte, à certains moments, a beaucoup utilisé ce modèle de Gagnepain. Et un des titres de livres de Gagnepain s’appelle Du vouloir dire. Mais donc, pathei mathos, apprendre par l’épreuve, qui est repris par Francis Ponge par l’intermédiaire de Maldiney pour définir son œuvre… Francis Ponge va circonscrire tout son travail de poète comme pathéimathique, il disait « si vous voulez savoir ce que j’ai fais, et bien je n’ai fais que de la pathéimathique ». Comme en réponse à la phénoménologie classique, surtout la version française… c’est une raison pour laquelle Maldiney est très peu cité par les philosophes français, sauf par Deleuze, parce que Deleuze était un de ses élèves à Lyon et quand il prend la phénoménologie par exemple de Sartre, pour dire que la philosophie n’est pas quelque chose d’académique, la philosophie n’est pas de la littérature, c’est une épreuve, la phénoménologie, c’est l’épreuve d’apprendre qu’est ce qui se donne à voir. Les phénomènes, l’apparaître. Retour aux choses mêmes, dit Husserl. Mais qu’est ce que ça veut dire ? Qu’est ce que ça implique ? ça implique une épreuve ! Quand on fait de la clinique, est ce que c’est notre a priori, est ce que c’est notre savoir qu’on va appliquer ? C’est ça la clinique ? ça va pas, non ! Mais qu’est ce que c’est alors ? Et bien, c’est une épreuve d’apprendre à être ouvert à ce qui se donne à voir. Et il va à ce moment là, c’est sa manière de penser, chez les gens qui l’accompagnent toujours et qu’il lit tout le temps… Hegel. Est ce qu’il y a quelque chose dans cet apprentissage à m’apprendre ? Dans cette dialectique entre l’esclave et le maitre : est ce qu’il y a quelque chose de l’épreuve ? Oui. l’esclave, aussi, vit la mort, mais à la différence du maitre, - si on l’entend bien, moi ça m’a demandé des années, je peux vous demander de … je ne sais pas… de l’entendre, où ça sort et ça prend tout de suite cet accent Maldiney-, l’esclave vit la mort, mais à la différence du maitre, l’esclave apprend à mourir, -apprendre, à ce moment là, qu’on trouve aussi dans le texte de Hegel, s’appelle erfarhen,- l’esclave l’apprend toujours la mort, mais il ne le sait pas. Et pour lui, apprendre par l’épreuve est beaucoup plus basal, fondamental que le savoir. Mais lui disait toujours « ne mélangeons pas les deux registres ! Quand je dis beaucoup plus basal que le savoir- il était très respectueux, il était hostile pour certaines choses, mais pour des auteurs qui réfléchissent, il était très respectueux- ne viens pas faire de commentaires avec Lacan, on doit extrapoler, on ne peut pas comparer des choses qui ne sont pas comparables. »
Après il part du mot erfahren. Farhen, c’est comme en flamand, ça veut dire voyager, traverser, faire route. Voyager, c’est – on trouve ça dans un texte magnifique, dans un recueil qui a été fait pour un hommage à de Waelhens qui s’appelle Qu’est ce que c’est l’homme, c’est paru à Bruxelles et Maldiney a écrit là-dedans un texte magnifique qui s’appelle La prise. Je vous l’ai déjà dit. Mais je suis sûr que vous ne l’avez pas lu. Encore une fois, essayez. Trouvez le, photocopiez le et lisez-le. Donc, dans la prise : Voyager, c’est traverser, passer au-delà, passer de l’autre côté, -j’ai utilisé cette phrase dans le livre Qu’est-ce que je fous là pour commenter la traversée de Tosquelles- voyager c’est traverser, passer au-delà, de l’autre côté, franchir, apprendre, c’est intégrer à l’état d’acquis, -le préfixe er de erfahren-, tout ce qui se découvre au cours de cette traversée où on fait route à travers le monde. Mais cet acquis ne forme véritablement un acquis si nous ne cessons d’être en partance. Il disait que tous les jours il commence à penser. Cela ne s’arrête jamais de penser. Jamais, il ne fait un système. Jamais. On va trouver des articles. Un livre est une sorte de testament, mais ce sont des chapitres sur des peintres. Mais il n’a jamais écrit sa philosophie comme Heidegger La philosophie de l’esprit, ce sont des articles, c’est toujours en train de se penser. C’est pourquoi il ne s’agit jamais de prendre pied.
Tout est impossible. On ne peut pas parler de transpossible et de transpassible sans parler de l’impossible. Tout est impossible. Et d’abord, qu’est ce qui est impossible ? Exister ! Et ça aussi, ça été un peu virulent entre moi et lui. Lui, il faisait l’opposition entre le vivant et l’existant. Il disait toujours que Von Weizsäcker avait très bien décrit le vivant mais ça restait trop biologique, ce n’était pas suffisant pour approfondir l’homme et il faut passer par l’existant. Moi, je disais que Von Weizsäcker avec d’autres mots parlait de l’existant ! Mais, bon… bon, alors, tout est impossible et d’abord exister… il faut partir pour avoir lieu. De temps en temps, je vais vous jeter des phrases qui sont des phrases de Maldiney. Mais n’essaye pas de comprendre. Que ça résonne ! Mais pas comme la poésie. Et c’est peut-être là, dans cette marge, entre ne pas comprendre et le pas de poésie, qu’il y a quelque chose comme la philosophie.
Il faut partir pour avoir lieu. L’itinéraire philosophique de Maldiney est de commencer et de recommencer, ce en quoi c’est une marche. Lui, il aimait bien marcher. C’était un alpiniste et un marcheur. Souvent il marchait avec Tal Coat, et il marchait aussi seul. Une marche véritable. Il accomplit souvent ce que lui-même dit de la forme artistique. Tout à l’heure je disais qu’il n’y a pas d’histoire de l’art, la forme artistique, elle est là quand elle se forme, se formant elle-même. Le départ de la forme artistique est partout et pas à certains moments. Chaque phrase dit-il, -et ça c’est dans son premier livre, quand il analyse la philosophie de la langue et quand il va commenter les premiers linguistes grecs, les philosophes de la langue grecque, qu’est ce que c’est une phrase, qu’est ce que c’est un mot, qu’on va retrouver chez Gustave Guillaume, qu’est ce que c’est un mot-, chaque phrase surgit de cet instant de silence, instant si bien décrit par Goethe dans des extraits de pièces de théâtre, et que Binswanger aimait bien citer. C’est aussi par l’intermédiaire de Schotte que Maldiney a rencontré Binswanger. J’avais une photo… ah, je ne la trouve pas, où est-elle, ah Marc Ledoux !... j’avais une photo de Maldiney, Binswanger et Kuhn. Je vous la montrerai demain matin. Pour Maldiney, Binswanger a été un des psychiatres qui lui a le plus appris sur ce que c’était l’homme. Et donc ce texte célèbre, L’homme en psychiatrie. La psychiatrie n’est abordable que par l’homme et l’homme n’est abordable que par la psychiatrie. Et dans ce sens-là, on ne risque pas de trouver une science objective avec tous les désastres que cela donne. Donc chaque phrase surgit de cet instant de silence, si bien décrit par Goethe et que Binswanger cite et que Maldiney reprend souvent : Lorsque nous nous heurtons soudain à l’inattendu, lorsque le monstrueux surgit à nos regards, notre esprit se tient pour un instant silencieux. Nous n’avons rien à quoi comparer cela.
Son livre L’art, l’éclair de l’être est consacré à la poésie, et les grands poètes qui l’ont inspiré pour dire qu’est ce que c’est écrire, qu’est ce que c’est la parole, qu’est ce que c’est la différence entre un mot, une parole, un discours et compagnie, c’est Hölderlin, un de ces poètes qui l’ont touché, Rilke, André du Bouchet. Surtout ces trois là. Donc, de l’écriture et la parole, il peut dire ce qui résonne avec les vers de Goethe, qu’elles n’ont de ressources que dans les moments critiques où elles ont à être. Et une parole surgit. Un mot surgit dans la poésie dans un moment critique. C’est avoir à être. J’ai à être. Qu’on peut reprendre dans le Szondi dans le Sch. k : avoir p : être. Avoir à être est solidaire de l’exposition de s’exposer à l’impossible.
La pathologie de l’obsessionnel nous montre l’échec que c’est possible d’avoir à être et il s’arrête sur le mode névrotique à l’avoir. Il confond l’être avec l’avoir. Combien tu as sur ton compte et je te dirais qui tu es ! Voilà l’obsessionnel. Pour lui, plus rien n’est impossible. C’est un échec. Il paye avec sa pathologie. Et il n’en a jamais assez. Et on sait bien que ceux qui ont beaucoup de sous sont des emmerdeurs, car ils n’en ont jamais assez.
Cet avoir à être est solidaire de l’exposition à l’impossible et au risque de s’effondrer en n’étant pas à la mesure, -et la mesure, cela vient de la musique et pas de la morale…- un an avant de nous quitter, il me disait « ah, Marc, tu as enfin compris toute ma thématisation de la mesure, c’est pour échapper à ce qui est là maintenant, par tout ce qui est mesurable et le mesurable comme calcul n’a plus rien d’un système musical et il n’y a plus aucun passage vers la morale, -en n’étant pas à la mesure de ce qui nous appelle démesurément. On est toujours dans la démesure, mais est ce qu’on peut entendre un appel à la mesure ? ça, c’est typiquement une phrase de lui.
C’est là que Maldiney va prendre une phrase de Claudel, qui est presque l’épigraphe de Schotte, dans Art poétique, entre connaître et co-naitre. Ça, c’est une phrase clé chez Schotte. La différence entre connaître et co-naître. Dans Penser l’homme et sa folie, L’évènement est de soi surprenant, excédant toute prise, excluant toute emprise …- c’est pour vous dire, moi j’aime bien sa langue, bon, j’aime bien son écriture, elle est un peu lourde au début, mais quand on le travaille, ça m’a beaucoup aidé de le lire… -excédant toute prise, excluant toute emprise, nous co-naissons avec lui.
Public : tu peux répéter ?
M.L. : Aaaahhh… L’événement est de soi surprenant, excédant toute prise, excluant toute emprise nous co-naissons avec lui.
Et plus nettement encore, une rencontre est co-naissance. L’être rencontré surgissant d’un rien comme le rencontrant lui même. Et ça c’est une épreuve. Et c’est à ce moment là qu’il va rencontrer Von Weizsäcker. Lui même Maldiney va plutôt s’inspirer de Gustav Kreis que de Pathosophie. Dans le dernier chapitre de Penser l’homme et la folie, p 323, le chapitre de la transpassibilité, Schotte disait que c’était le chapitre peut-être le plus difficile autour de la psychiatrie. L’évènement nous advient en tant que nous devenons nous-mêmes. Indivises l’épreuve et la transformation. Que nous apprenne t-elle de qui nous sommes ? Ce n’est pas d’être projet du monde qui fait que je suis moi. C’est ma façon d’accueillir, d’endurer l’événement et d’être par lui mis en abîme, mis en demeure de surgir unique dans l’instant éclaté. Tout le reste de ce que je vais raconter est une explication de cela.
Dans un autre recueil, L’irréductible, Maldiney dit en prenant la formule de Heidegger Deviens ce que tu es … mais en ajoutant mais tu ne l’es vraiment qu’à le devenir. Qu’Erwin Straus a repris plus tard à partir de Maldiney : on devient ce qu’on est et on est ce qu’on devient. Vous voyez comment les gens travaillaient entre eux. Et Schotte était là… le chauffeur de bus, il allait chez l’un et chez l’autre avec cette phrase superbe, et hop, ça faisait un cocktail. Deviens ce que tu es mais tu ne l’es vraiment qu’à le devenir. C’est à cette dimension de l’épreuve que Maldiney a voué ses interrogations et ses rencontres toute sa vie. Quelles rencontres ? Lesquelles ? Souvent, très souvent, il reprend la plainte mélancolique. Et quand il parle de la mélancolie, il va se concentrer de plus en plus autour de la phrase paradigmatique, canonique, qui vient de Kraepelin : « ah, si je n’avais pas… je n’en serais pas là ». Combien de fois variées, il n’a pas commenté cette plainte mélancolique. Mais ce n’est pas répétitif, c’est une reprise, comme Kierkegaard ! Une re-prise. Combien de fois il n’a pas commenté la Sainte Victoire de Cézanne. Combien de fois il n’a pas commenté la poésie de Francis Ponge. Combien de fois il n’a pas commenté le poème superbe, Le lézard. Combien de fois il n’a pas commenté le poème Les volets de Francis Ponge. Lisez ça simplement. Ne comprend rien. Lisez ça, hop, et bon voyage. Combien de fois il n’a pas commenté les poèmes de André de Bouchet. Combien de fois il n’y a pas eu de visites et de discussions publiées avec François Cheng sur le vide et le plein, sur la philosophie chinoise. François Cheng était son copain. Il a beaucoup commenté aussi l’art chinois. Et François Cheng avait superbement bien parlé lors des journées à Royaumont Autour de Maldiney. Donc, toutes ses rencontres, la plainte mélancolique, la poésie de Francis Ponge, la philosophie chinoise et la philosophie vont se déployer dans la dimension du pathique. Ce n’est pas la peine que je vous parle du pathique parce que ça, on le connaît pas cœur ici, la différence entre le moment gnosique de connaître de ce qui est, de être et le pathique, de ce qui est éprouvé. Et l’éprouvé n’est pas abordable par la connaissance mais par le sentir et le ressentir. Et donc dans ce dialogue avec Erwin Straus dans le livre Regard parole espace, il développe son dialogue autour du pathique, le sentir, le ressentir, dans la dimension de l’esthétique, dans la dimension du style, dans la dimension de ce que c’est le rythme et qu’on va retrouver dans toute la dimension du contact chez Szondi. Dans les deux sens. Ça nous aide beaucoup tous ces commentaires qu’il a donné sur le sentir, le ressentir, pour développer le contact dans la psychopathologie et inversement, lui, Maldiney va utiliser nos conneries sur les facteurs szondiens pour approfondir ses concepts du sentir ressentir. C’est très étonnant. Et vraiment, moi j’aimerais bien, je retrouve un peu les frites, j’aimerais bien écrire quelque chose sur comment ça s’est construit chez lui, cette mise en forme comment ça a pris avant et après qu’il ait connu Szondi…
Chez Von Weizsäcker, c’est complètement différent le pathique, ce sont les verbes pathiques, pouvoir, devoir, vouloir etc. etc. vous connaissez. Il y a un chapitre dans Pathosophie qui s’appelle La réalisation de l’impossible. Ce qui se réalise, c’est l’impossible. Tu t’imagines que pour Maldiney ça résonne. Exister, c’est l’impossible, et ce qui se réalise, c’est l’impossible. Donc, c’est quoi se réaliser ? C’est quelque chose qui va s’objectiver ? Donc l’impossible va s’objectiver, c’est ça ? Non ! Donc, à partir de Von Weizsäcker, il va approfondir ce qu’est l’impossible. Cette pensée de l’impossible il va l’aborder. Et là, on va de plus en plus vers le noyau ! Si vous ne suivez plus, vous le dites, hein ? C’est de ma faute. Cette pensée de l’impossible, centrale pour Maldiney, commence par cette phrase : Le réel, - oubliez la triade de Lacan, réel imaginaire et symbolique, oubliez ! il ne faut pas être surdéterminé par quelques mots quand même !- le réel, c’est ce qu’on n’attendait pas qui a lieu, mais il faut partir pour avoir lieu, donc il faut être en mouvement pour que quelque chose ait lieu et c’est ce lieu qu’on n’attendait pas. C’est ça qu’il appelle le réel. Pour mieux circonscrire dans cette formule ce qu’il veut dire, il ne va pas faire la discussion avec Lacan sur le réel, il reste dans la philosophie et il va critiquer la dimension de Bergson. Cette dimension sur l’impossible et la réalisation de l’impossible, c’est une thématique chère à Bergson, dans le livre La pensée et le mouvant, c’est un livre que j’aime beaucoup. En France on ne parle pas beaucoup de Bergson, on fait un truc comme ça avec son nez quand on prononce le mot de Bergson, je ne comprends pas, c’est superbe sur le concept de la durée… donc il va essayer de mieux circonscrire le réel en critiquant Bergson. Maldiney ne reprend pas la critique bergsonienne du possible. Bergson dit « la réalisation - on est dupes de ça dans notre travail en psychiatrie, pour soigner des gens… faites moi des projets, quelle est votre finalité, montrez moi des objectifs… dans des délais comme ça, ça doit être réalisé… même le deuil… dans une clinique d’angoisse, après trois mois vous partez… ça doit être réalisé… quoi ? l’impossible ? tu parles !- Donc, Bergson dit « la réalisation apporte avec elle cette imprévisible rien qui change tout ». Pas mal ! Il y a quelque chose qui est apparemment impossible et ça se réalise parce que dans tout ce qui est apparemment impossible il y a quelque chose d’imprévisible qui fait que quelque chose a lieu. Ce rien étant précisément l’excès de réel, ce sur quoi justement nous nous attendions, dit Bergson. Et bien, non, Maldiney n’y va pas. Il a été formé à l’école de Kierkegaard. Et ça, c’est la rencontre entre Maldiney et Oury. Et Oury a grandi dans l’école de Kierkegaard. Quand il y a quelqu’un que mon papa Oury continue à lire tous les jours, et quand il ne le lit pas, je lui donne des médicaments car je sais que cela ne va pas, c’est Kierkegaard. Comme Maldiney. Jamais il n’a quitté Kierkegaard. Il a été formé à l’école de la possibilité de Kierkegaard. Parce que Kierkegaard dit que le possible est peut-être la catégorie la plus lourde de toute la philosophie. Et c’est à partir de là, pour critiquer Bergson que Maldiney va introduire le concept de transpossible. Il y a un impossible qui en se réalisant descelle la vanité ou le caractère illusoire du possible. Quand l’impossible se réalise cela veut dire que le possible était illusoire. C’est comme la thématique chez Aristote de la matière et de la forme. Quand il y a quelque chose qui se réalise, ça veut dire que la forme était l’illusion qui était déjà présente dans la matière. Donc, arrêtons de parler de la forme. Quand l’impossible se réalise cela veut dire que le possible était illusoire, ça, c’est Bergson.
Et, il y a un autre impossible qui ne se réalise pas. En déchirant la trame du possible pour se faire jour, -Maldiney ne dira jamais que l’impossible se réalise-, se montre la force et le sens de cet impossible, c’est de ça dont il s’agit. Possible et pouvoir se disent en bien des sens et corrélativement impossibles. Le point de départ entre le possible et le pouvoir, c’est la thématique de Heidegger pouvoir être. Ce n’est pas un possible que nous avons, ce n’est pas un possible que nous calculons, ce n’est pas un possible que nous nous représentons, c’est un pouvoir être. Que en tant qu’existant, nous sommes un pouvoir être. Nous ne calculons pas nos possibilités et ce pouvoir être ne tend pas vers une réalisation. Et ça c’est une trouvaille géniale de Heidegger, quand il combine le pouvoir être avec le pouvoir mourir. Un truc génial. Pourquoi à ce moment là il va les mettre ensemble ? Pour montrer que le pouvoir être ne peut pas se réaliser, le pouvoir mourir disparaît avec l’événement de la mort. Le pouvoir mourir ne va pas trouver son accomplissement dans la mort. Quand je meurs, je ne peux plus mourir. C’est pour ça qu’on va dire qu’on meure tous les jours à quelque chose… Je ne sais pas, quand j’ai 6 mois, je suis mort au paradis, je ne peux plus bouffer ma mère. Je suis mort. C’est ça le pouvoir mourir. Je peux continuer à mourir. Mais, quand je meurs et qu’il y a la mort, je ne peux plus mourir. Ça va ? Les possibilités que je thématise et que je me représente, c’est tout le temps ça maintenant… tu vas où en vacances ? tu as déjà projeté tes vacances ?.... les possibilités que je thématise et que je me représente se voient retirer leur caractères de possibilités pour devenir quand elles se réalisent des réalités données ou visées. …ah, c’est possible qu’en septembre je vais aller là ou là… c’est foutu. La réalité est visée. Il n’y a plus de possibilité. … Essaye de faire un projet. On va voir si on va t’embaucher. Viens avec ton emploi du temps… le possible de Heidegger n’est pas possible au sens habituel du terme, et là dans Heidegger, le possible dans le pouvoir mourir par exemple est devenu impossible selon le sens du possible qu’implique le pouvoir être. Ça va ça ?
Public : non
M.L. : bon, il commence avec le pouvoir être. Pour pouvoir expliquer le pouvoir être, il va le combiner avec le pouvoir mourir, quand je meurs, je ne peux plus mourir. Qu’est ce qui est le plus important ? Le rituel de la mort ou la possibilité de pouvoir mourir ? Est-ce qu’on donne la possibilité aux gens de pouvoir mourir ou est-ce qu’on va thématiser la mort ? Et que c’est moi maintenant qui va choisir quand je serais à ma mort. Voilà. Là, il n’y a plus de possible. Ça va ? Donc, il combine le pouvoir être avec le pouvoir mourir. Maldiney reprend ça avec Kierkegaard : le possible est un impossible dans le sens du possible qu’implique le pouvoir être. Cette possibilité de pouvoir mourir est impossible à se réaliser.
C’est dans cette dimension, celle de l’instant de quête de notre pouvoir être que Maldiney va travailler. Et par exemple il dit de Tal Coat que c’est une peinture à l’impossible en ce qu’elle nous met en demeure d’être. Dès qu’on va essayer de représenter une peinture, c’est foutu la peinture, c’est foutu l’œuvre ! On la thématise, on la commente, on la met en représentation, c’est foutu ! On va la regarder en spectateur, on va la regarder en face, c’est foutu. Comme je le disais tout à l’heure, il tourne, il circule autour, pour échapper à pouvoir la thématiser, à l’objectiver, etc. Tal Coat est une peinture à l’impossible en ce qu’elle nous met en demeure d’être, elle nous ouvre la demeure de l’être et nous oblige à être notre propre possibilité qui est impossible. Donc, l’impossible, ce n’est pas négatif ! Ce n’est pas un im- privatif. L’impossible est une dynamique du possible.
Ou encore dans l’esthétique des rythmes dans Regard, parole, espace, parole autour de l’œuvre d’art en général, la présence de l’œuvre d’art – c’est pour ça qu’il n’y a pas d’histoire de l’art- la présence de la Sainte Sophie qu’il a commenté dix millions de fois, mais allez y vite, car maintenant elle est prise dans l’idéologie politique à İstanbul, allez vite si vous voulez voir les fresques en haut, si vous voulez voir la coupole vide, vite ! avec le coco là-bas… donc, c’est autour de la Sainte Sophie qu’il commente la présence de ce vide quand tu y entres. Maintenant, il n’y a plus les travaux et il n’y a plus d’échafaudages, et quand tu entres tu es vraiment avec et dans le vide. La présence est sa propre possibilité.
L’œuvre d’art est pouvoir être. Et ça, c’est une phrase de Maldiney, n’essayez pas de comprendre avec nos têtes névrosées : l’œuvre d’art perdue, jetée, échouée, au milieu de son environnement, elle ne s’y trouve qu’à s’y trouver, s’y découvrir en s’y révélant . De s’y trouver, n’existe pour nous que dans un point. On ne s’y trouve et on ne se trouve que dans un point dans notre vie. Quel point ? Il appelle ça le point critique. Notre vie n’est que passage d’une crise à l’autre. Kuhn et Binswanger lui ont donné plein de phénomènes cliniques pour approfondir sa philosophie à partir de « on ne se trouve que dans un point critique ». Dans la crise. Il n’y a que la crise épileptique et la crise hystérique. C’est là qu’il a appris beaucoup de Szondi. C’est la deuxième et la troisième position qui sont des positions critiques. Il n’y a pas de crise toxicomaniaque. Il n’y a pas de crise dans la toxicomanie. Il n’y a pas de crise dans la psychose. Il n’y a pas de crise dans la mélancolie. Qu’est ce qui remplace la crise dans la mélancolie ? La plainte ! c’est toute sa philosophie là. Il n’y a plus de décision qui est quand même un moment critique dans notre existence, la décision. A partir de laquelle le monde s’ouvre. La décision n’existe pas entre ça et ça et ça. C’est des conneries ça. Le directeur qui arrive dans son bureau, qui dit bonjour à personne, il va dans son bureau, il doit prendre des décisions !... eh bien dis donc… c’est ça la bureaucratie !
Une décision, c’est ce moment critique de notre déchirure qui fait, qu’à partir de là, le monde s’ouvre. Dans la psychose, il n’y a plus de décision. Dans la mélancolie, c’est la plainte et dans la psychose c’est le délire. En nous… et ça c’était la critique de Schotte sur Maldiney, il disait que c’était une vision très pessimiste, très négative de notre travail, que cela ne ferme pas de faire des possibilités de faire des choses quand même et c’est à nous de créer à travers notre travail, et notre merde de faire de la merde pour qu’il y ait des crises et des conflits quand même. On ne va pas résoudre les conflits, c’est la mort ! Tosquelles, superbe, génial. Ça, Maldiney aimait bien quand Tosquelles disait qu’il faut des conflits ! Notre travail, c’est faire des conflits et il faut avoir les institutions et l’analyse institutionnelle pour non pas résoudre les conflits, mais les traiter, pour que ça puisse continuer et que cela ne se transforme pas en destruction. Et souvent quand il y a un conflit, cela devient vite violent. Ah, ça non ! etc. etc. donc à chacun des moments critiques, une présence devient, comme il dit, ce qu’elle est. Ce n’est que dans les moments critiques qu’une vraie présence existe. Et c’est là, et c’est superbe, mais c’est vraiment quand on aime Maldiney, quand on entre dans l’intérieur de son œuvre, c’est là où il critique Heidegger. Il va intégrer dans toute la philosophie de Heidegger le sentir. Et ça, c’est peut-être la dimension la plus fondamentale dans toute l’œuvre de Maldiney, c’est d’intégrer et de donner une place du pathique, du sentir, du ressentir à toute la philosophie. Aussi bien il le fait pour Aristote, pour Platon, dans Regard Parole Espace où il essaye d’intégrer la dimension du pathique dans Hegel. C’est un article superbe.
Pour nous cliniquement, qu’est ce que ça veut dire la toxicomanie ? Qu’est ce que ça veut dire l’immédiateté ? Pour Heidegger, ça n’existe pas l’immédiateté. Le sensible c’est quelque chose qui ne peut exister que quand on le met tout de suite dans la dialectique de la négation. Pour moi, grâce à Maldiney, on peut travailler avec l’immédiateté : où ? Dans la toxicomanie ! « tout tout de suite ». ça ne sert à rien de mettre du négatif dans la toxicomanie. Ça ne sert à rien. Je provoque un peu. Hein Michel, j’espère que bientôt tu pourras m’aider à cette thématique de l’immédiateté et du sentir et du négatif.
L’impossible de l’œuvre d’art, l’impossible d’exister en appelle à notre pouvoir être sans quoi, -et là il passe du transpossible au transpassible-, sans quoi il n’y aurait ni réponse ni répondant mais une stupeur destructrice. Il lie toujours le transpossible au pouvoir être. C’est la mélancolie qui nous apprend le transpossible, c’est à dire être toujours porté par le pouvoir être. Si on n’est plus porté par le pouvoir être, c’est la destruction. Heureusement, que dans la mélancolie il y a la plainte qui peut-être détruit celui qui l’écoute, mais pas le mélancolique. Il ne peut pas être porté par ce pouvoir être, ça s’est accompli… c’est arrivé… et Maldiney joue sur le néologisme en être arrivé là sans être jamais parti. Si je n’avais pas… je n’en serais pas là. Tout à l’heure Laurence me disait, ah j’ai ouvert ce livre Psychose et présence et… ô là là là, j’espère que tu vas nous donner envie de travailler la mélancolie par exemple. Mais quand tu lis Psychose et Présence, il y a un article plus facile dans Existence et psychose p124, quand est-il de la temporalité mélancolique ? Voilà, si tu veux travailler la plainte mélancolique, tu peux commencer là et après au boulot. L’échec de la transpossibliité c’est dans la mélancolie. Ils ne sont plus portés par le pouvoir être.
MB : Je peux dire un truc ? J’avais inventé une petite équation. Je ne sais pas si cela pourrait t’intéresser…
ML : Oh, arrête ! Il faut le formuler.
MB : elle est facile. pouvoir être = serait
se trouve être
ML : serait ? le futur hypothétique ? et comment tu arrives à le mettre là ?
MB : j’ai écrit ça il y a 20 ans, dans une revue de philosophie, un article sur Lacan où j’avais proposé cette équation. Qu’Oury reprend.
ML : AH ! Où ? Je n’ai jamais entendu.
MB : Oui, dans le séminaire de Ste Anne, il en parle souvent.
ML : ces choses là quand même ! Quel est le sens de cette barre ?
MB : le sens de la barre, c’est un rapport. Le rapport entre le pouvoir être et le se trouve être, c’est le serait. Tu viens de le dire avec le mélancolique. Quand le mélancolique ne peut plus faire un rapport entre le pouvoir être et le se trouve être, il n’y a plus de serait. Il ne serait pas..
ML : je n’en serais pas là.
MB : voilà, quand il n’y a pas ce rapport…
ML : p 129. Serais est un futur hypothétique. Tandis que le futur catégorique, s’ouvre au sortir du présent, le futur hypothétique s’ouvre dans le présent au sortir du passé. Il s’agit d’un présent non clos, mais non pas ouvert pour autant.
Mb : d’ailleurs serais n’est pas si ouvert que ça. C’est ce qu’on appelle un conditionnel
ML : oui oui oui, c’est un présent non clos, sans tension, purement extensif. Cette extension qui l’apparente à une étendue signifie que le temps n’est plus en expansion. L’identité en lui, dans serait, du présent et du futur, dénonce un état stationnaire du temps qui ne se temporalise plus.
C’est pour ça que je ne comprends pas…. Pouvoir être et se trouver être…synonymes ?
MB : c’est deux choses qui n’ont pas de rapport. C’est un peu tout ce que tu as raconté… il n’y a pas de rapport entre les deux excepté le serait…
ML : oui… tu me fais toujours réfléchir…ça m’amuse… ça m’use…. Ça muse… allez demain on continue sur le transpassible.
Samedi 12 avril
ML : Bon allez on y va. Laurence a dit qu’on fait un peu sur la transpassibilité, on fait une pause et puis ensuite elle m’a demandé de faire un profil de quelqu’un de La Borde et de montrer comment on travaille. Cet après midi, je présente un profil. Allez, on y va.
Je résume hier le transpossible. Le transpossible, c’est la dimension sans coordonnées préalables, c’est à dire ni réelles que ça se réalise, ni idéelles comme des a priori du pouvoir être. Et dans l’article de la transpassibilité le plus difficile, donc vraiment il faut l’étudier, la travailler dans le livre Penser l’homme et la folie, il va beaucoup plus loin cet article, dans le sens qu’il met en question, c’est pour ça que pour moi, c’est rigolo, enfin, pas rigolo, mais passionnant chez Maldiney, c’est qu’il n’a pas arrêté de réfléchir jusqu’à la fin de sa vie. Donc, il va mettre en question la problématique du pouvoir être. Il va transformer le rapport entre le transpossible et le pouvoir être. Il précise davantage les termes de transpossible et transpassible. Il critique Heidegger.
Bien sûr, il pense toujours que c’est par l’épreuve qu’on apprend. Le transpassible va se concentrer autour de « qu’est ce que c’est que rencontrer l’autre ? ». Et c’est à partir de cette thématique de la rencontre qu’il va critiquer le pouvoir être. Je cite, P 404 de Penser l’homme et la folie : l’être de l’autre – l’autre avec un petit a, mon prochain, tu te rends compte, il me disait que quand il a trouvé ça, il était presque désespéré- L’être de l’autre est hors de mon pouvoir être. Hors. Il ne m’appartient pas de pouvoir le « possibiliser », l’autre. Ce qui fait signe et ouvre mon appel fait signe vers mon être, en tant que celui-ci est irréductible au possible, y compris à mon propre pouvoir être. Et donc tout l’article de la transpassibilité est construit autour de la notion de l’appel.
Michel Balat : on peut dire un truc en passant. Ça veut dire quoi mon pouvoir être ?
ML : je répète : mon pouvoir être veut dire ce qui fait signe et ouvre mon appel, c’est l’autre qui provoque mon appel… en tant que mon être est irréductible au possible. Qu’est ce qui m’interpelle. D’où vient cet appel de l’autre. Et c’est ça qui est hors mon pouvoir être.
MB : une autre question pour être bien sûr de pouvoir te suivre. Si l’être est irréductible au possible, cela veut dire déjà exister.
ML : oui, exister, c’est être hors de soi. Là, il commence avec le transpassible. Il y a quelque chose en l’autre que j’appelle, qui m’appelle et qui m’interpelle qui est hors possible, c’est ça qu’il va essayer de dire. Il précise. Le transpassible consiste à n’être possible de rien qui puisse se faire annoncer comme réel au possible. Elle est une ouverture sans dessein ni dessin. Dessein, le vouloir. Elle est une ouverture à ce dont nous ne sommes pas à priori passible. Il faut savoir que le mot passible vient du mot pâtir. Subir, pâtir. Mais, quel est ce rien ? c’est là qu’il s’appuie beaucoup sur la philosophie chinoise, le rien. Quel est ce rien ? ou ce rien à partir duquel nous sommes requis. Ce rien signifie simplement un arrachement à l’étant, donc à un autre qu’on peut thématiser…
Public : étang ? plouf ?
ML : étant ! dans le sens philosophique du terme, un autre qu’on peut objectiver, l’être et l’étant
Public : le cabestan
ML : l’étant de Sartre, l’être et l’étant, qu’on peut objectiver. Donc un arrachement à ce qui est là, et du côté de ce qui advient, et du côté de celui à qui cela arrive, nous sommes dépossédés de nos possibilités si il y a quelque chose qui nous arrive. Et il dit que ce rien est lourd de tous nos possibles. C’est un rien radicalement mobile et non pas une pure absence. Et ce que j’aime beaucoup dans cet article, c’est à partir de la page… son commentaire sur Winnicott dans Jeu et réalité, l’espace potentiel et surtout la préface qu’a fait Pontalis qui va reprendre et dont Winnicott reprend la thématique… le break down
Didier Petit : La crainte de l’effondrement
Ml : Oui, La crainte de l’effondrement. Toute cette structure profonde dans la crainte de l’effondrement, Maldiney le commente à partir du passage 413 de l’article de la transpassibilité. Pour dire que le rien n’est pas une pure absence. Et pour nous, quand on travaille avec les bébés, avec les petits enfants, c’est extrêmement important que cette carence, de quel ordre elle est ? Est ce que c’est une carence mobile, ou est ce que c’est une carence qui marque une absence ? Quelque chose a lieu qui n’a pas de lieu… c’est une lutte contre la béance… j’aime beaucoup ces 4-5 pages de Jeu et Réalité. On peut le lire à partir de là. Superbe. Ce rien n’est pas hors possibilité. C’est un radicalement mobile.
Maldiney va décrire ce rien sous plusieurs axes à travers son œuvre. Ce rien, qu’il va lier à Paul Klee, c’est celui du chaos, ce moment cosmogénétique, ce moment de jaillissement primordial, ce rien est aussi mobile dans la thématique de la crise, selon Von Weizsäcker, ce rien est potentiellement tout dans la crise… un autre axe, celui de la lucidité, -je disais hier dans la voiture, ah j’aimerais bien que quand Michel est bien réveillé, on fasse ensemble un truc sur Gustave Guillaume, comme hier soir, ce sont des moments superbes. Moi, non plus, je ne connais pas bien, alors cela m’aidera pour vraiment l’étudier Gustave Guillaume. Cette approche de la langue, comment ça se rencontre dans la sémiotique… pour moi, c’est un rêve de pouvoir faire ça ensemble. Je vous le dis. Vous faites ce que vous voulez avec mes rêves… et toi… la la la…
MB : oui…
GP : Bon, on va peut-être vous laisser…
Public : rires
ML : par exemple, c’est un thème de Gustave Guillaume, le rien, celui de la lucidité puissantielle, ce sont des mots lourds…
GP : c’est du lourd
ML : de puissance, qui est pour Gustave Guillaume, le temps premier de la causation du langage.
MB : quel est le temps premier ?
ML : cette lucidité puissantielle. La puissance de la langue. Le temps comme durée, la langue comme tension. Quelles sont les dimensions de tension dans la langue.
MB : est ce qu’il dit que pouvoir être est un subjonctif ?
ML : non
MB : il a tort.
ML : c’est un infinif.
MB : oui, bien sûr, mais le temps du pouvoir est un subjonctif. Il ne le dit pas ?
ML : je ne sais pas. Je pourrais aller chercher. Est ce qu’il y a un moment, dans son commentaire sur Gustave Guillaume, est ce qu’il va inscrire le pouvoir être dans une structure grammaticale du langage, je ne sais pas… je vais chercher. Je vais voir chez Lohmann.
Il choisit aussi le rien lourd de possibilités lorsqu’il parle du vide de la pensée et de l’art chinois, quand il commente la peinture aussi bien que la poterie, il parle beaucoup de la combinaison du rien et du vide. Ou bien, encore un autre axe, le thème de l’ouvert dans Hölderlin, que l’on va retrouver dans Regard, parole, espace, cette dialectique entre l’ouvert et le rien que l’on va retrouver dans sa dernière œuvre, Ouvrir le rien, c’est le titre de son testament. La consécration de toute son œuvre. Ouvrir le rien. L’art nu. Donc le titre parle. Celui de l’ouvert de Hölderlin ou de Heidegger. Après le …
LFC : quand tu dis Heidegger, c’est bien de Hei-de-gger dont tu parles ?
ML : comment vous le dites en français ?
LFC : Hei-de-gger
GP : Hei ! deux guerres !
ML : ah la la
Public : rires
LFC : avé l’accent catalan - rires
ML : par définition, quand vous prononcez comme ça, c’est un nazi.
Heidegger
GP : Hei ! deux guerres ! c’est un arc réflexe- rires
ML : c’est très sérieux ici ! ah ben alors ! c’est très sérieux …
Donc il va lier le rien avec la thématique du dernier Heidegger, dans toute la thématique du hors attente. Et quand mon papa Oury va prendre quelque chose, c’est là. Le narcissisme originaire est hors attente. Oui, oui… Maldiney a parlé de ça, mais c’est surtout chez Blanchot ! Non, j’men fous de Blanchot c’est chez Maldiney… et on se dispute… rires.
Ou bien, et là c’est intéressant dans notre travail clinique, c’est existentiel dans Heidegger, le souci et dans le dernier Heidegger, on va plutôt trouver l’insouciance opposée au souci et au schwermut, la pesanteur. Et un mot intraduisible gelassenheit et que dans les dernières traductions on a traduit avec les moyens du bord par sérénité. Ce n’est pas beau mais quand même. On n’en a pas trouvé d’autre. Donc, à travers son œuvre, il va articuler plusieurs axes, Paul Klee, Gustave guillaume, l’art chinois, Hölderlin, et le dernier Heidegger.
Malween : est-ce qu’il utilisait Kimura ?
ML : ah oui, il utilisait beaucoup Kimura. Beaucoup ! Quand Danielle a écrit son livre, sur les paysages de l’impossible, l’avec schizophrénique, elle combine une lecture de Kimura commentée par Maldiney. Oui ! Mais je ne peux pas tout faire !
GP : Pourquoi ?
ML : Parce que d’une part, je ne suis pas capable et qu’ensuite vous vous foutez de ma gueule.
Public : rires.
ML : alors, je pense que là où on peut aborder le mieux le transpassible, c’est quand il est en échec, en défaut. C’est dans la psychose et en particulier dans la schizophrénie. Et ça, c’est un fil conducteur dans l’œuvre de Maldiney. A chaque page, on va souvent rencontrer ce qu’est un défaut dans la schizophrénie. C’est quoi ? La psychose se ferme peu à peu à ce niveau originaire de l’expérience de vivre qui est celle du sentir et du ressentir par lequel nous pouvons être ouvert à la surprise de l’événement. A quelque chose qui nous excède et qui est dans notre possibilité d’être, notre potentialité. N’importe quel fait qui se passe peut nous confronter à quelque chose qui nous excède, qui nous touche, qui nous plombe. Ça peut être Atlantico Madrid qui gagne le match contre Barcelone. Ça peut être la commémoration du génocide du Rwanda.
GP : les français n’y étaient pas-
brouhaha- rires
ML : Je sais. Quand les français gagnent, ça ne me fait rien. Quand ils perdent, ça me rend joyeux, mais ce n’est pas de l’ordre de l’évènement.
Ce qui nous ouvre à l’événement, à ce réel qu’on n’attendait pas, c’est la transpassibilité. Pour le dire simplement. C’est à dire une capacité de subir qui n’est limitée par aucun a priori. Est-ce qu’on peut supporter l’insupportable pendant des années ? car comme l’événement lui même, l’existence qui accueille, ek-sistere, avoir sa tenue hors de soi, c’est là toute sa critique sur le vivant, ek-sistere, mais hors de soi ne veut pas dire ex dehors, car comme l’événement lui même, l’existence qui accueille est hors attente, est infiniment improbable, elle n’a rien à quoi s’attendre, elle n’a rien à attendre de quelqu’un ou de quelque chose, et bien dit-il c’est précisément, comme tu disais hier, quand tu disais un peu vite, mais bien, quand tu parlais de disposition, cette réceptivité accueillante à l’événement, c’est ça qui fait défaut dans la psychose et en particulier dans la schizophrénie. Donc, tout notre travail de l’accueil, mais c’est un mot complètement surdéterminé, tout le monde utilise ce mot, mais il faut bien savoir ce que cela veut dire, l’accueil.
Public : il y a des banques d’accueil
ML : oh la la, oui, c’est terrible. Pour nous, le mot accueil, on le condamne et on parle de fonction d’accueil. C’est complètement différent. Quel est ton degré de fonction d’accueil dans ton travail ? Tu ne vas pas être réceptif avec un schizophrène qui habite en appartement en ville ou alors à la campagne ou alors qui est à l’hôpital. Ce n’est pas la même fonction d’accueil ! Par exemple, avec notre patient qu’on voit avec Laurence le vendredi, si on n’a pas vu le match de foot, et bien le transpassible ne marche pas.
MB : l’histoire des fonctions quand même… les fonctions, c’est précisément ce dont on parlait hier. Le passage de l’accueil à la fonction d’accueil, c’est le passage de l’indicatif au subjonctif.
ML : Note le ! Je vais le retenir. Où est ce que je peux apprendre mieux la grammaire ? Une grammaire simple, basale…
MB : …
LFC : je te passerai le petit Bled, je l’ai à la maison.
ML : Comment s’appelle le livre des deux belges qui ont fait la grammaire
Public : le … du bon usage. Le Bescherelle… le Bled…
Public : c’est trop dur
ML : pour moi, c’est trop dur, c’est pour avoir la base. Parce que là, passage du l’indicatif au subjonctif, avec toute la thématique logique là-dedans, … que je puisse me préparer, est ce que l’accueil comme substantif… etc. est ce le passage de l’indicatif au subjonctif… c’est superbe comme question mais…
GP : comme réponse !
ML : comme questionnement ! et bien donc cette réceptivité accueillante à l’événement fait défaut dans la psychose. C’est de manière pathique, donc toujours sur le monde contactuel qu’on contacte les gens. Chaque séance psychanalytique ou autre commence dans le contact. Ce n’est pas la peine de donner une main et allonge toi et je n’ai même pas eu le temps d’avoir vu ou d’échanger l’expression de ton visage pour voir s’il y a une tonalité dépressive. Ce ne sont pas les mots qui vont nous dire quand même qu’il est déprimé.
GP : c’est quoi ?
ML : c’est la tonalité dans le mot ou dans le visage. On n’a jamais vu l’humeur dans un mot. Il y a par exemple dans l’article Contributions Kuhn Maldiney, Kuhn qui commente une phrase d’une patiente qui passe le Rorschach. C’est une phrase apparemment banale. Elle dit : et vous voyez, aujourd’hui, il ne me vient rien à l’idée, je ne sais pourquoi. Aussi à la planche 7 : voyez vous chaque fois que je découvre un côté négatif chez d’autres personnes, je trouve que je l’ai moi même. Pendant des pages, Kuhn va lire ces phrases d’interprétations des taches comme le noyau de la dépression. Mais impossible de le détecter si elle n’avait pas eu à projeter ce qui se passe dans un choix d’interprétation d’une tache.
Donc c’est de manière pathique que l’existant est ouvert à l’évènement. Ce n’est pas de manière gnosique. Cela ne se produit pas dans un monde déjà constitué et indépendant de nous mêmes. On ne peut pas être dans le transpassible quand on regarde la télé. Où les montages sont faits. Les infos sont faites pour échapper au transpassible. C’est ça leur succès aussi !
GP : pourquoi tu dis quand tu évoques la phrase « je ne vois partout que des choses négatives et je trouve que je les ai aussi ». Pourquoi tu dis que ce n’est pas dépressif dans les mots ? ça apparaît.
ML : tu n’as qu’à lire la suite. Oui, mais c’est à partir de là, qu’il développe tout l’aspect dépressif.
C’est de manière pathique que l’existant est ouvert à l’événement. Qu’il ne se produit pas dans un monde déjà constitué. C’est au contraire le monde qui s’ouvre à chaque fois à partir d’un événement. Le monde n’existe pas. Il n’ek-siste, n’est qu’un mouvement à partir de quelque chose de l’ordre de l’événement, de quelque chose qui nous sur-prend, qui nous dé-possède, qu’on subit. Pour montrer en quoi consiste ce bouleversement que produit en nous l’événement, il va s’appuyer sur la distinction qu’il trouve chez Erwin Straus entre Geschehnis qui veut dire un événement qui fait partie de la vie quotidienne, du temps ordinaire, un fait qui devient une anecdote et Erlebnis, l’évènement en tant qu’épreuve de ma vie singulière. Et pour faire cette distinction Erwin Straus rapporte un exemple de ses patients. C’est à propos d’un homme renversé par une voiture, et qui gisant mort dans la rue est entouré des témoins de l’accident parmi lesquels se trouve un médecin et un jeune homme. Le médecin constate professionnellement la mort de l’accidenté sans que cela l’atteigne de manière personnelle. Parce qu’il travaille dans les urgences. Alors que le jeune homme, au contraire, profondément touché par ce spectacle demeure pendant des semaines incapable d’oublier la vue du mort. Pendant des années. Qu’il a enkysté d’une certaine façon. Et Maldiney commente : si l’évènement d’être présent sur le mode perceptif dans cet accident n’a pas eu le même destin, c’est parce que le vécu n’était pas le même au départ. Ce n’est pas la perception d’un mort- et là c’est toute l’œuvre de Maldiney qui parle, c’est la différence entre la perception et le pathique- ce n’est pas la perception d’un mort qui est en soi bouleversante mais le rapport entre un mort et la mort dans lequel le jeune homme est impliqué. Il n’y a donc pas d’événement en soi puisque l’évènement ne prend sens que dans une situation. Donc toute la thématique où on ne parle pas d’un sujet objet mais de quelqu’un en situation. Quelqu’un en situation pour échapper à toute la problématique de l’objectivité. Il n’y a donc pas d’événement en soi puisque l’évènement ne prend sens qu’en situation et qu’il ne peut affecter l’existé qu’en tant qu’évènement de l’existence.
Mais inversement, la présence elle-même de quelqu’un dans la vie, la présence elle-même de quelqu’un à soi même, être présent… simplement, j’aimerais bien moi ici calculer le coefficient de présence. Chez nous, on dit dans un coefficient de présence qui va de 0 à 10, si le coefficient est de 2, c’est pas mal. Ça va. Il est déjà un peu présent. Ce n’est pas la liste de présence qui va indiquer notre situation de présence. Cette échelle nous indique la thématique de la pré-sence. Etre en avant de soi. Pré. Donc la présence elle même de quelqu’un n’est que par l’ouverture de la personne à l’événement. Etre ouvert à ce qui se passe, à ce qui à lieu. C’est ce qui conduit Maldiney à dire que cette ouverture à l’événement est ce par où la présence existe et qui lui fait dire, il va rajouter à la liste, que l’événement est existentiel. Pas seulement le souci, le pouvoir pour la mort, mais aussi un existentiel.
MB : tu connais la définition de Peirce de l’événement ?
ML : Non, pas du tout.
MB : un événement est une jonction existentielle de faits incompossibles.
ML : oui, c’est bien, c’est la même chose, c’est existentiel. C’est intéressant quand même de faire des ponts !
MB : …
Public : rires…
MB : chaque fois que je dis ça à Oury, il s’en fout.
ML : Ah non ! Ce n’est pas vrai ! Il dit ça parce que ce n’est pas lui qui l’a dit. Mais il ne s’en fout pas. Il entend quand même. Il m’emmerde beaucoup mais là, je le défends. Après, ça fait son chemin. Et après, il nous dit : ah oui, Michel, c’est intéressant… mais au début, oui, ce narcissisme pas possible… mais il est quand même plastique…
GP : peut-être qu’il ne comprend pas ce que dit Michel.
ML : qui ?
GP : ton père- Oury…
ML : quand il dit « j’men fous » il a compris.
GP : non, parce qu’il est obligé de répéter.
ML : non, il le reprend avec ses propres mots.
rires
GP : quand l’autre répète, c’est qu’il ne le comprend pas.
Rires
ML : sans doute qu’il le reprend à certains moments…
GP : non, sinon Michel nous en aurait parlé
ML : je ne sais pas, je ne sais pas… rires
Donc, cette ouverture à l’évènement, c’est ça qui fait que, la présence existe, et alors on peut comprendre pourquoi, dans la psychose il n’y a pas d’événement. C’est sa phrase qui revient toujours et c’est cette phrase qui a été très critiquée
Sylvia Dias : c’est terrible
ML : oui, c’est terrible
GP : c’est normal.
ML : Le mélancolique dont la temporalité ne consiste qu’en rétention, vous vous rappelez, tout comme le maniaque, - ce sont les pathologies qu’il commente le plus-, tout comme le maniaque qui sans appui dans le passé ne connaît qu’une temporalité sans cesse à venir n’ont pas de présent véritable. Et donc, de là, dans son œuvre, qu’est ce que c’est le présent comme temps grammatical ? C’est quoi le présent ? C’est quoi l’instant ? Donc sa première œuvre Aîtres de la langue et demeures de la pensée est consacrée pour une grande partie à ce qu’est le présent. Ils sont par là exclus de l’événement. Quand au schizophrène, il s’efforce, - et ça ce sont des pages magnifiques- il s’efforce dans son délire de rencontrer l’événement. C’est ça qu’on disait hier dans la voiture. La rencontre ce n’est pas l’autre, c’est l’événement. Rencontrer l’événement car le délire est pour lui le seul moyen de se comprendre lui même. C’est encore un essai d’exister le délire. Ils essayent à travers le délire de rendre compte de cette métamorphose existentielle qu’exige la survenue d’un événement. Ça me fait quelque chose, ça me confronte, ça m’interpelle, c’est un appel. Est-ce que ça me convoque à une métamorphose, à une transformation ? Pourquoi Kafka, il tourne toujours en rond, et pourtant il n’arrête pas, tout le temps, de mettre sur la scène dans ses livres, des métamorphoses, des transformations, des situations absurdes qui interpellent l’autre à se métamorphoser. C’est pour ça que Maldiney dit que Kafka est un grand mélancolique. Tout son enseignement, dès le début, jusqu’au moment où il va rencontrer Szondi, il va commenter Freud et en particulier pendant trois ans Schreber. Il a commenté pendant deux ans l’interprétation de Lacan de Schreber. Le délire de Schreber était toujours une tentative de se métamorphoser pour pouvoir accueillir l’événement. L’événement de Schreber c’était quand même de devenir père. Aussi bien au niveau public, sa nomination, qu’au niveau homme-père. Cette survenue de l’événement, comment ça va me transformer ? Il ne peut pas. Et le délire est une tentative. Mais le délire est en même temps une occultation de cette métamorphose. Et Kafka va trouver plein de personnages, des animaux pour occulter cette impossibilité de la métamorphose. Et Maldiney se réfère aussi bien à Schreber qu’à Suzanne Urban, un cas clinique classique de Binswanger, car -284- la démultiplication des persécuteurs dans le délire de Schreber, la multiplication dans le délire de Suzanne Urban ont pour effet, - et j’aime beaucoup ce passage- de diviser la compacité du terrifiant.. Est-ce une façon d’échapper à la proximité absolue de sa propre étreinte ou est-ce une aggravation de la terreur, comme le pense Binswanger, en ce que le malade est désormais entièrement tombé au monde d’où l’assaillent les persécuteurs ?
La question reste posée, mais l’échec est le même.
GP : il fabrique des enfants
ML : qui ?
GP : Schreber. La multiplication
ML : oui, les persécuteurs, ça n’arrête pas chez Schreber
MB : Georges dit plus que ça
ML : il en fabrique beaucoup, il copule avec tout le monde. Le délire est en même temps une occultation de cette métamorphose.
GP : une présentification
MB : une compacité du père. C’est ça que dit Georges.
ML : Maldiney dit de diviser la compacité du terrifiant. C’est terrifiant quand même de ne pas pouvoir accueillir cet événement. Et donc voilà.
GP : c’est une manière d’accueillir
ML : absolument, c’est une manière d’accueillir
MB : catastrophique
ML : catastrophique, bien sûr.
Malween : il y a quelques années en arrière, j’étais dans une clinique psychiatrique et j’animais un atelier d’écriture et j’avais demandé aux personnes qui étaient rassemblés là de fermer les yeux et qu’ils s’imprègnent dans la contemplation d’un paysage intérieur imaginaire et une fois qu’ils s’en étaient bien imprégnés, je leur ai demandé d’imaginer la survenue dans ce paysage de quelqu’un puis d’écrire. Et ce qui m’a complètement surprise, aucune des personnes qui étaient là autour de la table n’a raconté un décentrement de soi vers l’autre, mais au contraire c’était quelque chose de la refermeture, c’est à dire d’attendre que la personne passe pour retourner à la contemplation. Un impossible d’aller à la rencontre de l’autre. Et cela m’avait vachement interpellée. Constater qu’aucune de ces personnes n’étaient capables de se décentrer pour aller vers l’autre, c’était quelque chose qui… Et je trouve que dans cette lecture là, ça prend sens.
Geneviève Feixas : est-ce que cela peut se traduire par une formule comme « je suis le paysage et je suis dans le paysage » ce n’est pas la même chose.
ML : je vais donner un exemple
GP : dis bonjour à la dame
ML : La première fois sans doute il y a longtemps où nous étions en présence Roland Kuhn, Jacques Schotte et moi même... Le schizophrène qui vivait depuis presque dix sept ans dans un état de prostration presque constante mais dont Roland Kuhn avait remarqué la sensibilité apparemment paradoxale aux formes et aux couleurs a été invité à regarder des reproductions de peintures. Je les avais choisies -lui, quand il commente… une fois qu’il avait été dans l’atelier de poésie de Bouchet, on l’invitait souvent à aller dans des ateliers d’art thérapie, dans des ateliers d’animations, essayer de trouver des techniques pour pouvoir rencontrer, il disait ‘restons à l’authenticité de la vie, je vais leur montrer des formes, parce que l’imagination… etc. ça vient de mettre en forme quelque chose’. Je les avais choisies (les peintures) telles que en raison de leur style, leur moment apparitionnel constituait un indivisible moment d’évidence et de surprise. Tout en jouant avec un lacet le malade jetait sur celles qu’on lui présentait un regard furtif comme à la dérobée et lançait quelques mots au sujet de chacune. Des mots à l’arraché. –vous vous rappelez, l’arrachement-. Certaines de ses expressions étaient si expressément ajustées à la plénitude de l’œuvre qu’il eut été difficile au plus aigu des critiques d’en trouver d’autres. Mis en présence d’une des dernières baigneuses de Renoir, dont l’espace ambiant est l’aura radieuse et tourbillonnaire d’une forme en expansion et de flux coloré -ça c’est typiquement Maldiney- il dit simplement : le soleil d’or de la vie. Alors s’est produit un incident. Appelé au dehors, le Dr Kuhn est sorti. Aussitôt la porte refermée, le malade s’est levé en disant à nous qui restions là assis, « à qui le tour, messieurs ? ». Il avait été garçon coiffeur à Lausanne. Pour la première fois depuis 17 ans, quelque chose de son passé émergeait. Peut-être était-ce l’occasion furtive d’un échange. Il lui fallut trouver la parole ou le geste capable de faire de cette lueur le premier tremblement historique d’un passé enfoui devenu absolu.
Quelques mois plus tard, le Dr Kuhn a fait une expérience du même ordre. Il montra à un malade schizophrène deux lithographies de Tal Coat dont les taches noires discontinues – vous trouvez cette reproduction dans Ouvrir le rien- dont les taches noires discontinues en tension mutuelle représentent un vol d’oiseaux. Non pas un groupement d’oiseaux volants mais la dynamique rythmique d’un vol dont les taches noires communiquent entre elles dans l’ouvert des énergies blanches. Or à partir de cette vision et de l’échange de paroles qu’elle suscitât entre le patient et son médecin s’établit une conversation tellement normale que le Dr Kuhn en venait à se demander s’il avait encore à faire avec un malade, si celui qui était là était celui qu’il connaissait.
MB : ah, purée, il y a de quoi écrire à Danielle. Tu vas dire quelque chose de ma part à Danielle. Je crois qu’en fait, il me semble que ce qui est touché dans le contact ce n’est pas la priméité comme telle, mais la priméité de la tiercéité.
ML : C’est vrai. Ça, j’ai compris.
MB : tu lui dis pour voir si elle est d’accord. Comme elle connaît très bien Pierce…
Geneviève Feixas : on le reprendra lundi, parce que là…du coup… on est un peu… ça vaudrait le coup.
MB : rires… oui oui on reprendra ça. On voit bien que la priméité, ça va… mais c’est la priméité de la tiercéité qui ne va plus.
ML : oui, tout à fait. C’est ça. On pourrait presque dire, comme dit Maldiney : le délire nie le caractère de première fois de l’événement.
MB : ah ! ça, c’est bien ça. C’est l’évènement tel qu’il est dans la priméité de la tiercéité.
ML : oui, c’est ça !
MB : Pas n’importe quel événement ! C’est pour ça que la distinction entre les évènements, elle est là dessus.
ML : la première fois !
Didier Petit : dans un autre registre, est-ce qu’on pourrait parler des stéréotypies ?
ML : explique !
DP : par rapport au premier geste, qui nie l’évènement. Avant théoriquement, la première fois est niée par la stéréotypie
ML : oui !
MB : et qui est l’invention d’une forme.
ML : oui. Lui, il va souvent commenter le maniérisme. Où le maniérisme, c’est toute cette thématique de la métamorphose qui s’est condensée, immobilisée dans la pause. Il utilise comme paradigme de la pause de quelqu’un qui dans un atelier ou je ne sais pas quoi, va pauser comme modèle. Et bien, dans le maniérisme, on a cette structure du corps. La pause. Le personnage. Mais dans la stéréotypie, c’est la même structure. Le maniérisme et la stéréotypie ! oui oui. il dit : l’expérience psychotique atteste par là que l’événement requière la collaboration de celui auquel il arrive et qu’il est nullement, par rapport à lui, dans une totale passivité. Il sort à nouveau de la psychose là. C’est cette paradoxale capacité d’attente de la surprise avec Merleau Ponty, cette passivité de notre activité, ou avec Husserl, où Mélon, il est courageux quand même, il l’a édité, ce grand pavé, La synthèse passive de Husserl, tout ça c’est le même champ de travail,,, ou cette transpassibilité, c’est la terminologie de Maldiney, que traite pour lui la phénoménologie, l’objet de la phénoménologie, c’est le traitement du transpassible.
Donc, sa thématique, c’est toujours le dépassement de l’oppositionnel, le passif et l’actif. Si Maldiney a forgé ce terme de transpassibilité pour retrouver la manière – et là il retrouve Tosquelles- dont l’humain retrouve sa transcendance, ou plus simplement son dépassement, ce n’est pas la transcendance scolastique, en tant qu’elle implique une réceptivité et la première pathologie de la transcendance, c’est l’ambivalence ; quelqu’un qui ne peut pas se dépasser, c’est quelqu’un qui est dans le doute… oui non … oui non… c’est une thématique de ne pas pouvoir se dépasser et qui s’arrête à l’ambivalence. L’échec de la transcendance. … donc en tant qu’elle implique une réceptivité, c’est pour indiquer que la réceptivité doit être comprise comme une passibilité. Et passibilité veut dire simplement une capacité de pâtir et de subir au sens où elle implique une activité immanente à l’épreuve. Qu’est ce qui fait qu’il y a des gens qui s’en sortent d’un événement impossible… perdre un enfant… c’est impossible… et bien, grâce au transpassible, on peut… être réceptif à ce qui nous arrive. Et ça ouvre le champ-même à la réceptivité. C’est cette ouverture et cette capacité d’attente indéterminée qui manque dans la psychose. Et de là, chez nous on fait toujours la différence entre erwartung, et entwartung.
Et toi, hier, avec ton patient, quand tu disais que tu en avais marre qu’il ne te parle que du valium, et le valium ceci, et le valium cela et que tu disais, il me réduit à entendre ces conneries sur le valium non, je veux être psychothérapeute, je veux être psychanalyste et je veux aller là où ça se passe ! Non ! Nooooon….. Non ! Est-ce qu’on peut partager l’attente indéterminée ? Et quand nous, dans notre pratique quand même, à La Borde, on voit le malade 5-6 fois par jour quand il faut. Il ne se passe rien… rien ? Ce rien ! Deux minutes, trois minutes… et ce n’est pas la coupure lacanienne… dans le sens où ah ah ah… les séances courtes pour que ça émerge les conneries… non ! C’est partager cette attente indéterminée. Et peut-être comme on dit, un jour, on va s’ennuyer ensemble. Aaah ! Grosse victoire.
Et c’est aussi dans ce contexte là qu’il rencontre Pankow. Ils étaient très bien ensemble. Il y a avait un respect absolu entre eux, chacun dans son for intérieur, dans des échanges de lettres, par trop dans la conversation et … c’est Maldiney qui me l’a dit… ils étaient très réceptifs l’un pour l’autre. Et Pankow utilisait la philosophie de Maldiney et lui il utilisait les techniques qu’utilisait Pankow dans ce partage de l’attente pour faire émerger quelque chose au niveau de l’espace… pour approfondir sa propre pensée. Donc, il y avait entre eux quelque chose de très fort. Elle commente elle aussi, dans Structure familiale et psychose, à la fin, dans l’annexe, elle commente des textes de Maldiney. C’est donc bien cette capacité d’être en prise sur les choses qui fait défaut dans la psychose. Et à partir de là, cela se traduit dans une incapacité d’habiter le monde et d’habiter son propre corps. L’événement par excellence est la rencontre. Et c’est la fin de l’article du transpassible. Il n’y a de rencontre que de l’altérité et elle (l’altérité) est toujours imprévisible. Ce qui caractérise en effet l’existence est sa transcendance. Cette capacité de dépassement. Cette capacité de l’imprévisible. Donc, la transpassibilité est plus que la simple passibilité. Elle est ouverture. C’est peut-être le mot qui va le mieux avec le transpassible. L’ouverture avec l’évènement hors attente. Je ne trouve pas de meilleure transcription que celle –là et qu’on retrouve passage 421-422. La transpassibilité consiste à n’être passible de rien qui puisse se faire annoncer comme réel ou possible. Elle est une ouverture sans dessein ni dessin, à ce dont nous ne sommes pas a priori passibles. Elle est le contraire du souci. La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, n’a souci que d’elle même… elle existe pour rien. Pour le rien qui la libère de toute attache préalable à l’étant et qui signifie en elle que son existence est originaire. La transpassibilité sans souci implique l’insouciance qui est le contraire de l’esprit de poids, le contraire de la Schwermut qui tend vers le fond dans un rapport obscur.
Amen.
La transpassibilité implique une ouverture absolue de tout projet.
Elne, le 11 avril 2014
Marc Ledoux : Bon allez, sur Maldiney. La dernière fois, j’en ai un peu parlé, il venait de mourir et je vous ai demandé si c’est possible de se réunir autour de lui. Et dans un élan maniaque, j’avais proposé le transpossible et le transpassible, mais c’est extrêmement difficile et comme je suis très attaché à lui, je veux le respecter et à partir de moi même, essayer d’aller au fond de ses textes, d’autant plus que plus je le lis, plus c’est difficile. Alors je ne sais pas, si je le fais comme je l’ai préparé, c’est terriblement compliqué, Laurence m’a dit tout à l’heure de raconter des anecdotes, mais quoi, je raconte quoi ? Il a souvent raconté, c’était un homme très sérieux.
Georges Perez : Comment vous êtes vous rencontrés ?
ML : Moi ?
Laurence Fanjoux Cohen : Oui, toi !
ML : Mais, moi, je ne suis personne !
LFC : Justement
ML : je ne sais plus.
Michel Balat : Il faudrait avoir les interviews d’Oury. On a entendu hier sur France Culture, les cris de Marc.
ML : je ne sais plus où je l’ai rencontré la première fois… c’était à Louvain… avec Schotte. (allume un cigare)
GP : C’est interdit de fumer Marc
MB : tu es gonflé !
ML : (éteint son cigare) Non, non. Il a raison.
Je sais qu’il m’a dit un jour, c’était un colloque qu’on faisait sur le Szondi, Schotte était là et comme à chaque fois on essayait d’aborder chaque vecteur de manière la plus large possible. C’était sur le vecteur C et c’est un texte qu’on peut retrouver dans le livre Le contact et dans le livre L’homme et sa folie et j’avais fait quelque chose sur Schuman. Et plus tard, à Budapest, sur le vecteur P, c’était un moment superbe, comme on était dans la ville de Bartók, j’avais fait quelque chose sur Bartók et lui, on se connaissait déjà, il disait c’est bien. Moi, j’ai abordé la peinture par l’œuvre-même et jamais par le peintre, ni par l’histoire. Ça, c’est sa phrase célèbre : « il n’y a pas d’histoire de l’art ». Il n’y en a pas. Même quand ils ont fait il y a 5 ans une journée pour lui à Royaumont, il y avait Didi-Huberman qui avait été son élève à Lyon, et qui avait écrit tout et n’importe quoi, et là, il avait essayé de tuer son maitre en disant « il y a bien une histoire de l’art ! ». Mais, là, Maldiney était encore très vif, et il a bien réagi contre ça. Il disait qu’il abordait la peinture par la peinture même, de la même façon que moi Marc, je pouvais aborder Bartók et Schumann par leur musique et non par leur biographie. C’est vrai que j’avais essayé de faire apparaître la psychopathologie ou la structure existentielle de ces musiciens à travers une analyse de leur musique. Donc, ça, c’est quelque chose qui nous a lié. Je l’aimais beaucoup. Et à chaque fois qu’il venait chez nous, avec sa femme qui est peintre, on se retrouvait. Il racontait des histoires. Par exemple sur ses dernières œuvres. Ouvrir le rien. L’art nu. « Marc, tu l’as lu ? Je te le donne. Parce que pour la première fois, j’ai écrit ma propre vision sur la peinture. Jusque là, c’était à propos de, où je pouvais développer des petites choses. Mais là, c’est ma grande œuvre. Des gens me demandent pourquoi je parle toujours des mêmes peintres. Cézanne, Mondrian, même un flamand… surtout sa sculpture, il aimait beaucoup le baroque. Mais il disait qu’il n’y a pas de baroque en Europe mais au Brésil où je l’ai accompagné une fois. Ça c’était impressionnant quand même… dans L’art nu, il y a un monsieur dont j’ai oublié le nom qui a fait une sculpture devant une église, sur cette grande esplanade. Là dessus, il a beaucoup écrit. Kandinsky, Delaunay, Bazaine, Van Gogh bien sûr, Nicolas de Staël. Les gens demandaient donc, pourquoi toujours les mêmes, pourquoi pas sur Gauguin ? Il était très hostile aux musées, au comment les musées étaient conçus, et à quoi ils servent… il était très hostile et il y allait quand même. C’était très parlant pour moi qui n’y connais rien, de l’accompagner quand il allait voir une expo. Courbet par exemple à Paris. Il disait « j’écris sur les peintres qui me regardent. Qui me touchent. Et ce sont les peintures qui me regardent. Et il y en a qui m’ont regardé, qui m’ont touché et c’est là dessus que je travaille. » C’est une petite anecdote qui est restée. Son grand ami peintre, Tal Coat… il faisait de la montagne avec lui. Quand je l’ai eu au téléphone un mois avant sa mort, il allait bien, il attendait la mort mais sa tête allait bien et il écrivait encore, il lisait encore, Hegel, toujours le même… il me disait qu’il y avait une chose qu’il regrettait, c’est de ne plus pouvoir monter le Cervin, il le faisait maintenant dans sa tête. C’était une des premières montagnes qu’il avait montée. Il était alpiniste. IL parle souvent à partir de son vécu, quand il est sur la crête du Cervin avec Tal Coat, quand il voit soudainement non pas un objet apparaître mais à la fois dans cette opposition du ciel et la terre, il y a l’apparaître. Et cette sensation, il va l’utiliser souvent pour essayer d’approfondir sa phénoménologie.
De la même façon, ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il a écrit un texte de son expérience des camps de concentration, son vécu. Tout à l’heure, on verra ce que c’était pour lui l’expérience. C’était pas loin de Besançon, Notre …ch’est pas quoi, où il a d’abord été mis dans un camp de travail puis ensuite dans un camp de concentration. Il a écrit un tout petit texte après sa libération La porte ouverte. Quand on était ensemble avec Schotte, Roland Kuhn et Jean-Marc Poulard, il aimait bien Jean Marc Poulard aussi, il racontait : « qu’est ce qui fait que Primo Lévi, Bettelheim n’ont pas pu survivre ? » et là-dedans aussi, Szondi.
C’est par Schotte que Maldiney a rencontré la psychiatrie. Après la libération, il n’y avait pas de poste pour Maldiney pour enseigner en France et donc il est venu à Gand qui à l’époque était une ville francophone, et c’est là où il a enseigné à l’école des Hautes Etudes. Il a enseigné Malebranche surtout. Et c’est là qu’on avait envoyé Schotte suivre un séminaire de quelqu’un dont on ne comprend rien, -c’est peut-être ça que j’imite, ce n’est pas la peine quand on parle de Maldiney de le comprendre, on a parlé de Maldiney, on a compris, et alors ?... donc c’est cette phrase à laquelle je me suis identifié, il faut être un peu turlutte quand même…- donc Schotte est allé écouter un séminaire de Maldiney sur Malebranche et en sortant il a dit « mais je ne comprends rien, mais un jour je vais le comprendre », ça c’était la phrase de leur première rencontre. Et une amitié s’est liée entre eux. Surtout dans l’essayer de comprendre ce que Maldiney écrivait. Et Maldiney venait nous écouter et… hop, de temps en temps, il y avait quelque chose qui le frappait et cela l’aidait à continuer à développer ses trucs. Par exemple, sur le contact, il avait lu des textes de Philippe (Lekeuche) et de Mélon, et hop, voilà, ça l’a aidé à approfondir la dimension de l’humeur et du contact dans son développement du moi par exemple. Et c’était là aussi que Schotte a pris cette phrase de Maldiney, qu’il disait souvent : « quand je vais essayer de faire des cours, je vais essayer que les gens soient intéressés mais qu’ils ne comprennent pas. Pour leur donner envie de travailler. Pour leur donner envie d’aller travailler les textes que je cite ». Voilà, il nous invite à continuer à le lire et à le travailler. Ce n’est pas simplement lire. Mais de travailler. Voilà, cet axe là vient de Schotte et de Maldiney.
Il y a eu un moment, c’était à Lyon où il repris ça : il m’a dit, -alors Marc, tu n’es pas français ? Non, je ne suis pas français. -Mais essaye quand même. Essaye de suivre, je t’emmène, essaye de suivre un atelier de poésie d’André du Bouchet. André du Bouchet qui était marié à la fille de Nicolas de Staël faisait un atelier de poésie à Avignon. Moi, j’avais essayé de lire des phrases d’André du Bouchet et… rien, rien, rien… Il me disait « c’est pas grave, c’est le rien ! ». Bon, alors tu m’emmerdes avec ton rien. Mais si on regarde, c’est toujours la même thématique du rien. Le blanc, le vide, chez André du Bouchet. Et donc, il m’avait emmené suivre un atelier de poésie d’André du Bouchet à Avignon. Et dans la voiture, il essayait de trouver des mots pour que je puisse trouver l’espace dans lequel André du Bouchet travaillait.
La même chose avec Oury. On retrouve un témoignage dans l’annexe de Création et schizophrénie, leur dialogue à Beaubourg. C’était lors d’une exposition que l’atelier peinture des pensionnaires de La Borde avait organisé à Beaubourg, et Maldiney avait demandé d’exposer les œuvres d’un pensionnaire dans un espace uniquement à lui. Avec de l’espace autour des oeuvres pour circuler. C’est à dire pour pouvoir tourner autour de la peinture. Et quand on lit ses textes, il va souvent entrer dans la peinture, la sculpture, les masques, par le contraste entre la face et le profil. Et donc, dans cette expo à Beaubourg, le soir il a dialogué avec le Dr Oury, et l’après midi il avait demandé d’être seul pendant trois heures pour aller marcher autour de ces peintures. Et au bout de deux heures, il m’avait proposé d’y aller avec lui. Allez Marc, veux-tu venir avec moi ? Avec lui, je me sentais toujours tout petit, mais en même temps fier, bien sûr, et j’ai donc pu marcher une heure avec lui, -et ce n’était pas difficile pour me taire !- et il commençait à rassembler ses mots, -lui, il n’improvisait jamais un texte, jamais, le contraire de Schotte- quand il faisait un texte, il l’avait écrit son texte, comme pour sa femme quand elle faisait une peinture. Donc, il allait s’asseoir et il essayait de rassembler des mots qui venaient quand il était touché par tel ou tel détail d’une peinture.
C’est aussi par Schotte qu’il a rencontré Roland Kuhn et Binswanger... Et Roland Kuhn était le grand spécialiste du Rorschach et le lui avait expliqué, et un peu comme il a utilisé le Szondi, il va stratégiquement faire appel au Rorschach. Quand il analyse un Rorschach, et ça il savait très bien le faire, alors qu’il n’arrivait pas à lire un profil, mais il analysait bien un Rorschach comme la peinture. Donc je me souviens, il analysait la peinture de la même façon qu’il pouvait le faire avec une tache du Rorschach. Et donc, voilà, le soir, et ça, c’était un moment superbe je trouve, ce dialogue entre lui et Oury pour essayer à partir d’une articulation avec la peinture, de faire le passage avec ce qui se passe dans la psychopathologie. C’est quelque chose qu’il a toujours essayé de faire. Comment la peinture ou la psychopathologie ou la dialectique entre la psychopathologie et l’art nous ouvre, nous permet de mieux approfondir qu’est ce que c’est l’homme ? C’était sa question tout le temps. C’était la question pour le philosophe. C’était un philosophe et rien d’autre qu’un philosophe, mais bon, qu’est ce que ça veut dire rien d’autre ? Qu’est ce que c’est l’homme ? Qu’est ce que c’est être ?
Il a abordé cette question par énormément de champs dont la peinture, la psychopathologie et on peut dire par la philosophie même. Chacune de ses œuvres est un recueil de textes. Il y a trois semaines, j’avais fait à Louvain « Maldiney et Szondi » et je ne m’en sortais pas de la chronologie, non pas que je sois obsessionnel mais je disais que j’aurais aimé travailler chez lui comment les concepts se sont construits et s’il y avait une possibilité d’avoir une certaine chronologie. Nulle part on ne trouve une chronologie de ses textes. Une fois, je lui avais demandé. Il m’a dit « ouiii Marc, je vais chercher, mais là, je ne sais plus… ».
Une de ses œuvres la plus difficile, c’est le livre Aîtres de la langue et demeures de la pensée, ça alors mes amis, si vous pouvez lire ça, on se revoit dans dix ans. Où la question de l’être humain est abordée surtout par la philosophie grecque concentrée sur la linguistique. Quelle est la philosophie de la langue chez les grecs, reprise par deux grands spécialistes, d’une part l’historien que Schotte a traduit, Johanns Lohmann, et d’autre part ce linguiste inconnu jusque ce que Maldiney l’a fait connaître : Gustave Guillaume. Gustave Guillaume qui va de Paris jusqu’à Laval et qui n’a jamais réuni ses textes. Et maintenant il y a plusieurs personnes de l’ULB à Bruxelles qui travaillent pour rassembler les textes de Gustave Guillaume. Pour Maldiney, Guillaume est le linguiste beaucoup plus important que de Saussure par exemple. Et donc dans ce livre, Maldiney aborde l’être humain d’une part par la philosophie grecque concentrée sur la linguistique et d’autre part par, ….brrrrrrrr.., la musique ! La base mathématique de la musique comme elle a été à l’origine chez Pythagore, etc, etc… et par exemple, lors d’une journée à Royaumont il y a 5-6 ans, il y avait un ensemble qui a joué de la musique très ancienne qui a été reconstruite pour pouvoir la jouer comme on pouvait le faire dans la Grèce Antique. Et moi, j’étais à côté de lui, il était extrêmement surpris. C’était pour lui quelque chose de l’événement. Ils avaient trouvé un ensemble qui fait cette musique-là avec les mêmes éléments de construction musicale. Moi, quand j’étais petit, j’avais fait du solfège et de l’harmonie, et je croyais que je connaissais quelque chose à la musique, … tu parles ! Donc, ça aussi, ça ne m’a pas déprimé, c’est un grand mot mais, … un peu quand même… ah là là là là… je lisais ce texte sur la musique dans ce livre et je ne comprenais plus rien ! à quoi ça sert d’avoir fait de l’harmonie ?
Quoi d’autre comme anecdote ? Ah oui ! C’est qui Tosquellas ? Oury m’a dit un jour qu’il était en voyage avec Tosquellas, de St Alban à Marvejols, c’est une anecdote que tout le monde connait… Tosquellas disait à Oury « tu sais ce que c’est la schizophrénie ? C’est un collapsus de la transcendance ». Oury raconte ça à Maldiney. Et hop ! ça aussi c’est une phrase qu’on va retrouver tout le temps. Cette phrase ne l’a plus jamais quitté. Et il me disait : « mais, Marc, toi qui travaille à La Borde, c’est qui Tosquellas ? Et toi, tu es allé avec Oury et Schotte chez Tosquellas après le 1er janvier, -il faisait très froid, c’est vrai, j’avais été là-bas-, toi qui connaît Tosquellas, c’est qui Tosquellas, où est-ce qu’il a trouvé cette phrase ? Elle est géniale ! » A chaque fois qu’on va trouver quelque chose qu’il développe à partir de la transcendance comme concept philosophique, la transcendance chez Kant, l’ego transcendantal chez Husserl, des textes qu’il connaissait par cœur, -enfin par cœur, je n’en sais rien, mais en tout cas qu’il a travaillé toute sa vie-, et tout d’un coup il y a quelqu’un qui va extrapoler ce concept fondamental de la philosophie pour essayer de circonscrire ce qu’est la schizophrénie. Alors, c’est une phrase qui a eu l’effet d’un événement. C’est vrai. Il a toujours dit ça. « Marc, ça c’est un événement dans ma pensée qui n’arrête pas de se penser ». Toujours, on va retrouver un commentaire sur la transcendance. Il va toujours l’appliquer à propos de la schizophrénie.
Il était lecteur permanent d’un couple de philosophes Husserl et Heidegger. Il n’a jamais arrêté, pas un jour dit-il, d’avoir lu Heidegger. Au début, il ne pouvait pas le lire dans le texte. Donc, il lisait les peu de traductions. Et nous, on avait un prof à Louvain, de Waelhens qui avait traduit Heidegger. Et de Waelhens et Schotte étaient bon copains et donc, c’est aussi par Schotte, que Maldiney a poussé de Waelhens à traduire Heidegger. Sein und zeit, l’être et le temps, une des premières traductions a été faite par de Waelhens, un de nos flamands. De Waelhens et Von Breda, qui était un curé. C’est lui qui a été un gardien extrêmement veillant des oeuvres de Husserl. Quand Husserl a été déporté, sa femme a pu rassembler quelques textes, fuir jusqu’à Louvain et là, elle a été protégée par Von Breda. C’est là que l’institut Husserl a été édifié et a stocké ses œuvres. Et plein de gens comme Derrida, Levinas, etc etc… sont venus travailler là les textes de Husserl. Maldiney aussi. Voilà. Ils étaient tout le temps ensemble. Maldiney et de Waelhens. De Waelhens allait au foot et buvait du whisky et Maldiney travaillait. Et quand il en avait marre de voir de Waelhens boire du whisky, il rentrait chez lui faire de la montagne. Et puis il revenait à l’institut travailler sur les archives. Pendant trois ans. Comme Ricoeur a pu le faire aussi plus tard. Derrida aussi venait. Ça existe toujours les archives de Husserl. On est fiers un peu quand même ! Pas Louvain La Neuve ! Pas chez les wallons ! Chez nous ! Ils sont là !
Après, petit à petit, Maldiney a appris l’allemand, il a suivi des cours d’allemand, mais il a surtout appris dans les textes, et puis ensuite, à la fin, les trente dernières années, il a toujours lu Heidegger et Husserl dans le texte.
Ce qu’on ne sait pas très bien, c’est que pendant des années, quand il a commencé son enseignement à Lyon, il a beaucoup commenté Freud et Lacan. Il a pendant une vingtaine d’années fait deux séminaires, un sur Freud où il commentait surtout les textes qui étaient les plus importants pour Lacan, Psychopathologie de la vie quotidienne et Die Traumdeutung et les cas cliniques. Il faisait aussi un séminaire par semaine sur Lacan où il a surtout commenté le premier Lacan, le stade du miroir, la parole, l’agressivité en psychanalyse, le rapport de Daniel Lagache, et c’est au moment, ça va presque ensemble, où il a rencontré Szondi, qu’il dit, - et on peut le lire à travers ses textes- « je suis plus en affinité avec le concept et la dynamique de la pulsion qu’avec l’axe « l’inconscient et le langage . D’accord Lacan, mais ce n’est pas mon affinité. Mon affinité est beaucoup plus szondienne ». Parce que Szondi va essayer tous les clivages qui existent, et ça commençait à cette époque, -maintenant, qu’est ce que c’est maintenant ? c’est du morcellement, c’est de la dissociation à l’intérieur de la psychanalyse, il y a des chapelles partout, il y a des je ne sais pas quoi, comment on peut appeler ça, chaque psychanalyste est sa propre école…etc…- c’était au début de toute cette querelle à l’intérieur de la psychanalyse et Maldiney disait : mon affinité va avec la théorie des pulsions de Szondi parce que cette théorie peut rassembler tout ce qui est dissocié à l’intérieur de la psychanalyse. C’était au moment où Lacan était très hostile vis à vis de Ich analyse, analyse du moi, qu’est ce que c’est le moi, et lalala… tout ce truc là qu’on connaît… et lui dit : non, non, non, on va sauver le moi, le vecteur du moi. Mais ce n’est pas du tout le même statut logique que chez Lacan. Et on peut donner une autre structure à ce moi à partir de mon affinité avec la pulsionnalité. Il faisait Freud et Lacan, et hop, il rencontre Schotte qui lui fait rencontrer Szondi et c’est là, que hop… et c’est après que Maldiney va se spécialiser dans des textes comme psychose et présence d’où vient le concept de la pulsion. Ce n’est pas Freud qui a conceptualisé la pulsion. C’est Fitche, c’est Schering, et c’est Freud qui a pris chez ces philosophes là, à sa sauce, la pulsion.
Une des premières choses que j’avais faites, mais je ne l’ai pas fait tout seul, avec quelqu’un qui faisait sa thèse sur la pulsion, on a creusé un peu comme des pervers, qu’est ce que Freud a laissé tomber et qu’est ce qu’il a pris chez Fitche, chez Schering. Un peu une lecture perverse de ça…
Bon voilà pour les anecdotes. Est ce que maintenant je peux travailler sur son concept qu’il a développé à la fin ? Schotte dit que c’est peut-être le concept le plus difficile et le plus important pour toute la psychiatrie. Et quand Schotte dit psychiatrie, c’est l’anthropopsychiatrie. C’est peut-être le concept qui nous aidera à aller le plus loin. Ce n’est pas un concept, mais deux ! Le transpossible et le transpassible. Bon, si vous en avez marre, levez vous et partez ! rires… Parce que c’est difficile.
J’ai essayé d’aborder ça à travers tout son travail. J’essaye de le construire petit à petit. Ces deux concepts, le transpossible et le transpassible. C’est à partir aussi de de Waelhens et de Schotte avec le Pathei mathos : apprendre par l’épreuve. Et seulement par elle. Maldiney disait que cela pouvait être l’épigraphe de tout son travail. C’était le nom d’une collection dans laquelle est paru l’analyse du destin de Szondi.
GP : ça s’écrit comment ?
ML : ça s’écrit en grec. P-a-t-h-e-i m-a-t-h-o-s
GP : non, mais je demande comment tu l’écris l’épreuve ? les preuves ?
ML : apprendre par l’épreuve ! Pathei mathos ! Eprouver ! une souffrance, une épreuve !
LFC : ne me regarde pas comme ça. Ce n’est pas moi qui ai demandé ! C’est celui qui ne veut pas qu’on fume qui demande !
DS : il ne veut pas comprendre.
Rires
ML : Francis Ponge auquel Maldiney a consacré deux livres, Le legs des choses et Le vouloir dire de Francis Ponge. Quand on connaît un peu Von Weizsäcker, je ne peux pas trop le dire, mais on est entre nous, j’étais content quand on a pu traduire Pathosophie… juste avant de mourir il m’a dit « mais Marc, tu l’as fait sortir trop tard la traduction. Je n’ai pas eu le courage de le lire –c’est vrai, c’est terrible en allemand- je suis fatigué maintenant pour vraiment travailler jour et nuit ce livre en français. Tu l’as fait sortir trop tard. Pourquoi tu as attendu tant d’années – il m’engueulait un peu- c’est vrai, tu l’avais commencé, tu me l’as dit, et puis ensuite tu l’as laissé tomber, pourquoi tu as attendu ? ». Donc, voilà, on trouvait Von Weizsäcker, mais pas Pathosophie. Donc, Le vouloir dire de Francis Ponge, son deuxième livre.
Un autre, mais on pourrait en parler des heures, le linguiste de Rennes, Gagnepain. Pour nous, en psychiatrie institutionnelle, les plans qu’il a dessinés sont importants. Maldiney l’utilise beaucoup moins. Schotte, à certains moments, a beaucoup utilisé ce modèle de Gagnepain. Et un des titres de livres de Gagnepain s’appelle Du vouloir dire. Mais donc, pathei mathos, apprendre par l’épreuve, qui est repris par Francis Ponge par l’intermédiaire de Maldiney pour définir son œuvre… Francis Ponge va circonscrire tout son travail de poète comme pathéimathique, il disait « si vous voulez savoir ce que j’ai fais, et bien je n’ai fais que de la pathéimathique ». Comme en réponse à la phénoménologie classique, surtout la version française… c’est une raison pour laquelle Maldiney est très peu cité par les philosophes français, sauf par Deleuze, parce que Deleuze était un de ses élèves à Lyon et quand il prend la phénoménologie par exemple de Sartre, pour dire que la philosophie n’est pas quelque chose d’académique, la philosophie n’est pas de la littérature, c’est une épreuve, la phénoménologie, c’est l’épreuve d’apprendre qu’est ce qui se donne à voir. Les phénomènes, l’apparaître. Retour aux choses mêmes, dit Husserl. Mais qu’est ce que ça veut dire ? Qu’est ce que ça implique ? ça implique une épreuve ! Quand on fait de la clinique, est ce que c’est notre a priori, est ce que c’est notre savoir qu’on va appliquer ? C’est ça la clinique ? ça va pas, non ! Mais qu’est ce que c’est alors ? Et bien, c’est une épreuve d’apprendre à être ouvert à ce qui se donne à voir. Et il va à ce moment là, c’est sa manière de penser, chez les gens qui l’accompagnent toujours et qu’il lit tout le temps… Hegel. Est ce qu’il y a quelque chose dans cet apprentissage à m’apprendre ? Dans cette dialectique entre l’esclave et le maitre : est ce qu’il y a quelque chose de l’épreuve ? Oui. l’esclave, aussi, vit la mort, mais à la différence du maitre, - si on l’entend bien, moi ça m’a demandé des années, je peux vous demander de … je ne sais pas… de l’entendre, où ça sort et ça prend tout de suite cet accent Maldiney-, l’esclave vit la mort, mais à la différence du maitre, l’esclave apprend à mourir, -apprendre, à ce moment là, qu’on trouve aussi dans le texte de Hegel, s’appelle erfarhen,- l’esclave l’apprend toujours la mort, mais il ne le sait pas. Et pour lui, apprendre par l’épreuve est beaucoup plus basal, fondamental que le savoir. Mais lui disait toujours « ne mélangeons pas les deux registres ! Quand je dis beaucoup plus basal que le savoir- il était très respectueux, il était hostile pour certaines choses, mais pour des auteurs qui réfléchissent, il était très respectueux- ne viens pas faire de commentaires avec Lacan, on doit extrapoler, on ne peut pas comparer des choses qui ne sont pas comparables. »
Après il part du mot erfahren. Farhen, c’est comme en flamand, ça veut dire voyager, traverser, faire route. Voyager, c’est – on trouve ça dans un texte magnifique, dans un recueil qui a été fait pour un hommage à de Waelhens qui s’appelle Qu’est ce que c’est l’homme, c’est paru à Bruxelles et Maldiney a écrit là-dedans un texte magnifique qui s’appelle La prise. Je vous l’ai déjà dit. Mais je suis sûr que vous ne l’avez pas lu. Encore une fois, essayez. Trouvez le, photocopiez le et lisez-le. Donc, dans la prise : Voyager, c’est traverser, passer au-delà, passer de l’autre côté, -j’ai utilisé cette phrase dans le livre Qu’est-ce que je fous là pour commenter la traversée de Tosquelles- voyager c’est traverser, passer au-delà, de l’autre côté, franchir, apprendre, c’est intégrer à l’état d’acquis, -le préfixe er de erfahren-, tout ce qui se découvre au cours de cette traversée où on fait route à travers le monde. Mais cet acquis ne forme véritablement un acquis si nous ne cessons d’être en partance. Il disait que tous les jours il commence à penser. Cela ne s’arrête jamais de penser. Jamais, il ne fait un système. Jamais. On va trouver des articles. Un livre est une sorte de testament, mais ce sont des chapitres sur des peintres. Mais il n’a jamais écrit sa philosophie comme Heidegger La philosophie de l’esprit, ce sont des articles, c’est toujours en train de se penser. C’est pourquoi il ne s’agit jamais de prendre pied.
Tout est impossible. On ne peut pas parler de transpossible et de transpassible sans parler de l’impossible. Tout est impossible. Et d’abord, qu’est ce qui est impossible ? Exister ! Et ça aussi, ça été un peu virulent entre moi et lui. Lui, il faisait l’opposition entre le vivant et l’existant. Il disait toujours que Von Weizsäcker avait très bien décrit le vivant mais ça restait trop biologique, ce n’était pas suffisant pour approfondir l’homme et il faut passer par l’existant. Moi, je disais que Von Weizsäcker avec d’autres mots parlait de l’existant ! Mais, bon… bon, alors, tout est impossible et d’abord exister… il faut partir pour avoir lieu. De temps en temps, je vais vous jeter des phrases qui sont des phrases de Maldiney. Mais n’essaye pas de comprendre. Que ça résonne ! Mais pas comme la poésie. Et c’est peut-être là, dans cette marge, entre ne pas comprendre et le pas de poésie, qu’il y a quelque chose comme la philosophie.
Il faut partir pour avoir lieu. L’itinéraire philosophique de Maldiney est de commencer et de recommencer, ce en quoi c’est une marche. Lui, il aimait bien marcher. C’était un alpiniste et un marcheur. Souvent il marchait avec Tal Coat, et il marchait aussi seul. Une marche véritable. Il accomplit souvent ce que lui-même dit de la forme artistique. Tout à l’heure je disais qu’il n’y a pas d’histoire de l’art, la forme artistique, elle est là quand elle se forme, se formant elle-même. Le départ de la forme artistique est partout et pas à certains moments. Chaque phrase dit-il, -et ça c’est dans son premier livre, quand il analyse la philosophie de la langue et quand il va commenter les premiers linguistes grecs, les philosophes de la langue grecque, qu’est ce que c’est une phrase, qu’est ce que c’est un mot, qu’on va retrouver chez Gustave Guillaume, qu’est ce que c’est un mot-, chaque phrase surgit de cet instant de silence, instant si bien décrit par Goethe dans des extraits de pièces de théâtre, et que Binswanger aimait bien citer. C’est aussi par l’intermédiaire de Schotte que Maldiney a rencontré Binswanger. J’avais une photo… ah, je ne la trouve pas, où est-elle, ah Marc Ledoux !... j’avais une photo de Maldiney, Binswanger et Kuhn. Je vous la montrerai demain matin. Pour Maldiney, Binswanger a été un des psychiatres qui lui a le plus appris sur ce que c’était l’homme. Et donc ce texte célèbre, L’homme en psychiatrie. La psychiatrie n’est abordable que par l’homme et l’homme n’est abordable que par la psychiatrie. Et dans ce sens-là, on ne risque pas de trouver une science objective avec tous les désastres que cela donne. Donc chaque phrase surgit de cet instant de silence, si bien décrit par Goethe et que Binswanger cite et que Maldiney reprend souvent : Lorsque nous nous heurtons soudain à l’inattendu, lorsque le monstrueux surgit à nos regards, notre esprit se tient pour un instant silencieux. Nous n’avons rien à quoi comparer cela.
Son livre L’art, l’éclair de l’être est consacré à la poésie, et les grands poètes qui l’ont inspiré pour dire qu’est ce que c’est écrire, qu’est ce que c’est la parole, qu’est ce que c’est la différence entre un mot, une parole, un discours et compagnie, c’est Hölderlin, un de ces poètes qui l’ont touché, Rilke, André du Bouchet. Surtout ces trois là. Donc, de l’écriture et la parole, il peut dire ce qui résonne avec les vers de Goethe, qu’elles n’ont de ressources que dans les moments critiques où elles ont à être. Et une parole surgit. Un mot surgit dans la poésie dans un moment critique. C’est avoir à être. J’ai à être. Qu’on peut reprendre dans le Szondi dans le Sch. k : avoir p : être. Avoir à être est solidaire de l’exposition de s’exposer à l’impossible.
La pathologie de l’obsessionnel nous montre l’échec que c’est possible d’avoir à être et il s’arrête sur le mode névrotique à l’avoir. Il confond l’être avec l’avoir. Combien tu as sur ton compte et je te dirais qui tu es ! Voilà l’obsessionnel. Pour lui, plus rien n’est impossible. C’est un échec. Il paye avec sa pathologie. Et il n’en a jamais assez. Et on sait bien que ceux qui ont beaucoup de sous sont des emmerdeurs, car ils n’en ont jamais assez.
Cet avoir à être est solidaire de l’exposition à l’impossible et au risque de s’effondrer en n’étant pas à la mesure, -et la mesure, cela vient de la musique et pas de la morale…- un an avant de nous quitter, il me disait « ah, Marc, tu as enfin compris toute ma thématisation de la mesure, c’est pour échapper à ce qui est là maintenant, par tout ce qui est mesurable et le mesurable comme calcul n’a plus rien d’un système musical et il n’y a plus aucun passage vers la morale, -en n’étant pas à la mesure de ce qui nous appelle démesurément. On est toujours dans la démesure, mais est ce qu’on peut entendre un appel à la mesure ? ça, c’est typiquement une phrase de lui.
C’est là que Maldiney va prendre une phrase de Claudel, qui est presque l’épigraphe de Schotte, dans Art poétique, entre connaître et co-naitre. Ça, c’est une phrase clé chez Schotte. La différence entre connaître et co-naître. Dans Penser l’homme et sa folie, L’évènement est de soi surprenant, excédant toute prise, excluant toute emprise …- c’est pour vous dire, moi j’aime bien sa langue, bon, j’aime bien son écriture, elle est un peu lourde au début, mais quand on le travaille, ça m’a beaucoup aidé de le lire… -excédant toute prise, excluant toute emprise, nous co-naissons avec lui.
Public : tu peux répéter ?
M.L. : Aaaahhh… L’événement est de soi surprenant, excédant toute prise, excluant toute emprise nous co-naissons avec lui.
Et plus nettement encore, une rencontre est co-naissance. L’être rencontré surgissant d’un rien comme le rencontrant lui même. Et ça c’est une épreuve. Et c’est à ce moment là qu’il va rencontrer Von Weizsäcker. Lui même Maldiney va plutôt s’inspirer de Gustav Kreis que de Pathosophie. Dans le dernier chapitre de Penser l’homme et la folie, p 323, le chapitre de la transpassibilité, Schotte disait que c’était le chapitre peut-être le plus difficile autour de la psychiatrie. L’évènement nous advient en tant que nous devenons nous-mêmes. Indivises l’épreuve et la transformation. Que nous apprenne t-elle de qui nous sommes ? Ce n’est pas d’être projet du monde qui fait que je suis moi. C’est ma façon d’accueillir, d’endurer l’événement et d’être par lui mis en abîme, mis en demeure de surgir unique dans l’instant éclaté. Tout le reste de ce que je vais raconter est une explication de cela.
Dans un autre recueil, L’irréductible, Maldiney dit en prenant la formule de Heidegger Deviens ce que tu es … mais en ajoutant mais tu ne l’es vraiment qu’à le devenir. Qu’Erwin Straus a repris plus tard à partir de Maldiney : on devient ce qu’on est et on est ce qu’on devient. Vous voyez comment les gens travaillaient entre eux. Et Schotte était là… le chauffeur de bus, il allait chez l’un et chez l’autre avec cette phrase superbe, et hop, ça faisait un cocktail. Deviens ce que tu es mais tu ne l’es vraiment qu’à le devenir. C’est à cette dimension de l’épreuve que Maldiney a voué ses interrogations et ses rencontres toute sa vie. Quelles rencontres ? Lesquelles ? Souvent, très souvent, il reprend la plainte mélancolique. Et quand il parle de la mélancolie, il va se concentrer de plus en plus autour de la phrase paradigmatique, canonique, qui vient de Kraepelin : « ah, si je n’avais pas… je n’en serais pas là ». Combien de fois variées, il n’a pas commenté cette plainte mélancolique. Mais ce n’est pas répétitif, c’est une reprise, comme Kierkegaard ! Une re-prise. Combien de fois il n’a pas commenté la Sainte Victoire de Cézanne. Combien de fois il n’a pas commenté la poésie de Francis Ponge. Combien de fois il n’a pas commenté le poème superbe, Le lézard. Combien de fois il n’a pas commenté le poème Les volets de Francis Ponge. Lisez ça simplement. Ne comprend rien. Lisez ça, hop, et bon voyage. Combien de fois il n’a pas commenté les poèmes de André de Bouchet. Combien de fois il n’y a pas eu de visites et de discussions publiées avec François Cheng sur le vide et le plein, sur la philosophie chinoise. François Cheng était son copain. Il a beaucoup commenté aussi l’art chinois. Et François Cheng avait superbement bien parlé lors des journées à Royaumont Autour de Maldiney. Donc, toutes ses rencontres, la plainte mélancolique, la poésie de Francis Ponge, la philosophie chinoise et la philosophie vont se déployer dans la dimension du pathique. Ce n’est pas la peine que je vous parle du pathique parce que ça, on le connaît pas cœur ici, la différence entre le moment gnosique de connaître de ce qui est, de être et le pathique, de ce qui est éprouvé. Et l’éprouvé n’est pas abordable par la connaissance mais par le sentir et le ressentir. Et donc dans ce dialogue avec Erwin Straus dans le livre Regard parole espace, il développe son dialogue autour du pathique, le sentir, le ressentir, dans la dimension de l’esthétique, dans la dimension du style, dans la dimension de ce que c’est le rythme et qu’on va retrouver dans toute la dimension du contact chez Szondi. Dans les deux sens. Ça nous aide beaucoup tous ces commentaires qu’il a donné sur le sentir, le ressentir, pour développer le contact dans la psychopathologie et inversement, lui, Maldiney va utiliser nos conneries sur les facteurs szondiens pour approfondir ses concepts du sentir ressentir. C’est très étonnant. Et vraiment, moi j’aimerais bien, je retrouve un peu les frites, j’aimerais bien écrire quelque chose sur comment ça s’est construit chez lui, cette mise en forme comment ça a pris avant et après qu’il ait connu Szondi…
Chez Von Weizsäcker, c’est complètement différent le pathique, ce sont les verbes pathiques, pouvoir, devoir, vouloir etc. etc. vous connaissez. Il y a un chapitre dans Pathosophie qui s’appelle La réalisation de l’impossible. Ce qui se réalise, c’est l’impossible. Tu t’imagines que pour Maldiney ça résonne. Exister, c’est l’impossible, et ce qui se réalise, c’est l’impossible. Donc, c’est quoi se réaliser ? C’est quelque chose qui va s’objectiver ? Donc l’impossible va s’objectiver, c’est ça ? Non ! Donc, à partir de Von Weizsäcker, il va approfondir ce qu’est l’impossible. Cette pensée de l’impossible il va l’aborder. Et là, on va de plus en plus vers le noyau ! Si vous ne suivez plus, vous le dites, hein ? C’est de ma faute. Cette pensée de l’impossible, centrale pour Maldiney, commence par cette phrase : Le réel, - oubliez la triade de Lacan, réel imaginaire et symbolique, oubliez ! il ne faut pas être surdéterminé par quelques mots quand même !- le réel, c’est ce qu’on n’attendait pas qui a lieu, mais il faut partir pour avoir lieu, donc il faut être en mouvement pour que quelque chose ait lieu et c’est ce lieu qu’on n’attendait pas. C’est ça qu’il appelle le réel. Pour mieux circonscrire dans cette formule ce qu’il veut dire, il ne va pas faire la discussion avec Lacan sur le réel, il reste dans la philosophie et il va critiquer la dimension de Bergson. Cette dimension sur l’impossible et la réalisation de l’impossible, c’est une thématique chère à Bergson, dans le livre La pensée et le mouvant, c’est un livre que j’aime beaucoup. En France on ne parle pas beaucoup de Bergson, on fait un truc comme ça avec son nez quand on prononce le mot de Bergson, je ne comprends pas, c’est superbe sur le concept de la durée… donc il va essayer de mieux circonscrire le réel en critiquant Bergson. Maldiney ne reprend pas la critique bergsonienne du possible. Bergson dit « la réalisation - on est dupes de ça dans notre travail en psychiatrie, pour soigner des gens… faites moi des projets, quelle est votre finalité, montrez moi des objectifs… dans des délais comme ça, ça doit être réalisé… même le deuil… dans une clinique d’angoisse, après trois mois vous partez… ça doit être réalisé… quoi ? l’impossible ? tu parles !- Donc, Bergson dit « la réalisation apporte avec elle cette imprévisible rien qui change tout ». Pas mal ! Il y a quelque chose qui est apparemment impossible et ça se réalise parce que dans tout ce qui est apparemment impossible il y a quelque chose d’imprévisible qui fait que quelque chose a lieu. Ce rien étant précisément l’excès de réel, ce sur quoi justement nous nous attendions, dit Bergson. Et bien, non, Maldiney n’y va pas. Il a été formé à l’école de Kierkegaard. Et ça, c’est la rencontre entre Maldiney et Oury. Et Oury a grandi dans l’école de Kierkegaard. Quand il y a quelqu’un que mon papa Oury continue à lire tous les jours, et quand il ne le lit pas, je lui donne des médicaments car je sais que cela ne va pas, c’est Kierkegaard. Comme Maldiney. Jamais il n’a quitté Kierkegaard. Il a été formé à l’école de la possibilité de Kierkegaard. Parce que Kierkegaard dit que le possible est peut-être la catégorie la plus lourde de toute la philosophie. Et c’est à partir de là, pour critiquer Bergson que Maldiney va introduire le concept de transpossible. Il y a un impossible qui en se réalisant descelle la vanité ou le caractère illusoire du possible. Quand l’impossible se réalise cela veut dire que le possible était illusoire. C’est comme la thématique chez Aristote de la matière et de la forme. Quand il y a quelque chose qui se réalise, ça veut dire que la forme était l’illusion qui était déjà présente dans la matière. Donc, arrêtons de parler de la forme. Quand l’impossible se réalise cela veut dire que le possible était illusoire, ça, c’est Bergson.
Et, il y a un autre impossible qui ne se réalise pas. En déchirant la trame du possible pour se faire jour, -Maldiney ne dira jamais que l’impossible se réalise-, se montre la force et le sens de cet impossible, c’est de ça dont il s’agit. Possible et pouvoir se disent en bien des sens et corrélativement impossibles. Le point de départ entre le possible et le pouvoir, c’est la thématique de Heidegger pouvoir être. Ce n’est pas un possible que nous avons, ce n’est pas un possible que nous calculons, ce n’est pas un possible que nous nous représentons, c’est un pouvoir être. Que en tant qu’existant, nous sommes un pouvoir être. Nous ne calculons pas nos possibilités et ce pouvoir être ne tend pas vers une réalisation. Et ça c’est une trouvaille géniale de Heidegger, quand il combine le pouvoir être avec le pouvoir mourir. Un truc génial. Pourquoi à ce moment là il va les mettre ensemble ? Pour montrer que le pouvoir être ne peut pas se réaliser, le pouvoir mourir disparaît avec l’événement de la mort. Le pouvoir mourir ne va pas trouver son accomplissement dans la mort. Quand je meurs, je ne peux plus mourir. C’est pour ça qu’on va dire qu’on meure tous les jours à quelque chose… Je ne sais pas, quand j’ai 6 mois, je suis mort au paradis, je ne peux plus bouffer ma mère. Je suis mort. C’est ça le pouvoir mourir. Je peux continuer à mourir. Mais, quand je meurs et qu’il y a la mort, je ne peux plus mourir. Ça va ? Les possibilités que je thématise et que je me représente, c’est tout le temps ça maintenant… tu vas où en vacances ? tu as déjà projeté tes vacances ?.... les possibilités que je thématise et que je me représente se voient retirer leur caractères de possibilités pour devenir quand elles se réalisent des réalités données ou visées. …ah, c’est possible qu’en septembre je vais aller là ou là… c’est foutu. La réalité est visée. Il n’y a plus de possibilité. … Essaye de faire un projet. On va voir si on va t’embaucher. Viens avec ton emploi du temps… le possible de Heidegger n’est pas possible au sens habituel du terme, et là dans Heidegger, le possible dans le pouvoir mourir par exemple est devenu impossible selon le sens du possible qu’implique le pouvoir être. Ça va ça ?
Public : non
M.L. : bon, il commence avec le pouvoir être. Pour pouvoir expliquer le pouvoir être, il va le combiner avec le pouvoir mourir, quand je meurs, je ne peux plus mourir. Qu’est ce qui est le plus important ? Le rituel de la mort ou la possibilité de pouvoir mourir ? Est-ce qu’on donne la possibilité aux gens de pouvoir mourir ou est-ce qu’on va thématiser la mort ? Et que c’est moi maintenant qui va choisir quand je serais à ma mort. Voilà. Là, il n’y a plus de possible. Ça va ? Donc, il combine le pouvoir être avec le pouvoir mourir. Maldiney reprend ça avec Kierkegaard : le possible est un impossible dans le sens du possible qu’implique le pouvoir être. Cette possibilité de pouvoir mourir est impossible à se réaliser.
C’est dans cette dimension, celle de l’instant de quête de notre pouvoir être que Maldiney va travailler. Et par exemple il dit de Tal Coat que c’est une peinture à l’impossible en ce qu’elle nous met en demeure d’être. Dès qu’on va essayer de représenter une peinture, c’est foutu la peinture, c’est foutu l’œuvre ! On la thématise, on la commente, on la met en représentation, c’est foutu ! On va la regarder en spectateur, on va la regarder en face, c’est foutu. Comme je le disais tout à l’heure, il tourne, il circule autour, pour échapper à pouvoir la thématiser, à l’objectiver, etc. Tal Coat est une peinture à l’impossible en ce qu’elle nous met en demeure d’être, elle nous ouvre la demeure de l’être et nous oblige à être notre propre possibilité qui est impossible. Donc, l’impossible, ce n’est pas négatif ! Ce n’est pas un im- privatif. L’impossible est une dynamique du possible.
Ou encore dans l’esthétique des rythmes dans Regard, parole, espace, parole autour de l’œuvre d’art en général, la présence de l’œuvre d’art – c’est pour ça qu’il n’y a pas d’histoire de l’art- la présence de la Sainte Sophie qu’il a commenté dix millions de fois, mais allez y vite, car maintenant elle est prise dans l’idéologie politique à İstanbul, allez vite si vous voulez voir les fresques en haut, si vous voulez voir la coupole vide, vite ! avec le coco là-bas… donc, c’est autour de la Sainte Sophie qu’il commente la présence de ce vide quand tu y entres. Maintenant, il n’y a plus les travaux et il n’y a plus d’échafaudages, et quand tu entres tu es vraiment avec et dans le vide. La présence est sa propre possibilité.
L’œuvre d’art est pouvoir être. Et ça, c’est une phrase de Maldiney, n’essayez pas de comprendre avec nos têtes névrosées : l’œuvre d’art perdue, jetée, échouée, au milieu de son environnement, elle ne s’y trouve qu’à s’y trouver, s’y découvrir en s’y révélant . De s’y trouver, n’existe pour nous que dans un point. On ne s’y trouve et on ne se trouve que dans un point dans notre vie. Quel point ? Il appelle ça le point critique. Notre vie n’est que passage d’une crise à l’autre. Kuhn et Binswanger lui ont donné plein de phénomènes cliniques pour approfondir sa philosophie à partir de « on ne se trouve que dans un point critique ». Dans la crise. Il n’y a que la crise épileptique et la crise hystérique. C’est là qu’il a appris beaucoup de Szondi. C’est la deuxième et la troisième position qui sont des positions critiques. Il n’y a pas de crise toxicomaniaque. Il n’y a pas de crise dans la toxicomanie. Il n’y a pas de crise dans la psychose. Il n’y a pas de crise dans la mélancolie. Qu’est ce qui remplace la crise dans la mélancolie ? La plainte ! c’est toute sa philosophie là. Il n’y a plus de décision qui est quand même un moment critique dans notre existence, la décision. A partir de laquelle le monde s’ouvre. La décision n’existe pas entre ça et ça et ça. C’est des conneries ça. Le directeur qui arrive dans son bureau, qui dit bonjour à personne, il va dans son bureau, il doit prendre des décisions !... eh bien dis donc… c’est ça la bureaucratie !
Une décision, c’est ce moment critique de notre déchirure qui fait, qu’à partir de là, le monde s’ouvre. Dans la psychose, il n’y a plus de décision. Dans la mélancolie, c’est la plainte et dans la psychose c’est le délire. En nous… et ça c’était la critique de Schotte sur Maldiney, il disait que c’était une vision très pessimiste, très négative de notre travail, que cela ne ferme pas de faire des possibilités de faire des choses quand même et c’est à nous de créer à travers notre travail, et notre merde de faire de la merde pour qu’il y ait des crises et des conflits quand même. On ne va pas résoudre les conflits, c’est la mort ! Tosquelles, superbe, génial. Ça, Maldiney aimait bien quand Tosquelles disait qu’il faut des conflits ! Notre travail, c’est faire des conflits et il faut avoir les institutions et l’analyse institutionnelle pour non pas résoudre les conflits, mais les traiter, pour que ça puisse continuer et que cela ne se transforme pas en destruction. Et souvent quand il y a un conflit, cela devient vite violent. Ah, ça non ! etc. etc. donc à chacun des moments critiques, une présence devient, comme il dit, ce qu’elle est. Ce n’est que dans les moments critiques qu’une vraie présence existe. Et c’est là, et c’est superbe, mais c’est vraiment quand on aime Maldiney, quand on entre dans l’intérieur de son œuvre, c’est là où il critique Heidegger. Il va intégrer dans toute la philosophie de Heidegger le sentir. Et ça, c’est peut-être la dimension la plus fondamentale dans toute l’œuvre de Maldiney, c’est d’intégrer et de donner une place du pathique, du sentir, du ressentir à toute la philosophie. Aussi bien il le fait pour Aristote, pour Platon, dans Regard Parole Espace où il essaye d’intégrer la dimension du pathique dans Hegel. C’est un article superbe.
Pour nous cliniquement, qu’est ce que ça veut dire la toxicomanie ? Qu’est ce que ça veut dire l’immédiateté ? Pour Heidegger, ça n’existe pas l’immédiateté. Le sensible c’est quelque chose qui ne peut exister que quand on le met tout de suite dans la dialectique de la négation. Pour moi, grâce à Maldiney, on peut travailler avec l’immédiateté : où ? Dans la toxicomanie ! « tout tout de suite ». ça ne sert à rien de mettre du négatif dans la toxicomanie. Ça ne sert à rien. Je provoque un peu. Hein Michel, j’espère que bientôt tu pourras m’aider à cette thématique de l’immédiateté et du sentir et du négatif.
L’impossible de l’œuvre d’art, l’impossible d’exister en appelle à notre pouvoir être sans quoi, -et là il passe du transpossible au transpassible-, sans quoi il n’y aurait ni réponse ni répondant mais une stupeur destructrice. Il lie toujours le transpossible au pouvoir être. C’est la mélancolie qui nous apprend le transpossible, c’est à dire être toujours porté par le pouvoir être. Si on n’est plus porté par le pouvoir être, c’est la destruction. Heureusement, que dans la mélancolie il y a la plainte qui peut-être détruit celui qui l’écoute, mais pas le mélancolique. Il ne peut pas être porté par ce pouvoir être, ça s’est accompli… c’est arrivé… et Maldiney joue sur le néologisme en être arrivé là sans être jamais parti. Si je n’avais pas… je n’en serais pas là. Tout à l’heure Laurence me disait, ah j’ai ouvert ce livre Psychose et présence et… ô là là là, j’espère que tu vas nous donner envie de travailler la mélancolie par exemple. Mais quand tu lis Psychose et Présence, il y a un article plus facile dans Existence et psychose p124, quand est-il de la temporalité mélancolique ? Voilà, si tu veux travailler la plainte mélancolique, tu peux commencer là et après au boulot. L’échec de la transpossibliité c’est dans la mélancolie. Ils ne sont plus portés par le pouvoir être.
MB : Je peux dire un truc ? J’avais inventé une petite équation. Je ne sais pas si cela pourrait t’intéresser…
ML : Oh, arrête ! Il faut le formuler.
MB : elle est facile. pouvoir être = serait
se trouve être
ML : serait ? le futur hypothétique ? et comment tu arrives à le mettre là ?
MB : j’ai écrit ça il y a 20 ans, dans une revue de philosophie, un article sur Lacan où j’avais proposé cette équation. Qu’Oury reprend.
ML : AH ! Où ? Je n’ai jamais entendu.
MB : Oui, dans le séminaire de Ste Anne, il en parle souvent.
ML : ces choses là quand même ! Quel est le sens de cette barre ?
MB : le sens de la barre, c’est un rapport. Le rapport entre le pouvoir être et le se trouve être, c’est le serait. Tu viens de le dire avec le mélancolique. Quand le mélancolique ne peut plus faire un rapport entre le pouvoir être et le se trouve être, il n’y a plus de serait. Il ne serait pas..
ML : je n’en serais pas là.
MB : voilà, quand il n’y a pas ce rapport…
ML : p 129. Serais est un futur hypothétique. Tandis que le futur catégorique, s’ouvre au sortir du présent, le futur hypothétique s’ouvre dans le présent au sortir du passé. Il s’agit d’un présent non clos, mais non pas ouvert pour autant.
Mb : d’ailleurs serais n’est pas si ouvert que ça. C’est ce qu’on appelle un conditionnel
ML : oui oui oui, c’est un présent non clos, sans tension, purement extensif. Cette extension qui l’apparente à une étendue signifie que le temps n’est plus en expansion. L’identité en lui, dans serait, du présent et du futur, dénonce un état stationnaire du temps qui ne se temporalise plus.
C’est pour ça que je ne comprends pas…. Pouvoir être et se trouver être…synonymes ?
MB : c’est deux choses qui n’ont pas de rapport. C’est un peu tout ce que tu as raconté… il n’y a pas de rapport entre les deux excepté le serait…
ML : oui… tu me fais toujours réfléchir…ça m’amuse… ça m’use…. Ça muse… allez demain on continue sur le transpassible.
Samedi 12 avril
ML : Bon allez on y va. Laurence a dit qu’on fait un peu sur la transpassibilité, on fait une pause et puis ensuite elle m’a demandé de faire un profil de quelqu’un de La Borde et de montrer comment on travaille. Cet après midi, je présente un profil. Allez, on y va.
Je résume hier le transpossible. Le transpossible, c’est la dimension sans coordonnées préalables, c’est à dire ni réelles que ça se réalise, ni idéelles comme des a priori du pouvoir être. Et dans l’article de la transpassibilité le plus difficile, donc vraiment il faut l’étudier, la travailler dans le livre Penser l’homme et la folie, il va beaucoup plus loin cet article, dans le sens qu’il met en question, c’est pour ça que pour moi, c’est rigolo, enfin, pas rigolo, mais passionnant chez Maldiney, c’est qu’il n’a pas arrêté de réfléchir jusqu’à la fin de sa vie. Donc, il va mettre en question la problématique du pouvoir être. Il va transformer le rapport entre le transpossible et le pouvoir être. Il précise davantage les termes de transpossible et transpassible. Il critique Heidegger.
Bien sûr, il pense toujours que c’est par l’épreuve qu’on apprend. Le transpassible va se concentrer autour de « qu’est ce que c’est que rencontrer l’autre ? ». Et c’est à partir de cette thématique de la rencontre qu’il va critiquer le pouvoir être. Je cite, P 404 de Penser l’homme et la folie : l’être de l’autre – l’autre avec un petit a, mon prochain, tu te rends compte, il me disait que quand il a trouvé ça, il était presque désespéré- L’être de l’autre est hors de mon pouvoir être. Hors. Il ne m’appartient pas de pouvoir le « possibiliser », l’autre. Ce qui fait signe et ouvre mon appel fait signe vers mon être, en tant que celui-ci est irréductible au possible, y compris à mon propre pouvoir être. Et donc tout l’article de la transpassibilité est construit autour de la notion de l’appel.
Michel Balat : on peut dire un truc en passant. Ça veut dire quoi mon pouvoir être ?
ML : je répète : mon pouvoir être veut dire ce qui fait signe et ouvre mon appel, c’est l’autre qui provoque mon appel… en tant que mon être est irréductible au possible. Qu’est ce qui m’interpelle. D’où vient cet appel de l’autre. Et c’est ça qui est hors mon pouvoir être.
MB : une autre question pour être bien sûr de pouvoir te suivre. Si l’être est irréductible au possible, cela veut dire déjà exister.
ML : oui, exister, c’est être hors de soi. Là, il commence avec le transpassible. Il y a quelque chose en l’autre que j’appelle, qui m’appelle et qui m’interpelle qui est hors possible, c’est ça qu’il va essayer de dire. Il précise. Le transpassible consiste à n’être possible de rien qui puisse se faire annoncer comme réel au possible. Elle est une ouverture sans dessein ni dessin. Dessein, le vouloir. Elle est une ouverture à ce dont nous ne sommes pas à priori passible. Il faut savoir que le mot passible vient du mot pâtir. Subir, pâtir. Mais, quel est ce rien ? c’est là qu’il s’appuie beaucoup sur la philosophie chinoise, le rien. Quel est ce rien ? ou ce rien à partir duquel nous sommes requis. Ce rien signifie simplement un arrachement à l’étant, donc à un autre qu’on peut thématiser…
Public : étang ? plouf ?
ML : étant ! dans le sens philosophique du terme, un autre qu’on peut objectiver, l’être et l’étant
Public : le cabestan
ML : l’étant de Sartre, l’être et l’étant, qu’on peut objectiver. Donc un arrachement à ce qui est là, et du côté de ce qui advient, et du côté de celui à qui cela arrive, nous sommes dépossédés de nos possibilités si il y a quelque chose qui nous arrive. Et il dit que ce rien est lourd de tous nos possibles. C’est un rien radicalement mobile et non pas une pure absence. Et ce que j’aime beaucoup dans cet article, c’est à partir de la page… son commentaire sur Winnicott dans Jeu et réalité, l’espace potentiel et surtout la préface qu’a fait Pontalis qui va reprendre et dont Winnicott reprend la thématique… le break down
Didier Petit : La crainte de l’effondrement
Ml : Oui, La crainte de l’effondrement. Toute cette structure profonde dans la crainte de l’effondrement, Maldiney le commente à partir du passage 413 de l’article de la transpassibilité. Pour dire que le rien n’est pas une pure absence. Et pour nous, quand on travaille avec les bébés, avec les petits enfants, c’est extrêmement important que cette carence, de quel ordre elle est ? Est ce que c’est une carence mobile, ou est ce que c’est une carence qui marque une absence ? Quelque chose a lieu qui n’a pas de lieu… c’est une lutte contre la béance… j’aime beaucoup ces 4-5 pages de Jeu et Réalité. On peut le lire à partir de là. Superbe. Ce rien n’est pas hors possibilité. C’est un radicalement mobile.
Maldiney va décrire ce rien sous plusieurs axes à travers son œuvre. Ce rien, qu’il va lier à Paul Klee, c’est celui du chaos, ce moment cosmogénétique, ce moment de jaillissement primordial, ce rien est aussi mobile dans la thématique de la crise, selon Von Weizsäcker, ce rien est potentiellement tout dans la crise… un autre axe, celui de la lucidité, -je disais hier dans la voiture, ah j’aimerais bien que quand Michel est bien réveillé, on fasse ensemble un truc sur Gustave Guillaume, comme hier soir, ce sont des moments superbes. Moi, non plus, je ne connais pas bien, alors cela m’aidera pour vraiment l’étudier Gustave Guillaume. Cette approche de la langue, comment ça se rencontre dans la sémiotique… pour moi, c’est un rêve de pouvoir faire ça ensemble. Je vous le dis. Vous faites ce que vous voulez avec mes rêves… et toi… la la la…
MB : oui…
GP : Bon, on va peut-être vous laisser…
Public : rires
ML : par exemple, c’est un thème de Gustave Guillaume, le rien, celui de la lucidité puissantielle, ce sont des mots lourds…
GP : c’est du lourd
ML : de puissance, qui est pour Gustave Guillaume, le temps premier de la causation du langage.
MB : quel est le temps premier ?
ML : cette lucidité puissantielle. La puissance de la langue. Le temps comme durée, la langue comme tension. Quelles sont les dimensions de tension dans la langue.
MB : est ce qu’il dit que pouvoir être est un subjonctif ?
ML : non
MB : il a tort.
ML : c’est un infinif.
MB : oui, bien sûr, mais le temps du pouvoir est un subjonctif. Il ne le dit pas ?
ML : je ne sais pas. Je pourrais aller chercher. Est ce qu’il y a un moment, dans son commentaire sur Gustave Guillaume, est ce qu’il va inscrire le pouvoir être dans une structure grammaticale du langage, je ne sais pas… je vais chercher. Je vais voir chez Lohmann.
Il choisit aussi le rien lourd de possibilités lorsqu’il parle du vide de la pensée et de l’art chinois, quand il commente la peinture aussi bien que la poterie, il parle beaucoup de la combinaison du rien et du vide. Ou bien, encore un autre axe, le thème de l’ouvert dans Hölderlin, que l’on va retrouver dans Regard, parole, espace, cette dialectique entre l’ouvert et le rien que l’on va retrouver dans sa dernière œuvre, Ouvrir le rien, c’est le titre de son testament. La consécration de toute son œuvre. Ouvrir le rien. L’art nu. Donc le titre parle. Celui de l’ouvert de Hölderlin ou de Heidegger. Après le …
LFC : quand tu dis Heidegger, c’est bien de Hei-de-gger dont tu parles ?
ML : comment vous le dites en français ?
LFC : Hei-de-gger
GP : Hei ! deux guerres !
ML : ah la la
Public : rires
LFC : avé l’accent catalan - rires
ML : par définition, quand vous prononcez comme ça, c’est un nazi.
Heidegger
GP : Hei ! deux guerres ! c’est un arc réflexe- rires
ML : c’est très sérieux ici ! ah ben alors ! c’est très sérieux …
Donc il va lier le rien avec la thématique du dernier Heidegger, dans toute la thématique du hors attente. Et quand mon papa Oury va prendre quelque chose, c’est là. Le narcissisme originaire est hors attente. Oui, oui… Maldiney a parlé de ça, mais c’est surtout chez Blanchot ! Non, j’men fous de Blanchot c’est chez Maldiney… et on se dispute… rires.
Ou bien, et là c’est intéressant dans notre travail clinique, c’est existentiel dans Heidegger, le souci et dans le dernier Heidegger, on va plutôt trouver l’insouciance opposée au souci et au schwermut, la pesanteur. Et un mot intraduisible gelassenheit et que dans les dernières traductions on a traduit avec les moyens du bord par sérénité. Ce n’est pas beau mais quand même. On n’en a pas trouvé d’autre. Donc, à travers son œuvre, il va articuler plusieurs axes, Paul Klee, Gustave guillaume, l’art chinois, Hölderlin, et le dernier Heidegger.
Malween : est-ce qu’il utilisait Kimura ?
ML : ah oui, il utilisait beaucoup Kimura. Beaucoup ! Quand Danielle a écrit son livre, sur les paysages de l’impossible, l’avec schizophrénique, elle combine une lecture de Kimura commentée par Maldiney. Oui ! Mais je ne peux pas tout faire !
GP : Pourquoi ?
ML : Parce que d’une part, je ne suis pas capable et qu’ensuite vous vous foutez de ma gueule.
Public : rires.
ML : alors, je pense que là où on peut aborder le mieux le transpassible, c’est quand il est en échec, en défaut. C’est dans la psychose et en particulier dans la schizophrénie. Et ça, c’est un fil conducteur dans l’œuvre de Maldiney. A chaque page, on va souvent rencontrer ce qu’est un défaut dans la schizophrénie. C’est quoi ? La psychose se ferme peu à peu à ce niveau originaire de l’expérience de vivre qui est celle du sentir et du ressentir par lequel nous pouvons être ouvert à la surprise de l’événement. A quelque chose qui nous excède et qui est dans notre possibilité d’être, notre potentialité. N’importe quel fait qui se passe peut nous confronter à quelque chose qui nous excède, qui nous touche, qui nous plombe. Ça peut être Atlantico Madrid qui gagne le match contre Barcelone. Ça peut être la commémoration du génocide du Rwanda.
GP : les français n’y étaient pas-
brouhaha- rires
ML : Je sais. Quand les français gagnent, ça ne me fait rien. Quand ils perdent, ça me rend joyeux, mais ce n’est pas de l’ordre de l’évènement.
Ce qui nous ouvre à l’événement, à ce réel qu’on n’attendait pas, c’est la transpassibilité. Pour le dire simplement. C’est à dire une capacité de subir qui n’est limitée par aucun a priori. Est-ce qu’on peut supporter l’insupportable pendant des années ? car comme l’événement lui même, l’existence qui accueille, ek-sistere, avoir sa tenue hors de soi, c’est là toute sa critique sur le vivant, ek-sistere, mais hors de soi ne veut pas dire ex dehors, car comme l’événement lui même, l’existence qui accueille est hors attente, est infiniment improbable, elle n’a rien à quoi s’attendre, elle n’a rien à attendre de quelqu’un ou de quelque chose, et bien dit-il c’est précisément, comme tu disais hier, quand tu disais un peu vite, mais bien, quand tu parlais de disposition, cette réceptivité accueillante à l’événement, c’est ça qui fait défaut dans la psychose et en particulier dans la schizophrénie. Donc, tout notre travail de l’accueil, mais c’est un mot complètement surdéterminé, tout le monde utilise ce mot, mais il faut bien savoir ce que cela veut dire, l’accueil.
Public : il y a des banques d’accueil
ML : oh la la, oui, c’est terrible. Pour nous, le mot accueil, on le condamne et on parle de fonction d’accueil. C’est complètement différent. Quel est ton degré de fonction d’accueil dans ton travail ? Tu ne vas pas être réceptif avec un schizophrène qui habite en appartement en ville ou alors à la campagne ou alors qui est à l’hôpital. Ce n’est pas la même fonction d’accueil ! Par exemple, avec notre patient qu’on voit avec Laurence le vendredi, si on n’a pas vu le match de foot, et bien le transpassible ne marche pas.
MB : l’histoire des fonctions quand même… les fonctions, c’est précisément ce dont on parlait hier. Le passage de l’accueil à la fonction d’accueil, c’est le passage de l’indicatif au subjonctif.
ML : Note le ! Je vais le retenir. Où est ce que je peux apprendre mieux la grammaire ? Une grammaire simple, basale…
MB : …
LFC : je te passerai le petit Bled, je l’ai à la maison.
ML : Comment s’appelle le livre des deux belges qui ont fait la grammaire
Public : le … du bon usage. Le Bescherelle… le Bled…
Public : c’est trop dur
ML : pour moi, c’est trop dur, c’est pour avoir la base. Parce que là, passage du l’indicatif au subjonctif, avec toute la thématique logique là-dedans, … que je puisse me préparer, est ce que l’accueil comme substantif… etc. est ce le passage de l’indicatif au subjonctif… c’est superbe comme question mais…
GP : comme réponse !
ML : comme questionnement ! et bien donc cette réceptivité accueillante à l’événement fait défaut dans la psychose. C’est de manière pathique, donc toujours sur le monde contactuel qu’on contacte les gens. Chaque séance psychanalytique ou autre commence dans le contact. Ce n’est pas la peine de donner une main et allonge toi et je n’ai même pas eu le temps d’avoir vu ou d’échanger l’expression de ton visage pour voir s’il y a une tonalité dépressive. Ce ne sont pas les mots qui vont nous dire quand même qu’il est déprimé.
GP : c’est quoi ?
ML : c’est la tonalité dans le mot ou dans le visage. On n’a jamais vu l’humeur dans un mot. Il y a par exemple dans l’article Contributions Kuhn Maldiney, Kuhn qui commente une phrase d’une patiente qui passe le Rorschach. C’est une phrase apparemment banale. Elle dit : et vous voyez, aujourd’hui, il ne me vient rien à l’idée, je ne sais pourquoi. Aussi à la planche 7 : voyez vous chaque fois que je découvre un côté négatif chez d’autres personnes, je trouve que je l’ai moi même. Pendant des pages, Kuhn va lire ces phrases d’interprétations des taches comme le noyau de la dépression. Mais impossible de le détecter si elle n’avait pas eu à projeter ce qui se passe dans un choix d’interprétation d’une tache.
Donc c’est de manière pathique que l’existant est ouvert à l’évènement. Ce n’est pas de manière gnosique. Cela ne se produit pas dans un monde déjà constitué et indépendant de nous mêmes. On ne peut pas être dans le transpassible quand on regarde la télé. Où les montages sont faits. Les infos sont faites pour échapper au transpassible. C’est ça leur succès aussi !
GP : pourquoi tu dis quand tu évoques la phrase « je ne vois partout que des choses négatives et je trouve que je les ai aussi ». Pourquoi tu dis que ce n’est pas dépressif dans les mots ? ça apparaît.
ML : tu n’as qu’à lire la suite. Oui, mais c’est à partir de là, qu’il développe tout l’aspect dépressif.
C’est de manière pathique que l’existant est ouvert à l’événement. Qu’il ne se produit pas dans un monde déjà constitué. C’est au contraire le monde qui s’ouvre à chaque fois à partir d’un événement. Le monde n’existe pas. Il n’ek-siste, n’est qu’un mouvement à partir de quelque chose de l’ordre de l’événement, de quelque chose qui nous sur-prend, qui nous dé-possède, qu’on subit. Pour montrer en quoi consiste ce bouleversement que produit en nous l’événement, il va s’appuyer sur la distinction qu’il trouve chez Erwin Straus entre Geschehnis qui veut dire un événement qui fait partie de la vie quotidienne, du temps ordinaire, un fait qui devient une anecdote et Erlebnis, l’évènement en tant qu’épreuve de ma vie singulière. Et pour faire cette distinction Erwin Straus rapporte un exemple de ses patients. C’est à propos d’un homme renversé par une voiture, et qui gisant mort dans la rue est entouré des témoins de l’accident parmi lesquels se trouve un médecin et un jeune homme. Le médecin constate professionnellement la mort de l’accidenté sans que cela l’atteigne de manière personnelle. Parce qu’il travaille dans les urgences. Alors que le jeune homme, au contraire, profondément touché par ce spectacle demeure pendant des semaines incapable d’oublier la vue du mort. Pendant des années. Qu’il a enkysté d’une certaine façon. Et Maldiney commente : si l’évènement d’être présent sur le mode perceptif dans cet accident n’a pas eu le même destin, c’est parce que le vécu n’était pas le même au départ. Ce n’est pas la perception d’un mort- et là c’est toute l’œuvre de Maldiney qui parle, c’est la différence entre la perception et le pathique- ce n’est pas la perception d’un mort qui est en soi bouleversante mais le rapport entre un mort et la mort dans lequel le jeune homme est impliqué. Il n’y a donc pas d’événement en soi puisque l’évènement ne prend sens que dans une situation. Donc toute la thématique où on ne parle pas d’un sujet objet mais de quelqu’un en situation. Quelqu’un en situation pour échapper à toute la problématique de l’objectivité. Il n’y a donc pas d’événement en soi puisque l’évènement ne prend sens qu’en situation et qu’il ne peut affecter l’existé qu’en tant qu’évènement de l’existence.
Mais inversement, la présence elle-même de quelqu’un dans la vie, la présence elle-même de quelqu’un à soi même, être présent… simplement, j’aimerais bien moi ici calculer le coefficient de présence. Chez nous, on dit dans un coefficient de présence qui va de 0 à 10, si le coefficient est de 2, c’est pas mal. Ça va. Il est déjà un peu présent. Ce n’est pas la liste de présence qui va indiquer notre situation de présence. Cette échelle nous indique la thématique de la pré-sence. Etre en avant de soi. Pré. Donc la présence elle même de quelqu’un n’est que par l’ouverture de la personne à l’événement. Etre ouvert à ce qui se passe, à ce qui à lieu. C’est ce qui conduit Maldiney à dire que cette ouverture à l’événement est ce par où la présence existe et qui lui fait dire, il va rajouter à la liste, que l’événement est existentiel. Pas seulement le souci, le pouvoir pour la mort, mais aussi un existentiel.
MB : tu connais la définition de Peirce de l’événement ?
ML : Non, pas du tout.
MB : un événement est une jonction existentielle de faits incompossibles.
ML : oui, c’est bien, c’est la même chose, c’est existentiel. C’est intéressant quand même de faire des ponts !
MB : …
Public : rires…
MB : chaque fois que je dis ça à Oury, il s’en fout.
ML : Ah non ! Ce n’est pas vrai ! Il dit ça parce que ce n’est pas lui qui l’a dit. Mais il ne s’en fout pas. Il entend quand même. Il m’emmerde beaucoup mais là, je le défends. Après, ça fait son chemin. Et après, il nous dit : ah oui, Michel, c’est intéressant… mais au début, oui, ce narcissisme pas possible… mais il est quand même plastique…
GP : peut-être qu’il ne comprend pas ce que dit Michel.
ML : qui ?
GP : ton père- Oury…
ML : quand il dit « j’men fous » il a compris.
GP : non, parce qu’il est obligé de répéter.
ML : non, il le reprend avec ses propres mots.
rires
GP : quand l’autre répète, c’est qu’il ne le comprend pas.
Rires
ML : sans doute qu’il le reprend à certains moments…
GP : non, sinon Michel nous en aurait parlé
ML : je ne sais pas, je ne sais pas… rires
Donc, cette ouverture à l’évènement, c’est ça qui fait que, la présence existe, et alors on peut comprendre pourquoi, dans la psychose il n’y a pas d’événement. C’est sa phrase qui revient toujours et c’est cette phrase qui a été très critiquée
Sylvia Dias : c’est terrible
ML : oui, c’est terrible
GP : c’est normal.
ML : Le mélancolique dont la temporalité ne consiste qu’en rétention, vous vous rappelez, tout comme le maniaque, - ce sont les pathologies qu’il commente le plus-, tout comme le maniaque qui sans appui dans le passé ne connaît qu’une temporalité sans cesse à venir n’ont pas de présent véritable. Et donc, de là, dans son œuvre, qu’est ce que c’est le présent comme temps grammatical ? C’est quoi le présent ? C’est quoi l’instant ? Donc sa première œuvre Aîtres de la langue et demeures de la pensée est consacrée pour une grande partie à ce qu’est le présent. Ils sont par là exclus de l’événement. Quand au schizophrène, il s’efforce, - et ça ce sont des pages magnifiques- il s’efforce dans son délire de rencontrer l’événement. C’est ça qu’on disait hier dans la voiture. La rencontre ce n’est pas l’autre, c’est l’événement. Rencontrer l’événement car le délire est pour lui le seul moyen de se comprendre lui même. C’est encore un essai d’exister le délire. Ils essayent à travers le délire de rendre compte de cette métamorphose existentielle qu’exige la survenue d’un événement. Ça me fait quelque chose, ça me confronte, ça m’interpelle, c’est un appel. Est-ce que ça me convoque à une métamorphose, à une transformation ? Pourquoi Kafka, il tourne toujours en rond, et pourtant il n’arrête pas, tout le temps, de mettre sur la scène dans ses livres, des métamorphoses, des transformations, des situations absurdes qui interpellent l’autre à se métamorphoser. C’est pour ça que Maldiney dit que Kafka est un grand mélancolique. Tout son enseignement, dès le début, jusqu’au moment où il va rencontrer Szondi, il va commenter Freud et en particulier pendant trois ans Schreber. Il a commenté pendant deux ans l’interprétation de Lacan de Schreber. Le délire de Schreber était toujours une tentative de se métamorphoser pour pouvoir accueillir l’événement. L’événement de Schreber c’était quand même de devenir père. Aussi bien au niveau public, sa nomination, qu’au niveau homme-père. Cette survenue de l’événement, comment ça va me transformer ? Il ne peut pas. Et le délire est une tentative. Mais le délire est en même temps une occultation de cette métamorphose. Et Kafka va trouver plein de personnages, des animaux pour occulter cette impossibilité de la métamorphose. Et Maldiney se réfère aussi bien à Schreber qu’à Suzanne Urban, un cas clinique classique de Binswanger, car -284- la démultiplication des persécuteurs dans le délire de Schreber, la multiplication dans le délire de Suzanne Urban ont pour effet, - et j’aime beaucoup ce passage- de diviser la compacité du terrifiant.. Est-ce une façon d’échapper à la proximité absolue de sa propre étreinte ou est-ce une aggravation de la terreur, comme le pense Binswanger, en ce que le malade est désormais entièrement tombé au monde d’où l’assaillent les persécuteurs ?
La question reste posée, mais l’échec est le même.
GP : il fabrique des enfants
ML : qui ?
GP : Schreber. La multiplication
ML : oui, les persécuteurs, ça n’arrête pas chez Schreber
MB : Georges dit plus que ça
ML : il en fabrique beaucoup, il copule avec tout le monde. Le délire est en même temps une occultation de cette métamorphose.
GP : une présentification
MB : une compacité du père. C’est ça que dit Georges.
ML : Maldiney dit de diviser la compacité du terrifiant. C’est terrifiant quand même de ne pas pouvoir accueillir cet événement. Et donc voilà.
GP : c’est une manière d’accueillir
ML : absolument, c’est une manière d’accueillir
MB : catastrophique
ML : catastrophique, bien sûr.
Malween : il y a quelques années en arrière, j’étais dans une clinique psychiatrique et j’animais un atelier d’écriture et j’avais demandé aux personnes qui étaient rassemblés là de fermer les yeux et qu’ils s’imprègnent dans la contemplation d’un paysage intérieur imaginaire et une fois qu’ils s’en étaient bien imprégnés, je leur ai demandé d’imaginer la survenue dans ce paysage de quelqu’un puis d’écrire. Et ce qui m’a complètement surprise, aucune des personnes qui étaient là autour de la table n’a raconté un décentrement de soi vers l’autre, mais au contraire c’était quelque chose de la refermeture, c’est à dire d’attendre que la personne passe pour retourner à la contemplation. Un impossible d’aller à la rencontre de l’autre. Et cela m’avait vachement interpellée. Constater qu’aucune de ces personnes n’étaient capables de se décentrer pour aller vers l’autre, c’était quelque chose qui… Et je trouve que dans cette lecture là, ça prend sens.
Geneviève Feixas : est-ce que cela peut se traduire par une formule comme « je suis le paysage et je suis dans le paysage » ce n’est pas la même chose.
ML : je vais donner un exemple
GP : dis bonjour à la dame
ML : La première fois sans doute il y a longtemps où nous étions en présence Roland Kuhn, Jacques Schotte et moi même... Le schizophrène qui vivait depuis presque dix sept ans dans un état de prostration presque constante mais dont Roland Kuhn avait remarqué la sensibilité apparemment paradoxale aux formes et aux couleurs a été invité à regarder des reproductions de peintures. Je les avais choisies -lui, quand il commente… une fois qu’il avait été dans l’atelier de poésie de Bouchet, on l’invitait souvent à aller dans des ateliers d’art thérapie, dans des ateliers d’animations, essayer de trouver des techniques pour pouvoir rencontrer, il disait ‘restons à l’authenticité de la vie, je vais leur montrer des formes, parce que l’imagination… etc. ça vient de mettre en forme quelque chose’. Je les avais choisies (les peintures) telles que en raison de leur style, leur moment apparitionnel constituait un indivisible moment d’évidence et de surprise. Tout en jouant avec un lacet le malade jetait sur celles qu’on lui présentait un regard furtif comme à la dérobée et lançait quelques mots au sujet de chacune. Des mots à l’arraché. –vous vous rappelez, l’arrachement-. Certaines de ses expressions étaient si expressément ajustées à la plénitude de l’œuvre qu’il eut été difficile au plus aigu des critiques d’en trouver d’autres. Mis en présence d’une des dernières baigneuses de Renoir, dont l’espace ambiant est l’aura radieuse et tourbillonnaire d’une forme en expansion et de flux coloré -ça c’est typiquement Maldiney- il dit simplement : le soleil d’or de la vie. Alors s’est produit un incident. Appelé au dehors, le Dr Kuhn est sorti. Aussitôt la porte refermée, le malade s’est levé en disant à nous qui restions là assis, « à qui le tour, messieurs ? ». Il avait été garçon coiffeur à Lausanne. Pour la première fois depuis 17 ans, quelque chose de son passé émergeait. Peut-être était-ce l’occasion furtive d’un échange. Il lui fallut trouver la parole ou le geste capable de faire de cette lueur le premier tremblement historique d’un passé enfoui devenu absolu.
Quelques mois plus tard, le Dr Kuhn a fait une expérience du même ordre. Il montra à un malade schizophrène deux lithographies de Tal Coat dont les taches noires discontinues – vous trouvez cette reproduction dans Ouvrir le rien- dont les taches noires discontinues en tension mutuelle représentent un vol d’oiseaux. Non pas un groupement d’oiseaux volants mais la dynamique rythmique d’un vol dont les taches noires communiquent entre elles dans l’ouvert des énergies blanches. Or à partir de cette vision et de l’échange de paroles qu’elle suscitât entre le patient et son médecin s’établit une conversation tellement normale que le Dr Kuhn en venait à se demander s’il avait encore à faire avec un malade, si celui qui était là était celui qu’il connaissait.
MB : ah, purée, il y a de quoi écrire à Danielle. Tu vas dire quelque chose de ma part à Danielle. Je crois qu’en fait, il me semble que ce qui est touché dans le contact ce n’est pas la priméité comme telle, mais la priméité de la tiercéité.
ML : C’est vrai. Ça, j’ai compris.
MB : tu lui dis pour voir si elle est d’accord. Comme elle connaît très bien Pierce…
Geneviève Feixas : on le reprendra lundi, parce que là…du coup… on est un peu… ça vaudrait le coup.
MB : rires… oui oui on reprendra ça. On voit bien que la priméité, ça va… mais c’est la priméité de la tiercéité qui ne va plus.
ML : oui, tout à fait. C’est ça. On pourrait presque dire, comme dit Maldiney : le délire nie le caractère de première fois de l’événement.
MB : ah ! ça, c’est bien ça. C’est l’évènement tel qu’il est dans la priméité de la tiercéité.
ML : oui, c’est ça !
MB : Pas n’importe quel événement ! C’est pour ça que la distinction entre les évènements, elle est là dessus.
ML : la première fois !
Didier Petit : dans un autre registre, est-ce qu’on pourrait parler des stéréotypies ?
ML : explique !
DP : par rapport au premier geste, qui nie l’évènement. Avant théoriquement, la première fois est niée par la stéréotypie
ML : oui !
MB : et qui est l’invention d’une forme.
ML : oui. Lui, il va souvent commenter le maniérisme. Où le maniérisme, c’est toute cette thématique de la métamorphose qui s’est condensée, immobilisée dans la pause. Il utilise comme paradigme de la pause de quelqu’un qui dans un atelier ou je ne sais pas quoi, va pauser comme modèle. Et bien, dans le maniérisme, on a cette structure du corps. La pause. Le personnage. Mais dans la stéréotypie, c’est la même structure. Le maniérisme et la stéréotypie ! oui oui. il dit : l’expérience psychotique atteste par là que l’événement requière la collaboration de celui auquel il arrive et qu’il est nullement, par rapport à lui, dans une totale passivité. Il sort à nouveau de la psychose là. C’est cette paradoxale capacité d’attente de la surprise avec Merleau Ponty, cette passivité de notre activité, ou avec Husserl, où Mélon, il est courageux quand même, il l’a édité, ce grand pavé, La synthèse passive de Husserl, tout ça c’est le même champ de travail,,, ou cette transpassibilité, c’est la terminologie de Maldiney, que traite pour lui la phénoménologie, l’objet de la phénoménologie, c’est le traitement du transpassible.
Donc, sa thématique, c’est toujours le dépassement de l’oppositionnel, le passif et l’actif. Si Maldiney a forgé ce terme de transpassibilité pour retrouver la manière – et là il retrouve Tosquelles- dont l’humain retrouve sa transcendance, ou plus simplement son dépassement, ce n’est pas la transcendance scolastique, en tant qu’elle implique une réceptivité et la première pathologie de la transcendance, c’est l’ambivalence ; quelqu’un qui ne peut pas se dépasser, c’est quelqu’un qui est dans le doute… oui non … oui non… c’est une thématique de ne pas pouvoir se dépasser et qui s’arrête à l’ambivalence. L’échec de la transcendance. … donc en tant qu’elle implique une réceptivité, c’est pour indiquer que la réceptivité doit être comprise comme une passibilité. Et passibilité veut dire simplement une capacité de pâtir et de subir au sens où elle implique une activité immanente à l’épreuve. Qu’est ce qui fait qu’il y a des gens qui s’en sortent d’un événement impossible… perdre un enfant… c’est impossible… et bien, grâce au transpassible, on peut… être réceptif à ce qui nous arrive. Et ça ouvre le champ-même à la réceptivité. C’est cette ouverture et cette capacité d’attente indéterminée qui manque dans la psychose. Et de là, chez nous on fait toujours la différence entre erwartung, et entwartung.
Et toi, hier, avec ton patient, quand tu disais que tu en avais marre qu’il ne te parle que du valium, et le valium ceci, et le valium cela et que tu disais, il me réduit à entendre ces conneries sur le valium non, je veux être psychothérapeute, je veux être psychanalyste et je veux aller là où ça se passe ! Non ! Nooooon….. Non ! Est-ce qu’on peut partager l’attente indéterminée ? Et quand nous, dans notre pratique quand même, à La Borde, on voit le malade 5-6 fois par jour quand il faut. Il ne se passe rien… rien ? Ce rien ! Deux minutes, trois minutes… et ce n’est pas la coupure lacanienne… dans le sens où ah ah ah… les séances courtes pour que ça émerge les conneries… non ! C’est partager cette attente indéterminée. Et peut-être comme on dit, un jour, on va s’ennuyer ensemble. Aaah ! Grosse victoire.
Et c’est aussi dans ce contexte là qu’il rencontre Pankow. Ils étaient très bien ensemble. Il y a avait un respect absolu entre eux, chacun dans son for intérieur, dans des échanges de lettres, par trop dans la conversation et … c’est Maldiney qui me l’a dit… ils étaient très réceptifs l’un pour l’autre. Et Pankow utilisait la philosophie de Maldiney et lui il utilisait les techniques qu’utilisait Pankow dans ce partage de l’attente pour faire émerger quelque chose au niveau de l’espace… pour approfondir sa propre pensée. Donc, il y avait entre eux quelque chose de très fort. Elle commente elle aussi, dans Structure familiale et psychose, à la fin, dans l’annexe, elle commente des textes de Maldiney. C’est donc bien cette capacité d’être en prise sur les choses qui fait défaut dans la psychose. Et à partir de là, cela se traduit dans une incapacité d’habiter le monde et d’habiter son propre corps. L’événement par excellence est la rencontre. Et c’est la fin de l’article du transpassible. Il n’y a de rencontre que de l’altérité et elle (l’altérité) est toujours imprévisible. Ce qui caractérise en effet l’existence est sa transcendance. Cette capacité de dépassement. Cette capacité de l’imprévisible. Donc, la transpassibilité est plus que la simple passibilité. Elle est ouverture. C’est peut-être le mot qui va le mieux avec le transpassible. L’ouverture avec l’évènement hors attente. Je ne trouve pas de meilleure transcription que celle –là et qu’on retrouve passage 421-422. La transpassibilité consiste à n’être passible de rien qui puisse se faire annoncer comme réel ou possible. Elle est une ouverture sans dessein ni dessin, à ce dont nous ne sommes pas a priori passibles. Elle est le contraire du souci. La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, n’a souci que d’elle même… elle existe pour rien. Pour le rien qui la libère de toute attache préalable à l’étant et qui signifie en elle que son existence est originaire. La transpassibilité sans souci implique l’insouciance qui est le contraire de l’esprit de poids, le contraire de la Schwermut qui tend vers le fond dans un rapport obscur.
Amen.
La transpassibilité implique une ouverture absolue de tout projet.
FREUD et DORA : une lecture par Marc LEDOUX
Elne, le 31 Octobre 2014
Marc Ledoux : Bon, je suis désolé, je ne dis pas que j’étais angoissé, ce n’est pas la question, mais Laurence avait proposé que je parle de l’hystérie, et il y a tellement de choses sur l’hystérie que moi, j’ai proposé de commenter Dora. Donc, je vais rester sur Dora, sur Freud. Je suis désolé si vous ne l’avez pas lu. Je l’ai préparé et je l’ai écrit parce que quand on travaille sur un texte, je dois me retenir pour ne pas partir… oups !
Public : ah non ! Pas de lecture ! Laisse toi aller !
Marc : ah, non ! Laisse moi ! J’ai préparé ! Et Michel m’a dit qu’il aimait entendre l’allemand. Donc, je me suis permis de penser que vous alliez vous acheter les œuvres de Freud en allemand. Et je vais donc faire le texte allemand et en même temps l’édition française Cinq psychanalyses traduit par Marie Bonaparte.
Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ? De toutes façons, vous n’avez pas le choix (rires). Si vous voulez la lecture freudienne ou lacanienne ou je ne sais pas quoi sur l’hystérie, qu’est ce que c’est une femme, qu’est ce que c’est un homme, qu’est ce que c’est l’amour, et tout ça et tout ça dans la question sur l’hystérie, c’est certain, et bien vous pouvez prendre ce truc, c’est bien, c’est dans Figures de la psychanalyse chez Érès, sur l’hystérie… ils sont tous là-dedans. Gérard Pommier, Alain Vannier, Jacques Sédat et tout ça, L’hystérie et la question du père, l’hystérie dans l’air du temps, Folie et hystérie virile, La jouissance négativement phallique, L’hystérie masculine, Ma fille est hystérique, voilà pour les psychanalystes purs et durs, vous prenez ce bouquin là, chez Érès.
Sylvie Arbiol-Pous : Fais-nous du Ledoux !
ML : Voilà, je prends donc Dora. Ça m’a fait du bien de retravailler Dora, de redécouvrir le génie de Freud. Purement lui. Dans sa manière de penser, dans l’évolution de sa pensée, son écriture, etc. Bon, ça m’a fait plaisir. Alors, en allemand, ça s’appelle Bruchstück einer Hysterieanalyse, et bruchstück ça veut dire fragment. Il l’a écrit en 1901, il n’a pas osé le publier tout de suite et il dira pourquoi, il a attendu trois ans et demi, jusqu’en 1905. Donc, je vais suivre le texte et donner des commentaires.
Donc, la préface. Il insiste sur le thème du secret, Geheimnis, relayé par le mot intimitate. Il appelle ça intimité de la vie psychosexuelle. Dans un cas d’hystérie, il y a toujours quelque chose d’énigmatique, de secret que l’analyse doit mettre au jour et le thème de secret se prolonge dans les idées de caché, de cachotteries, de manque de franchise, dit Freud. Szondi va reprendre ça avec le hy+ et surtout le hy-. Ce secret est aussi un secret pour les malades qui savent sans savoir. Ça, c’est déjà un thème qu’on retrouve chez les post freudiens et chez les lacaniens…on n’a pas fini… Ce secret fait partie de l’essence des troubles névrotiques et Freud s’attend à ce que sa présentation et sa conception de ce cas et de l’hystérie en général vont provoquer chez les lecteurs de l’étonnement ou de la résistance. Il nous avertit… je vais parler de la vie sexuelle, ne soyez pas trop étonné. Il s’excuse d’avoir à dévoiler de telles intimités concernant la vie sexuelle de la patiente, mais –p6 ce qui m’importait était de démontrer la détermination et la structure intime du devenir malade. Donc, il y a la maladie krankheit, il y a le malade, die kranke et, ça c’est nouveau, le devenir malade, erkrankung. Donc, le préfixe er. Freud utilise un langage de tous les jours, que tout le monde parle. C’était sa force aussi. L’idée d’un processus, -er-, qui aboutit à un état morbide. Ce qui compte pour lui, ce n’est pas la maladie mais le processus qui mène à. Donc, c’est lui qui en 1901, juste après Traumdeutung, fait le passage de maladie à malade, puis à l’être malade. Et on retrouve ça dans la correspondance entre Von Weizsäcker et Freud, où Von Weizsäcker félicite Freud d’avoir si tôt mis l’accent sur le mot erkrankung qui renvoie à l’idée de pathogénèse. C’est ça qui est génial chez Freud, et on le voit bien, il va essayer de quitter la maladie et la recherche d’une cause, d’une étiologie, il essaye de sortir de la cause pour la remplacer par l’idée de pathogénèse dans ce que la maladie a quelque chose d’englobant pour l’existence de la personne. Donc dans le texte de Dora, il y a un déplacement de la maladie névrotique à devenir malade névrotiquement. Il essaye de se sortir de l’idée qu’il y aurait une cause dans le cerveau, ou dans la psychologie ou la sociologie, ou de n’importe quoi. Donc, le processus et pas l’étiologie.
Ce qui l’intéresse c’est la construction intime de la maladie, ce qui est en train de prendre forme. Il dit intime. En allemand intimitate, c’est le superlatif d’interne. Donc ce qui est le plus interne possible. Freud s’insinue dans le registre qui s’étend du mystère à la mystification, thème classique, dans le devenir malade hystérique. Il dit que le mystère demeure en se donnant en pleine lumière, la mystification consiste à rendre mystérieux par le secret, par le caché, par les cachotteries. L’hystérie, dit-il, participe pleinement du mystère et de la mystification. A la fin de la préface, il dit que le chemin qu’il va essayer de suivre c’est d’aller de l’intimité qui fait l’objet des cachotteries à la structure interne mystérieuse du devenir hystérique. C’est ça qu’il veut faire. Et il rajoute dans le dernier paragraphe de la préface une seule histoire de malade ne peut apprendre à connaître ni tous les types de devenir malade, ni toutes les mises en forme de névroses, ni toutes les espèces de cohésion qui existent dans l’hystérie entre le somatique et le psychique. Donc il dit qu’il ne peut pas faire de conclusions générales à partir d’un cas. Et il utilise le mot, et c’est superbe, gestaltung. Les mises en forme, le thème si cher à Von Weizsäcker, si cher à Maldiney, si cher à Oury… on ne parle pas de gestalt mais de gestaltung ! La mise en forme. Le processus de formation. Freud ne cherche pas la cause, mais le mouvement de causation… c’est bon ça en français?
Laurence : causalité ?
Marc : non ! Justement ! Ah ben voilà ! C’est typiquement français. Substantiver un mouvement. Et vous pouvez parler pendant vingt millions d’années… Non ! Le mouvement de… ce qui est là comme un élément déclenchant…
Sylvie : Et on a le droit de prendre un mot comme ça ?
Marc : Mais oui !
Michel : Mais, c’est un mot français !
Marc : Merci Michel. Le mouvement de causation. La nosologie se conçoit chez Freud à partir de tous ces vocables, er, erkrankung, re, et ?… indiquant le caractère processuel. Et à la fin du dernier paragraphe de la préface, il annonce que la technique psychanalytique a fait l’expérience d’une révolution ou d’un bouleversement fondamental depuis les études sur l’hystérie qu’il avait écrites avec Breuer. Il laisse maintenant au malade l’initiative de déterminer le thème du travail journalier. Le paradoxe de la psychologie profonde, c’est qu’elle choisit de partir de la surface, telle qu’elle est…
Michel : un moment. Tu dis la psychologie profonde. Quand on voit la traduction ‘psychologie des profondeurs’, c’est absurde.
Marc : oui, ce n’est pas pareil. Psychologie profonde. Donc Freud note ce paradoxe. On parle de psychologie profonde et on part de la surface. La nouvelle technique des associations libres est dit-il la seule qui puisse pénétrer dans la très fine structure de la névrose. Elle laisse les matériaux survenir dans un désordre dont il conviendra de reconstruire l’ordre secret, il donne d’ailleurs un exemple extraordinaire, de tout ce désordre, et comment il va essayer de trouver une structure là-dedans. Le travail de l’écoute psychanalytique rassemble les rapports de cohésion qui relient secrètement les éléments d’un matériel présenté en ordre dispersé.
Jusqu’à la fin, dans toute son œuvre, le terme zusammenhänge est un concept clé. Si on le traduit texto : ce qui pend, hängen, ensemble, zusammen, ce qui tient ensemble. C’est une notion extrêmement importante dans son œuvre. Et cette notion-là, je l’ai fait un peu comme ça, ce n’est pas par prétention, mais pour ne pas répéter ce qui a déjà été dit ailleurs. Donc, le thème, zusammenhänge, le rapport de cohésion est corrélatif à celui de construction aufbau. On utilise le mot structure, construction.
Le devenir malade a sa cohérence propre. Les symptômes sont solidaires les uns des autres. Il n’y a pas de symptômes plus importants que d’autres. C’est une bonne leçon pour nous ! Je trouve ça extrêmement actuel ! Donc les symptômes sont solidaires à travers des rapports de cohésion secrets que l’analyse doit dénouer. C’est d’ailleurs l’étymologie du mot analyse. Du grec, luo, lusis, dénouer, délier. Et c’est pour ça qu’il va comparer le travail d’analyse avec celui d’un archéologue. Il reconstitue et reconstruit en intégrant l’authentique et en y donnant une part essentielle du travail. L’idée de reconstruction double déjà ici l’idée d’interprétation qui est déjà fort importante à cette époque, en 1905. Quand il va publier le cas Dora, il a rajouté des trucs qui vont combiner le mot construction avec interprétation. Dans Dora, Freud cherche à jeter un pont entre sa conception actuelle, ses anciens écrits sur les psychonévroses de défense et son livre « l’interprétation des rêves ». Dora est à chaque fois à un carrefour, même au niveau de la technique analytique. Le texte de Dora s’appuie sur l’interprétation de deux rêves. Il y a un thème qui sera très important plus tard, le thème de transfert, mais dans Dora, ce n’est qu’à la fin qu’il en parle un tout petit peu, en fait il choisit de ne pas en parler. C’est pour ça que j’ai dû faire attention de ne pas mélanger avec le commentaire de Lacan. Bien sûr que Lacan a commenté de manière magistrale le cas Dora, mais d’emblée il a traité le problème du transfert de Freud sur Dora. Tandis que Freud ne peut pas encore l’articuler. Il ne peut pas ! Il le dit très bien ! C’est pour ça que le traitement fut écourté au point de demeurer un fragment, Bruchstück. C’est magnifiquement trouvé de sa part ! Il n’a pas pu continuer ! Il n’a pas pu travailler le transfert. Il savait bien qu’il y avait quelque chose là, mais il n’a pas pu. Donc, c’est pour ça qu’il appelle ça fragment et pas analyse comme dans le cas de l’homme aux loups ou l’homme aux rats. Il ne peut pas tout faire quand même… Voilà, ça c’était la préface.
Maintenant, l’état de maladie. Il dit, et j’adoooore (rires) : ne vous irritez pas de ce que les malades ne savent pas raconter concrètement leur histoire, dans la mesure où les lacunes prouvent qu’ils souffrent d’une pathologie névrotique. Alors, moi, je me suis dis, Marc, tu ne vas pas commencer à devenir maniaque et dire voilà, quand vous commencez une analyse, il faut raconter votre anamnèse, non, non… je ne vais pas faire ça. La reconstitution de l’histoire, c’est le traitement. Superbe ! Moi, j’aime bien. Cet état lacunaire des souvenirs qui se rapporte à l’histoire de la maladie est le corrélat obligé de la constitution des symptômes.
Et après, ça m’a frappé la façon dont il fait l’anamnèse familiale. Il fait ressortir les rapports humains et sociaux entre les personnes du contexte familial. Par exemple, il ne va pas demander comment s’est passée la naissance, bon, je caricature… non, non, non ! Il va simplement marquer, noter, écouter, quand Dora parle des rapports des personnes entre elle. Par exemple l’importance du père dominant. Ça, on connaît. C’est lui qui amène sa fille chez Freud. Et Freud est honnête. Il dit bien combien il est resté prisonnier de son propre rapport préliminaire au père de sa patiente. La rupture s’annonce déjà, comme l’a souligné Lacan. Freud dit qu’il y a un problème.
Laurence : peut-être qu’on peut dire pour ceux qui ne l’ont pas lu comment Freud avait rencontré le père ?
Marc : Bof… Vas y, raconte…
Laurence : le père avait vu Freud plusieurs années avant pour des troubles que personne n’arrivait à guérir et Freud diagnostiqua une syphilis et lui avait donné un traitement qui avait permis la guérison.
Marc : Oui, c’est ça. C’est tout. Et lui, le père amène ensuite sa fille.
Freud dit qu’il essaye de construire son texte de manière à ce que le lecteur puisse saisir après coup les points où ça n’a pas marché, où il était en défaut. Il laisse les lecteurs questionner son texte pour lui dire « ah ça ne marche pas ». Il dit bien qu’il était trop pris et il laisse une lacune dans sa propre construction du texte pour que le lecteur puisse voir où il était en défaut. En clinique, ça il le reprend dans le texte de 1908, il faut toujours faire attention à la manière dont les patients sont introduits ou introduisent le traitement. Dora n’était pas motivée et elle ne jugeait aucun médecin digne de la soigner, ça, cela a été souligné des millions de fois, et chez toutes les hystériques, elles vont essayer de trouver la faille, la lacune… Freud dit elle fit échouer le traitement. Par exemple, je pense à un texte de Oury, sur l’hypochondrie, où cette dimension où le médecin n’est pas digne de le soigner est présente à ciel ouvert. Dans l’hystérie comme névrose, c’est présent mais en secret. Elle ne le sait pas. Mais dans l’hypochondrie où il y a la dimension psychotique, le rapport entre le médecin et le patient est vraiment constitué là-dessus. Et ces patients vont voir dix milles thérapeutes et personne ne peut les soigner et ils vont même produire un délire des organes ! C’était un superbe texte d’Oury qu’on retrouve dans L’apport freudien…
Au fil de l’anamnèse, p13 dans le texte, Freud rapporte comment Dora lui avait raconté,-et là il utilise un mot génial-, je le dis en français, comment Dora lui avait raconté avec une intention symbolisante, comment son frère commençait les maladies infectieuses de l’enfance à un niveau léger, et comme elle même le suivait avec présentation de phénomènes graves. L’expression ‘intention symbolisante’ vise, et ça va revenir souvent, vise le double sens pris par les paroles de la patiente. Pour ce qui concerne les maladies et pour bien d’autres choses sans doute, le frère commençait et elle suivait. Tout est déjà là ! Dès le début ! Quand il fait une sorte de mise au point de ses rapports personnels et sociaux. Dora trahit ici le type de ses rapports à l’homme. Il ne parle pas encore de l’identification. Et c’est superbe ! Comment il apporte les choses, il apporte ce désordre pour amener quelque chose qui a à voir avec l’identification. Mais pas encore ! Loin de là ! C’est ça que je trouve génial.
Ce rapport à l’homme, tout cela débouche sur une remarque de Freud, p14, L’histoire que je raconte ici semble, somme toute, ne pas mériter d’être publiée… Petite hystérie* en français… en référence à la grande école de l’époque, Charcot. Freud ne va pas prendre les grands problèmes de l’hystérie, les grands spectacles des hystériques de Charcot, mais les cas les plus simples et les plus fréquents. C’est pour ça qu’il dit que cela ne mérite pas d’être publié. Il se demande si cela va prendre… Il était fasciné, c’est certain… il avait découvert chez Charcot que l’œil était très important, le spectacle… mais pour lui, ce n’est pas ça. Les grands problèmes sont secrets, sont intimes. Ce qui l’intéresse, ce sont les cas les plus simples, les plus fréquents. Et Schotte m’avait dit à l’époque : on peut paraphraser avec Freud et on peut le mettre dans la même lignée que Joyce quand il dit que l’écrivain doit laisser l’extraordinaire au journaliste. Le grand écrivain doit essayer d’écrire les choses les plus simples.
Donc, voilà. Puis à partir de la page 15, il va introduire une triade de notions.
La première notion est celle de trauma psychique qu’il va reprendre pour la critiquer. Il se donne au lecteur qui peut découvrir où ça n’a pas marché. -Qui le fait maintenant ?... Hein ?-est ce que le traumatisme constitue le point de rattachement de la dernière mise en forme de la maladie? Freud dénonce l’insuffisance de la théorie traumatique pour la compréhension de la névrose hystérique. L’incident avec M. K, c’est à dire la déclaration suivie d’un affront, eh bien cet incident à l’époque aurait fait office de trauma. Mais Freud dit que cela ne suffit pas. Non ! Cela ne suffit pas pour rendre compte de la formation de la maladie dans le détail. Il le dit très bien. P 17. Le trauma est inapte à éclaircir la particularité des symptômes. La notion de traumatisme pour Freud ne fournit pas une explication qui rende compte de la spécificité des symptômes considérés dans les détails. Il ne va jamais s’arrêter à examiner les détails. Cette notion de trauma a des connotations causalistes massives, « ah, ça y est, on a trouvé… c’est l’histoire avec M.K ». Il insiste pour dire que l’analyse doit cerner la moindre spécificité dans ses moindres particularités. C’est ça le travail d’analyse. Même chez Dora, et c’est superbe, Freud décrit quelque chose qu’il va reprendre à la fin du texte, et on voit d’ailleurs que Lacan est un superbe lecteur de Freud dans ce petit détail… donc Freud dit Même chez Dora, une analyse plus affinée aurait fait connaître une vegeistigung, une spiritualisation bien plus poussée des détails de la maladie. L’esprit et le mot d’esprit. Avec beaucoup d’humour. Les détails ont une structure spirituelle analogue à celle que l’on découvre par l’analyse des mots d’esprit. Pour Lacan, c’était important. Pour Lacan, les trois textes les plus importants de Freud étaient La psychopathologie de la vie quotidienne qui se lit à travers le mot d’esprit, Der witz, mot intraduisible mais qui a été traduit par Le mot d’esprit. Les blagues… le texte Der witz, ce sont des blagues… et c’est superbement relevé par Lacan.
La deuxième notion est l’interversion des affects. Verkehrung P 18. Éclaircir le mécanisme de cette interversion de l’affect reste une tâche des plus importantes et en même temps des plus difficiles de la psychologie des névroses. Conflit des affects… Verkehrung ou plutôt si on fait une traduction texto : perversion de l’affect. Retournement marqué par une certaine note péjorative.
Ce retournement de l’affect, cette perversion de l’affect se rattache à la troisième notion, griffenheit, le saisissement de la sphère sexuelle. On est saisi. Pas au sens instrumental. Saisi.
Laurence : on peut dire un mot maintenant de l’histoire concrète ?
Marc : Pour les gens qui ne l’ont pas lu ? Non ! Qu’ils se débrouillent !
Marc : au lieu d’éprouver du plaisir, il y a du dégoût et du déplaisir à l’égard du sexuel. Il dit, et je trouve ça parlant : ce mécanisme psychique de la perversion de l’affect suffit à lui seul pour parler d’hystérie. Les symptômes somatiques ne sont pas nécessaires. Ça aussi, cela a été quelque chose d’important pour Lacan quand il va essayer de trouver un mathème, quand il va mettre dans les 4 discours, le discours hystérique. C’est à dire que pour parler d’hystérie, on n’a pas besoin d’avoir des choses somatiques. C’est une structure existentielle. Pour Freud. Ce mécanisme fondamental humain de retournement de l’affect de plaisir en dégoût dans un moment de saisissement de la sphère sexuelle suffit pour dire de quelqu’un qu’il est hystérique. Le corps se trouve cependant concerné à travers l’intervention d’un autre mécanisme psychique, celui du déplacement de la sensation qui va produire à la place de la sensation génitale, et là il va en mettre des pages, à vous de le lire… on ne va pas raconter tous les déplacements… ce sont des exercices pratiques…
Public : rires
Marc : Je m’y attendais… je me suis dit ouh là là, si il y en a qui ne l’ont pas lu… et moi, je ne vais pas raconter toute l’histoire, je vais perdre ce qui est extrêmement productif chez Freud, ce qui est nouveau chez lui, qui est le noyau de son travail et qui sera repris par Szondi… je vais perdre la forêt, les arbres… donc, cette nuit vous le lirez !
Donc, cette notion de déplacement de la sensation qui va donc produire à la place de la sensation génitale une sensation de déplaisir liée à la muqueuse supérieure du canal digestif. Et là, Dora ressent du dégoût… Et pour Freud, c’est extrêmement important !
Laurence : Monsieur K veut l’embrasser. Elle perçoit son érection et elle ressent du dégoût, là où Freud dit qu’elle devrait ressentir du plaisir.
Marc : Oui, Freud, dit normalement on devrait trouver du plaisir. C’est un retournement. C’est grâce à l’interprétation des rêves quand même, et on verra dans l’analyse des deux rêves, comment cela peut aider au niveau clinique. Pas pour le plaisir d’interpréter un rêve. Mais comment ça peut aider pour qu’une souffrance s’ouvre un peu. C’est grâce à l’interprétation des rêves que le retournement de l’affect, die affekt verkehrung et le déplacement, verschiebung, vont devenir des notions clés de la théorisation psychanalytique. Elles vont devenir. Elles ne le sont pas encore. C’est extraordinaire. Nous on va anticiper. Lacan, il n’a pas arrêté de parler de ça, mais Freud n’était pas là encore ! C’est la première fois qu’il utilise ces deux notions, ces deux processus qui sont liés à l’inconscient. Et dans Dora, il ne parle pas beaucoup de l’inconscient. C’est important de le noter. Ça va venir, bien sûr. Mais pas là ! La notion de déplacement est une notion traditionnelle de la sémiologie de l’hystérie. Il va plutôt faire appel à la tradition médicale, dans laquelle il baignait quand même, il avait fait de la neurologie, il avait fait Nancy, il avait été chez Charcot ! Les symptômes bougent, se déplacent. Cela rappelle l’étymologie du mot hystérie. L’utérus baladeur. Dans la médecine grecque, c’était ça l’hystérie. Freud est pris par toute cette tradition là, il est au carrefour, à l’aiguillage… il va utiliser ce terme-là après.
Après ces trois notions, trauma, affekt verkehrung et déplacement, il continue et il entre de plus en plus dans la vie propre de Dora. Alors, là, il va devoir être conséquent et cela va devenir compliqué pour lui. Enfin… je ne sais pas… je délire peut-être avec mon texte… Je sens, mais rien ne le dit dans son écriture, c’est moi qui dis ça, maintenant il va payer !-maintenant, les mots qui vont arriver en désordre… mais on ne peut pas raconter… on ne peut pas thématiser… allez, vas-y, parle, parle, parle ! avec la règle fondamentale des associations libres. Et bien voilà, Dora, elle parle ! et elle prend activement acte de cette suggestion de Freud. Et lui… qu’est ce que je vais faire maintenant ? Elle construit activement sa vie, et Freud, lui-même vise ce sujet en actes. Les deux se rencontrent dans les modalités du transfert et dans de vives résistances. Là, c’est la première fois qu’il en parle. Des résistances des deux côtés. Freud, par exemple, est énervé, il le dit, je suis gereizt, il est énervé par le fait que Dora revienne tout le temps sur d’autres thèmes que ceux qu’il attend. Il pense au retournement des affects, au déplacement, il essaye de la diriger. Mais non ! Paf ! elle passe à autre chose. C’est ça que je trouve superbe. C’est un texte labyrinthique. Elle passe à autre chose. Ça l’embête Freud, ça l’irrite. Pour lui, il s’attend à des histoires qui tournent autour de Monsieur K. et que l’histoire de l’érection… ça se déplace sur le nez par exemple, mais non, non ! elle passe à d’autres thèmes. Et là, je suis allé voir chez Lacan, dans ses premiers commentaires sur Dora : elle sert d’objet d’échange entre son père, Monsieur K., Madame K., son frère et d’autres qui viennent compléter la constellation. Et ce passage superbe, p26, je le lis en allemand, c’est magnifique la sonorité en allemand… lorsque Dora était exaspérée… … elle était prise par cette idée qui agissait sur elle, -à ce moment là, Freud se demande si elle n’est pas vraiment folle, un peu psychotique, elle n’a pas de maîtrise sur ce qui lui arrive-, l’idée s’imposait à elle qu’elle était livrée à Monsieur K. en rançon de la complaisance dont celui-ci faisait preuve envers sa propre femme au père de Dora. Lacan dit que Dora circule dans cette constellation de tous ces gens comme un objet de troc. Et Lacan indique comment Freud a su repérer génialement le fonctionnement des rapports où se trouvent engagées les patientes hystériques. Bien vu par Lacan quand même ! Qu’elle fonctionne comme un objet de troc. Un objet d’échange. Quelque chose que Lacan va ensuite mettre en rapport avec toute la thématique de Lévi-Strauss sur les systèmes de parenté. Un thème majeur à venir dans l’anthropologie culturelle chez Lévi-Strauss et Ortigues dans Œdipe africain. Non seulement les groupes humains s’offrent des cadeaux et des services-« l’Essai sur le don » de Marcel Mauss- c’est le classique sur le don, quel est le sens et la structure du don dans l’échange entre les gens- … donc les groupes humains s’échangent des cadeaux, des services mais aussi des femmes selon des processus réglés qui renvoie, dit Lacan, à l’interdiction de base de l’inceste. Et Szondi a pris ce passage de Freud. Le reste ne l’intéressait pas trop. Freud ne parle pas de l’inceste dans Dora, mais il en parle dans ce qu’elle est comme objet de troc réglé. Pour Szondi, l’hystérique est quelqu’un qui essaye de se débrouiller plus ou moins bien avec toute la structure fantasmatique de l’inceste. Pour Szondi, c’est fondamental. L’interdit de l’inceste : hy, hystérie. L’interdit du meurtre : e, épilepsie.
Et Freud continue. Il n’entend pas. Il continue de ramener à nouveau les rapports de Dora à Monsieur K. Il continue à faire des interventions et quand on le lit bien, qu’est ce qu’il se passe, ces résistances qui vont se construire sans qu’il le sache, il procède à des interventions qui renversent le sens de certains processus présentés par Dora elle-même. Il renverse. Il retourne. Il prend l’autre côté de ce qu’elle dit. Il prend exactement l’inverse de ce qu’elle dit ! C’est très subtil. Mais avec des conséquences importantes quand même ! Il prend un exemple magnifique, p 23-24 : il va lui laisser entendre que les reproches qu’elle adresse à son père et à monsieur K. sont en fait des auto reproches. C’est quand même énorme ! Quand on va lire plus tard le texte Deuil et mélancolie, il va se référer à ce texte-là, pour essayer de découvrir, quand on fait un peu d’anthropopsychiatrie, quand on est un peu szondiens, de penser les rapports entre les symptômes et dire qu’il y a de l’hystérie dans la mélancolie. Bon, d’accord. Et comment ? Quel est ce rapport ? Il n’a pas répondu parce qu’ici il se trompe. Qu’est ce qu’il dit ici quand il décrète que les reproches qu’elle fait sont des auto reproches? Quel est le principe d’une telle intervention ? Qu’est ce qu’il veut, cet homme têtu ? Il distingue deux choses. D’une part qu’il y a du reproche dans l’air, et d’autre part la question de savoir qui reproche quoi à qui. Qu’est ce qu’il se passe dans ce texte ? Il s’intéresse d’abord au verbe… qui exprime l’action de reproches pour ne s’intéresser ensuite qu’aux personnes qui sont engagées dans les reproches. Donc, c’est bizarre. Même en allemand. La langue allemande, c’est une langue de mouvements, de verbes. Et là, il va utiliser le verbe, puis il s’intéresse aux personnes et enfin il laisse tomber le mouvement pour extraire l’action des personnes. Et c’est là où il se trompe et ça mène très loin. Par exemple, dans la mélancolie, il va mettre l’accent sur la personne. C’est le sujet qui s’accuse lui-même. Mais il a besoin de toute la thématique de l’identification pour savoir ce qui se passe là dans la mélancolie. Freud va découvrir que la personne mélancolique vise en elle-même quelqu’un d’autre. On connaît. Chez Dora, Freud s’intéresse aux reproches en tant que tels sans tenir compte vis à vis de qui ils sont destinés. Et juste après, pour la première fois, il parle de l’identification hystérique. Tout simple. Extrêmement simple. Qui copiez-vous ? Elle se plaint un jour d’un autre symptôme, elle a mal à l’estomac, et Freud veut sortir du thème du reproche et lui demande Qui copiez-vous ? Donc, c’est à partir de quelque chose qu’il n’a pas pu maitriser qu’il va découvrir un des plus grands concepts de la psychanalyse qui est l’identification. Donc, tout ce passage que j’ai essayé de vous restituer, si vous voulez le lire, je ne sais pas si on peut encore le trouver, c’est la thèse de Jean Florence, Théorie de l’identification. C’est une thèse qu’il avait fait chez Schotte. C’est superbe. Je ne sais pas si ça vous intéresse. Cela a été édité à Bruxelles à la Faculté Saint Louis qui est le même nom que l’édition. Si il y a des gens qui sont intéressés par l’identification, ça vaut la peine de l’avoir. C’est très bien construit, très didactique.
…à qui vous identifiez-vous ? demande donc Freud, presque brutalement. A qui vous identifiez-vous à travers tel ou tel symptôme, j’en ai ras le bol de cette liste de symptômes ! Mais je dois continuer… chaque détail compte… à qui vous identifiez-vous ? En s’identifiant à la gouvernante,-je résume- par rapport aux enfants de Monsieur K, Dora s’inscrit dans toute une dramatique intersubjective, -c’était l’approche au début de Lacan, toute cette dialectique intersubjective-, dans laquelle les rapports interpersonnels entre elle, la gouvernante, Madame K. vont se redistribuer. Ces identifications hystériques, dit-il, sont inconscientes. Pour lui, cela veut dire à ce moment-là que les patients savent sans savoir. C’est tout ce que ça veut dire. Mais, -et là, je prends de Jean Florence, je n’ai rien inventé-, pour mieux cerner ce qui est en question dans l’identification, il pose la question de l’origine psychique des symptômes hystériques et il dit tout de suite qu’il pose mal la question. Le véritable état des choses, - et Oury, mon pauvre, quand on lisait ensemble ce texte, il y a longtemps…oui, ensemble… l’état des choses… et moi, je ne savais pas ce que cela voulait dire l’état de choses… c’est quoi l’état de choses… et Oury il m’expliquait ‘ça, c’est … chez Lacan !’. Et quand je le lis là le véritable état de choses est que tout symptôme a besoin des deux côtés, du double apport psychique et somatique qui est ressaisi dans le concept de … de… et là, alors ça me fait hurler… enfin, pas hurler, mais… on ne peut pas comprendre en français… p28… de complaisance… alors là, non ! non ! ça ne va pas du tout ! Je relis dans la traduction française : pour autant que je puisse voir, le véritable état de choses est que tout symptôme hystérique a besoin d’apport des deux côtés. Il ne peut se produire sans une certaine complaisance somatique qui se manifeste par le processus normal ou pathologique dans ou sur un organe du corps. Non ! Non ! Aaaanh !
Public : rires
Michel : on te retrouve !
Marc : Rires. Oui. Je continue. Ce processus ne se produit qu’une fois – tandis que la faculté de répétition fait partie du caractère du symptôme hystérique- s’il n’a pas de signification psychique, de sens. Va comprendre ! Qui comprend ça ? Pas moi ! Entgegenkommen ! C’est mal traduit ! Au lieu d’utiliser le mot complaisance somatique, le mot convenance somatique est mieux. C’est un texte qu’on avait travaillé avec Oury, je me rappelle dans un séminaire du mardi soir à Louvain La Neuve, on avait fait un séminaire Szondi sur l’hystérie et j’avais demandé si on pouvait travailler ensemble ce passage et Schotte avait dit oui, et on avait cherché ensemble et on avait trouvé cette traduction de convenance pour entgegenkommen. C’était la belle époque, c’était superbe !! Parce que Schotte parlait parfaitement bien le français et il le sentait, moi je le parle comme un perroquet mais lui disait que complaisance a une résonnance de plaisir, mais une sorte de …de … plaisir qu’on partage avec l’autre… dans une certaine…, perverti… de… de…
Public : facilité
Marc : oui, facile, tandis que entgegenkommen est un mot qui veut simplement dire le simple mouvement d’aller à la rencontre. Tout simplement. Extraordinaire ! Venir à la rencontre. Ce mouvement, l’organique et le psychique… ce que Freud veut dire dans ce texte, c’est que la pathogenèse de l’hystérie se présente à travers le problème du corps. Comment Freud met le rapport de l’aphonie de Dora avec l’absence de l’être aimé ? Attention ! Est-ce qu’on va retomber dans une pensée médicale de cause à effet ? Attention dit Freud ! C’est facile de retomber dans ce piège médical, classique, causaliste… cause = effet ! Faut-il en conclure dit-il que dans tous les cas d’aphonie périodique, -et il ne répond pas, il a raison-, faut-il en conclure qu’il faille faire le diagnostic de l’absence momentanée d’un être aimé ? Donc, au lieu de se laisser piéger par quelque chose qui serait facile mais ne résout rien du tout et d’y trouver une certaine complaisance entre somatique et psychique... Ah, oui, ma pauvre, eh oui, c’est clair, les maux d’estomac… oui, bien sûr, et tout ça et tout ça, c’est psychique… et on trouve une certaine complaisance… NON ! Noooon ! Non ! Ce n’est pas une complaisance, mais une convenance. Quelque chose qui va à la rencontre de. Et que je ne vais pas enfermer dans une pensée étiologique. Extraordinaire. Il faut récuser l’idée d’un lien étiologique direct entre un symptôme particulier et le sens inconscient. La question n’est pas de passer de l’organique au psychique mais de voir qu’il n’existe pas de rapport étiologique, qu’il n’y a pas de rapport de cause à effet direct, bien plutôt que tout symptôme hystérique ne peut se produire sans une certaine convenance somatique qui se manifeste par un processus normal ou pathologique dans ou sur organe du corps. Donc maintenant, il va faire la différence. Si un processus organique ne se produit qu’une seule fois, on n’a pas de symptôme hystérique, dans le cas de convenance, c’est à dire de rencontre entre lui et un sens psychique inconscient, s’il y a eu cette rencontre, il devient capable de répétition et à ce moment là, on a un symptôme hystérique. Donc je répète, car pour moi, c’était un passage qui n’était pas clair… et on a travaillé longtemps sur ce passage j’espère que c’est plus clair pour vous aussi maintenant.
Tout symptôme hystérique ne peut se produire sans une certaine convenance somatique, -laisse tomber la complaisance- qui se manifeste par un processus normal ou pathologique dans ou sur un organe du corps. Si un processus organique ne se produit qu’une seule fois, on n’est pas dans un processus pathologique, dans le cas de convenance, c’est à dire de rencontre entre lui et un sens psychique inconscient, il devient capable de répétition en tant que symptôme hystérique. Moi, je trouve ça très très fort quand même !
Michel : tu peux répéter la première phrase ?
Marc : Oui ! IL veut sortir du piège médical. Tout symptôme hystérique ne peut se produire sans une certaine convenance somatique qui se manifeste par un processus normal ou pathologique dans ou sur un organe du corps. Si ce processus organique ne se produit qu’une seule fois, dans le cas de convenance, c’est à dire de rencontre entre lui et un sens psychique inconscient, il devient capable de répétition et on peut parler de symptôme hystérique. Ce sens psychique qui lui est associé (entgegenkommen) peut varier dans chaque cas selon la nature des pensées réprimées qui luttent pour s’exprimer. Superbe ! C’est fort ! On est avec lui, là, on est avec Sigmund ! Il ne nous lâche pas ! Il m’émerveille ! Ce sens psychique qui lui est associé peut varier dans chaque cas ! (tousse) oh la la… on ne va pas se laisser prendre… ta toux, ma chérie, ton angine, …prends ce susucre… oh la la, ce n’est pas si simple ! mais bien sûr, il y a une rencontre, une convenance somatique… oui… et quand cette convenance somatique est capable de se répéter… vous savez, vous connaissez l’œuvre, … si vous ne connaissez pas, moi je vais déprimer, l’œuvre la plus importante dans Études des pathogénèses de Von Weizsäcker, c’était sur l’angine. L’angine comme scène de la vie humaine dans tous ses rapports. Et quand ça se répète, sous tous ses rapports, on est dans quelque chose de pathologique. Pas simplement d’une angine comme une lésion organique mais entgegenkommen, d’une rencontre qui parle là. Et c’est magnifique ce texte sur l’angine.
Ce sens psychique qui lui est associé peut varier dans chaque cas selon la nature des pensées réprimées qui luttent pour s’exprimer. Ainsi Freud, dans ce texte de Dora, opère un passage décisif d’une recherche des causes à celle du sens. C’est là ! ce passage là ! les symptômes deviennent les signifiants de certains signifiés sans que le rapport ne soit univoque ni transportable d’un cas à l’autre.
Michel : c’est une écriture personnelle !
Marc : oui, c’est une écriture personnelle, oui, je savais que tu allais hurler…
Sylvie : il ne hurle pas !
Marc : tu n’as pas besoin de le défendre… non, non il est très gentil… Freud essaye de le dire dans la pensée de Freud…
Michel : Chacun dit dans son monde
Marc : oui, chacun dit dans son monde. Mais par exemple, je ne peux pas dire la signifiance. On ne trouve jamais chez Freud un mot allemand qu’on peut traduire par quelque chose qui cherche à être signifié. Il y a le mot deutung, qui veut dire quelque chose qui appelle à être signifié. Bedeutung, c’est la signification. Deutung qui appelle à être signifié et pas interprété.
Michel : Lacan traduit ça par la mantique.
Marc : La quoi ?
Michel : la mantique
Marc : jamais entendu ! ça veut dire quoi ?
Michel : le devinement.
Marc : Le devinement ? Non ! Ici ? Le symptôme devient le signifiant de certain signifié, le symptôme exprime dans un langage, c’est à dire pour Freud, de quelque chose qui s’adresse à l’autre et que je peux saisir, de quelque chose qui est en dessous… c’est ça qu’on appelle la mantique ? Non ?
Michel : La mantique
Julien : Lacan parle d’une intrigue raffinée
Marc : Oui, oui… mais c’est pris dans tout son système de penser la structure du langage avec les deux axes. Mais Freud ne parle pas comme ça. C’est pour ça que c’est difficile pour moi quand on parle de l’hystérie… Là, vous l’avez votre Lacan…
Julien : au début tu as cité une phrase de Lacan…
Marc : Hein ? Non, c’est quand pour la première fois Lacan parle de Dora et qu’il va se figer sur le transfert de Freud, il va prendre Dora dans la dialectique intersubjective. C’est génial Lacan quand il dit que Freud a repéré que la femme était un objet de troc. C’est génial d’avoir pu lire ça dans le texte même de Freud.
Michel : on peut dire un mot sur la Deutung ?
Marc : Deutung, oui… on peut traduire par quelque chose qui appelle à être… signifié, lu… interprété, c’est déjà trop !
Michel : mais il me semble que cela a beaucoup à voir avec ce que j’appelle la fonction scribe.
Marc : oui, absolument. Deutung. Oui, oui… quand on discutait avec mon papa, avec Oury, quand on discutait, il disait que deutung avait à voir avec la fonction scribe. Absolument. Cet appel à. Mais ici, sur la convenance somatique, il ne parle pas de deutung, il parle de ce que le symptôme exprime, qu’il essaye de se battre pour pouvoir s’exprimer …
Michel : il y a un appel
Marc : il y a un appel de sens psychique. Mais c’est tout, il ne l’interprète pas.
Michel : oui, c’est autre chose. Ça dépend ce que l’on entend par interprétation. Si on l’entend au sens habituel du terme, c’est à dire au sens où les psychanalystes l’utilisent, évidemment ça ne va pas. La fonction scribe, c’est ce que j’appelle l’interprétation. C’est ça l’interprétation. C’est le fait de mettre quelque chose qui demande à être interprété. C’est ce que Tosquelles appelle la connerie. C’est à dire que c’est quelque chose qui surgit à un moment donné, quelque chose qui convient, parce que cela ne convient pas dit Tosquelles, ce n’est pas convenable. Cela vient avec. Donc, à ce moment là, on est vraiment dans la fonction scribe.
Marc : Mais, toi deutung veut dire aussi quelque chose qui va m’éclairer… deutlich
Michel : Oui… traumdeutung, c’est quand même ça.
Marc : eeuuuh… traumdeutung a été traduit par Interprétation des rêves. Mais, on va en reparler… quand il va interpréter le premier rêve, il va arriver avec ce qu’il utilisait beaucoup dans l’interprétation des rêves, des interprétations symboliques. Par exemple, la boite à bijoux veut dire… les organes génitaux féminins…tout le bastringue là… Noon ! Freud il veut s’en aller de là ! en disant qu’il n’a jamais écrit Traumbedeutung. Interpréter ne veut pas dire pour moi éclairer… pas du tout… c’est un appel à quelque chose qui va essayer d’exprimer… et pas éclairer…
Michel : Lacan avait proposé de traduire Traumdeutung par La mantique du rêve.
Marc : La mantique ?
Michel : oui, ce mot, la mantique.
Marc : mais qu’est ce que c’est que ça ? ça me dépasse ! ça me dépasse ! Je ne connais pas le mot.
Michel : c’est l’acte de la pythie.
Marc : la quoi ? Je ne sais pas ce que c’est la pythie…
Public : mais enfin ! La pythie… La pythie de Delphes ! Enfin…
Allez on s’arrête là !
Michel : j’ai autre chose !
Marc : tu sais, dans Traumdeutung. Justement, pour nous expliquer le mot le plus simple : deut. C’est le mot qu’on retrouve dans deutch. Qui veut dire allemand. Donc il dit : je veux sortir de toute une tradition qui va du devinement, il y a des prêtres dans les temples qui vont deviner les rêves, hein ? qui vont donner un sens à un rêve. Il y a dans les rêves la clé des songes. Freud dit bien qu’il n’y a pas de clé de songes.
Michel : c’est pour ça que je disais tout à l’heure qu’il y a une langue personnelle.
Marc : oui, c’est deut.
Michel : c’est pour ça que, ce qui est très intéressant, c’est quand Freud parle de la fabrique du symptôme. Quand ça convient une fois, alors ça devient répétable. Ça, c’est très intéressant car c’est écrit exactement comme ça chez Pierce quand il parle du représentement.
Marc : répétable
Michel : oui, répétable. Le représentement, c’est quelque chose qui est répétable. Donc, on va dire que c’est la fabrique du représentement. C’est pour ça que je parle de la fonction scribe. C’est à dire que ce qui est à interpréter. Cela ne veut pas dire que cela te donne l’interprétation.
Marc : c’est ce qui appelle à…
Michel : Piierce appelle ça un interprétant avec un d.
Marc : oui, j’ai vu ça dans ton livre ! ça j’avais compris.
Michel : c’est ça la fonction scribe. C’est de fabriquer des interprétants.
Marc : Dans deutung, deut c’est l’allemand, Freud utilise la deut, la langue populaire que tout le monde parle. Il dit je sors de toutes les interprétations des rêves depuis le début de l’histoire, dans les temples, dans les oracles, dans les clés des songes, dans le texte que Lacan a beaucoup commenté le texte de S… sur les symboles des rêves, un catalogue pour déchiffrer le rêve et que le patient puisse continuer à parler.
Michel : c’est le rêve de l’esperanto
Marc : peut-être. Freud dit que son défi est que le rêve puisse être expliqué à tout le monde, qu’il puisse être inscrit dans le langage de tous les jours. Il donne l’exemple avec le deuxième rêve de Dora dans lequel elle rêve qu’elle doit sortir de la maison. Donc il va travailler avec les mots de tous les jours, entrer-sortir, et c’est comme ça que les rêves s’expliquent. Freud à un certain moment ne fait pas bien la différence entre décrire et expliquer, et il va expliquer en décrivant. Donc, c’est une autre logique. C’est une autre épistémologie. Et Von Weizsäcker dit que Freud se trompe. Mais, quand il inscrit dans le langage de tout le monde, ça prend sens. C’est ça pour lui Traumdeutung. Est-ce que ça correspond avec ta triade ?
Michel : la triade, c’est autre chose. Ce qui est remarquable, ce sont toutes tes réflexions sur donner et reprocher. J’ai beaucoup aimé ça, car c’est sur les verbes triadiques. Et on voit comment il y a toute une tendance à dyadiciser les verbes triadiques. Quand par exemple on met le même sujet des deux côtés, on appelle ça en mathématiques faire dégénérer une relation. Faire dégénérer une relation triadique en relation dyadique. Je reproche quelque chose à quelqu’un. Et bien, si le quelqu’un est le je, on a dégénéré la relation !
Marc : Oui, oui, c’est ça ! C’est ça. C’est ça où il est piégé Freud avec Dora ! Qu’il a repris dans deuil et mélancolie, bien sûr.
Michel : mais tu dis bien que c’était très créatif puisque cela a lancé la question de l’identification. C’est une erreur toute en finesse.
Marc : oui, c’est extraordinaire. Dégénérer sur la personne. C’est bien dit…
Michel : il y a encore autre chose. C’est sur la question de la tessère.
Marc : oui, j’ai compris, enfin c’est un peu prétentieux, mais dans Création et Schizophrénie quand Oury va commenter le séminaire sur le cas Aimé en utilisant le terme de tessère…
Michel : la tessère, c’est très intéressant parce que quand tu as abordé la question de convenance, c’est vraiment bien, parce que le terme de complaisance, je n’ai jamais trouvé ça clair…
Marc : Merci ! On te donnera une statue sur la place Vendôme !
Michel : Je fais gaffe, parce que le plug anal… rires
Marc : Non, à la place ! à la place ! Enfin, un français qui dit que ce terme ne lui va pas !
Michel : ce qui est intéressant là-dedans, c’est qu’on voit bien que c’est toute la question de l’écriture. Par exemple, moi j’ai des difficultés à écrire et je ne peux pas me relire. Cela veut dire que cela ne me convient pas. On voit bien que le texte qui s’écrit, c’est quelque chose qui doit convenir à celui qui vient, d’une certaine façon, un appel psychique…
Public : une rencontre…
Michel : cette fameuse rencontre qui n’est possible que si cela convient.
Marc Medevielle : Oui, mais en même temps, je trouve que le terme convenance est ambigu.
Public : Oui, il y a deux sens. La convenance. C’est convenu…
Marc : si tu prends l’étymologie, con-venir, venir à la rencontre…
Public : c’est toujours mieux que la complaisance où il y a plaisir
Michel : la seule chose qui justifierait le plaisir, c’est que c’est le plus court chemin.
M.M. : en même temps, ce qui m’a frappé, enfin, je ne suis pas germanophone, mais entgegenkommen, c’est aller à la rencontre, alors que convenir c’est quand même aller dans le même sens.
Marc : mais venir à la rencontre, ça veut bien dire aller contre quelque chose… ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel.
M.M. : alors pourquoi ne pas dire rencontre plutôt que convenance
Michel : on devrait inventer le mot ‘encontre’
M.M. : moi je ne trouve pas trop de différence entre complaisance et convenance.
D’ailleurs convenience en anglais, ça veut dire quoi ?
Marc : que ça convient. Oui, le très bel exemple de l’écriture quand on ne peut pas se relire. Voilà. Ça vient contre. Je ne peux pas relire mon texte. Dans le train, j’ai lu un livre, c’est un belge diplomate, j’ai oublié son nom, qui a été le premier à critiquer ce qui se passait en chine. Et donc il a été exclu par les intellectuels français, etc., etc. il a été le premier à dénoncer Mao et à dire non, non, non. Il a écrit un livre juste avant sa mort de préfaces. Cet après midi, j’ai lu ce qu’il écrit sur Nabokov et il dit qu’il corrigeait tout le temps ses écrits, tout le temps. Et sa femme lui demandait de ne plus rien toucher. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Et il expliquait dans ce livre qu’il avait du tomber malade pour avoir pour effet de n’être plus capable de se relire pour ne plus se corriger. Il dit qu’il y a beaucoup d’écrivains qui ont tué la force de leur texte en les corrigeant.
Laurence : on s’arrête là pour ce soir?
Samedi matin :
Marc : Allez, on y va.
Après qu’il ait organisé cette rencontre entre l’organique et le psychique, ça a du le travailler très fort, en 1923, il rajoute une note p 30- il est fatigué- la convenance somatique réalise la condition la plus économique à un certain conflit psychique. La névrose est une manière de faire le ménage psychique. Haushalt.
Laurence : le bénéfice ?
Marc : non, c’est faux. C’est faux. Non, haushalt c’est le ménage.
Laurence : Le fait de devenir malade épargne tout d’abord un effort. Il est donc au point de vue économique la solution la plus commode dans un conflit psychique.
Marc : voilà. Quand on le lit en allemand il y a des passages entre des phrases qui sont importants, tandis qu’en français, comme je lis aussi très vite… par exemple il est donc au point de vue… en allemand, donc est très important pour faire le lien entre les phrases.
Georges : Tu peux reprendre sur le ménage, Marc ?
Marc : La névrose est une manière de faire le ménage psychique. C’est ça qu’il dit. Il résume. Il est fatigué. C’est la première fois qu’il va vraiment utiliser le sens de cette dimension économique dans le psychique
Gaël : économique, pas au sens où on gagne quelque chose ?
Marc : non ! Dans le sens étymologique du terme où économique veut dire economos, maison. Nomos veut dire le principe régulateur qu’on a à notre disposition pour faire le ménage.
Louise : avec le moins d’effort ?
Marc : Ben, je ne sais pas comment vous faites le ménage. Ça peut demander énormément d’effort, parfois ça fait des fuites, on divorce, je ne sais pas, on ne mange plus…
Julien : et si on ne fait plus le ménage, ça veut dire qu’on est hystérique ?
Public : rires
Marc : oh, vous m’emmerdez ! Là, hier soir vous étiez fatigués, déprimés et ce matin vous êtes excités.
Georges : c’est l’anagramme de manège.
Marc : ah ben voilà, hier on ne l’a pas entendu notre copain, il était déprimé et maintenant, le voilà ! Bravo ! Il est là ! Youpi ! (Rires) Tu ne dois pas rougir.
Public : Mais où était Georges hier ?
Marc : Il continue un peu sur le général. P32. Il est, je pense, fatigué de son premier chapitre. Quand il remarque qu’il existe côte à côte -et cela avait frappé Michel hier soir-, dans l’histoire des reproches qui sont concentrés sur la personne quand il remarque qu’il existe côte à côte : comme les accusations de Dora sur son père se continuaient avec une fatigante monotonie et que la toux…, il en tire l’hypothèse que ce symptôme de la toux s’inscrit également dans la relation de Dora à son père. Donc il dit que deux versants somatiques sont à distinguer : l’incarnation du symptôme dans le phénomène de la toux et la monotonie répétitive et fatigante de ses reproches à son père. Ces deux versants montrent que le symptôme recèle une valeur intersubjective – qui était la thématique de Lacan dans son premier commentaire- et que ce symptôme s’adresse à une ou plusieurs personnes. Et alors, cela amène Freud à formuler une règle qu’il va ériger en principe pour tous ces types de tableaux cliniques –p33-: un symptôme signifie la représentation c’est à dire la réalisation d’un fantasme à contenu sexuel selon une règle que j’ai toujours trouvée confirmée par mon expérience mais que je n’avais pas eu le courage d’ériger en règle générale.
Alors, pour éclairer un peu, c’est un peu à partir de la difficulté de traduire, parce qu’il utilise le mot darstellung. Représentation, on peut le traduire par deux mots : darstellung ou vorstellung. Quelle est la différence ? Ce matin, tu m’as dit de faire du théâtre. On y est ! Le mot darstellung renvoie à la représentation théâtrale incarnée avec un aspect de monstration spectaculaire. Et dans l’hystérie, le fantasme sexuel est réalisé, mis en scène dans le corps et le corps devient le théâtre. Mais représentation veut dire aussi dans le sens classique, vorstellung. C’est à dire une représentation comme un atome, un élément de la vie psychique.
Michel : wort ? Cela a à voir avec la signification mot ?
Marc : non, vor. Pas w. Mais vorstellung veut dire représentation de mots. Mais ici, il utilise darstellung. Il faut faire attention en allemand quand il utilise le mot vorstellung ou darstellung. C’est la même traduction en français, mais ça ne veut pas dire la même chose. C’est pour ça que j’insiste.
Georges : alors la traduction de vorstellung par représentance…
Marc : ils ont trouvé des mots terribles pour traduire. Le représentant représentatif. Le drapeau est représentant d’un pays. On va mettre le drapeau et on va faire le cirque autour. Le 11 novembre… c’est pour ça que Lacan avait essayé de mettre le mot vorstellung pour parler de réminiscences en disant que l’hystérique vit avec un monument commémoratif. Et hop, on met le drapeau, pas du pays mais du phallus ou pas de phallus.
Il continue. Il est prudent Freud, moi j’aime bien. Très prudent. Avec ce fantasme à contenu sexuel mis sur la scène du corps, il met tout de suite en garde son lecteur. Il vit avec son lecteur, c’est rigolo quand même. Si le lecteur est choqué, ou qu’il éprouve de l’horreur, il convient de le traiter dans un style direct et clair. La manière de parler de ça est la manière sèche et directe. Elle est la plus éloignée de la lubricité avec laquelle ces sujets sont traités dans la ‘société’, lubricité à laquelle les femmes et les jeunes filles sont très bien habituées. Je donne aux organes et aux phénomènes leurs noms techniques et je communique ces noms dans les cas où ils sont inconnus. Et il dit en français « j’appelle un chat un chat »… et plus loin « pour faire une omelette, il faut casser des œufs ». Dans la bouche de Freud, quand même ! (Rires) je trouve ça étonnant !
Public : pourquoi ? Il parle bien de ménage
Marc : je ne croyais pas qu’il pouvait penser à la cuisine
Georges : C’est en français ?
Marc : oooh. Arrête de m’emmerder.
Il faut rompre la conspiration du silence, il ne faut pas de lubricité secrète et surtout, il faut vivre dans les sensations de ce qui se passe. Un travail technique analytique est un travail contactuel mais n’est pas un travail paroxysmal. On ne doit pas être dans les sentiments. On doit être dans les sensations, on doit être en contact avec ce qui se passe, il faut situer la personne dans son paysage, il faut suivre où elle en est, dans sa stature, dans sa posture, mais n’allez pas regarder dans son intérieur au niveau de ses sentiments. Non ! Pas de sentiments. C’est ça qu’il veut dire. Il ne dit pas qu’il faut être froid comme un monument où il n’y a que la main qui bouge et qui dit « donne moi tes sous ».
Donc, il poursuit et il arrive à sa formule célèbre. J’ai été frappé comment à partir d’un conseil de présence, pas de tralala, il dit il faut rompre avec le moralisme. A cette époque, dans cette bourgeoisie décadente de Vienne, on va le dimanche à la messe, les névroses dit-il, -c’est un passage extrêmement important où on voit que la psychanalyse n’est pas différente de la psychiatrie, p35-36-, les névroses ont un arrière fond fantasmatique inconscient commun avec les pervers. Ainsi, les forces motrices pulsionnelles du symptôme névrotique relèvent des motions perverses inconscientes. Les psychonévroses sont le négatif des perversions. C’est la clé ! C’est à partir de là qu’on a pu construire l’anthropopsychiatrie. Les névroses sont le négatif des perversions comme les psychoses sont le positif des psychopathies. Donc la phrase chez Freud, toute cette dialectique pour construire cette anthropopsychiatrie qui ne pense qu’à des rapports entre ! Il va l’articuler pour l’hystérie. Ces forces pulsionnelles constituent le déplacement symptomatique d’une zone érogène à l’autre où on l’y repère l’importance de l’oralité. Et il appelle ce déplacement la convenance somatique. Et il va donner l’exemple clé du texte de Dora, la scène théâtrale absolue : Dora, de manière répétitive, se revoit suçant son pouce gauche et tiraillant de la main droite l’oreille de son frère. La scène de darstellung, de représentation théâtrale absolue. Une telle situation a préparé dans la sphère orale, -venez à La Borde, il y a plein de gens qui se baladent, pas seulement le matin, toute la journée, avec un sac à main, une assiette… c’est très intéressant- c’est très important pour faire le diagnostic, comment on peut être présent pour une personne. L’idée est de préparer dans la sphère orale l’émergence ultérieure des symptômes qui sont liés à cette zone. Il résume ce petit chapitre en disant qu’à l’aspect de cette convenance somatique, se rajoute un aspect intersubjectif ‘tiraillant l’oreille de son frère ‘. Et à la page 38, juste avant de faire l’analyse du premier rêve, il rajoute,- et souvent on ne fait pas attention à ce passage, exceptée Pankow qui a tiré de ce passage un exemple pour faire la distinction entre névrose hystérique et psychose hystérique. Il évoque Wernicke puis ensuite il parle d’un train de pensées surpuissantes, renforcées, survalorisées qui obsèdent Dora concernant la relation de son père avec Mme K. Pourquoi ne peut-elle pas arrêter de ?... elle veut s’en débarrasser de ces pensées…
Je vous conseille un texte d’Oury – chacun fait son deuil comme il peut- dans Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle : Le corps dans la phénoménologie de la sphère dépressive. Il n’est pas facile ce texte. Il date de 1972-73. A la fois c’est en pleine élaboration de Schotte qui travaille à ce moment là le contact, et Oury va mettre au niveau clinique un tas de séminaires de Lacan et il donne l’exemple de quelqu’un qui essaye de lutter contre des idées qui lui viennent et qui s’imposent à lui et qui essaye de se débarrasser de ces idées. Mais il n’y arrive pas, il n’y arrive pas… Je me sens comme mort dans mon lit. L’idée s’impose que je vais mourir comme le Christ parce que c’est l’époque des Rameaux ou de Pâques, etc. et donc Oury donne un petit peu d’Haldol et les idées disparaissent un peu, et c’est un texte magnifique pour suivre au niveau clinique à quel moment on donne un peu de médicament, à quel moment le malade peut lui même augmenter son traitement sans avoir besoin de venir en consultation. Ce qui est le plus classique, c’est que la personne arrête les médicaments. Donc c’est un texte magnifique sur quelqu’un qui est obsédé par des pensées dont il n’arrive pas à se débarrasser. C’est quelque chose de quotidien dans notre métier. Et dans l’hystérie, on a aussi ces moments-là. Ce n’est pas parce qu’on est névrotique qu’on ne peut pas être obsédé par des pensées et ce n’est pas nécessairement psychotique. Freud dit que c’est un équivalent mineur de l’idée délirante. Et il dit ça au sens de Wernicke. Dora s’emploie, et elle lutte cette petite, à s’en débarrasser mais c’est impossible. Et là, superbe ! Ce qui rend ces pensées pathologiques c’est leur prévalence envahissante et non pas leur contenu. Ces pensées la possèdent. Et là, on est sur cette frontière, cette marge est très petite entre quelque chose de délirant ou pas. Freud, il est mignon, il ne sait plus quoi faire avec ça, en 1901, si on n’a guère de prise sur elles (ces pensées qui nous obsèdent) c’est qu’elles viennent de l’inconscient. On n’a pas de prise ! c’est à dire soit qu’elles plongent directement leurs racines dans le matériel refoulé (les rapports entre son père et madame K), soit qu’une autre pensée inconsciente de sens contraire, superbe, se dissimule derrière l’idée prévalente de l’écran refoulant. Il y a peut-être les deux. Plus tard, il utilisera le terme de contre-investissement.
Michel : c’est lié au fait qu’il n’y a pas de contradiction dans l’inconscient.
Marc : oui, c’est rigolo que tu le dises, car à la fin du texte il va parler du temps.
L’hypothèse de Freud sera d’abord que Dora refoule à travers ses accusations contre son père des souhaits incestueux le visant. D’où, dit-il, -mais il est trop logique, il a quitté les petits détails, mais il va y revenir-, d’où sa connivence jalouse avec les autres femmes que sont madame K, la gouvernante, et au delà sa mère. Mais au delà de cette hypothèse, il dit qu’il n’est pas trop content avec cette construction œdipienne. Un peu facile. Dans Dora, Lacan il a bien vu que l’œdipe, ça commence à bouger, c’est un mythe, un mythe nécessaire pour penser, pour continuer à penser pour Freud. Mais au delà de cette hypothèse, il subodore que toute l’histoire d’amour de nature hétérosexuelle et de jalousie entre femmes dissimule chez Dora des élans d’un amour homosexuel pour Mme K. Il en parle quand même. Mais pas beaucoup. Le mot… gynécophile. Cette tendance gynécophile de la patiente…
Laurence : ah, il dit inclination homosexuelle
Marc : cette tendance gynécophile de la patiente est typique de la vie d’amour inconsciente de l’hystérique qu’il va reprendre dans un texte de 1908 sur la nature bisexuelle de l’hystérie- et les reproches que la jeune fille fait à son père de ses relations avec Madame K sont le produit d’une jalousie inversée. Dora n’est pas tant troublée que Mme K lui prenne son père que par l’inverse. Et il donne un exemple, c’est la manière dont elle parle de Mme K. et ça, c’était la clé pour Lacan. Dans son deuxième texte sur Dora. Tout construire sur la thématique de l’hystérique retrouvé en long en large et en travers dans la fameuse revue dont je vous ai parlé hier : qu’est ce que c’est que le mystère de la femme ? Qu’est ce que c’est l’homme pour la femme et qu’est ce que c’est la femme pour l’homme ? Et voilà ! On est partis pour une pièce de théâtre. Freud ne se laisse pas trop emporter. Qu’on se rapporte à la manière dont Dora parle de Mme K : la blancheur ravissante de son corps de femme…
Laurence : éblouissante
Marc : hein ? Certainement ma chérie que ça t’intéresse. Le mot exact, justement dans ce passage là ! Prend tes autres lunettes, tu as 4 paires à la maison.
Public : rires
Marc : ne vous moquez pas de vos amis ! rires
La blancheur ravissante de son corps de femme qui la fascine plus que tout. Elle n’est pas dans l’admiration mais dans la fascination et cela va l’immobiliser.
Public : ravissante ! c’est marqué dans le texte ! p 44
Marc : mais oui, ravissante ! elle a le droit de se tromper ! (rires)
Georges : avec qui ?
Marc : arrête ! Ne l’écoute pas. C’est des conneries.
Georges : ce ne sont pas des conneries…
Marc : C’est pour avoir trop méconnu les tendances gynécophiles de Dora en prenant au contraire une place du côté des hommes avec lesquels la jeune-fille s’expliquait – ça c’est de Lacan – que Freud allait tomber de son piédestal, celui là même sur lequel il avait tenté de réinstaller ces hommes pour elle.
C’était ça sa manière de construire. Quand il va lui laisser la possibilité de construire activement sa vie en parlant mais il y a une lutte car lui aussi, il veut montrer aussi à travers elle ses constructions. Que ça reste toujours sa place comme troc entre les hommes et les femmes.
Bon, allez, on continue. Premier rêve. P47. Je traverse le texte. Quel est son problème ?
Laurence : je lis le rêve ? C’est très court !
Marc : Non ! non ! On a dit hier soir que ceux qui ne l’avaient pas lu pouvaient le lire cette nuit.
Rires.
Laurence : 4 lignes
Louise : il n’est pas long.
Marc : Non ! non non. Rires ! Il est extrêmement long. Ce n’est pas le contenu du rêve. Non. Tu es éblouissante mais non ! Rires. C’est notre présidente et elle veut que tout le monde soit bien, que vous n’ayez pas à penser, que vous pouvez suivre comme un fleuve tranquille. Et bien non ! rires
Georges : Tu nous feras une interrogation écrite ?
Rires
Marc : quelle est sa question ? C’est notre travail ! Comment insérer une analyse d’un rêve dans le décours de la cure et livrer la clé de l’hystérie. Sinon, ce n’est pas la peine. On peut aller dans un magasin, comme on disait hier soir, pour interpréter tes rêves. Ce qui nous intéresse c’est comment Freud travaille et notamment -et ça m’avait frappé-, l’invitation à Dora. Il n’est plus dans cette opposition. Il change un peu. Il l’invite. Il l’appelle à. Est ce que mademoiselle vous pouvez faire attention aux résonnances des expressions que vous utilisez ? Superbe ! Moi je m’en fous des substantifs que vous utilisez, je m’intéresse aux tonalités. Et il prend à travers tout le texte du premier rêve, une phrase. Il peut se passer quelque chose la nuit qui fasse que je doive sortir. Et cela va résonner chez elle. Le reste, pfff. Elle raconte ce qui lui vient, mais ça ne résonne pas sauf cette phrase là. Freud relève la pluralité des sens possibles que véhicule chaque expression de Dora. Ces mots ambigus. C’est dans une note. Ces mots ambigus... ces mots ambigus sont comme des aiguillages… wechsel… pour le décours des associations- il utilise le langage de chemin de fer- cela lui permet de s’opposer… wechsel c’est le substantif en mouvement. Cela lui permet pour la première fois de s’opposer… dans ces mots d’aiguillage…
Geneviève : aiguille !
Georges : en français, il y a une expression, le chemin des aiguilles. Les filles, quand elles font leur trousseau, elles vont coudre et cela s’appelle le chemin des aiguilles.
Marc : mais lui dit que cela vient de la terminologie des chemins de fer
Georges : des chemins du faire.
Marc : ah oui, le chemin du faire. D’accord.
Georges : ce sont des jeunes filles. Des adolescentes. Le chemin des aiguilles. Elles se piquent, il y a du sang. C’est l’initiation sexuelle.
Marc : ah ben voilà, on est partis ! Ce n’est pas ça qu’il veut dire.
Georges : oui, j’ai compris… mais le chemin des aiguilles
Marc : Cela lui permet en travaillant le terme d’aiguillage de s’opposer aux interprétations symboliques thématisées dans Traumdeutung et on va voir dans le deuxième rêve qu’il va les utiliser quand cela s’immobilise, quand Dora n’arrive plus à associer, à utiliser les mots comme ça. Ça n’existait pas à l’époque le Szondi pour relancer un processus. C’est vrai, tu m’avais dit encore hier que pour un patient qui était bloqué, hop, on fait un Szondi et ça relance. C’est vrai. Ça se confirme tout le temps. Et là, Freud n’avait pas encore ça. La boite. De Szondi. Qu’est ce qu’il va trouver ? Il utilisait encore un peu les interprétations symboliques, il donne l’exemple de la boite à bijoux qui représente, au sens de darstellung, les organes génitaux féminins. Et quand les associations manquent, quand ça ne vient plus, quand elle ne parle plus, on peut toujours se référer aux mêmes thèmes, la différence des sexes, le rapport entre les générations, le rapport au corps en tant qu’il est vecteur de la naissance, de la vie et de la mort, donc il y a une liste et il va suggérer ça et hop, ça la redémarre. Il commence à se méfier de l’interprétation symbolique des rêves. Il commence à se méfier de cette tactique, de cette séduction. Au départ il était un peu intrépide à les proposer, puis elles lui apparurent arbitraires et elles lui rappellent la clé des songes, ce catalogue de sens symboliques à octroyer aux images oniriques. Donc, Freud ne fait plus appel au symbolique pour interpréter mais aux associations.
On peut offrir et recevoir, on peut échanger, on peut prêter. Par le biais des noms d’actions. Ce n’est plus un symbole, c’est une reprise. C’est bien trouvé quand même. C’est à dire quelque chose autour de quoi on fait plusieurs choses. Le véritable mot aiguillage ou aiguilles, je ne sais pas…
Michel : les aiguilles et la reprise ça va très bien ensemble.
Marc : AAAAh ! Oui !!! Est ce qu’on peut dire « les mots aiguillent ? »
Georges : Mais évidemment qu’on peut le dire ! bien sûr qu’ils aiguillent les mots ! Enfin….il est temps ! on aurait déjà fini…
Rires
Marc : ces mots qui aiguillent, qui font le pont entre diverses situations, sont les verbes et pas les substantifs. Ce qui est essentiel dans une phrase est ce qui est dit et qui s’exprime dans le verbe, plutôt que ce dont on parle. C’est pourquoi il invite Dora à être attentive aux résonnances de ce qui se dit. Cette idée là va trouver un prolongement dans la psychanalyse existentielle et dans la dasein analyse de Binswanger, concept de directions de sens dans la paire de contraste de mots : pour le contact, le contraste entre la levée du jour et la tombée de la nuit, aussi dans la montée/la chute, gauche/droite, l’étendue/le rétrécissement, etc. toutes ces paires de contraste qu’il va utiliser pour analyser un rêve. Donc ce texte célèbre de Binswanger Traum und existenz, le rêve et l’existence, où pour la première fois il va approcher les rêves par les verbes qui vont se trouver en opposition de contrastes. Moi, j’aime beaucoup ça. Chez Freud, les paires contrastées comportent ce mot des aiguilles…Rires
Il invite à écouter attentivement les résonnances, les mots et les interprétations avec ce qu’il a invité à associer pour se débarrasser petit à petit tout ce qu’il avait fait sur l’interprétation symbolique.
Deuxièmement, le rêve est un souhait, un wunsch, pas un désir, un souhait représenté, c’est à dire dramatiquement mis en scène. Mais il y a plus et ça c’est une idée qu’il rajoute. Il est en plein boulot. Comme tu disais hier soir, quel génie ce type, et en plus rigoureux, tout le temps au travail comme ça, oui, c’est vrai. Il y a plus, ce souhait plonge ses racines dans l’inconscient -c’est là où il utilise le mot- car les seuls restes diurnes ne sauraient fournir les forces nécessaires au travail du rêve. Le sens du rêve n’est pas cognitif, n’est pas mental. Le sens du rêve se retrouve dans des vœux inconscients dramatiquement représentés. Il donne un exemple : le projet, la crainte, le souhait de Dora de s’en aller, je vous rappelle la phrase il peut qu’il se passe quelque chose la nuit qui fait que je doive sortir, le projet, la crainte, le souhait de s’en aller pour échapper aux avances de M. K sont des restes de matériel diurne préconscients. Freud dit qu’ils ne possèdent pas la force. Le projet, la crainte, le souhait sont des choses raisonnées, pour se faire comprendre, pour faire comprendre à l’analyste, tout ce qui est raisonnable dans le fil des associations mais ne sont pas suffisantes pour produire du rêve. Il faut en même temps une participation d’un souhait inconscient qui plonge ses racines dans la vie sexuelle infantile. Cette double genèse du rêve constitue les forces du Traumdeutung. Derrière le projet de fuir les avances de M.K se cache le souhait inconscient de se rapprocher du papa pour l’appeler à l’aide. « Aide moi à fuir de M.K. » en arrive ainsi à pointer cet arrière fond œdipien, mais il tombe lui-même dans la galerie des figures masculines avec lesquelles Dora rivalise. C’est un peu le noyau de ce premier rêve. D’autres thèmes filent vite : à travers le symptômes présentés, il suit la trame des identifications de Dora aux uns et aux autres. Puis il relève dans son histoire une phase d’énurésie, si fréquente dans les névroses. Cette énurésie a un sens sexuel recouvrant la sexualité infantile, la sexualité masturbatoire. Il fait le lien entre le symptôme d’énurésie et la masturbation. Après, et ça c’est très beau, il part comme un détective – là il est écrivain- à la recherche de preuves, par indices – c’est le mot qu’il utilise- pour arracher un secret. Ce avec quoi il avait commencé dans la préface. Puis il y a un passage célèbre p57 –on demande à tous les parano et tous les sensibles un peu paranoïdes de quitter la pièce, c’est rigolo, comme je suis un peu parano, je me suis dit qu’il ne fallait pas que je lise cette phrase, parce que tout ce que j’ai voulu cacher tout petit, ça va se découvrir…- il dit, c’est superbe, Qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, va se persuader que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. La trahison les presse par tous les pores. (rires) Et cette allure de détective, cette psychologie de démasquage accomplit la tâche de révéler l’inconscient par l’analyse de la sexualité infantile nécessaire pour le travail du rêve. Et dans le contexte de cette phrase qu’aucun mortel ne peut cacher aucun secret, que tôt ou tard, ça se démasque, Freud réinsiste sur la valeur expressive des symptômes hystériques. Ça, Szondi a beaucoup aimé. Freud va reprendre ce passage dans un texte de 1909 sur l’attaque hystérique. Considérations générales sur l’attaque hystérique. Ces symptômes représentent des morceaux expressifs d’acte de coït qui font référence à la scène primitive qu’évoquent ces propos : il peut se passer la nuit quelque chose qui fasse que je doive sortir. C’est ça quand il l’invite à être attentive aux résonnances des expressions qu’elle utilise. Et si elle est attentive, si elle a cette capacité de participation, du p-, - car si Szondi dit que pour faire une analyse il faut du p+- mais si il y a du p+, ça veut dire qu’en arrière fond il y a du p-, qui veut dire que je participe à, si je ne participe pas, ce n’est pas la peine, si je n’ai pas la capacité à être attentive à ces expressions qui peuvent mener jusqu’à cette phrase où il va trouver pour la première fois un des fantasmes originaires, la scène primitive.
Après, il reprend, et là, je vais hurler. Je ne vais pas le faire, mais j’ai envie. Et je vous remercie d’avoir pu retravailler Dora. Je vais hurler. Il reprend, -p60-, Je devrais d’ailleurs commencer par sérier –première grande erreur de traduction- les questions. Au lieu de me prononcer par oui ou par non quand il s’agit de savoir si l’étiologie de ce cas doit être recherchée dans la masturbation infantile, il me faudrait tout d’abord discuter la conception de l’étiologie dans les psychonévroses. En répondant, je me placerais à un point de vue tout différent de cela de la question, ce qui serait peu satisfaisant.
C’est un crime d’avoir traduit comme ça. Quand on reprend le texte allemand. Au tout début, c’est traduit par je devrais sérier les questions, alors qu’en fait on devrait lire je devrais rectifier la position de la question. C’est ça la traduction correcte. C’est dégueulasse pour Freud d’avoir traduit ça ainsi. Oury disait souvent le mal qu’on a fait à la psychanalyse par les mauvaises traductions. Il y a dans la traduction ensuite à la fin du passage : ce qui serait peu satisfaisant. Mais pas du tout ! Ce n’est pas dans le texte ! On lui fait dire ça à propos de sa rectification. En lui faisant dire un jugement dépressif sur sa propre réflexivité ! Et on met ce jugement sous sa plume. Mais c’est très grave de faire ça. D’où ça vient ? Ce n’est pas sérieux vis à vis de Sigmund quand même !
Michel : tu peux nous relire les deux phrases, la traduction de Marie Bonaparte et la tienne ?
Marc :
Je devrais d’ailleurs commencer par sérier les questions. Au lieu de me prononcer par oui ou par non quand il s’agit de savoir si l’étiologie de ce cas doit être recherchée dans la masturbation infantile, il me faudrait tout d’abord discuter la conception de l’étiologie dans les psychonévroses. En répondant, je me placerais à un point de vue tout différent de celui de la question, ce qui serait peu satisfaisant. …
Je devrais rectifier la position de la question. Au lieu de me prononcer par oui ou par non quand il s’agit de savoir si l’étiologie de ce cas doit être recherchée dans la masturbation infantile, il me faudrait tout d’abord discuter la conception de l’étiologie dans les psychonévroses. En répondant, je me placerais à un point de vue tout différent de celui de la question. Et il n’y a rien de plus. Rien !écrire ce qui serait peu satisfaisant est une incise inexistante dans le texte de Freud.
Ce à quoi Freud aspire, c’est un changement de point de vue, c’est à dire abandonner l’idée médicale de cause. Mais il rajoute quelque chose ici, et il a reconnu dans Civilisation de la culture que si on se met à la recherche de cause, il donne raison à Nietzsche, ça donne une véritable théorie de la névrose, c’est à dire une culpabilisation. On recherche le coupable. Quand on parle des causes, on recherche des coupables, sous forme d’enquêtes accusatrices.
Georges : des responsables ?
Marc : des responsables même ! les parents, moi-même, etc. Nietzche dit que c’est ça la théorie des névroses, chercher le coupable. Freud transforme la façon de poser la question. Ce n’est plus l’étiologie mais la pathogenèse. Par exemple, autour de la masturbation. Ce n’est pas la cause ! Il ne dit pas ça. On peut le lire facilement comme ça. C’est pour ça qu’il faut travailler les textes. Mais la masturbation joue peut-être un rôle dans le devenir malade dans la névrose, dans la mise en forme, dans la gestaltung. Les symptômes sont solidaires les uns des autres. Mais, là on a l’impression, aah, la masturbation est importante, aaah, est ce qu’il y a eu de la masturbation… ah oui, quand il était petit, il n’arrêtait pas de se masturber… et bien voilà, c’est ça….On peut encore parfois raisonner comme ça… qui ne le fait pas ? Il ne faut pas lever le doigt. Bien plus important est la théorie de la séduction à cette époque qui ne peut pas s’inscrire dans une logique étiologique. Pas comme cause. La séduction continue à jouer un rôle mais elle change de statut. Il pose la question autrement. Il rectifie, et non pas sérier la question. La séduction va trouver une place dans les fantasmes originaires. C’est en se risquant lui-même qu’il a fait ce passage de la séduction réalisée à la séduction fantasmatique. Ce dont Freud s’était aperçu pour abandonner sa théorie de la séduction comme facteur étiologique des névroses, c’est que les hystériques ne lui avaient pas seulement raconté des histoires, mais qu’elles l’avaient également séduit avec ces histoires. C’est superbe. La séduction se joue là. Et lui, le pauvre bonhomme, il va se défendre contre ce qui vient là et c’est plus tard qu’il va utiliser la notion de fantasme originaire pour essayer de manier plus ou moins bien le transfert. Notamment en psychothérapie et en psychanalyse, la séduction joue nécessairement toujours.
Deuxième rêve. Donc, on avait dit hier soir que Freud avait invité Dora avec les mots, alors elle s’active. Elle s’active tellement que dans le deuxième rêve, c’est le style de mitrailler Freud avec des questions. Elle pose des questions et se pose des questions. C’est quelque chose qui est inhérent au processus de la cure. Freud est génial. Il s’y arrête. Qu’est ce que c’est que ce changement dans le discours ? Il s’arrête à l’action même de poser des questions. Cette action, ce drame en grec, se condense dans le rêve. Un homme offre à Dora de l’accompagner. Elle refuse et préfère suivre son chemin seule. Le thème des questions, sur deux ou trois pages, aboutit aux identifications hystériques en repérant comment Dora dans le rêve, reprend le comportement d’un de ses amis auquel elle s’apparente à travers une identification. On appelle ça l’identification virile chez l’hystérique. Le but électif de cette identification est la rencontre de la femme. Et Lacan prend ce passage pour déboucher son commentaire sur la question de savoir ce que signifie pour Dora être un homme ou une femme. Freud dit simplement que le jeune homme est le pôle identificatoire qui détermine cette prise de position de Dora, position à partir de laquelle Dora poursuit des buts plus ou moins occultes pour elle même. Qu’est ce qu’elle va chercher par là ? Se mettre dans la position d’un homme en étant une femme ? Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la psychanalyse, c’est Jean Florence qui le dit, il lie un concept fondamental de la psychanalyse à la clinique. Tout simple, l’identification. Vraiment tout simple. Vous copiez qui ? Pour sortir, comme le disait Michel hier soir, cette dégénérescence de la personne, pour sortir de là, et ici, quand une personne parle d’une autre, elle parle d’elle même à travers l’autre. C’est tout bête. Ils ont tellement compliqué ce concept qu’on a oublié la base très simple. Quand on parle de quelqu’un d’autre, on parle de soi-même. Donc vous pouvez rayer ce mot difficile, identification. C’est pour ça qu’il dit que ce qui compte c’est ce qui s’exprime au lieu de ce dont on parle. Parce que sinon, on ne peut pas avancer. Mais, c’est dans notre connerie d’exister qu’on parle de l’autre.
Après, deuxième grand chapitre dans le deuxième rêve, l’analyse de trois fantasmes ou fantaisies. C’est encore un problème de traduction. La vengeance, la défloration et l’accouchement. Ces trois. P 73. En allemand, on a le mot phantasie. En français on a la traduction fantaisie ou fantasme. Quelle est la différence ? C’est énorme. Dans fantaisie, on accentue le caractère subjectif et processif du phénomène. Et dans fantasme, on accentue beaucoup plus l’aspect de produit du phénomène, ce que ça produit, le résultat, l’aspect de l’objet a dit Lacan. On trouve ça aussi dans l’étymologie. Dans la construction d’un mot. Par exemple, moi j’aime bien, on trouve ça dans la langue grecque, quand il y a une terminaison en grec sis ou ma. Par exemple, Poïesis, en sis et Poïma en ma. La poésie, on met l’accent sur le caractère subjectif et processif tandis que Poïma sur le produit. La poésie produit un poème. Et bien, cette distinction en grec du sis et du ma se retrouve en allemand entre fantaisie et fantasme. Donc pour Freud, quand il parle de fantaisie, par exemple quand il va commenter les contes fantastiques, comme Edgard Poe, ou Hoffmann, on est dans la fantaisie, mais par contre on est dans le fantasme quand on est dans le fantasme de vengeance contre le père, en rêvant qu’il est mort, elle le tue. Et Freud, dit aah, ça rejoint la logique causaliste, que quelqu’un de mort a été tué. Ce qu’on observe chez les enfants… génial… 4-5 ans… un animal… ouais… il est mort ! De froid ? Mais si personne ne l’a sauvé, c’est qu’on l’a tué quand même… donc ça commence à bouger, mais est ce qu’il est mort parce qu’on l’a tué ou est ce qu’on peut mourir comme ça ? Et Freud qui n’est pas trop fort avec les petits, avec le petit Hans, hop, il l’a foutu avec le phallus, mais bon, c’était exagéré quand même, et donc on a du attendre des gens qui aimaient bien les petits et qu’on peut mourir pour le plaisir de mourir quand même. Et comme ça, vous allez un peu vous occuper de moi… le grand-père il peut mourir quand même… ça suffit de ce grand-père complètement nul… allez, qu’il meure…
Donc, ce fantasme de vengeance. Et puis, juste après, il parle de zaruht, la passion de vengeance, la maniacalité de la vengeance, ne pas pouvoir arrêter d’être pris par la vengeance, cette passion de vengeance, ce qu’il appelle la maladie de vengeance. C’est juste après. Quelques lignes après. Entre le fantasme et la passion de vengeance. Appétit à se venger. Tout court, digne d’une maladie, d’une passion. Et Szondi avait pris cette phrase. Il avait bien lu Freud quand même, à sa manière. Cette maladie de vengeance, c’est plutôt une action, c’est quelque chose que je ne peux pas arrêter de faire, sur n’importe qui ou quoi. C’est un radical pulsionnel de l’être humain. Cette maniacalité. Qui peut se traduire dans le toxique, dans la vengeance, dans n’importe quoi. Et voilà. Et Freud, honnête comme il est, il pointe là son propre ressentiment vengeur. En deçà de son envie à lui d’interrompre l’analyse, il va définir comme un ingrédient important dans toute hystérie, cette tendance passionnelle de vengeance. C’est Szondi qui va le mettre à l’extrême comme un radical pulsionnel. Comme quelque chose en chacun de nous. Et que cela a joué pour lui aussi. Ah, vous n’allez pas me suivre. Et bien, vous n’avez qu’à partir. En accord mutuel, on s’arrête là. Ce ressentiment vengeur.
Le deuxième fantasme, c’est le fantasme de défloration. On arrive à nouveau dans une géographie sexuelle symbolique. P74. Tous ces trucs, la gare, le cimetière, en faisant intervenir les nymphes au fond d’une forêt épaisse, aucun doute n’était plus permis. C’était là de la géographie sexuelle symbolique. Ça veut dire quoi ? Si Freud arrive à voir dans la gare, le cimetière, un vestibule et tous ces mots des symboles d’organes génitaux, c’est via l’analyse d’un contexte linguistique de jeux de mots qui sert de support à l’interprétation symbolique, il retombe un peu là dans l’interprétation symbolique, dans le fantasme de défloration. Ce dernier vient en écho sur son interrogation de sa propre féminité, cette scène de la contemplation de la madone. Qu’il va reprendre plusieurs fois dans son texte.
Michel : en allemand, qu’est ce que ça donne ?
Marc : Madonna, Madonna. C’est le même mot qu’en flamand. Madona.
Michel : est ce qu’li peut se décomposer ce mot en allemand ?
Georges : en unités signifiantes
Marc : je réfléchis… Madonna… Maradona, oui. rires. Je ne sais pas. C’est une jeune maman. C’est une maman, si vous êtes allés à Bruges, si vous n’y êtes pas allés, on peut y aller tous ensemble en bus, la madone à l’enfant de Michel-Ange… c’est magnifique. Il faut voir ça une fois dans ta vie.
Michel : d’où vient le mot ?
Marc : tu as regardé dans ton dictionnaire célèbre ?
Brouhaha
Marc c’est une jeune femme, une conception avec un homme, non…
Michel : dona c’est la femme.
Marc : Madonna, c’est la dame. Freud ne s’arrête pas à ça.
Michel : dans la langue de l’amour courtois, c’est la dame.
Georges : ah, c’est là où tu veux en venir, c’est l’amour homosexuel. Allez, finis Marc
Marc : attend, attend… quand elle arrive dans cette ville. Devant la madone Sixtine, elle demeura deux heures en admiration, recueillie et rêveuse. Quand je lui demandai ce que lui avait tant plu dans ce tableau, elle répondit d’une façon confuse. Enfin elle dit : « la Madone. » Il est certain que ces associations appartiennent bien au matériel constituant le rêve. Elles contiennent des éléments que nous retrouvons sans modifications dans le contenu du rêve. (Dora refusa et alla toute seule- deux heures) Je remarque déjà que les « images » correspondent à un point de fonction dans la trame des idées du rêve (les images de l’album- les tableaux à Dresde). J’aimerais aussi faire ressortir le thème de la Madone, de la mère-vierge.
Michel : La Madone, c’était l’être aimé dans l’amour courtois.
Julien : Madona chante « Like a virgin »
Georges : ce sera le mot de la fin.
Louise : faim
Marc : Non, non, non. Encore un quart d’heure. Il faut qu’on soit correct. Pour tous ceux qui sont venus et qui ne sont pas allés au théâtre.
Dans l’analyse de ce second rêve, il démontre ces processus de condensation et d’identification. Il va reprendre cette triade à travers l’analyse du rêve. P78 en note. C’est une longue note. C’est ce passage là qui a été très important pour Lacan. Rappelons le rapprochement que Lacan fait entre le travail du rêve, déplacement et condensation, et les deux grands axes du langage introduit par Jacobson dans la linguistique avec les concepts de la rhétorique antique de métaphore et de métonymie.
Simplement. Un exemple. Boire une tasse. Cette expression est métonymique dans le sens de « une tasse de café » ou alors métaphorique quand on est dans la piscine en train de s’étrangler en avalant de l’eau. -Bon, on est un peu comme à l’école, c’est un peu didactique, c’est nul, mais après vous affinez les choses le lundi chez Michel… comme hier soir, ça m’a beaucoup plus hier soir- Si le travail de métonymie, c’est d’utiliser un autre mot, par exemple tasse, pour dire la même chose, le café, prenant la partie pour le tout, boire une tasse, par la métaphore, qui veut dire métaphore-transporter, le locuteur transporte un mot qui demeure le même, -et toute la question c’est qu’est ce que c’est le même-, d’un domaine à un autre de telle sorte que ce même mot en vienne à dire toute autre chose. Et alors Freud se demande ce que ça veut dire pour le travail du rêve. Car lui, il n’est pas du tout linguiste. Pas du tout. Et pour lui, il n’est pas du tout sûr que la structure du langage va permettre de découvrir l’inconscient. Non, mais il fait quand même quelque chose d’énorme. Au fil des associations, Dora parle, l’analysant commence par métonymiser en produisant des chaines associatives, une partie pour le tout, mais celles-ci le font repasser par le même point. Point de capiton plus tard. Par un même mot qui ainsi revient et par là peut dire autre chose, de telle sorte que des points de métaphorisation, transportés dans un autre contexte, apparaissent dans le tissu métonymique, la partie pour le tout. Donc, la chaine métonymique se forme dans une série de manière pour dire la même chose. Le point de métaphorisation, de condensation fait qu’un seul et même mot en arrive à dire plusieurs choses. Et bien, dès qu’il y a discours, dit-il, dès qu’on est dans cet art de parler, ces deux processus constitutifs de tout langage, condenser et déplacer, se mettent à interférer, à aiguiller…
Michel : oui, ça marche très bien l’aiguillage. On est toujours sur le même rail, et arrivés à un aiguillage…
Marc : Ouais ! Une lutte fratricide. OOOOui ! (Rires). Les hommes disent les mêmes choses à l’aide de différents mots et à l’aide de ces mots ils réussissent aussi à dire des choses nouvelles. Comment on peut dire ça ? Qu’est ce qui nous permet de dire des choses aussi bêtes ? parce qu’il y a des gens qui sont touchés, très forts, et là, on a le principe de l’anthropopsychiatrie à travers la méthode de la patho-analyse qu’on peut, à travers les gens qui souffrent dans cette zone là, qu’on peut diriger les choses en principe existentiel. Bête. Les hommes disent les mêmes choses à l’aide de différents mots et à l’aide de ces mots, les mêmes, ont réussi aussi à dire des choses nouvelles. Parce qu’il y a une pathologie de cela. Et c’était un des premiers textes de Freud que Roland Kuhn a traduit et sur lequel on a beaucoup travaillé. Les deux grands types d’aphasie : le malade ne parvient plus à dire à travers trop de mots. Et le deuxième type, le malade essaye de tout dire à l’aide d’un seul mot.
A la fin du texte, c’est sur le temps je le fais un tout petit peu et après, je te jure, j’arrête. P 76. La question des temps. J’aime beaucoup ce passage. Si cet après midi, vous pouviez le mettre en scène et ce soir on ferait un spectacle sur le temps… rires… il développe trois genres de temps. Le temps cosmologique, le temps de la nature mais dans le sens du cosmos qui a été jusqu’à Freud, réfléchi dans les labos des physiciens et qui a été inscrit dans la biologie, dans le sens classique du terme, par Fliess, qu’il va appeler les temps périodiques, et cela a été très fort pour Freud, Fliess l’a inspiré longtemps et il l’a transformé à regret, quand même. Il y a le temps individuel, la manière dont chaque individu vit personnellement le temps, et il y a l’intemporalité constitutive qui ne s’inscrit ni dans le temps individuel, ni dans le temps cosmologique, et qui est le temps de l’inconscient. Et c’est la première fois qu’il le dit. Je trouve ça très beau comment il se débrouille ici et comment il essaie de se mettre à la marge de Fliess. Le temps n’est indifférent à rien à certains fonctionnements biologiques. On va certainement trouver dans le fonctionnement organique le temps cosmologique. Le temps cyclique de l’homme et de la femme. Le temps des 28 jours, de 21 jours, le temps périodique des divers intervalles de temps dans les champs de la biologie.
Le temps individuel, cette propriété de l’être existentiel qui va introduire un autre temps que le temps global, cosmique et que l’on va retrouver dans la distinction de tous les jours… surtout dans une cure… r vous à 11h. Il arrive à 11h moins quart… Trop tôt ! (Rires) Ou alors, trop tard… Von Weizsäcker va reprendre ça. La différence entre le temps cosmique et le temps individuel, c’est le trop tôt, trop tard. Dans Dora, qu’est ce qu’il fait ? Freud ne reprend pas les idées périodiques de Fliess, il découvre avec l’art de l’interprétation le temps de l’intervalle. L’intervalle de temps. P 76. J’aime bien ce passage. … Vous n’avez que le lire… ce qui avait mené Dora à son appendicite jusqu’à la scène du lac. Réponse : 9 mois. Ce qui permet à Freud d’inférer le fantasme de l’accouchement. Il arrive à ce troisième fantasme par l’intermédiaire du temps. L’accouchement. Du coup, la prétendue appendicite se rattache à la signification inconsciente d’un accouchement. Et la gêne éprouvée lors de la marche, elle traine la jambe, à celle d’un faux-pas commis. Un faux-pas sexuel fantasmé à partir de son rapport à M.K. Cette scène là. Très bien écrit. Je trouve que c’est un des passages les mieux écrits. La séquelle qui consistait à trainer la jambe, séquelle s’accordant si peu avec une pérityphlite, devait plutôt se rapporter à la signification secrète, probablement sexuelle, du tableau clinique et pouvait, par conséquent, si l’on réussissait à en éclaircir l’origine, projeter de la lumière sur la signification recherchée. Etc. il se trouve donc conforté dans l’idée que les symptômes hystériques ont toujours une valeur sexuelle. A chaque fois que j’ai construit quelque chose, j’arrive là-dessus. Et il conclut p77 : qu’on ne peut prendre de pareils symptômes que lorsqu’on en possède un modèle infantile. Amen
Dans l’épilogue, il y a Freud, pas comme neurologue, mais qui dit qu’il faut tenir compte des phénomènes biologiques, tu peux faire une psychothérapie avec quelqu’un qui a un trauma neurologique, mais il faut en tenir compte.
Deuxièmement, il dit que le psychanalyste doit être psychopathologiste. Il reprend avec force que la sexualité est la force motrice de chaque symptôme. Et troisièmement, il annonce que le travail qu’il doit faire avec toutes ses oppositions avec Dora a à voir avec ce qu’il appelle le transfert. Amen. Stop.Cliquer ici pour modifier.
Elne, le 31 Octobre 2014
Marc Ledoux : Bon, je suis désolé, je ne dis pas que j’étais angoissé, ce n’est pas la question, mais Laurence avait proposé que je parle de l’hystérie, et il y a tellement de choses sur l’hystérie que moi, j’ai proposé de commenter Dora. Donc, je vais rester sur Dora, sur Freud. Je suis désolé si vous ne l’avez pas lu. Je l’ai préparé et je l’ai écrit parce que quand on travaille sur un texte, je dois me retenir pour ne pas partir… oups !
Public : ah non ! Pas de lecture ! Laisse toi aller !
Marc : ah, non ! Laisse moi ! J’ai préparé ! Et Michel m’a dit qu’il aimait entendre l’allemand. Donc, je me suis permis de penser que vous alliez vous acheter les œuvres de Freud en allemand. Et je vais donc faire le texte allemand et en même temps l’édition française Cinq psychanalyses traduit par Marie Bonaparte.
Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ? De toutes façons, vous n’avez pas le choix (rires). Si vous voulez la lecture freudienne ou lacanienne ou je ne sais pas quoi sur l’hystérie, qu’est ce que c’est une femme, qu’est ce que c’est un homme, qu’est ce que c’est l’amour, et tout ça et tout ça dans la question sur l’hystérie, c’est certain, et bien vous pouvez prendre ce truc, c’est bien, c’est dans Figures de la psychanalyse chez Érès, sur l’hystérie… ils sont tous là-dedans. Gérard Pommier, Alain Vannier, Jacques Sédat et tout ça, L’hystérie et la question du père, l’hystérie dans l’air du temps, Folie et hystérie virile, La jouissance négativement phallique, L’hystérie masculine, Ma fille est hystérique, voilà pour les psychanalystes purs et durs, vous prenez ce bouquin là, chez Érès.
Sylvie Arbiol-Pous : Fais-nous du Ledoux !
ML : Voilà, je prends donc Dora. Ça m’a fait du bien de retravailler Dora, de redécouvrir le génie de Freud. Purement lui. Dans sa manière de penser, dans l’évolution de sa pensée, son écriture, etc. Bon, ça m’a fait plaisir. Alors, en allemand, ça s’appelle Bruchstück einer Hysterieanalyse, et bruchstück ça veut dire fragment. Il l’a écrit en 1901, il n’a pas osé le publier tout de suite et il dira pourquoi, il a attendu trois ans et demi, jusqu’en 1905. Donc, je vais suivre le texte et donner des commentaires.
Donc, la préface. Il insiste sur le thème du secret, Geheimnis, relayé par le mot intimitate. Il appelle ça intimité de la vie psychosexuelle. Dans un cas d’hystérie, il y a toujours quelque chose d’énigmatique, de secret que l’analyse doit mettre au jour et le thème de secret se prolonge dans les idées de caché, de cachotteries, de manque de franchise, dit Freud. Szondi va reprendre ça avec le hy+ et surtout le hy-. Ce secret est aussi un secret pour les malades qui savent sans savoir. Ça, c’est déjà un thème qu’on retrouve chez les post freudiens et chez les lacaniens…on n’a pas fini… Ce secret fait partie de l’essence des troubles névrotiques et Freud s’attend à ce que sa présentation et sa conception de ce cas et de l’hystérie en général vont provoquer chez les lecteurs de l’étonnement ou de la résistance. Il nous avertit… je vais parler de la vie sexuelle, ne soyez pas trop étonné. Il s’excuse d’avoir à dévoiler de telles intimités concernant la vie sexuelle de la patiente, mais –p6 ce qui m’importait était de démontrer la détermination et la structure intime du devenir malade. Donc, il y a la maladie krankheit, il y a le malade, die kranke et, ça c’est nouveau, le devenir malade, erkrankung. Donc, le préfixe er. Freud utilise un langage de tous les jours, que tout le monde parle. C’était sa force aussi. L’idée d’un processus, -er-, qui aboutit à un état morbide. Ce qui compte pour lui, ce n’est pas la maladie mais le processus qui mène à. Donc, c’est lui qui en 1901, juste après Traumdeutung, fait le passage de maladie à malade, puis à l’être malade. Et on retrouve ça dans la correspondance entre Von Weizsäcker et Freud, où Von Weizsäcker félicite Freud d’avoir si tôt mis l’accent sur le mot erkrankung qui renvoie à l’idée de pathogénèse. C’est ça qui est génial chez Freud, et on le voit bien, il va essayer de quitter la maladie et la recherche d’une cause, d’une étiologie, il essaye de sortir de la cause pour la remplacer par l’idée de pathogénèse dans ce que la maladie a quelque chose d’englobant pour l’existence de la personne. Donc dans le texte de Dora, il y a un déplacement de la maladie névrotique à devenir malade névrotiquement. Il essaye de se sortir de l’idée qu’il y aurait une cause dans le cerveau, ou dans la psychologie ou la sociologie, ou de n’importe quoi. Donc, le processus et pas l’étiologie.
Ce qui l’intéresse c’est la construction intime de la maladie, ce qui est en train de prendre forme. Il dit intime. En allemand intimitate, c’est le superlatif d’interne. Donc ce qui est le plus interne possible. Freud s’insinue dans le registre qui s’étend du mystère à la mystification, thème classique, dans le devenir malade hystérique. Il dit que le mystère demeure en se donnant en pleine lumière, la mystification consiste à rendre mystérieux par le secret, par le caché, par les cachotteries. L’hystérie, dit-il, participe pleinement du mystère et de la mystification. A la fin de la préface, il dit que le chemin qu’il va essayer de suivre c’est d’aller de l’intimité qui fait l’objet des cachotteries à la structure interne mystérieuse du devenir hystérique. C’est ça qu’il veut faire. Et il rajoute dans le dernier paragraphe de la préface une seule histoire de malade ne peut apprendre à connaître ni tous les types de devenir malade, ni toutes les mises en forme de névroses, ni toutes les espèces de cohésion qui existent dans l’hystérie entre le somatique et le psychique. Donc il dit qu’il ne peut pas faire de conclusions générales à partir d’un cas. Et il utilise le mot, et c’est superbe, gestaltung. Les mises en forme, le thème si cher à Von Weizsäcker, si cher à Maldiney, si cher à Oury… on ne parle pas de gestalt mais de gestaltung ! La mise en forme. Le processus de formation. Freud ne cherche pas la cause, mais le mouvement de causation… c’est bon ça en français?
Laurence : causalité ?
Marc : non ! Justement ! Ah ben voilà ! C’est typiquement français. Substantiver un mouvement. Et vous pouvez parler pendant vingt millions d’années… Non ! Le mouvement de… ce qui est là comme un élément déclenchant…
Sylvie : Et on a le droit de prendre un mot comme ça ?
Marc : Mais oui !
Michel : Mais, c’est un mot français !
Marc : Merci Michel. Le mouvement de causation. La nosologie se conçoit chez Freud à partir de tous ces vocables, er, erkrankung, re, et ?… indiquant le caractère processuel. Et à la fin du dernier paragraphe de la préface, il annonce que la technique psychanalytique a fait l’expérience d’une révolution ou d’un bouleversement fondamental depuis les études sur l’hystérie qu’il avait écrites avec Breuer. Il laisse maintenant au malade l’initiative de déterminer le thème du travail journalier. Le paradoxe de la psychologie profonde, c’est qu’elle choisit de partir de la surface, telle qu’elle est…
Michel : un moment. Tu dis la psychologie profonde. Quand on voit la traduction ‘psychologie des profondeurs’, c’est absurde.
Marc : oui, ce n’est pas pareil. Psychologie profonde. Donc Freud note ce paradoxe. On parle de psychologie profonde et on part de la surface. La nouvelle technique des associations libres est dit-il la seule qui puisse pénétrer dans la très fine structure de la névrose. Elle laisse les matériaux survenir dans un désordre dont il conviendra de reconstruire l’ordre secret, il donne d’ailleurs un exemple extraordinaire, de tout ce désordre, et comment il va essayer de trouver une structure là-dedans. Le travail de l’écoute psychanalytique rassemble les rapports de cohésion qui relient secrètement les éléments d’un matériel présenté en ordre dispersé.
Jusqu’à la fin, dans toute son œuvre, le terme zusammenhänge est un concept clé. Si on le traduit texto : ce qui pend, hängen, ensemble, zusammen, ce qui tient ensemble. C’est une notion extrêmement importante dans son œuvre. Et cette notion-là, je l’ai fait un peu comme ça, ce n’est pas par prétention, mais pour ne pas répéter ce qui a déjà été dit ailleurs. Donc, le thème, zusammenhänge, le rapport de cohésion est corrélatif à celui de construction aufbau. On utilise le mot structure, construction.
Le devenir malade a sa cohérence propre. Les symptômes sont solidaires les uns des autres. Il n’y a pas de symptômes plus importants que d’autres. C’est une bonne leçon pour nous ! Je trouve ça extrêmement actuel ! Donc les symptômes sont solidaires à travers des rapports de cohésion secrets que l’analyse doit dénouer. C’est d’ailleurs l’étymologie du mot analyse. Du grec, luo, lusis, dénouer, délier. Et c’est pour ça qu’il va comparer le travail d’analyse avec celui d’un archéologue. Il reconstitue et reconstruit en intégrant l’authentique et en y donnant une part essentielle du travail. L’idée de reconstruction double déjà ici l’idée d’interprétation qui est déjà fort importante à cette époque, en 1905. Quand il va publier le cas Dora, il a rajouté des trucs qui vont combiner le mot construction avec interprétation. Dans Dora, Freud cherche à jeter un pont entre sa conception actuelle, ses anciens écrits sur les psychonévroses de défense et son livre « l’interprétation des rêves ». Dora est à chaque fois à un carrefour, même au niveau de la technique analytique. Le texte de Dora s’appuie sur l’interprétation de deux rêves. Il y a un thème qui sera très important plus tard, le thème de transfert, mais dans Dora, ce n’est qu’à la fin qu’il en parle un tout petit peu, en fait il choisit de ne pas en parler. C’est pour ça que j’ai dû faire attention de ne pas mélanger avec le commentaire de Lacan. Bien sûr que Lacan a commenté de manière magistrale le cas Dora, mais d’emblée il a traité le problème du transfert de Freud sur Dora. Tandis que Freud ne peut pas encore l’articuler. Il ne peut pas ! Il le dit très bien ! C’est pour ça que le traitement fut écourté au point de demeurer un fragment, Bruchstück. C’est magnifiquement trouvé de sa part ! Il n’a pas pu continuer ! Il n’a pas pu travailler le transfert. Il savait bien qu’il y avait quelque chose là, mais il n’a pas pu. Donc, c’est pour ça qu’il appelle ça fragment et pas analyse comme dans le cas de l’homme aux loups ou l’homme aux rats. Il ne peut pas tout faire quand même… Voilà, ça c’était la préface.
Maintenant, l’état de maladie. Il dit, et j’adoooore (rires) : ne vous irritez pas de ce que les malades ne savent pas raconter concrètement leur histoire, dans la mesure où les lacunes prouvent qu’ils souffrent d’une pathologie névrotique. Alors, moi, je me suis dis, Marc, tu ne vas pas commencer à devenir maniaque et dire voilà, quand vous commencez une analyse, il faut raconter votre anamnèse, non, non… je ne vais pas faire ça. La reconstitution de l’histoire, c’est le traitement. Superbe ! Moi, j’aime bien. Cet état lacunaire des souvenirs qui se rapporte à l’histoire de la maladie est le corrélat obligé de la constitution des symptômes.
Et après, ça m’a frappé la façon dont il fait l’anamnèse familiale. Il fait ressortir les rapports humains et sociaux entre les personnes du contexte familial. Par exemple, il ne va pas demander comment s’est passée la naissance, bon, je caricature… non, non, non ! Il va simplement marquer, noter, écouter, quand Dora parle des rapports des personnes entre elle. Par exemple l’importance du père dominant. Ça, on connaît. C’est lui qui amène sa fille chez Freud. Et Freud est honnête. Il dit bien combien il est resté prisonnier de son propre rapport préliminaire au père de sa patiente. La rupture s’annonce déjà, comme l’a souligné Lacan. Freud dit qu’il y a un problème.
Laurence : peut-être qu’on peut dire pour ceux qui ne l’ont pas lu comment Freud avait rencontré le père ?
Marc : Bof… Vas y, raconte…
Laurence : le père avait vu Freud plusieurs années avant pour des troubles que personne n’arrivait à guérir et Freud diagnostiqua une syphilis et lui avait donné un traitement qui avait permis la guérison.
Marc : Oui, c’est ça. C’est tout. Et lui, le père amène ensuite sa fille.
Freud dit qu’il essaye de construire son texte de manière à ce que le lecteur puisse saisir après coup les points où ça n’a pas marché, où il était en défaut. Il laisse les lecteurs questionner son texte pour lui dire « ah ça ne marche pas ». Il dit bien qu’il était trop pris et il laisse une lacune dans sa propre construction du texte pour que le lecteur puisse voir où il était en défaut. En clinique, ça il le reprend dans le texte de 1908, il faut toujours faire attention à la manière dont les patients sont introduits ou introduisent le traitement. Dora n’était pas motivée et elle ne jugeait aucun médecin digne de la soigner, ça, cela a été souligné des millions de fois, et chez toutes les hystériques, elles vont essayer de trouver la faille, la lacune… Freud dit elle fit échouer le traitement. Par exemple, je pense à un texte de Oury, sur l’hypochondrie, où cette dimension où le médecin n’est pas digne de le soigner est présente à ciel ouvert. Dans l’hystérie comme névrose, c’est présent mais en secret. Elle ne le sait pas. Mais dans l’hypochondrie où il y a la dimension psychotique, le rapport entre le médecin et le patient est vraiment constitué là-dessus. Et ces patients vont voir dix milles thérapeutes et personne ne peut les soigner et ils vont même produire un délire des organes ! C’était un superbe texte d’Oury qu’on retrouve dans L’apport freudien…
Au fil de l’anamnèse, p13 dans le texte, Freud rapporte comment Dora lui avait raconté,-et là il utilise un mot génial-, je le dis en français, comment Dora lui avait raconté avec une intention symbolisante, comment son frère commençait les maladies infectieuses de l’enfance à un niveau léger, et comme elle même le suivait avec présentation de phénomènes graves. L’expression ‘intention symbolisante’ vise, et ça va revenir souvent, vise le double sens pris par les paroles de la patiente. Pour ce qui concerne les maladies et pour bien d’autres choses sans doute, le frère commençait et elle suivait. Tout est déjà là ! Dès le début ! Quand il fait une sorte de mise au point de ses rapports personnels et sociaux. Dora trahit ici le type de ses rapports à l’homme. Il ne parle pas encore de l’identification. Et c’est superbe ! Comment il apporte les choses, il apporte ce désordre pour amener quelque chose qui a à voir avec l’identification. Mais pas encore ! Loin de là ! C’est ça que je trouve génial.
Ce rapport à l’homme, tout cela débouche sur une remarque de Freud, p14, L’histoire que je raconte ici semble, somme toute, ne pas mériter d’être publiée… Petite hystérie* en français… en référence à la grande école de l’époque, Charcot. Freud ne va pas prendre les grands problèmes de l’hystérie, les grands spectacles des hystériques de Charcot, mais les cas les plus simples et les plus fréquents. C’est pour ça qu’il dit que cela ne mérite pas d’être publié. Il se demande si cela va prendre… Il était fasciné, c’est certain… il avait découvert chez Charcot que l’œil était très important, le spectacle… mais pour lui, ce n’est pas ça. Les grands problèmes sont secrets, sont intimes. Ce qui l’intéresse, ce sont les cas les plus simples, les plus fréquents. Et Schotte m’avait dit à l’époque : on peut paraphraser avec Freud et on peut le mettre dans la même lignée que Joyce quand il dit que l’écrivain doit laisser l’extraordinaire au journaliste. Le grand écrivain doit essayer d’écrire les choses les plus simples.
Donc, voilà. Puis à partir de la page 15, il va introduire une triade de notions.
La première notion est celle de trauma psychique qu’il va reprendre pour la critiquer. Il se donne au lecteur qui peut découvrir où ça n’a pas marché. -Qui le fait maintenant ?... Hein ?-est ce que le traumatisme constitue le point de rattachement de la dernière mise en forme de la maladie? Freud dénonce l’insuffisance de la théorie traumatique pour la compréhension de la névrose hystérique. L’incident avec M. K, c’est à dire la déclaration suivie d’un affront, eh bien cet incident à l’époque aurait fait office de trauma. Mais Freud dit que cela ne suffit pas. Non ! Cela ne suffit pas pour rendre compte de la formation de la maladie dans le détail. Il le dit très bien. P 17. Le trauma est inapte à éclaircir la particularité des symptômes. La notion de traumatisme pour Freud ne fournit pas une explication qui rende compte de la spécificité des symptômes considérés dans les détails. Il ne va jamais s’arrêter à examiner les détails. Cette notion de trauma a des connotations causalistes massives, « ah, ça y est, on a trouvé… c’est l’histoire avec M.K ». Il insiste pour dire que l’analyse doit cerner la moindre spécificité dans ses moindres particularités. C’est ça le travail d’analyse. Même chez Dora, et c’est superbe, Freud décrit quelque chose qu’il va reprendre à la fin du texte, et on voit d’ailleurs que Lacan est un superbe lecteur de Freud dans ce petit détail… donc Freud dit Même chez Dora, une analyse plus affinée aurait fait connaître une vegeistigung, une spiritualisation bien plus poussée des détails de la maladie. L’esprit et le mot d’esprit. Avec beaucoup d’humour. Les détails ont une structure spirituelle analogue à celle que l’on découvre par l’analyse des mots d’esprit. Pour Lacan, c’était important. Pour Lacan, les trois textes les plus importants de Freud étaient La psychopathologie de la vie quotidienne qui se lit à travers le mot d’esprit, Der witz, mot intraduisible mais qui a été traduit par Le mot d’esprit. Les blagues… le texte Der witz, ce sont des blagues… et c’est superbement relevé par Lacan.
La deuxième notion est l’interversion des affects. Verkehrung P 18. Éclaircir le mécanisme de cette interversion de l’affect reste une tâche des plus importantes et en même temps des plus difficiles de la psychologie des névroses. Conflit des affects… Verkehrung ou plutôt si on fait une traduction texto : perversion de l’affect. Retournement marqué par une certaine note péjorative.
Ce retournement de l’affect, cette perversion de l’affect se rattache à la troisième notion, griffenheit, le saisissement de la sphère sexuelle. On est saisi. Pas au sens instrumental. Saisi.
Laurence : on peut dire un mot maintenant de l’histoire concrète ?
Marc : Pour les gens qui ne l’ont pas lu ? Non ! Qu’ils se débrouillent !
Marc : au lieu d’éprouver du plaisir, il y a du dégoût et du déplaisir à l’égard du sexuel. Il dit, et je trouve ça parlant : ce mécanisme psychique de la perversion de l’affect suffit à lui seul pour parler d’hystérie. Les symptômes somatiques ne sont pas nécessaires. Ça aussi, cela a été quelque chose d’important pour Lacan quand il va essayer de trouver un mathème, quand il va mettre dans les 4 discours, le discours hystérique. C’est à dire que pour parler d’hystérie, on n’a pas besoin d’avoir des choses somatiques. C’est une structure existentielle. Pour Freud. Ce mécanisme fondamental humain de retournement de l’affect de plaisir en dégoût dans un moment de saisissement de la sphère sexuelle suffit pour dire de quelqu’un qu’il est hystérique. Le corps se trouve cependant concerné à travers l’intervention d’un autre mécanisme psychique, celui du déplacement de la sensation qui va produire à la place de la sensation génitale, et là il va en mettre des pages, à vous de le lire… on ne va pas raconter tous les déplacements… ce sont des exercices pratiques…
Public : rires
Marc : Je m’y attendais… je me suis dit ouh là là, si il y en a qui ne l’ont pas lu… et moi, je ne vais pas raconter toute l’histoire, je vais perdre ce qui est extrêmement productif chez Freud, ce qui est nouveau chez lui, qui est le noyau de son travail et qui sera repris par Szondi… je vais perdre la forêt, les arbres… donc, cette nuit vous le lirez !
Donc, cette notion de déplacement de la sensation qui va donc produire à la place de la sensation génitale une sensation de déplaisir liée à la muqueuse supérieure du canal digestif. Et là, Dora ressent du dégoût… Et pour Freud, c’est extrêmement important !
Laurence : Monsieur K veut l’embrasser. Elle perçoit son érection et elle ressent du dégoût, là où Freud dit qu’elle devrait ressentir du plaisir.
Marc : Oui, Freud, dit normalement on devrait trouver du plaisir. C’est un retournement. C’est grâce à l’interprétation des rêves quand même, et on verra dans l’analyse des deux rêves, comment cela peut aider au niveau clinique. Pas pour le plaisir d’interpréter un rêve. Mais comment ça peut aider pour qu’une souffrance s’ouvre un peu. C’est grâce à l’interprétation des rêves que le retournement de l’affect, die affekt verkehrung et le déplacement, verschiebung, vont devenir des notions clés de la théorisation psychanalytique. Elles vont devenir. Elles ne le sont pas encore. C’est extraordinaire. Nous on va anticiper. Lacan, il n’a pas arrêté de parler de ça, mais Freud n’était pas là encore ! C’est la première fois qu’il utilise ces deux notions, ces deux processus qui sont liés à l’inconscient. Et dans Dora, il ne parle pas beaucoup de l’inconscient. C’est important de le noter. Ça va venir, bien sûr. Mais pas là ! La notion de déplacement est une notion traditionnelle de la sémiologie de l’hystérie. Il va plutôt faire appel à la tradition médicale, dans laquelle il baignait quand même, il avait fait de la neurologie, il avait fait Nancy, il avait été chez Charcot ! Les symptômes bougent, se déplacent. Cela rappelle l’étymologie du mot hystérie. L’utérus baladeur. Dans la médecine grecque, c’était ça l’hystérie. Freud est pris par toute cette tradition là, il est au carrefour, à l’aiguillage… il va utiliser ce terme-là après.
Après ces trois notions, trauma, affekt verkehrung et déplacement, il continue et il entre de plus en plus dans la vie propre de Dora. Alors, là, il va devoir être conséquent et cela va devenir compliqué pour lui. Enfin… je ne sais pas… je délire peut-être avec mon texte… Je sens, mais rien ne le dit dans son écriture, c’est moi qui dis ça, maintenant il va payer !-maintenant, les mots qui vont arriver en désordre… mais on ne peut pas raconter… on ne peut pas thématiser… allez, vas-y, parle, parle, parle ! avec la règle fondamentale des associations libres. Et bien voilà, Dora, elle parle ! et elle prend activement acte de cette suggestion de Freud. Et lui… qu’est ce que je vais faire maintenant ? Elle construit activement sa vie, et Freud, lui-même vise ce sujet en actes. Les deux se rencontrent dans les modalités du transfert et dans de vives résistances. Là, c’est la première fois qu’il en parle. Des résistances des deux côtés. Freud, par exemple, est énervé, il le dit, je suis gereizt, il est énervé par le fait que Dora revienne tout le temps sur d’autres thèmes que ceux qu’il attend. Il pense au retournement des affects, au déplacement, il essaye de la diriger. Mais non ! Paf ! elle passe à autre chose. C’est ça que je trouve superbe. C’est un texte labyrinthique. Elle passe à autre chose. Ça l’embête Freud, ça l’irrite. Pour lui, il s’attend à des histoires qui tournent autour de Monsieur K. et que l’histoire de l’érection… ça se déplace sur le nez par exemple, mais non, non ! elle passe à d’autres thèmes. Et là, je suis allé voir chez Lacan, dans ses premiers commentaires sur Dora : elle sert d’objet d’échange entre son père, Monsieur K., Madame K., son frère et d’autres qui viennent compléter la constellation. Et ce passage superbe, p26, je le lis en allemand, c’est magnifique la sonorité en allemand… lorsque Dora était exaspérée… … elle était prise par cette idée qui agissait sur elle, -à ce moment là, Freud se demande si elle n’est pas vraiment folle, un peu psychotique, elle n’a pas de maîtrise sur ce qui lui arrive-, l’idée s’imposait à elle qu’elle était livrée à Monsieur K. en rançon de la complaisance dont celui-ci faisait preuve envers sa propre femme au père de Dora. Lacan dit que Dora circule dans cette constellation de tous ces gens comme un objet de troc. Et Lacan indique comment Freud a su repérer génialement le fonctionnement des rapports où se trouvent engagées les patientes hystériques. Bien vu par Lacan quand même ! Qu’elle fonctionne comme un objet de troc. Un objet d’échange. Quelque chose que Lacan va ensuite mettre en rapport avec toute la thématique de Lévi-Strauss sur les systèmes de parenté. Un thème majeur à venir dans l’anthropologie culturelle chez Lévi-Strauss et Ortigues dans Œdipe africain. Non seulement les groupes humains s’offrent des cadeaux et des services-« l’Essai sur le don » de Marcel Mauss- c’est le classique sur le don, quel est le sens et la structure du don dans l’échange entre les gens- … donc les groupes humains s’échangent des cadeaux, des services mais aussi des femmes selon des processus réglés qui renvoie, dit Lacan, à l’interdiction de base de l’inceste. Et Szondi a pris ce passage de Freud. Le reste ne l’intéressait pas trop. Freud ne parle pas de l’inceste dans Dora, mais il en parle dans ce qu’elle est comme objet de troc réglé. Pour Szondi, l’hystérique est quelqu’un qui essaye de se débrouiller plus ou moins bien avec toute la structure fantasmatique de l’inceste. Pour Szondi, c’est fondamental. L’interdit de l’inceste : hy, hystérie. L’interdit du meurtre : e, épilepsie.
Et Freud continue. Il n’entend pas. Il continue de ramener à nouveau les rapports de Dora à Monsieur K. Il continue à faire des interventions et quand on le lit bien, qu’est ce qu’il se passe, ces résistances qui vont se construire sans qu’il le sache, il procède à des interventions qui renversent le sens de certains processus présentés par Dora elle-même. Il renverse. Il retourne. Il prend l’autre côté de ce qu’elle dit. Il prend exactement l’inverse de ce qu’elle dit ! C’est très subtil. Mais avec des conséquences importantes quand même ! Il prend un exemple magnifique, p 23-24 : il va lui laisser entendre que les reproches qu’elle adresse à son père et à monsieur K. sont en fait des auto reproches. C’est quand même énorme ! Quand on va lire plus tard le texte Deuil et mélancolie, il va se référer à ce texte-là, pour essayer de découvrir, quand on fait un peu d’anthropopsychiatrie, quand on est un peu szondiens, de penser les rapports entre les symptômes et dire qu’il y a de l’hystérie dans la mélancolie. Bon, d’accord. Et comment ? Quel est ce rapport ? Il n’a pas répondu parce qu’ici il se trompe. Qu’est ce qu’il dit ici quand il décrète que les reproches qu’elle fait sont des auto reproches? Quel est le principe d’une telle intervention ? Qu’est ce qu’il veut, cet homme têtu ? Il distingue deux choses. D’une part qu’il y a du reproche dans l’air, et d’autre part la question de savoir qui reproche quoi à qui. Qu’est ce qu’il se passe dans ce texte ? Il s’intéresse d’abord au verbe… qui exprime l’action de reproches pour ne s’intéresser ensuite qu’aux personnes qui sont engagées dans les reproches. Donc, c’est bizarre. Même en allemand. La langue allemande, c’est une langue de mouvements, de verbes. Et là, il va utiliser le verbe, puis il s’intéresse aux personnes et enfin il laisse tomber le mouvement pour extraire l’action des personnes. Et c’est là où il se trompe et ça mène très loin. Par exemple, dans la mélancolie, il va mettre l’accent sur la personne. C’est le sujet qui s’accuse lui-même. Mais il a besoin de toute la thématique de l’identification pour savoir ce qui se passe là dans la mélancolie. Freud va découvrir que la personne mélancolique vise en elle-même quelqu’un d’autre. On connaît. Chez Dora, Freud s’intéresse aux reproches en tant que tels sans tenir compte vis à vis de qui ils sont destinés. Et juste après, pour la première fois, il parle de l’identification hystérique. Tout simple. Extrêmement simple. Qui copiez-vous ? Elle se plaint un jour d’un autre symptôme, elle a mal à l’estomac, et Freud veut sortir du thème du reproche et lui demande Qui copiez-vous ? Donc, c’est à partir de quelque chose qu’il n’a pas pu maitriser qu’il va découvrir un des plus grands concepts de la psychanalyse qui est l’identification. Donc, tout ce passage que j’ai essayé de vous restituer, si vous voulez le lire, je ne sais pas si on peut encore le trouver, c’est la thèse de Jean Florence, Théorie de l’identification. C’est une thèse qu’il avait fait chez Schotte. C’est superbe. Je ne sais pas si ça vous intéresse. Cela a été édité à Bruxelles à la Faculté Saint Louis qui est le même nom que l’édition. Si il y a des gens qui sont intéressés par l’identification, ça vaut la peine de l’avoir. C’est très bien construit, très didactique.
…à qui vous identifiez-vous ? demande donc Freud, presque brutalement. A qui vous identifiez-vous à travers tel ou tel symptôme, j’en ai ras le bol de cette liste de symptômes ! Mais je dois continuer… chaque détail compte… à qui vous identifiez-vous ? En s’identifiant à la gouvernante,-je résume- par rapport aux enfants de Monsieur K, Dora s’inscrit dans toute une dramatique intersubjective, -c’était l’approche au début de Lacan, toute cette dialectique intersubjective-, dans laquelle les rapports interpersonnels entre elle, la gouvernante, Madame K. vont se redistribuer. Ces identifications hystériques, dit-il, sont inconscientes. Pour lui, cela veut dire à ce moment-là que les patients savent sans savoir. C’est tout ce que ça veut dire. Mais, -et là, je prends de Jean Florence, je n’ai rien inventé-, pour mieux cerner ce qui est en question dans l’identification, il pose la question de l’origine psychique des symptômes hystériques et il dit tout de suite qu’il pose mal la question. Le véritable état des choses, - et Oury, mon pauvre, quand on lisait ensemble ce texte, il y a longtemps…oui, ensemble… l’état des choses… et moi, je ne savais pas ce que cela voulait dire l’état de choses… c’est quoi l’état de choses… et Oury il m’expliquait ‘ça, c’est … chez Lacan !’. Et quand je le lis là le véritable état de choses est que tout symptôme a besoin des deux côtés, du double apport psychique et somatique qui est ressaisi dans le concept de … de… et là, alors ça me fait hurler… enfin, pas hurler, mais… on ne peut pas comprendre en français… p28… de complaisance… alors là, non ! non ! ça ne va pas du tout ! Je relis dans la traduction française : pour autant que je puisse voir, le véritable état de choses est que tout symptôme hystérique a besoin d’apport des deux côtés. Il ne peut se produire sans une certaine complaisance somatique qui se manifeste par le processus normal ou pathologique dans ou sur un organe du corps. Non ! Non ! Aaaanh !
Public : rires
Michel : on te retrouve !
Marc : Rires. Oui. Je continue. Ce processus ne se produit qu’une fois – tandis que la faculté de répétition fait partie du caractère du symptôme hystérique- s’il n’a pas de signification psychique, de sens. Va comprendre ! Qui comprend ça ? Pas moi ! Entgegenkommen ! C’est mal traduit ! Au lieu d’utiliser le mot complaisance somatique, le mot convenance somatique est mieux. C’est un texte qu’on avait travaillé avec Oury, je me rappelle dans un séminaire du mardi soir à Louvain La Neuve, on avait fait un séminaire Szondi sur l’hystérie et j’avais demandé si on pouvait travailler ensemble ce passage et Schotte avait dit oui, et on avait cherché ensemble et on avait trouvé cette traduction de convenance pour entgegenkommen. C’était la belle époque, c’était superbe !! Parce que Schotte parlait parfaitement bien le français et il le sentait, moi je le parle comme un perroquet mais lui disait que complaisance a une résonnance de plaisir, mais une sorte de …de … plaisir qu’on partage avec l’autre… dans une certaine…, perverti… de… de…
Public : facilité
Marc : oui, facile, tandis que entgegenkommen est un mot qui veut simplement dire le simple mouvement d’aller à la rencontre. Tout simplement. Extraordinaire ! Venir à la rencontre. Ce mouvement, l’organique et le psychique… ce que Freud veut dire dans ce texte, c’est que la pathogenèse de l’hystérie se présente à travers le problème du corps. Comment Freud met le rapport de l’aphonie de Dora avec l’absence de l’être aimé ? Attention ! Est-ce qu’on va retomber dans une pensée médicale de cause à effet ? Attention dit Freud ! C’est facile de retomber dans ce piège médical, classique, causaliste… cause = effet ! Faut-il en conclure dit-il que dans tous les cas d’aphonie périodique, -et il ne répond pas, il a raison-, faut-il en conclure qu’il faille faire le diagnostic de l’absence momentanée d’un être aimé ? Donc, au lieu de se laisser piéger par quelque chose qui serait facile mais ne résout rien du tout et d’y trouver une certaine complaisance entre somatique et psychique... Ah, oui, ma pauvre, eh oui, c’est clair, les maux d’estomac… oui, bien sûr, et tout ça et tout ça, c’est psychique… et on trouve une certaine complaisance… NON ! Noooon ! Non ! Ce n’est pas une complaisance, mais une convenance. Quelque chose qui va à la rencontre de. Et que je ne vais pas enfermer dans une pensée étiologique. Extraordinaire. Il faut récuser l’idée d’un lien étiologique direct entre un symptôme particulier et le sens inconscient. La question n’est pas de passer de l’organique au psychique mais de voir qu’il n’existe pas de rapport étiologique, qu’il n’y a pas de rapport de cause à effet direct, bien plutôt que tout symptôme hystérique ne peut se produire sans une certaine convenance somatique qui se manifeste par un processus normal ou pathologique dans ou sur organe du corps. Donc maintenant, il va faire la différence. Si un processus organique ne se produit qu’une seule fois, on n’a pas de symptôme hystérique, dans le cas de convenance, c’est à dire de rencontre entre lui et un sens psychique inconscient, s’il y a eu cette rencontre, il devient capable de répétition et à ce moment là, on a un symptôme hystérique. Donc je répète, car pour moi, c’était un passage qui n’était pas clair… et on a travaillé longtemps sur ce passage j’espère que c’est plus clair pour vous aussi maintenant.
Tout symptôme hystérique ne peut se produire sans une certaine convenance somatique, -laisse tomber la complaisance- qui se manifeste par un processus normal ou pathologique dans ou sur un organe du corps. Si un processus organique ne se produit qu’une seule fois, on n’est pas dans un processus pathologique, dans le cas de convenance, c’est à dire de rencontre entre lui et un sens psychique inconscient, il devient capable de répétition en tant que symptôme hystérique. Moi, je trouve ça très très fort quand même !
Michel : tu peux répéter la première phrase ?
Marc : Oui ! IL veut sortir du piège médical. Tout symptôme hystérique ne peut se produire sans une certaine convenance somatique qui se manifeste par un processus normal ou pathologique dans ou sur un organe du corps. Si ce processus organique ne se produit qu’une seule fois, dans le cas de convenance, c’est à dire de rencontre entre lui et un sens psychique inconscient, il devient capable de répétition et on peut parler de symptôme hystérique. Ce sens psychique qui lui est associé (entgegenkommen) peut varier dans chaque cas selon la nature des pensées réprimées qui luttent pour s’exprimer. Superbe ! C’est fort ! On est avec lui, là, on est avec Sigmund ! Il ne nous lâche pas ! Il m’émerveille ! Ce sens psychique qui lui est associé peut varier dans chaque cas ! (tousse) oh la la… on ne va pas se laisser prendre… ta toux, ma chérie, ton angine, …prends ce susucre… oh la la, ce n’est pas si simple ! mais bien sûr, il y a une rencontre, une convenance somatique… oui… et quand cette convenance somatique est capable de se répéter… vous savez, vous connaissez l’œuvre, … si vous ne connaissez pas, moi je vais déprimer, l’œuvre la plus importante dans Études des pathogénèses de Von Weizsäcker, c’était sur l’angine. L’angine comme scène de la vie humaine dans tous ses rapports. Et quand ça se répète, sous tous ses rapports, on est dans quelque chose de pathologique. Pas simplement d’une angine comme une lésion organique mais entgegenkommen, d’une rencontre qui parle là. Et c’est magnifique ce texte sur l’angine.
Ce sens psychique qui lui est associé peut varier dans chaque cas selon la nature des pensées réprimées qui luttent pour s’exprimer. Ainsi Freud, dans ce texte de Dora, opère un passage décisif d’une recherche des causes à celle du sens. C’est là ! ce passage là ! les symptômes deviennent les signifiants de certains signifiés sans que le rapport ne soit univoque ni transportable d’un cas à l’autre.
Michel : c’est une écriture personnelle !
Marc : oui, c’est une écriture personnelle, oui, je savais que tu allais hurler…
Sylvie : il ne hurle pas !
Marc : tu n’as pas besoin de le défendre… non, non il est très gentil… Freud essaye de le dire dans la pensée de Freud…
Michel : Chacun dit dans son monde
Marc : oui, chacun dit dans son monde. Mais par exemple, je ne peux pas dire la signifiance. On ne trouve jamais chez Freud un mot allemand qu’on peut traduire par quelque chose qui cherche à être signifié. Il y a le mot deutung, qui veut dire quelque chose qui appelle à être signifié. Bedeutung, c’est la signification. Deutung qui appelle à être signifié et pas interprété.
Michel : Lacan traduit ça par la mantique.
Marc : La quoi ?
Michel : la mantique
Marc : jamais entendu ! ça veut dire quoi ?
Michel : le devinement.
Marc : Le devinement ? Non ! Ici ? Le symptôme devient le signifiant de certain signifié, le symptôme exprime dans un langage, c’est à dire pour Freud, de quelque chose qui s’adresse à l’autre et que je peux saisir, de quelque chose qui est en dessous… c’est ça qu’on appelle la mantique ? Non ?
Michel : La mantique
Julien : Lacan parle d’une intrigue raffinée
Marc : Oui, oui… mais c’est pris dans tout son système de penser la structure du langage avec les deux axes. Mais Freud ne parle pas comme ça. C’est pour ça que c’est difficile pour moi quand on parle de l’hystérie… Là, vous l’avez votre Lacan…
Julien : au début tu as cité une phrase de Lacan…
Marc : Hein ? Non, c’est quand pour la première fois Lacan parle de Dora et qu’il va se figer sur le transfert de Freud, il va prendre Dora dans la dialectique intersubjective. C’est génial Lacan quand il dit que Freud a repéré que la femme était un objet de troc. C’est génial d’avoir pu lire ça dans le texte même de Freud.
Michel : on peut dire un mot sur la Deutung ?
Marc : Deutung, oui… on peut traduire par quelque chose qui appelle à être… signifié, lu… interprété, c’est déjà trop !
Michel : mais il me semble que cela a beaucoup à voir avec ce que j’appelle la fonction scribe.
Marc : oui, absolument. Deutung. Oui, oui… quand on discutait avec mon papa, avec Oury, quand on discutait, il disait que deutung avait à voir avec la fonction scribe. Absolument. Cet appel à. Mais ici, sur la convenance somatique, il ne parle pas de deutung, il parle de ce que le symptôme exprime, qu’il essaye de se battre pour pouvoir s’exprimer …
Michel : il y a un appel
Marc : il y a un appel de sens psychique. Mais c’est tout, il ne l’interprète pas.
Michel : oui, c’est autre chose. Ça dépend ce que l’on entend par interprétation. Si on l’entend au sens habituel du terme, c’est à dire au sens où les psychanalystes l’utilisent, évidemment ça ne va pas. La fonction scribe, c’est ce que j’appelle l’interprétation. C’est ça l’interprétation. C’est le fait de mettre quelque chose qui demande à être interprété. C’est ce que Tosquelles appelle la connerie. C’est à dire que c’est quelque chose qui surgit à un moment donné, quelque chose qui convient, parce que cela ne convient pas dit Tosquelles, ce n’est pas convenable. Cela vient avec. Donc, à ce moment là, on est vraiment dans la fonction scribe.
Marc : Mais, toi deutung veut dire aussi quelque chose qui va m’éclairer… deutlich
Michel : Oui… traumdeutung, c’est quand même ça.
Marc : eeuuuh… traumdeutung a été traduit par Interprétation des rêves. Mais, on va en reparler… quand il va interpréter le premier rêve, il va arriver avec ce qu’il utilisait beaucoup dans l’interprétation des rêves, des interprétations symboliques. Par exemple, la boite à bijoux veut dire… les organes génitaux féminins…tout le bastringue là… Noon ! Freud il veut s’en aller de là ! en disant qu’il n’a jamais écrit Traumbedeutung. Interpréter ne veut pas dire pour moi éclairer… pas du tout… c’est un appel à quelque chose qui va essayer d’exprimer… et pas éclairer…
Michel : Lacan avait proposé de traduire Traumdeutung par La mantique du rêve.
Marc : La mantique ?
Michel : oui, ce mot, la mantique.
Marc : mais qu’est ce que c’est que ça ? ça me dépasse ! ça me dépasse ! Je ne connais pas le mot.
Michel : c’est l’acte de la pythie.
Marc : la quoi ? Je ne sais pas ce que c’est la pythie…
Public : mais enfin ! La pythie… La pythie de Delphes ! Enfin…
Allez on s’arrête là !
Michel : j’ai autre chose !
Marc : tu sais, dans Traumdeutung. Justement, pour nous expliquer le mot le plus simple : deut. C’est le mot qu’on retrouve dans deutch. Qui veut dire allemand. Donc il dit : je veux sortir de toute une tradition qui va du devinement, il y a des prêtres dans les temples qui vont deviner les rêves, hein ? qui vont donner un sens à un rêve. Il y a dans les rêves la clé des songes. Freud dit bien qu’il n’y a pas de clé de songes.
Michel : c’est pour ça que je disais tout à l’heure qu’il y a une langue personnelle.
Marc : oui, c’est deut.
Michel : c’est pour ça que, ce qui est très intéressant, c’est quand Freud parle de la fabrique du symptôme. Quand ça convient une fois, alors ça devient répétable. Ça, c’est très intéressant car c’est écrit exactement comme ça chez Pierce quand il parle du représentement.
Marc : répétable
Michel : oui, répétable. Le représentement, c’est quelque chose qui est répétable. Donc, on va dire que c’est la fabrique du représentement. C’est pour ça que je parle de la fonction scribe. C’est à dire que ce qui est à interpréter. Cela ne veut pas dire que cela te donne l’interprétation.
Marc : c’est ce qui appelle à…
Michel : Piierce appelle ça un interprétant avec un d.
Marc : oui, j’ai vu ça dans ton livre ! ça j’avais compris.
Michel : c’est ça la fonction scribe. C’est de fabriquer des interprétants.
Marc : Dans deutung, deut c’est l’allemand, Freud utilise la deut, la langue populaire que tout le monde parle. Il dit je sors de toutes les interprétations des rêves depuis le début de l’histoire, dans les temples, dans les oracles, dans les clés des songes, dans le texte que Lacan a beaucoup commenté le texte de S… sur les symboles des rêves, un catalogue pour déchiffrer le rêve et que le patient puisse continuer à parler.
Michel : c’est le rêve de l’esperanto
Marc : peut-être. Freud dit que son défi est que le rêve puisse être expliqué à tout le monde, qu’il puisse être inscrit dans le langage de tous les jours. Il donne l’exemple avec le deuxième rêve de Dora dans lequel elle rêve qu’elle doit sortir de la maison. Donc il va travailler avec les mots de tous les jours, entrer-sortir, et c’est comme ça que les rêves s’expliquent. Freud à un certain moment ne fait pas bien la différence entre décrire et expliquer, et il va expliquer en décrivant. Donc, c’est une autre logique. C’est une autre épistémologie. Et Von Weizsäcker dit que Freud se trompe. Mais, quand il inscrit dans le langage de tout le monde, ça prend sens. C’est ça pour lui Traumdeutung. Est-ce que ça correspond avec ta triade ?
Michel : la triade, c’est autre chose. Ce qui est remarquable, ce sont toutes tes réflexions sur donner et reprocher. J’ai beaucoup aimé ça, car c’est sur les verbes triadiques. Et on voit comment il y a toute une tendance à dyadiciser les verbes triadiques. Quand par exemple on met le même sujet des deux côtés, on appelle ça en mathématiques faire dégénérer une relation. Faire dégénérer une relation triadique en relation dyadique. Je reproche quelque chose à quelqu’un. Et bien, si le quelqu’un est le je, on a dégénéré la relation !
Marc : Oui, oui, c’est ça ! C’est ça. C’est ça où il est piégé Freud avec Dora ! Qu’il a repris dans deuil et mélancolie, bien sûr.
Michel : mais tu dis bien que c’était très créatif puisque cela a lancé la question de l’identification. C’est une erreur toute en finesse.
Marc : oui, c’est extraordinaire. Dégénérer sur la personne. C’est bien dit…
Michel : il y a encore autre chose. C’est sur la question de la tessère.
Marc : oui, j’ai compris, enfin c’est un peu prétentieux, mais dans Création et Schizophrénie quand Oury va commenter le séminaire sur le cas Aimé en utilisant le terme de tessère…
Michel : la tessère, c’est très intéressant parce que quand tu as abordé la question de convenance, c’est vraiment bien, parce que le terme de complaisance, je n’ai jamais trouvé ça clair…
Marc : Merci ! On te donnera une statue sur la place Vendôme !
Michel : Je fais gaffe, parce que le plug anal… rires
Marc : Non, à la place ! à la place ! Enfin, un français qui dit que ce terme ne lui va pas !
Michel : ce qui est intéressant là-dedans, c’est qu’on voit bien que c’est toute la question de l’écriture. Par exemple, moi j’ai des difficultés à écrire et je ne peux pas me relire. Cela veut dire que cela ne me convient pas. On voit bien que le texte qui s’écrit, c’est quelque chose qui doit convenir à celui qui vient, d’une certaine façon, un appel psychique…
Public : une rencontre…
Michel : cette fameuse rencontre qui n’est possible que si cela convient.
Marc Medevielle : Oui, mais en même temps, je trouve que le terme convenance est ambigu.
Public : Oui, il y a deux sens. La convenance. C’est convenu…
Marc : si tu prends l’étymologie, con-venir, venir à la rencontre…
Public : c’est toujours mieux que la complaisance où il y a plaisir
Michel : la seule chose qui justifierait le plaisir, c’est que c’est le plus court chemin.
M.M. : en même temps, ce qui m’a frappé, enfin, je ne suis pas germanophone, mais entgegenkommen, c’est aller à la rencontre, alors que convenir c’est quand même aller dans le même sens.
Marc : mais venir à la rencontre, ça veut bien dire aller contre quelque chose… ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel.
M.M. : alors pourquoi ne pas dire rencontre plutôt que convenance
Michel : on devrait inventer le mot ‘encontre’
M.M. : moi je ne trouve pas trop de différence entre complaisance et convenance.
D’ailleurs convenience en anglais, ça veut dire quoi ?
Marc : que ça convient. Oui, le très bel exemple de l’écriture quand on ne peut pas se relire. Voilà. Ça vient contre. Je ne peux pas relire mon texte. Dans le train, j’ai lu un livre, c’est un belge diplomate, j’ai oublié son nom, qui a été le premier à critiquer ce qui se passait en chine. Et donc il a été exclu par les intellectuels français, etc., etc. il a été le premier à dénoncer Mao et à dire non, non, non. Il a écrit un livre juste avant sa mort de préfaces. Cet après midi, j’ai lu ce qu’il écrit sur Nabokov et il dit qu’il corrigeait tout le temps ses écrits, tout le temps. Et sa femme lui demandait de ne plus rien toucher. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Et il expliquait dans ce livre qu’il avait du tomber malade pour avoir pour effet de n’être plus capable de se relire pour ne plus se corriger. Il dit qu’il y a beaucoup d’écrivains qui ont tué la force de leur texte en les corrigeant.
Laurence : on s’arrête là pour ce soir?
Samedi matin :
Marc : Allez, on y va.
Après qu’il ait organisé cette rencontre entre l’organique et le psychique, ça a du le travailler très fort, en 1923, il rajoute une note p 30- il est fatigué- la convenance somatique réalise la condition la plus économique à un certain conflit psychique. La névrose est une manière de faire le ménage psychique. Haushalt.
Laurence : le bénéfice ?
Marc : non, c’est faux. C’est faux. Non, haushalt c’est le ménage.
Laurence : Le fait de devenir malade épargne tout d’abord un effort. Il est donc au point de vue économique la solution la plus commode dans un conflit psychique.
Marc : voilà. Quand on le lit en allemand il y a des passages entre des phrases qui sont importants, tandis qu’en français, comme je lis aussi très vite… par exemple il est donc au point de vue… en allemand, donc est très important pour faire le lien entre les phrases.
Georges : Tu peux reprendre sur le ménage, Marc ?
Marc : La névrose est une manière de faire le ménage psychique. C’est ça qu’il dit. Il résume. Il est fatigué. C’est la première fois qu’il va vraiment utiliser le sens de cette dimension économique dans le psychique
Gaël : économique, pas au sens où on gagne quelque chose ?
Marc : non ! Dans le sens étymologique du terme où économique veut dire economos, maison. Nomos veut dire le principe régulateur qu’on a à notre disposition pour faire le ménage.
Louise : avec le moins d’effort ?
Marc : Ben, je ne sais pas comment vous faites le ménage. Ça peut demander énormément d’effort, parfois ça fait des fuites, on divorce, je ne sais pas, on ne mange plus…
Julien : et si on ne fait plus le ménage, ça veut dire qu’on est hystérique ?
Public : rires
Marc : oh, vous m’emmerdez ! Là, hier soir vous étiez fatigués, déprimés et ce matin vous êtes excités.
Georges : c’est l’anagramme de manège.
Marc : ah ben voilà, hier on ne l’a pas entendu notre copain, il était déprimé et maintenant, le voilà ! Bravo ! Il est là ! Youpi ! (Rires) Tu ne dois pas rougir.
Public : Mais où était Georges hier ?
Marc : Il continue un peu sur le général. P32. Il est, je pense, fatigué de son premier chapitre. Quand il remarque qu’il existe côte à côte -et cela avait frappé Michel hier soir-, dans l’histoire des reproches qui sont concentrés sur la personne quand il remarque qu’il existe côte à côte : comme les accusations de Dora sur son père se continuaient avec une fatigante monotonie et que la toux…, il en tire l’hypothèse que ce symptôme de la toux s’inscrit également dans la relation de Dora à son père. Donc il dit que deux versants somatiques sont à distinguer : l’incarnation du symptôme dans le phénomène de la toux et la monotonie répétitive et fatigante de ses reproches à son père. Ces deux versants montrent que le symptôme recèle une valeur intersubjective – qui était la thématique de Lacan dans son premier commentaire- et que ce symptôme s’adresse à une ou plusieurs personnes. Et alors, cela amène Freud à formuler une règle qu’il va ériger en principe pour tous ces types de tableaux cliniques –p33-: un symptôme signifie la représentation c’est à dire la réalisation d’un fantasme à contenu sexuel selon une règle que j’ai toujours trouvée confirmée par mon expérience mais que je n’avais pas eu le courage d’ériger en règle générale.
Alors, pour éclairer un peu, c’est un peu à partir de la difficulté de traduire, parce qu’il utilise le mot darstellung. Représentation, on peut le traduire par deux mots : darstellung ou vorstellung. Quelle est la différence ? Ce matin, tu m’as dit de faire du théâtre. On y est ! Le mot darstellung renvoie à la représentation théâtrale incarnée avec un aspect de monstration spectaculaire. Et dans l’hystérie, le fantasme sexuel est réalisé, mis en scène dans le corps et le corps devient le théâtre. Mais représentation veut dire aussi dans le sens classique, vorstellung. C’est à dire une représentation comme un atome, un élément de la vie psychique.
Michel : wort ? Cela a à voir avec la signification mot ?
Marc : non, vor. Pas w. Mais vorstellung veut dire représentation de mots. Mais ici, il utilise darstellung. Il faut faire attention en allemand quand il utilise le mot vorstellung ou darstellung. C’est la même traduction en français, mais ça ne veut pas dire la même chose. C’est pour ça que j’insiste.
Georges : alors la traduction de vorstellung par représentance…
Marc : ils ont trouvé des mots terribles pour traduire. Le représentant représentatif. Le drapeau est représentant d’un pays. On va mettre le drapeau et on va faire le cirque autour. Le 11 novembre… c’est pour ça que Lacan avait essayé de mettre le mot vorstellung pour parler de réminiscences en disant que l’hystérique vit avec un monument commémoratif. Et hop, on met le drapeau, pas du pays mais du phallus ou pas de phallus.
Il continue. Il est prudent Freud, moi j’aime bien. Très prudent. Avec ce fantasme à contenu sexuel mis sur la scène du corps, il met tout de suite en garde son lecteur. Il vit avec son lecteur, c’est rigolo quand même. Si le lecteur est choqué, ou qu’il éprouve de l’horreur, il convient de le traiter dans un style direct et clair. La manière de parler de ça est la manière sèche et directe. Elle est la plus éloignée de la lubricité avec laquelle ces sujets sont traités dans la ‘société’, lubricité à laquelle les femmes et les jeunes filles sont très bien habituées. Je donne aux organes et aux phénomènes leurs noms techniques et je communique ces noms dans les cas où ils sont inconnus. Et il dit en français « j’appelle un chat un chat »… et plus loin « pour faire une omelette, il faut casser des œufs ». Dans la bouche de Freud, quand même ! (Rires) je trouve ça étonnant !
Public : pourquoi ? Il parle bien de ménage
Marc : je ne croyais pas qu’il pouvait penser à la cuisine
Georges : C’est en français ?
Marc : oooh. Arrête de m’emmerder.
Il faut rompre la conspiration du silence, il ne faut pas de lubricité secrète et surtout, il faut vivre dans les sensations de ce qui se passe. Un travail technique analytique est un travail contactuel mais n’est pas un travail paroxysmal. On ne doit pas être dans les sentiments. On doit être dans les sensations, on doit être en contact avec ce qui se passe, il faut situer la personne dans son paysage, il faut suivre où elle en est, dans sa stature, dans sa posture, mais n’allez pas regarder dans son intérieur au niveau de ses sentiments. Non ! Pas de sentiments. C’est ça qu’il veut dire. Il ne dit pas qu’il faut être froid comme un monument où il n’y a que la main qui bouge et qui dit « donne moi tes sous ».
Donc, il poursuit et il arrive à sa formule célèbre. J’ai été frappé comment à partir d’un conseil de présence, pas de tralala, il dit il faut rompre avec le moralisme. A cette époque, dans cette bourgeoisie décadente de Vienne, on va le dimanche à la messe, les névroses dit-il, -c’est un passage extrêmement important où on voit que la psychanalyse n’est pas différente de la psychiatrie, p35-36-, les névroses ont un arrière fond fantasmatique inconscient commun avec les pervers. Ainsi, les forces motrices pulsionnelles du symptôme névrotique relèvent des motions perverses inconscientes. Les psychonévroses sont le négatif des perversions. C’est la clé ! C’est à partir de là qu’on a pu construire l’anthropopsychiatrie. Les névroses sont le négatif des perversions comme les psychoses sont le positif des psychopathies. Donc la phrase chez Freud, toute cette dialectique pour construire cette anthropopsychiatrie qui ne pense qu’à des rapports entre ! Il va l’articuler pour l’hystérie. Ces forces pulsionnelles constituent le déplacement symptomatique d’une zone érogène à l’autre où on l’y repère l’importance de l’oralité. Et il appelle ce déplacement la convenance somatique. Et il va donner l’exemple clé du texte de Dora, la scène théâtrale absolue : Dora, de manière répétitive, se revoit suçant son pouce gauche et tiraillant de la main droite l’oreille de son frère. La scène de darstellung, de représentation théâtrale absolue. Une telle situation a préparé dans la sphère orale, -venez à La Borde, il y a plein de gens qui se baladent, pas seulement le matin, toute la journée, avec un sac à main, une assiette… c’est très intéressant- c’est très important pour faire le diagnostic, comment on peut être présent pour une personne. L’idée est de préparer dans la sphère orale l’émergence ultérieure des symptômes qui sont liés à cette zone. Il résume ce petit chapitre en disant qu’à l’aspect de cette convenance somatique, se rajoute un aspect intersubjectif ‘tiraillant l’oreille de son frère ‘. Et à la page 38, juste avant de faire l’analyse du premier rêve, il rajoute,- et souvent on ne fait pas attention à ce passage, exceptée Pankow qui a tiré de ce passage un exemple pour faire la distinction entre névrose hystérique et psychose hystérique. Il évoque Wernicke puis ensuite il parle d’un train de pensées surpuissantes, renforcées, survalorisées qui obsèdent Dora concernant la relation de son père avec Mme K. Pourquoi ne peut-elle pas arrêter de ?... elle veut s’en débarrasser de ces pensées…
Je vous conseille un texte d’Oury – chacun fait son deuil comme il peut- dans Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle : Le corps dans la phénoménologie de la sphère dépressive. Il n’est pas facile ce texte. Il date de 1972-73. A la fois c’est en pleine élaboration de Schotte qui travaille à ce moment là le contact, et Oury va mettre au niveau clinique un tas de séminaires de Lacan et il donne l’exemple de quelqu’un qui essaye de lutter contre des idées qui lui viennent et qui s’imposent à lui et qui essaye de se débarrasser de ces idées. Mais il n’y arrive pas, il n’y arrive pas… Je me sens comme mort dans mon lit. L’idée s’impose que je vais mourir comme le Christ parce que c’est l’époque des Rameaux ou de Pâques, etc. et donc Oury donne un petit peu d’Haldol et les idées disparaissent un peu, et c’est un texte magnifique pour suivre au niveau clinique à quel moment on donne un peu de médicament, à quel moment le malade peut lui même augmenter son traitement sans avoir besoin de venir en consultation. Ce qui est le plus classique, c’est que la personne arrête les médicaments. Donc c’est un texte magnifique sur quelqu’un qui est obsédé par des pensées dont il n’arrive pas à se débarrasser. C’est quelque chose de quotidien dans notre métier. Et dans l’hystérie, on a aussi ces moments-là. Ce n’est pas parce qu’on est névrotique qu’on ne peut pas être obsédé par des pensées et ce n’est pas nécessairement psychotique. Freud dit que c’est un équivalent mineur de l’idée délirante. Et il dit ça au sens de Wernicke. Dora s’emploie, et elle lutte cette petite, à s’en débarrasser mais c’est impossible. Et là, superbe ! Ce qui rend ces pensées pathologiques c’est leur prévalence envahissante et non pas leur contenu. Ces pensées la possèdent. Et là, on est sur cette frontière, cette marge est très petite entre quelque chose de délirant ou pas. Freud, il est mignon, il ne sait plus quoi faire avec ça, en 1901, si on n’a guère de prise sur elles (ces pensées qui nous obsèdent) c’est qu’elles viennent de l’inconscient. On n’a pas de prise ! c’est à dire soit qu’elles plongent directement leurs racines dans le matériel refoulé (les rapports entre son père et madame K), soit qu’une autre pensée inconsciente de sens contraire, superbe, se dissimule derrière l’idée prévalente de l’écran refoulant. Il y a peut-être les deux. Plus tard, il utilisera le terme de contre-investissement.
Michel : c’est lié au fait qu’il n’y a pas de contradiction dans l’inconscient.
Marc : oui, c’est rigolo que tu le dises, car à la fin du texte il va parler du temps.
L’hypothèse de Freud sera d’abord que Dora refoule à travers ses accusations contre son père des souhaits incestueux le visant. D’où, dit-il, -mais il est trop logique, il a quitté les petits détails, mais il va y revenir-, d’où sa connivence jalouse avec les autres femmes que sont madame K, la gouvernante, et au delà sa mère. Mais au delà de cette hypothèse, il dit qu’il n’est pas trop content avec cette construction œdipienne. Un peu facile. Dans Dora, Lacan il a bien vu que l’œdipe, ça commence à bouger, c’est un mythe, un mythe nécessaire pour penser, pour continuer à penser pour Freud. Mais au delà de cette hypothèse, il subodore que toute l’histoire d’amour de nature hétérosexuelle et de jalousie entre femmes dissimule chez Dora des élans d’un amour homosexuel pour Mme K. Il en parle quand même. Mais pas beaucoup. Le mot… gynécophile. Cette tendance gynécophile de la patiente…
Laurence : ah, il dit inclination homosexuelle
Marc : cette tendance gynécophile de la patiente est typique de la vie d’amour inconsciente de l’hystérique qu’il va reprendre dans un texte de 1908 sur la nature bisexuelle de l’hystérie- et les reproches que la jeune fille fait à son père de ses relations avec Madame K sont le produit d’une jalousie inversée. Dora n’est pas tant troublée que Mme K lui prenne son père que par l’inverse. Et il donne un exemple, c’est la manière dont elle parle de Mme K. et ça, c’était la clé pour Lacan. Dans son deuxième texte sur Dora. Tout construire sur la thématique de l’hystérique retrouvé en long en large et en travers dans la fameuse revue dont je vous ai parlé hier : qu’est ce que c’est que le mystère de la femme ? Qu’est ce que c’est l’homme pour la femme et qu’est ce que c’est la femme pour l’homme ? Et voilà ! On est partis pour une pièce de théâtre. Freud ne se laisse pas trop emporter. Qu’on se rapporte à la manière dont Dora parle de Mme K : la blancheur ravissante de son corps de femme…
Laurence : éblouissante
Marc : hein ? Certainement ma chérie que ça t’intéresse. Le mot exact, justement dans ce passage là ! Prend tes autres lunettes, tu as 4 paires à la maison.
Public : rires
Marc : ne vous moquez pas de vos amis ! rires
La blancheur ravissante de son corps de femme qui la fascine plus que tout. Elle n’est pas dans l’admiration mais dans la fascination et cela va l’immobiliser.
Public : ravissante ! c’est marqué dans le texte ! p 44
Marc : mais oui, ravissante ! elle a le droit de se tromper ! (rires)
Georges : avec qui ?
Marc : arrête ! Ne l’écoute pas. C’est des conneries.
Georges : ce ne sont pas des conneries…
Marc : C’est pour avoir trop méconnu les tendances gynécophiles de Dora en prenant au contraire une place du côté des hommes avec lesquels la jeune-fille s’expliquait – ça c’est de Lacan – que Freud allait tomber de son piédestal, celui là même sur lequel il avait tenté de réinstaller ces hommes pour elle.
C’était ça sa manière de construire. Quand il va lui laisser la possibilité de construire activement sa vie en parlant mais il y a une lutte car lui aussi, il veut montrer aussi à travers elle ses constructions. Que ça reste toujours sa place comme troc entre les hommes et les femmes.
Bon, allez, on continue. Premier rêve. P47. Je traverse le texte. Quel est son problème ?
Laurence : je lis le rêve ? C’est très court !
Marc : Non ! non ! On a dit hier soir que ceux qui ne l’avaient pas lu pouvaient le lire cette nuit.
Rires.
Laurence : 4 lignes
Louise : il n’est pas long.
Marc : Non ! non non. Rires ! Il est extrêmement long. Ce n’est pas le contenu du rêve. Non. Tu es éblouissante mais non ! Rires. C’est notre présidente et elle veut que tout le monde soit bien, que vous n’ayez pas à penser, que vous pouvez suivre comme un fleuve tranquille. Et bien non ! rires
Georges : Tu nous feras une interrogation écrite ?
Rires
Marc : quelle est sa question ? C’est notre travail ! Comment insérer une analyse d’un rêve dans le décours de la cure et livrer la clé de l’hystérie. Sinon, ce n’est pas la peine. On peut aller dans un magasin, comme on disait hier soir, pour interpréter tes rêves. Ce qui nous intéresse c’est comment Freud travaille et notamment -et ça m’avait frappé-, l’invitation à Dora. Il n’est plus dans cette opposition. Il change un peu. Il l’invite. Il l’appelle à. Est ce que mademoiselle vous pouvez faire attention aux résonnances des expressions que vous utilisez ? Superbe ! Moi je m’en fous des substantifs que vous utilisez, je m’intéresse aux tonalités. Et il prend à travers tout le texte du premier rêve, une phrase. Il peut se passer quelque chose la nuit qui fasse que je doive sortir. Et cela va résonner chez elle. Le reste, pfff. Elle raconte ce qui lui vient, mais ça ne résonne pas sauf cette phrase là. Freud relève la pluralité des sens possibles que véhicule chaque expression de Dora. Ces mots ambigus. C’est dans une note. Ces mots ambigus... ces mots ambigus sont comme des aiguillages… wechsel… pour le décours des associations- il utilise le langage de chemin de fer- cela lui permet de s’opposer… wechsel c’est le substantif en mouvement. Cela lui permet pour la première fois de s’opposer… dans ces mots d’aiguillage…
Geneviève : aiguille !
Georges : en français, il y a une expression, le chemin des aiguilles. Les filles, quand elles font leur trousseau, elles vont coudre et cela s’appelle le chemin des aiguilles.
Marc : mais lui dit que cela vient de la terminologie des chemins de fer
Georges : des chemins du faire.
Marc : ah oui, le chemin du faire. D’accord.
Georges : ce sont des jeunes filles. Des adolescentes. Le chemin des aiguilles. Elles se piquent, il y a du sang. C’est l’initiation sexuelle.
Marc : ah ben voilà, on est partis ! Ce n’est pas ça qu’il veut dire.
Georges : oui, j’ai compris… mais le chemin des aiguilles
Marc : Cela lui permet en travaillant le terme d’aiguillage de s’opposer aux interprétations symboliques thématisées dans Traumdeutung et on va voir dans le deuxième rêve qu’il va les utiliser quand cela s’immobilise, quand Dora n’arrive plus à associer, à utiliser les mots comme ça. Ça n’existait pas à l’époque le Szondi pour relancer un processus. C’est vrai, tu m’avais dit encore hier que pour un patient qui était bloqué, hop, on fait un Szondi et ça relance. C’est vrai. Ça se confirme tout le temps. Et là, Freud n’avait pas encore ça. La boite. De Szondi. Qu’est ce qu’il va trouver ? Il utilisait encore un peu les interprétations symboliques, il donne l’exemple de la boite à bijoux qui représente, au sens de darstellung, les organes génitaux féminins. Et quand les associations manquent, quand ça ne vient plus, quand elle ne parle plus, on peut toujours se référer aux mêmes thèmes, la différence des sexes, le rapport entre les générations, le rapport au corps en tant qu’il est vecteur de la naissance, de la vie et de la mort, donc il y a une liste et il va suggérer ça et hop, ça la redémarre. Il commence à se méfier de l’interprétation symbolique des rêves. Il commence à se méfier de cette tactique, de cette séduction. Au départ il était un peu intrépide à les proposer, puis elles lui apparurent arbitraires et elles lui rappellent la clé des songes, ce catalogue de sens symboliques à octroyer aux images oniriques. Donc, Freud ne fait plus appel au symbolique pour interpréter mais aux associations.
On peut offrir et recevoir, on peut échanger, on peut prêter. Par le biais des noms d’actions. Ce n’est plus un symbole, c’est une reprise. C’est bien trouvé quand même. C’est à dire quelque chose autour de quoi on fait plusieurs choses. Le véritable mot aiguillage ou aiguilles, je ne sais pas…
Michel : les aiguilles et la reprise ça va très bien ensemble.
Marc : AAAAh ! Oui !!! Est ce qu’on peut dire « les mots aiguillent ? »
Georges : Mais évidemment qu’on peut le dire ! bien sûr qu’ils aiguillent les mots ! Enfin….il est temps ! on aurait déjà fini…
Rires
Marc : ces mots qui aiguillent, qui font le pont entre diverses situations, sont les verbes et pas les substantifs. Ce qui est essentiel dans une phrase est ce qui est dit et qui s’exprime dans le verbe, plutôt que ce dont on parle. C’est pourquoi il invite Dora à être attentive aux résonnances de ce qui se dit. Cette idée là va trouver un prolongement dans la psychanalyse existentielle et dans la dasein analyse de Binswanger, concept de directions de sens dans la paire de contraste de mots : pour le contact, le contraste entre la levée du jour et la tombée de la nuit, aussi dans la montée/la chute, gauche/droite, l’étendue/le rétrécissement, etc. toutes ces paires de contraste qu’il va utiliser pour analyser un rêve. Donc ce texte célèbre de Binswanger Traum und existenz, le rêve et l’existence, où pour la première fois il va approcher les rêves par les verbes qui vont se trouver en opposition de contrastes. Moi, j’aime beaucoup ça. Chez Freud, les paires contrastées comportent ce mot des aiguilles…Rires
Il invite à écouter attentivement les résonnances, les mots et les interprétations avec ce qu’il a invité à associer pour se débarrasser petit à petit tout ce qu’il avait fait sur l’interprétation symbolique.
Deuxièmement, le rêve est un souhait, un wunsch, pas un désir, un souhait représenté, c’est à dire dramatiquement mis en scène. Mais il y a plus et ça c’est une idée qu’il rajoute. Il est en plein boulot. Comme tu disais hier soir, quel génie ce type, et en plus rigoureux, tout le temps au travail comme ça, oui, c’est vrai. Il y a plus, ce souhait plonge ses racines dans l’inconscient -c’est là où il utilise le mot- car les seuls restes diurnes ne sauraient fournir les forces nécessaires au travail du rêve. Le sens du rêve n’est pas cognitif, n’est pas mental. Le sens du rêve se retrouve dans des vœux inconscients dramatiquement représentés. Il donne un exemple : le projet, la crainte, le souhait de Dora de s’en aller, je vous rappelle la phrase il peut qu’il se passe quelque chose la nuit qui fait que je doive sortir, le projet, la crainte, le souhait de s’en aller pour échapper aux avances de M. K sont des restes de matériel diurne préconscients. Freud dit qu’ils ne possèdent pas la force. Le projet, la crainte, le souhait sont des choses raisonnées, pour se faire comprendre, pour faire comprendre à l’analyste, tout ce qui est raisonnable dans le fil des associations mais ne sont pas suffisantes pour produire du rêve. Il faut en même temps une participation d’un souhait inconscient qui plonge ses racines dans la vie sexuelle infantile. Cette double genèse du rêve constitue les forces du Traumdeutung. Derrière le projet de fuir les avances de M.K se cache le souhait inconscient de se rapprocher du papa pour l’appeler à l’aide. « Aide moi à fuir de M.K. » en arrive ainsi à pointer cet arrière fond œdipien, mais il tombe lui-même dans la galerie des figures masculines avec lesquelles Dora rivalise. C’est un peu le noyau de ce premier rêve. D’autres thèmes filent vite : à travers le symptômes présentés, il suit la trame des identifications de Dora aux uns et aux autres. Puis il relève dans son histoire une phase d’énurésie, si fréquente dans les névroses. Cette énurésie a un sens sexuel recouvrant la sexualité infantile, la sexualité masturbatoire. Il fait le lien entre le symptôme d’énurésie et la masturbation. Après, et ça c’est très beau, il part comme un détective – là il est écrivain- à la recherche de preuves, par indices – c’est le mot qu’il utilise- pour arracher un secret. Ce avec quoi il avait commencé dans la préface. Puis il y a un passage célèbre p57 –on demande à tous les parano et tous les sensibles un peu paranoïdes de quitter la pièce, c’est rigolo, comme je suis un peu parano, je me suis dit qu’il ne fallait pas que je lise cette phrase, parce que tout ce que j’ai voulu cacher tout petit, ça va se découvrir…- il dit, c’est superbe, Qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, va se persuader que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. La trahison les presse par tous les pores. (rires) Et cette allure de détective, cette psychologie de démasquage accomplit la tâche de révéler l’inconscient par l’analyse de la sexualité infantile nécessaire pour le travail du rêve. Et dans le contexte de cette phrase qu’aucun mortel ne peut cacher aucun secret, que tôt ou tard, ça se démasque, Freud réinsiste sur la valeur expressive des symptômes hystériques. Ça, Szondi a beaucoup aimé. Freud va reprendre ce passage dans un texte de 1909 sur l’attaque hystérique. Considérations générales sur l’attaque hystérique. Ces symptômes représentent des morceaux expressifs d’acte de coït qui font référence à la scène primitive qu’évoquent ces propos : il peut se passer la nuit quelque chose qui fasse que je doive sortir. C’est ça quand il l’invite à être attentive aux résonnances des expressions qu’elle utilise. Et si elle est attentive, si elle a cette capacité de participation, du p-, - car si Szondi dit que pour faire une analyse il faut du p+- mais si il y a du p+, ça veut dire qu’en arrière fond il y a du p-, qui veut dire que je participe à, si je ne participe pas, ce n’est pas la peine, si je n’ai pas la capacité à être attentive à ces expressions qui peuvent mener jusqu’à cette phrase où il va trouver pour la première fois un des fantasmes originaires, la scène primitive.
Après, il reprend, et là, je vais hurler. Je ne vais pas le faire, mais j’ai envie. Et je vous remercie d’avoir pu retravailler Dora. Je vais hurler. Il reprend, -p60-, Je devrais d’ailleurs commencer par sérier –première grande erreur de traduction- les questions. Au lieu de me prononcer par oui ou par non quand il s’agit de savoir si l’étiologie de ce cas doit être recherchée dans la masturbation infantile, il me faudrait tout d’abord discuter la conception de l’étiologie dans les psychonévroses. En répondant, je me placerais à un point de vue tout différent de cela de la question, ce qui serait peu satisfaisant.
C’est un crime d’avoir traduit comme ça. Quand on reprend le texte allemand. Au tout début, c’est traduit par je devrais sérier les questions, alors qu’en fait on devrait lire je devrais rectifier la position de la question. C’est ça la traduction correcte. C’est dégueulasse pour Freud d’avoir traduit ça ainsi. Oury disait souvent le mal qu’on a fait à la psychanalyse par les mauvaises traductions. Il y a dans la traduction ensuite à la fin du passage : ce qui serait peu satisfaisant. Mais pas du tout ! Ce n’est pas dans le texte ! On lui fait dire ça à propos de sa rectification. En lui faisant dire un jugement dépressif sur sa propre réflexivité ! Et on met ce jugement sous sa plume. Mais c’est très grave de faire ça. D’où ça vient ? Ce n’est pas sérieux vis à vis de Sigmund quand même !
Michel : tu peux nous relire les deux phrases, la traduction de Marie Bonaparte et la tienne ?
Marc :
Je devrais d’ailleurs commencer par sérier les questions. Au lieu de me prononcer par oui ou par non quand il s’agit de savoir si l’étiologie de ce cas doit être recherchée dans la masturbation infantile, il me faudrait tout d’abord discuter la conception de l’étiologie dans les psychonévroses. En répondant, je me placerais à un point de vue tout différent de celui de la question, ce qui serait peu satisfaisant. …
Je devrais rectifier la position de la question. Au lieu de me prononcer par oui ou par non quand il s’agit de savoir si l’étiologie de ce cas doit être recherchée dans la masturbation infantile, il me faudrait tout d’abord discuter la conception de l’étiologie dans les psychonévroses. En répondant, je me placerais à un point de vue tout différent de celui de la question. Et il n’y a rien de plus. Rien !écrire ce qui serait peu satisfaisant est une incise inexistante dans le texte de Freud.
Ce à quoi Freud aspire, c’est un changement de point de vue, c’est à dire abandonner l’idée médicale de cause. Mais il rajoute quelque chose ici, et il a reconnu dans Civilisation de la culture que si on se met à la recherche de cause, il donne raison à Nietzsche, ça donne une véritable théorie de la névrose, c’est à dire une culpabilisation. On recherche le coupable. Quand on parle des causes, on recherche des coupables, sous forme d’enquêtes accusatrices.
Georges : des responsables ?
Marc : des responsables même ! les parents, moi-même, etc. Nietzche dit que c’est ça la théorie des névroses, chercher le coupable. Freud transforme la façon de poser la question. Ce n’est plus l’étiologie mais la pathogenèse. Par exemple, autour de la masturbation. Ce n’est pas la cause ! Il ne dit pas ça. On peut le lire facilement comme ça. C’est pour ça qu’il faut travailler les textes. Mais la masturbation joue peut-être un rôle dans le devenir malade dans la névrose, dans la mise en forme, dans la gestaltung. Les symptômes sont solidaires les uns des autres. Mais, là on a l’impression, aah, la masturbation est importante, aaah, est ce qu’il y a eu de la masturbation… ah oui, quand il était petit, il n’arrêtait pas de se masturber… et bien voilà, c’est ça….On peut encore parfois raisonner comme ça… qui ne le fait pas ? Il ne faut pas lever le doigt. Bien plus important est la théorie de la séduction à cette époque qui ne peut pas s’inscrire dans une logique étiologique. Pas comme cause. La séduction continue à jouer un rôle mais elle change de statut. Il pose la question autrement. Il rectifie, et non pas sérier la question. La séduction va trouver une place dans les fantasmes originaires. C’est en se risquant lui-même qu’il a fait ce passage de la séduction réalisée à la séduction fantasmatique. Ce dont Freud s’était aperçu pour abandonner sa théorie de la séduction comme facteur étiologique des névroses, c’est que les hystériques ne lui avaient pas seulement raconté des histoires, mais qu’elles l’avaient également séduit avec ces histoires. C’est superbe. La séduction se joue là. Et lui, le pauvre bonhomme, il va se défendre contre ce qui vient là et c’est plus tard qu’il va utiliser la notion de fantasme originaire pour essayer de manier plus ou moins bien le transfert. Notamment en psychothérapie et en psychanalyse, la séduction joue nécessairement toujours.
Deuxième rêve. Donc, on avait dit hier soir que Freud avait invité Dora avec les mots, alors elle s’active. Elle s’active tellement que dans le deuxième rêve, c’est le style de mitrailler Freud avec des questions. Elle pose des questions et se pose des questions. C’est quelque chose qui est inhérent au processus de la cure. Freud est génial. Il s’y arrête. Qu’est ce que c’est que ce changement dans le discours ? Il s’arrête à l’action même de poser des questions. Cette action, ce drame en grec, se condense dans le rêve. Un homme offre à Dora de l’accompagner. Elle refuse et préfère suivre son chemin seule. Le thème des questions, sur deux ou trois pages, aboutit aux identifications hystériques en repérant comment Dora dans le rêve, reprend le comportement d’un de ses amis auquel elle s’apparente à travers une identification. On appelle ça l’identification virile chez l’hystérique. Le but électif de cette identification est la rencontre de la femme. Et Lacan prend ce passage pour déboucher son commentaire sur la question de savoir ce que signifie pour Dora être un homme ou une femme. Freud dit simplement que le jeune homme est le pôle identificatoire qui détermine cette prise de position de Dora, position à partir de laquelle Dora poursuit des buts plus ou moins occultes pour elle même. Qu’est ce qu’elle va chercher par là ? Se mettre dans la position d’un homme en étant une femme ? Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la psychanalyse, c’est Jean Florence qui le dit, il lie un concept fondamental de la psychanalyse à la clinique. Tout simple, l’identification. Vraiment tout simple. Vous copiez qui ? Pour sortir, comme le disait Michel hier soir, cette dégénérescence de la personne, pour sortir de là, et ici, quand une personne parle d’une autre, elle parle d’elle même à travers l’autre. C’est tout bête. Ils ont tellement compliqué ce concept qu’on a oublié la base très simple. Quand on parle de quelqu’un d’autre, on parle de soi-même. Donc vous pouvez rayer ce mot difficile, identification. C’est pour ça qu’il dit que ce qui compte c’est ce qui s’exprime au lieu de ce dont on parle. Parce que sinon, on ne peut pas avancer. Mais, c’est dans notre connerie d’exister qu’on parle de l’autre.
Après, deuxième grand chapitre dans le deuxième rêve, l’analyse de trois fantasmes ou fantaisies. C’est encore un problème de traduction. La vengeance, la défloration et l’accouchement. Ces trois. P 73. En allemand, on a le mot phantasie. En français on a la traduction fantaisie ou fantasme. Quelle est la différence ? C’est énorme. Dans fantaisie, on accentue le caractère subjectif et processif du phénomène. Et dans fantasme, on accentue beaucoup plus l’aspect de produit du phénomène, ce que ça produit, le résultat, l’aspect de l’objet a dit Lacan. On trouve ça aussi dans l’étymologie. Dans la construction d’un mot. Par exemple, moi j’aime bien, on trouve ça dans la langue grecque, quand il y a une terminaison en grec sis ou ma. Par exemple, Poïesis, en sis et Poïma en ma. La poésie, on met l’accent sur le caractère subjectif et processif tandis que Poïma sur le produit. La poésie produit un poème. Et bien, cette distinction en grec du sis et du ma se retrouve en allemand entre fantaisie et fantasme. Donc pour Freud, quand il parle de fantaisie, par exemple quand il va commenter les contes fantastiques, comme Edgard Poe, ou Hoffmann, on est dans la fantaisie, mais par contre on est dans le fantasme quand on est dans le fantasme de vengeance contre le père, en rêvant qu’il est mort, elle le tue. Et Freud, dit aah, ça rejoint la logique causaliste, que quelqu’un de mort a été tué. Ce qu’on observe chez les enfants… génial… 4-5 ans… un animal… ouais… il est mort ! De froid ? Mais si personne ne l’a sauvé, c’est qu’on l’a tué quand même… donc ça commence à bouger, mais est ce qu’il est mort parce qu’on l’a tué ou est ce qu’on peut mourir comme ça ? Et Freud qui n’est pas trop fort avec les petits, avec le petit Hans, hop, il l’a foutu avec le phallus, mais bon, c’était exagéré quand même, et donc on a du attendre des gens qui aimaient bien les petits et qu’on peut mourir pour le plaisir de mourir quand même. Et comme ça, vous allez un peu vous occuper de moi… le grand-père il peut mourir quand même… ça suffit de ce grand-père complètement nul… allez, qu’il meure…
Donc, ce fantasme de vengeance. Et puis, juste après, il parle de zaruht, la passion de vengeance, la maniacalité de la vengeance, ne pas pouvoir arrêter d’être pris par la vengeance, cette passion de vengeance, ce qu’il appelle la maladie de vengeance. C’est juste après. Quelques lignes après. Entre le fantasme et la passion de vengeance. Appétit à se venger. Tout court, digne d’une maladie, d’une passion. Et Szondi avait pris cette phrase. Il avait bien lu Freud quand même, à sa manière. Cette maladie de vengeance, c’est plutôt une action, c’est quelque chose que je ne peux pas arrêter de faire, sur n’importe qui ou quoi. C’est un radical pulsionnel de l’être humain. Cette maniacalité. Qui peut se traduire dans le toxique, dans la vengeance, dans n’importe quoi. Et voilà. Et Freud, honnête comme il est, il pointe là son propre ressentiment vengeur. En deçà de son envie à lui d’interrompre l’analyse, il va définir comme un ingrédient important dans toute hystérie, cette tendance passionnelle de vengeance. C’est Szondi qui va le mettre à l’extrême comme un radical pulsionnel. Comme quelque chose en chacun de nous. Et que cela a joué pour lui aussi. Ah, vous n’allez pas me suivre. Et bien, vous n’avez qu’à partir. En accord mutuel, on s’arrête là. Ce ressentiment vengeur.
Le deuxième fantasme, c’est le fantasme de défloration. On arrive à nouveau dans une géographie sexuelle symbolique. P74. Tous ces trucs, la gare, le cimetière, en faisant intervenir les nymphes au fond d’une forêt épaisse, aucun doute n’était plus permis. C’était là de la géographie sexuelle symbolique. Ça veut dire quoi ? Si Freud arrive à voir dans la gare, le cimetière, un vestibule et tous ces mots des symboles d’organes génitaux, c’est via l’analyse d’un contexte linguistique de jeux de mots qui sert de support à l’interprétation symbolique, il retombe un peu là dans l’interprétation symbolique, dans le fantasme de défloration. Ce dernier vient en écho sur son interrogation de sa propre féminité, cette scène de la contemplation de la madone. Qu’il va reprendre plusieurs fois dans son texte.
Michel : en allemand, qu’est ce que ça donne ?
Marc : Madonna, Madonna. C’est le même mot qu’en flamand. Madona.
Michel : est ce qu’li peut se décomposer ce mot en allemand ?
Georges : en unités signifiantes
Marc : je réfléchis… Madonna… Maradona, oui. rires. Je ne sais pas. C’est une jeune maman. C’est une maman, si vous êtes allés à Bruges, si vous n’y êtes pas allés, on peut y aller tous ensemble en bus, la madone à l’enfant de Michel-Ange… c’est magnifique. Il faut voir ça une fois dans ta vie.
Michel : d’où vient le mot ?
Marc : tu as regardé dans ton dictionnaire célèbre ?
Brouhaha
Marc c’est une jeune femme, une conception avec un homme, non…
Michel : dona c’est la femme.
Marc : Madonna, c’est la dame. Freud ne s’arrête pas à ça.
Michel : dans la langue de l’amour courtois, c’est la dame.
Georges : ah, c’est là où tu veux en venir, c’est l’amour homosexuel. Allez, finis Marc
Marc : attend, attend… quand elle arrive dans cette ville. Devant la madone Sixtine, elle demeura deux heures en admiration, recueillie et rêveuse. Quand je lui demandai ce que lui avait tant plu dans ce tableau, elle répondit d’une façon confuse. Enfin elle dit : « la Madone. » Il est certain que ces associations appartiennent bien au matériel constituant le rêve. Elles contiennent des éléments que nous retrouvons sans modifications dans le contenu du rêve. (Dora refusa et alla toute seule- deux heures) Je remarque déjà que les « images » correspondent à un point de fonction dans la trame des idées du rêve (les images de l’album- les tableaux à Dresde). J’aimerais aussi faire ressortir le thème de la Madone, de la mère-vierge.
Michel : La Madone, c’était l’être aimé dans l’amour courtois.
Julien : Madona chante « Like a virgin »
Georges : ce sera le mot de la fin.
Louise : faim
Marc : Non, non, non. Encore un quart d’heure. Il faut qu’on soit correct. Pour tous ceux qui sont venus et qui ne sont pas allés au théâtre.
Dans l’analyse de ce second rêve, il démontre ces processus de condensation et d’identification. Il va reprendre cette triade à travers l’analyse du rêve. P78 en note. C’est une longue note. C’est ce passage là qui a été très important pour Lacan. Rappelons le rapprochement que Lacan fait entre le travail du rêve, déplacement et condensation, et les deux grands axes du langage introduit par Jacobson dans la linguistique avec les concepts de la rhétorique antique de métaphore et de métonymie.
Simplement. Un exemple. Boire une tasse. Cette expression est métonymique dans le sens de « une tasse de café » ou alors métaphorique quand on est dans la piscine en train de s’étrangler en avalant de l’eau. -Bon, on est un peu comme à l’école, c’est un peu didactique, c’est nul, mais après vous affinez les choses le lundi chez Michel… comme hier soir, ça m’a beaucoup plus hier soir- Si le travail de métonymie, c’est d’utiliser un autre mot, par exemple tasse, pour dire la même chose, le café, prenant la partie pour le tout, boire une tasse, par la métaphore, qui veut dire métaphore-transporter, le locuteur transporte un mot qui demeure le même, -et toute la question c’est qu’est ce que c’est le même-, d’un domaine à un autre de telle sorte que ce même mot en vienne à dire toute autre chose. Et alors Freud se demande ce que ça veut dire pour le travail du rêve. Car lui, il n’est pas du tout linguiste. Pas du tout. Et pour lui, il n’est pas du tout sûr que la structure du langage va permettre de découvrir l’inconscient. Non, mais il fait quand même quelque chose d’énorme. Au fil des associations, Dora parle, l’analysant commence par métonymiser en produisant des chaines associatives, une partie pour le tout, mais celles-ci le font repasser par le même point. Point de capiton plus tard. Par un même mot qui ainsi revient et par là peut dire autre chose, de telle sorte que des points de métaphorisation, transportés dans un autre contexte, apparaissent dans le tissu métonymique, la partie pour le tout. Donc, la chaine métonymique se forme dans une série de manière pour dire la même chose. Le point de métaphorisation, de condensation fait qu’un seul et même mot en arrive à dire plusieurs choses. Et bien, dès qu’il y a discours, dit-il, dès qu’on est dans cet art de parler, ces deux processus constitutifs de tout langage, condenser et déplacer, se mettent à interférer, à aiguiller…
Michel : oui, ça marche très bien l’aiguillage. On est toujours sur le même rail, et arrivés à un aiguillage…
Marc : Ouais ! Une lutte fratricide. OOOOui ! (Rires). Les hommes disent les mêmes choses à l’aide de différents mots et à l’aide de ces mots ils réussissent aussi à dire des choses nouvelles. Comment on peut dire ça ? Qu’est ce qui nous permet de dire des choses aussi bêtes ? parce qu’il y a des gens qui sont touchés, très forts, et là, on a le principe de l’anthropopsychiatrie à travers la méthode de la patho-analyse qu’on peut, à travers les gens qui souffrent dans cette zone là, qu’on peut diriger les choses en principe existentiel. Bête. Les hommes disent les mêmes choses à l’aide de différents mots et à l’aide de ces mots, les mêmes, ont réussi aussi à dire des choses nouvelles. Parce qu’il y a une pathologie de cela. Et c’était un des premiers textes de Freud que Roland Kuhn a traduit et sur lequel on a beaucoup travaillé. Les deux grands types d’aphasie : le malade ne parvient plus à dire à travers trop de mots. Et le deuxième type, le malade essaye de tout dire à l’aide d’un seul mot.
A la fin du texte, c’est sur le temps je le fais un tout petit peu et après, je te jure, j’arrête. P 76. La question des temps. J’aime beaucoup ce passage. Si cet après midi, vous pouviez le mettre en scène et ce soir on ferait un spectacle sur le temps… rires… il développe trois genres de temps. Le temps cosmologique, le temps de la nature mais dans le sens du cosmos qui a été jusqu’à Freud, réfléchi dans les labos des physiciens et qui a été inscrit dans la biologie, dans le sens classique du terme, par Fliess, qu’il va appeler les temps périodiques, et cela a été très fort pour Freud, Fliess l’a inspiré longtemps et il l’a transformé à regret, quand même. Il y a le temps individuel, la manière dont chaque individu vit personnellement le temps, et il y a l’intemporalité constitutive qui ne s’inscrit ni dans le temps individuel, ni dans le temps cosmologique, et qui est le temps de l’inconscient. Et c’est la première fois qu’il le dit. Je trouve ça très beau comment il se débrouille ici et comment il essaie de se mettre à la marge de Fliess. Le temps n’est indifférent à rien à certains fonctionnements biologiques. On va certainement trouver dans le fonctionnement organique le temps cosmologique. Le temps cyclique de l’homme et de la femme. Le temps des 28 jours, de 21 jours, le temps périodique des divers intervalles de temps dans les champs de la biologie.
Le temps individuel, cette propriété de l’être existentiel qui va introduire un autre temps que le temps global, cosmique et que l’on va retrouver dans la distinction de tous les jours… surtout dans une cure… r vous à 11h. Il arrive à 11h moins quart… Trop tôt ! (Rires) Ou alors, trop tard… Von Weizsäcker va reprendre ça. La différence entre le temps cosmique et le temps individuel, c’est le trop tôt, trop tard. Dans Dora, qu’est ce qu’il fait ? Freud ne reprend pas les idées périodiques de Fliess, il découvre avec l’art de l’interprétation le temps de l’intervalle. L’intervalle de temps. P 76. J’aime bien ce passage. … Vous n’avez que le lire… ce qui avait mené Dora à son appendicite jusqu’à la scène du lac. Réponse : 9 mois. Ce qui permet à Freud d’inférer le fantasme de l’accouchement. Il arrive à ce troisième fantasme par l’intermédiaire du temps. L’accouchement. Du coup, la prétendue appendicite se rattache à la signification inconsciente d’un accouchement. Et la gêne éprouvée lors de la marche, elle traine la jambe, à celle d’un faux-pas commis. Un faux-pas sexuel fantasmé à partir de son rapport à M.K. Cette scène là. Très bien écrit. Je trouve que c’est un des passages les mieux écrits. La séquelle qui consistait à trainer la jambe, séquelle s’accordant si peu avec une pérityphlite, devait plutôt se rapporter à la signification secrète, probablement sexuelle, du tableau clinique et pouvait, par conséquent, si l’on réussissait à en éclaircir l’origine, projeter de la lumière sur la signification recherchée. Etc. il se trouve donc conforté dans l’idée que les symptômes hystériques ont toujours une valeur sexuelle. A chaque fois que j’ai construit quelque chose, j’arrive là-dessus. Et il conclut p77 : qu’on ne peut prendre de pareils symptômes que lorsqu’on en possède un modèle infantile. Amen
Dans l’épilogue, il y a Freud, pas comme neurologue, mais qui dit qu’il faut tenir compte des phénomènes biologiques, tu peux faire une psychothérapie avec quelqu’un qui a un trauma neurologique, mais il faut en tenir compte.
Deuxièmement, il dit que le psychanalyste doit être psychopathologiste. Il reprend avec force que la sexualité est la force motrice de chaque symptôme. Et troisièmement, il annonce que le travail qu’il doit faire avec toutes ses oppositions avec Dora a à voir avec ce qu’il appelle le transfert. Amen. Stop.Cliquer ici pour modifier.
CATE Certificat d'Art thérapeute |
Module Art thérapeute suivis thérapeutiques individuels et de groupe
Prérequis: CATI + stages en établissement ou en poste d'Art thérapie durée entre 12 et 24 regroupements de 2 journées dont une théorico pratique et une de supervision professionnelle. L'art thérapeute pourra exercer son activité professionnelle salariée ou indépendante, impliquant la maîtrise des fondements scientifiques de sa profession, conduisant à une autonomie professionelle, une éthique de travail ainsi qu'une démarche de recherche. CATE sera présenté à sa certification devant le COMITÉ SCIENTIFIQUE. niveau 2 ou 1 suivant mention du jury |
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"François, Jean, Hélène et les autres..."
2014, 2016, 20...
PROPOSÉ PAR
JACQUES TOSQUELLAS, FERNANDO VICENTE,
PIERRE DELION ET MICHEL BALAT
ET COORDONNÉ PAR FLORENCE FABRE
ET LE COLLECTIF DE L'ATELIER
23 et 24 septembre 2016 POLYFONIE ET POLYFOLIE
25 et 26 septembre 2014 HOMMAGE À TOSQUELLES
25 et 26 septembre 2014 HOMMAGE À TOSQUELLES
Premier rendez vous initié par Jacques Tosquellas, Fernando Vicente et Michel Balat les 26 et 27 septembre 2014 pour l'Hommage à Francois Tosquelles. Suite à cette belle rencontre sur Elne, l'Equipe de Jacques Tosquellas, Fernando Vicente , Pierre Delion, Michel Balat et Florence Fabre ont pris la décision d'organiser des formations en septembre à Elne.
L'Idée de cette formation est de créer un rendez vous tous les deux ans permettant au delà de la formation en elle même, la rencontre entre professionnels et la transmission de concepts processuels en perpétuels mouvements.
L'Idée de cette formation est de créer un rendez vous tous les deux ans permettant au delà de la formation en elle même, la rencontre entre professionnels et la transmission de concepts processuels en perpétuels mouvements.
LE SALOON
Espace ouvert les mardi après midi, Le Saloon est le lieu d'articulation de la vie quotidienne.
LES GAZOUILLEURS
LE JARDIN
|
LA CAISSE DE SOLIDARITÉ
LES IM'PARFAITS (3 jeudis par mois de 13h30 à 16h30)
Beaucoup de personnes sont en difficultés, afin de pouvoir accéder à un accompagnement Art thérapeutique ou de ne pas interrompre un suivi pour des raisons pécuniaires, j'ai imaginé la création d'une marque où chacun pourrait apporter son aide.
La fabrication d'objets créatifs, d'outils faits par les gazouilleurs, des oeuvres cédées par des artistes à vendre au bénéfice de la caisse de solidarité ou même la participation active d'artistes en vue de créer une série d'objets. Quelques créations ont déjà vu le jour et les prochaines vous les verrez très bientôt lors de nos portes ouvertes. Petite pépinière collective de la vie quotidienne qui bouture, greffe et se prépare pour récupérer quelques économies pour l'Association lors d'événements.
LA PEPINNIÈRE (3 mardis par mois de 10h à 12h)
L'ATELIER VU PAR SON PARRAIN
LE DONL'Accueillette est une association a but non lucratif qui peut recevoir des dons.
Nous serions heureux de recevoir des dons financiers mais également des dons de matériels. Nous remercions les donateurs particuliers qui nous ont fait confiance et qui ont permis la mise en place de nouveaux projets. Nous remercions également les Associations donatrices comme L'AMPI de Marseille, La nouvelle Forge dans L'Oise. Nous seront heureux de vous compter parmi les généreux donateurs afin que nous puissions continuer d'inventer cet espace et son quotidien en vous remettant le formulaire CERFPA pour votre comptabilité. |
L'ART THÉRAPIE DES ADULTES
L'ÉQUIPE DES ANIMATEURS D'ATELIERS
Florence Tubert, Marie Schmitt Mohamad Omran et Florence Fabre avec la possibilité d'intervenants artistes ponctuels en fonction des projets L'ÉQUIPE D'ANIMATRICE INSTITUTIONELLE DE LA VIE QUOTIDIENNE
Charlotte Bompieyre Laure Lebrave |
Psychopathologie des soins quotidiens – Une boussole pour soignant désorienté
Mission Sans-Abri de Médecins du Monde
Texte présenté aux XXXIè Journées de Psychothérapie Institutionnelle
12-13 Octobre 2017
Le texte que nous vous présentons aujourd'hui a été élaboré, pensé et rédigé en équipe afin
de vous témoigner de notre travail auprès des personnes sans abri ainsi qu'au sein de notre collectif.
Notre démarche est celle d'aller-vers les personnes de la rue, au rythme de trois ou quatre
maraudes par semaine, de jour ou en soirée, à pied, en civil, régulièrement dans le même périmètre
et toujours en binôme car il est essentiel de ne pas s’engager seul dans la rue. Parce qu’« un homme
seul n'est pas un homme » disait Lacan, nous visons à créer du lien, des liens, afin d'amarrer le sujet
en errance, relever et mettre en mouvement le sujet coulé dans l’asphalte du trottoir. Créer un lien
pour lui permettre d’exister et de s’inscrire dans des soins somatiques ou des prises en charge
sociales. Si le sens de notre action prend racines dans la rue, celle-ci acquiert toute sa signification
au cours et grâce aux réunions hebdomadaires d’échanges et de travail, lieu de récits certes, mais
surtout invitation à la parole avec nos inquiétudes, nos doutes et nos interrogations. Pour nous, une
remise en cause permanente de nos certitudes est plus qu'obligatoire, nous ne pouvons pas y
échapper. Portés par les valeurs de Médecins du Monde, « Soigner et témoigner », toute notre action
s’accompagne d’une attention à l’autre, sans-abri ou Maraudeur, car la précarité n’est pas réservée
aux gens de la rue : elle traverse également le vécu des habitants de la ville, des institutions, des
travailleurs sociaux avec lesquels se tissent des liens invisibles.
La préparation de cette présentation a été l'occasion de nombreux échanges. Écrire pour
s'exposer dans sa parole est toujours une prise de risque, produit des effets inattendus et souvent
féconds ; ici aussi, la mise au travail est venue révéler la tension dialectique qui s’exerce en nous et
entre nous dans la réalisation de « notre mission ».
« Psychopathologie des soins quotidiens, une boussole pour soignant désorienté »… De
prime abord, ce sujet était fait pour nous car parler de désorientation et de boussole à des
maraudeurs, forcément, ça matche ! Les « soins quotidiens » cela semblait bien être notre « job » …
car ce que nous prétendons, c’est prendre soin de la personne sans abri dans une présence aussi
quotidienne que possible. Mais peut-on qualifier notre action de « soins quotidiens » alors que nous
faisons irruption dans la vie des SDF ? Et sommes-nous des soignants ? Psychopathologie des soins
quotidiens, qu’est-ce que cela veut dire ? Avec sa psychopathologie de la vie quotidienne, Freud
révèle l’inconscient qui nous gouverne. Avec cette « psychopathologie des soins quotidiens »,
sommes-nous invités par l’AMPI à nous intéresser à cet inconscient qui se dévoile dans nos
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errements ? Et de quel inconscient parlons-nous ? Celui des personnes vers lesquelles nous allons
ou le nôtre ? Ainsi, nous avons donc recherché nos impasses, nos dissonances, nos refuges pour
tenter d’entendre quelque chose…
Tel un autre maternel suffisamment bon, notre démarche est d’abord celle d'aller à la
rencontre de cet autre, de ces autres en rupture avec le social, assis sur le macadam une main
tendue, une casquette devant eux. C'est ainsi que nous décidons, au gré de nos pérégrinations, de
nous arrêter sur les bords du chemin et d'adresser un regard, une salutation, au creux du quotidien
de ces personnes exclues, au moment de la manche, du repos, du déjeuner, chez eux, sur ce bord de
trottoir ainsi approprié le temps d'une halte plus ou moins éphémère.
Comment s'adresser à eux et comment être accueillant ? Dans ce mouvement d’aller vers,
nous nous rendons chez eux, nous les interpellons, notre présence, nos mots s’imposent à eux sans
qu’ils n’en aient rien demandé. En retour, ils restent figés, ou nous regardent passivement nous
rapprocher, ils nous serrent la main, nous tendent leur chapeau, nous questionnent : « Qu'est ce que
vous voulez ? »... C’est vrai ça, « qu’est-ce que nous voulons » ?
Pourquoi s’adresse-t-on à un tel plutôt qu’à tel autre ? Qu’est-ce que nous disons à notre
corps défendant en désignant telle ou telle personne comme une personne sans abri ? Chacun fait
selon son inspiration, ses peurs, ses fantasmes, les uns évitent les groupes, les autres les personnes
très alcoolisées, les derniers ceux qui crient … Ce sont nos propres mouvements psychiques qui
nous font nous déplacer vers les uns plutôt que vers les autres.
Aller vers, c’est faire précéder l’offre à la demande. Cela commence toujours par un regard,
un mouvement, un geste et quelques mots :
« Bonjour, comment allez-vous ?»
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? Vous avez besoin de quelque
chose ? »
« Bonjour, je m'appelle Corinne, est-ce que je peux parler avec vous ? Je ne vous dérange
pas ? »
« Bonjour, est-ce que je peux m'asseoir pour discuter avec vous ? »
« Bonjour, moi c'est Marine et vous, c'est comment ? »
Si nous nous présentons comme une équipe de MDM, ce n’est que très rarement que nous
précisons notre profession, en particulier ceux d’entre nous qui pourraient faire partie des
« soignants », de peur peut-être que cet énoncé ne puisse venir entraver la possibilité de la
rencontre, nous réduisant à n'être les uns et les autres que des soignants et des soignés.
« Bonjour, comment allez-vous ?». Cette phrase que dit-elle de nous ? N’est-ce pas une
étrange façon d’aller vers : de quelle place demandons-nous à l'un de nos semblables comment il va
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avant même de le connaître ? Apparemment « si naturelle » ou bienveillante, cette phrase ne seraitelle
pas violente ou intrusive ? Elle semble inscrire d'emblée cette personne que nous souhaitons
rencontrer dans une différence ; elle énonce quasi-explicitement nos fantasmes de réparation, elle
véhicule nos représentations de la précarité, nous réduisant le sujet au « sans abrisme ».
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? vous avez besoin de quelque
chose ? ». L'accroche implique ici une demande matérielle, elle nous protège, légitime notre venue,
correspond à nos projections… Mais ne prend-on pas le risque qu’elle ouvre et ferme la rencontre
dans le même temps ? Sommes-nous vraiment là pour ça ? Pourquoi venons-nous interroger leur
besoin quand le plus souvent nous ne pouvons pas y répondre ?
On le voit, ce premier contact est difficile pour eux peut-être, pour nous certainement. Il n’est pas la
rencontre mais il n’a de sens que s’il peut être inaugural à celle-ci.
Avec pour références la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse, nous voulons
déployer une clinique de l’accueil, d’humanisation du Sujet, une clinique qui permette une mise en
élaboration progressive d'une parole, conduisant à une restauration du sujet et de son espace intime.
Tout en défendant la logique médico-sociale de Médecins du Monde (la survie de chacun et l’accès
aux soins pour tous restent pour nous une préoccupation permanente), nous souhaitons nous situer
dans le champ de l'intime, au plus près du sujet pris dans une double aliénation psychique et sociale.
Comment déployer cette clinique de la présence dans la rue ? Qu’est-ce que la présence dans un
espace qui n’existe pas, en tant qu’il est sans limite et mouvant ? Quel espace notre présence
pourrait-elle ainsi venir habiter ?
Confrontés nous même à l’errance dans nos maraudes, notre premier défi est de rendre notre
présence ni évanescente ni envahissante. Issu du latin sionare, le « soin » signifie « s'occuper de »,
il est « l'attention que l'on porte à faire quelque chose avec propreté, à entretenir quelque chose. » Il
suppose quelque chose de la continuité, de la quotidienneté. C’est alors cette répétition dans le
temps qui est l’objet de notre attention. La régularité de nos maraudes et nos rituels langagiers ou
gestuels viennent scander le temps, marquer des limites à l’espace informe et crée les possibilités de
la rencontre. Ils nous rendent présents. C’est cela notre premier engagement et c’est le plus
exigeant.
Car cette continuité et cette position d’accueil sont difficiles à tenir.
Nous croisons un jour Emile, avec qui nous avons développé quelques liens au fil de nos maraudes,
parlant avec lui de son histoire comme de l'Histoire de la France, de musique et de littérature, de
chiens … Allant vers lui, l'un de nous demande une première fois « Comment allez vous ? »,
« bien » répond-il. Nous sommes sur une artère passante, il y a beaucoup de bruit, nous nous
asseyons par terre près de lui. Distraits par cette installation, nous n’entendons pas sa réponse et ré-
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itérons la question « Comment allez vous ? ». Emile se lève brusquement, cherchant à échapper à
notre présence, il s'énerve, crie : « Mais qu'est ce que vous me voulez à la fin je n'ai pas besoin de
tuteur moi, je n'ai pas besoin d'un tuteur ! ». Nous restons figés, désarçonnés, décontenancés,
plongés dans notre incompréhension. Nous tentons de le calmer mais rien n’y fait, il est debout,
s'agite, très impressionnant. Après un échange de regard, nous prenons la décision de partir face à
son refus de nous parler et le saluons timidement.
Que s’est-il passé pour Emile dans cette rencontre ? Quelle absence, quelle intrusion serions-nous
venus introduire ou incarner ?
Dans un après coup, une fois l'émotion de cette altercation atténuée, nous réalisons que, pour la
première fois, avant d’aller vers lui, nous nous étions adressés à un autre homme non loin de lui.
Cet événement, pourtant anodin, serait-il venu souligner notre appartenance à Médecins du Monde
et placer Emile comme un SDF parmi tant d'autres ? Comme si, tout à coup, nous n'étions plus sur
un pied d'égalité, nous venions représenter un grand Autre social trop persécuteur, un « tuteur ».
Dans « tuteur » il y a presque tueur… Nous sommes-nous montrés défaillant à ne pas l’entendre,
trop pris par notre propre installation ? Avons-nous fait intrusion chez lui ? Nous n’avions pas
demandé si nous pouvions entrer…
Ainsi, entre une absence d'Autre social fuyant ou un vécu de sa trop grande présence
touchant à la persécution, nous nous situons sur un fil de funambule, tentant de ne pas vaciller entre
deux écueils. Notre engagement dans la continuité est une nécessité lorsque nous faisons le pari
d'un possible, d'une création dans et par le lien. Pour nous qui n’apportons rien, cette présence à
l’Autre n’est faite que de cette continuité. Elle est notre clinique du quotidien, dans la répétition
régulière de nos mots et de nos mouvements venant différencier les espaces pour permettre de les
habiter. Répétition des soins de cet autre souvent maternel, renforçant le sentiment de continuité
d’existence et débouchant sur la construction d’un récit, d’une histoire, commune qui nous lie les
uns aux autres.
Pour les sujets souffrant de troubles psychiatriques, la rencontre avec l'Autre dans la rue,
peut avoir pour conséquence une déglaciation selon les termes de Salomon Resnik, une réanimation
psychique du sujet, où nous devons faire attention aux mouvements de retour de refoulés, à la
résurgence d'événements traumatiques, de mouvements d'agressivité, dans ces moments
particulièrement intenses. Entre défaut ou excès de circulation, telles deux faces d'une même pièce,
« l'asphaltisation » comme l’errance viennent anesthésier le sujet dans la rue, dire son impossible
inscription dans le monde et le « tenir » à distance. L'émergence d'un discours adressé à un Autre
pourrait entraîner une hémorragie psychique ou réactiver une fuite, face à l'incapacité d'inscription
en un lieu, en une temporalité fixe et faisant sens pour le sujet. Alors que d'autres patients peuvent
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se mouvoir physiquement comme psychiquement entre différents lieux, dans une possibilité de
circulation entre les espaces externes et intimes, les plus fragiles dans la rue n’ont souvent pour seul
lieu de référence que l'asphalte même, où le bord du trottoir peut venir marquer un bord de
précipice psychique à la chute sans fond.
L’histoire de la mission est celle de ces moments heureux où les personnes avec lesquelles se
sont tissées des liens ont pu trouver un lieu où s’inscrire, vivre ; mais elle est aussi celle de moments
douloureux où la décompensation somatique ou psychique nous rappelle parfois dramatiquement
que ce qui nous paraît urgent ne l’est pas toujours, et que le temps de l’action doit respecter le temps
psychique du sujet. Nous pourrions ainsi vous raconter l’histoire de Jean Claude ou celle de
Georges qui sont décédés quelques mois suite à leur mise à l’abri.
Survivre est parfois plus facile que vivre.
L’équilibre est fragile, la continuité délicate à maintenir, mise à mal par le Réel. « L’absurde
naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde », nous dit
Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe (1942). Cette clinique de l'extrême, de l’absurde nous
plonge inlassablement dans un non sens.
Travailler en équipe, marauder en binôme ainsi que penser et développer notre boîte à outils
deviennent alors sans cesse nécessaires : sans cela, comment penser cet absurde, comment faire face
à cette violence ? Sans réflexion, il y a ou trop ou pas assez de retour, de continuité, prenant le
risque de faire vaciller les fragiles constructions subjectives bâties sur les bords de l’errance ou de
l’asphaltisation.
La question du don revient massivement dans nos réflexions. Elle est omniprésente par la
misère qui s’offre à nos yeux ou par la demande plus ou moins explicite des personnes que nous
rencontrons.
Cette dernière nous ramène une nouvelle fois à l'absurde et à l’inconfort de notre démarche. Faut-il
ou non donner ? Si nous donnons un jour, que fera-t-on le jour suivant ? Si nous ne donnons pas, ne
faillons-nous pas à être cet être secourable ?
Nous en parlons sans cesse en réunion :
« Quand je rencontre quelqu'un qui a vraiment faim comme ce soir, je fais quoi : je parle ou je
lui donne un sandwich ? »
« Moi je les nourris d'abord pour qu'ils parlent la semaine d'après. »
J’ai rencontré Jean, je l’ai invité à venir à la Sardinade. Il m’a rétorqué « Tu vas pas m'acheter
avec des sardines. »
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« On rencontre un slovaque qui nous demande sans arrêt des baskets du 47, mais c'est pas
évident de trouver des baskets du 47 ! On a fait tous les magasins de sport mais ils s'arrêtaient
au 45, on était désespéré. Finalement, le mec a disparu une fois qu'on les avait trouvés,
heureusement qu'on les a pas acheté ! »
Moi l’autre jour j’ai demandé « Qu'est ce qui pourrait vous faire plaisir ? »… et du coup il m’a
répondu : « Vous croyez qu'on a beaucoup de plaisir dans la rue ? »
« Moi j'avais à manger quand j’ai maraudé hier et donc je leur ai donné… On dira que c'est
parce que je suis nouvelle, que je savais pas qu’on ne donnait pas. »
Nous nous sommes réunis en séminaire l’année passée pour tenter cette question.
A cette occasion, sous avons redit le fondement de notre mission : s'intéresser avant tout à la
relation et ce, sans céder sur notre désir qui risquerait de nous plonger dans du pur humanitaire.
Pour cela, notre travail est d’accepter la frustration de ne pas aider matériellement, de se confronter
à la castration, de se dégager d'une position où nous voudrions faire pour l'autre, à sa place. Nous
sommes là sans rien, et dans ce « rien » se cristallise toute notre position soignante, car, ne venant
rien boucher de la relation avec un objet, nous laissons plutôt dérouler quelque chose du sujet et de
sa demande. Ce rien ouvre le don de confiance et la relation transférentielle. Ce que nous offrons,
c’est nous-même, notre personne propre comme lieu d'adresse Autre où nous accueillons une
singularité malmenée par les errements de l'exil ou de la fuite, les problématiques toxicomanes,
psychotiques ou encore les questions existentielles propres à chaque sujet.
Pour autant, nous ne pouvons laisser quelqu’un mourir de froid dans la rue, ou sans eau en
plein été. Et il n’y a pas à se questionner : ils ont froid, on donne le duvet, ils ont soif, on donne de
l’eau. Toute la difficulté est que cet objet vital ne devienne pas alors tout l’enjeu de la relation : il
est un à-côté sur lequel nous n'avons pas à nous arrêter. Ainsi, nous sommes partis contents de notre
séminaire avec un nouvel outil en poche « L’objet n’est pas un enjeu » !
Soit « l'objet n'est pas un enjeu », mais que devons-nous faire lorsqu'il semble le devenir ?
Nous rencontrons régulièrement un groupe d'hommes. Parmi eux, des personnes qui ont un abri la
nuit mais errent toute la journée durant, d’autres qui sont dans des squats ou à la rue. Plusieurs
d’entre eux ont des soucis de santé importants. Ils sont pour certains pris en charge par des équipes
partenaires sociales ou sanitaires. En lien avec eux, nous tentons de nous rendre présents à eux pour
accompagner à terme les plus fragiles vers les soins. Souvent, quand nous allons les voir, ils sont
alcoolisés et continuent à s'alcooliser devant nous tout en étant toujours accueillants.
Une fois, ils nous demandent à manger. Parce que nous sentons que certains d’entre eux sont en
grande difficulté et parce que « l’objet n’est pas un enjeu » et que, on leur achète de quoi se faire
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des sandwichs. Une fois, deux fois, trois fois… Chaque fois qu'un binôme de maraudeurs passe les
voir, ils sont par un transfert massif et une demande matérielle qui prend de plus en plus de place.
Nous en parlons, y retournons, et cette fois, on les accompagne pour qu’ils achètent eux-mêmes.
Lors d'une maraude où ils ne sont que trois, ils disent avoir froid ; nous nous engageons à leur
ramener des duvets, tel jour vers telle heure. Au moment prévu, nous arrivons avec nos trois
duvets : ils sont cinq ! Embêtés, nous tentons de tenir quelque chose de notre parole ou de se
protéger derrière l'énonciation d'une règle : « Les duvets étaient pour telle et telle personne, si vous
en voulez on vous en ramène la prochaine fois ». L’agitation, le ton montent… Nous nous sentons
pris dans des enjeux groupaux qui nous échappent. Nous laissons les 3 duvets, très soucieux des
effets de ce « don insuffisant », un instant angoissés à l'idée qu'ils puissent se battre, tentant de se
rassurer l'instant d'après en se disant qu'ils en ont régulièrement et « de toute façon, ils les
revendent ». Nous nous défendons comme nous pouvons, face à nos fantasmes, et cette réalité en
étroite collusion avec un Réel inquiétant.
Quelques jours plus tard, une autre équipe, une autre maraude. Ils sont toujours en groupe.
Le dialogue s’engage mais nous sommes préoccupés par Rachid qui est très affaibli. Il ne veut pas
qu’on appelle les secours ni aller consulter. Il tremble. Très hésitants, nous finissons par prendre
congés d’eux. Puis nous revenons sur nos pas, inquiets, pour proposer un café ou un chocolat chaud.
Amine nous agresse : « Et vous croyez qu’on a besoin de vous pour cela ? »... et « D’ailleurs à quoi
vous servez ? ». D’autres membres du groupe viennent nous protéger « Tu sais bien qu’il n’apporte
pas à manger, MDM ! ». Rachid nous retient par le regard mais ne s’exprime pas. Amine se lève,
l’excitation croît. Les autres calment le jeu « Vous pouvez y aller, ne vous inquiétez pas ». Nous
repartons.
Dans la rencontre avec ce groupe, plusieurs phénomènes sont venus se télescoper : le
groupe, la présence parmi ses membres de Rachid, très affaibli, épileptique et grand alcoolique,
objet de notre souci, le froid,… Et l’effet de notre séminaire de réflexion venu nous mettre à l’abri
de notre inconfort par cette belle formule que « l’objet n’est pas l’enjeu ». Lors de nos reprises en
réunion hebdomadaire, dans un travail de constellation transférentielle, nous avons pu toucher du
doigt ce qui sans doute s’était joué à notre insu : nous avons découvert que dans ce groupe, Amine
avait une place de leader, de protecteur… En apportant ces duvets, en prenant soin de Rachid, nous
étions venus déstabiliser le fonctionnement du groupe et peut-être destitué Amine dans la place qu’il
prenait en son sein...
Nous sommes en permanence aux prises de ce conflit : d’un côté agir face à la maladie et à
la misère et d’un autre désirer respecter le temps psychique du sujet.
Si l’objet n’est pas en enjeu, la place de l’objet dans les relations que nous tissons avec les
personnes de la rue ne serait-elle pas tout l’enjeu de notre propre travail psychique ? Ne serait-ce
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pas dans l’analyse « psychopathologique de nos dons » que les soignants désorientés que nous
sommes pourraient trouver leur boussole ?
Nous rencontrons un couple, Anne et Vincent. Anne est enceinte de sept mois. Cette situation
est pour nous tout de suite une urgence, il faut que nous puissions être là si besoin est au moment
de l’accouchement. Trois maraudeurs vont à leur rencontre plus régulièrement et leur donnent
un numéro de téléphone. Vincent, toxicomane, n’est pas suivi ; Anne dit être « clean », elle est suivie
par un CSAPA. A chacune de nos rencontres, ils nous rassurent tout en nous demandant implicitement
quelque chose, jamais directement. De l’argent surtout, pour manger, pour une nuit d’hôtel,
pour préparer la venue du bébé… On hésite à donner, puis on donne, on se réunit, on en parle, puis
on hésite…
- Pourquoi de l’argent ? Est-ce pour acheter de la drogue ?
- Ils ne peuvent pas rester à la rue, cet enfant ne peut pas naître dans le caniveau, nous devons
leur payer l’hôtel jusqu’à l’accouchement…
Tout nous fige. Cet enfant qui peut naître sur le trottoir c’est l’image de cette détresse primordiale
qui vient nous cueillir. Nous sommes comme fascinés, pris par cet hilflos mortifère, par
cette jouissance inconsciente face au spectacle voyeuriste d'une réalité de la misère confinant au
Réel. Nous ajoutons des réunions "exceptionnelles" au mois d'août, on essaie d'élaborer autour de
cette demande toujours implicite mais omniprésente. Nous relevons toutes les incohérences de leur
discours, nous tentons de comprendre leur demande. Nous les connaissons peu finalement, nous
n’avons que très peu d'éléments de leur histoire. Nos fantasmes viennent recouvrir la réalité… On
imagine, se répète, se questionne, puis... On redescend sur terre... Et de nouveau on imagine, se répète,
se questionne. Bref, nous tournons en rond avec l'envie et le besoin pour eux comme pour
nous de se décaler de ce temps chronologique mais dans une impossibilité. Ce bébé va arriver, elle
va accoucher et le risque qu'elle accouche dans la rue est grand. C'est une urgence mais le temps logique
de l'inconscient ne prend, lui, pas en compte cette urgence.
Le temps passe... Elle accouche, tout se passe bien même si c’est moins une. Les analyses
révèlent de nombreux toxiques dans le sang de la mère. S’ensuit le sevrage du bébé. Le père arrive à
s'engager dans une prise en charge. Ils sont suivis par la maternité puis par trois associations différentes
au moins. Nous travaillons avec les autres acteurs ; ils tentent de répondre à leur demande,
cèdent puis lâchent : la maternité les fait sortir, une association leur donne une somme d’argent pour
une mise à l’abri temporaire avec l’enfant puis disparaît... Semble ainsi se répéter un mouvement où
l’objet n’arrive jamais à satisfaire la demande mais où il vient rompre les liens. Pendant ce temps là,
nous tentons de maintenir un lien. Ils ne nous appellent que pour demander. Nous avions donné un
peu d’argent pour quelques nuits d’hôtel avant l’accouchement… Cet argent n’a sans doute pas ser-
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vi à cela… Nous cédons à nouveau sur les couches et sur la poussette, « parce que c’est le soin du
bébé et que cela fait partie de la mission de MDM »… en fait la PMI fournit déjà tout cela… Nous
voilà nous aussi pris dans leur propre répétition… Mais nous le lâchons pas, nous tentons de rester
là pour eux, au-delà des demandes… Nous les écoutons, nous parlons de leur demande, nous ne disons
non, nous tentons de les accompagner vers des acteurs qui pourraient les aider… Et ce faisant,
ils continuent à nous rappeler, un lien semble s’être créé. Et demain ? Nous n’en savons rien, nous
tentons de rester connecté sans imposer notre présence.
De quel objet parlons-nous ?
Il y a l’objet qui répond aux besoins de première nécessité sans lequel il n’y a pas de vie. La
mère nourrit l’enfant de lait et de mots. Dans le dénuement extrême, et c’est le cas pour tous ces
corps échoués sur l’asphalte, rigidifiés par le froid, l’ivresse ou la chaleur, il ne peut y avoir d'autre
maternel sans ses soins de première nécessité.
Il y a l’objet qui est le support à la découverte de l’environnement, l’objet sur lequel vient
s’étayer la relation, l’objet qui permet de parler. Pendant plusieurs années, un membre de la mission
a apporté à un monsieur psychotique qui vivait dans la rue chaque semaine, une canette de coca et
une orange. De canette en orange s’est tissé un lien qui a permis après plusieurs années de mettre à
l’abri ce monsieur. Et aujourd’hui encore, on lui apporte cette canette et cette orange hebdomadaire.
Ces objets ont ouvert la possibilité d’un autre. Le don invite au contre-don, selon Marcel Mauss, il
est au fondement de l’échange et de l’organisation sociale.
Et puis il y a l’objet qui vient boucher la demande, parce qu’il la précède, la camoufle. Cet
objet qui nous rend sourd en nous enfermant dans notre satisfaction narcissique.
Citons une personne anciennement SDF « Donner, je trouve que ça instaure une hiérarchie. On
n’est pas sur un pied d’égalité, cela nous met en dette. J’ai beaucoup de reconnaissance vis-à-vis
de ce que l’on m’a donné quand j’étais SDF, mais revenir à la vraie vie, ce n’est pas être redevable
tout le temps. Quand on reprend sa place d’humain, on doit pouvoir refuser cette dette ».
La place de l’objet est chaque fois à repenser selon les situations, avant et sur le moment mais
surtout dans l’après-coup car ce qui compte, ce n’est pas tant ce que nous faisons ou donnons dans
la rue (faire et donner c’est aussi prendre le risque de la vie), ce qui importe c’est la pensée qui suit
nos actes. Car c’est dans l’après-coup qu’un acte peut devenir passage à l’acte.
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En conclusion : une clinique de l’humanité
« Tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil italien [Lorenzo] m'apporta un morceau de pain
et le fond de sa gamelle de soupe ; il me donna un de ses chandails rapiécés et écrivit pour moi une
carte postale qu'il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et
n'accepta rien en échange, parce qu'il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût
rapporter quelque chose. […] Je crois que c'est justement à Lorenzo que je dois d'être encore vivant
aujourd'hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa
présence, par sa façon si simple et facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un
monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie
n'avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose
d'indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se
conserver vivant. [...] C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas oublié que moi aussi j'étais un
homme. » Primo Levi, Si c'est un homme, (1947), p.186-190.
A l'heure d'un lien social tarifé, marchandisé, contre-sens anthropologique, selon le mot de
l'économiste Frédéric Lordon, notre mission de rue vient s'inscrire dans les rides d'un travail
abandonné par le politique, se reposant sur le secteur associatif et militant. Nous nous situons ainsi
aux confluences étymologiques du creux, ruga, la rue, la ride, d'un visage courroucé et sévère, le
creux marquant aussi l'espace entre deux bords. Ici s'établit une première tache sur laquelle nous
nous portons : du bordage, de l'étayage, auprès d'une population délaissée et fragilisée, sur les dérives
de nos artères urbaines, quand celle-ci ose encore s'afficher honteusement, dont les sujets sont
en proie à la violence, autant sociale que singulière, psychique, pulsionnelle, inconsciente. De
déliaisons psychiques en déliaisons sociales, de l'exclusion à l'auto-exclusion et l'asphaltisation du
corps dans le béton, notre clinique a pour principal objet d'ouvrir un lieu d'adresse à un Autre
permettant un amarrage du Sujet dans un discours et une relation, un espace de parole qui pourra
permettre de surcroît de déplier une histoire, un vécu traumatique et des événements de vie ayant
abouti à des processus mortifères. Comme l'explique Michèle Benhaïm dans son dernier livre Les
passions vides : « Notre travail clinique n'est pas mesurable, car combien coûte un sourire ? Ce
travail est une nécessité, une obligation, une exigence, car le vide est contagieux. Faisons le pari
qu'il existe des processus de création au sein même de l'effondrement subjectif, que ces mouvements
seront propices à lier les égarements, et que des forces d'ancrage ouvriront un horizon là où il nous
apparaît, pour l'instant, comme obstrué. ». Cela résume ce qui de façon continue nous porte, où
nous misons que dans cette errance physique et psychique rencontrée dans la rue, un amarrage est
possible, une inscription dans un champ social et discursif. Ces hommes et ces femmes qui se vivent
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comme n'ayant pas de place dans le monde en sont exclus, ils sont ceux qu'on aimerait ne pas voir,
ne pas entendre, et qui pourtant, par leur présence, viennent nous rappeler les effets de destruction
et de rupture de liens de notre société. Notre tâche vise à restaurer ces liens rompus par la misère et
la violence. Notre clinique est alors de permettre que ces sujets s'autorisent à retrouver ou parfois
même trouver une place dans le monde, dans une idéologie de plaidoyer pour l’hétérogène et une
anti-conformité au modèle social pour ceux ayant fait le choix de la marginalité.
C'est en voyant dans le petit autre l'humanité que l'on peut redécouvrir la sienne propre, dans une
fraternité autour de la souffrance humaine selon le mot de Pierre Delion, et sa potentialité
d'inscription dans le champ social.
Dans cette clinique que nous appellerons la clinique de l’humanité, notre posture est donc
d'accepter l'inconfort et l'intranquillité, que l’on peut voir comme la résultante des projections des
personnes sans abri, des motions qu’elles nous renvoient et prennent dès lors une grande place dans
notre imaginaire, dans nos fantasmes, souvent morbides et angoissants, qui peut tendre à nous
aliéner dans la relation établie.
L'inconfort et l’intranquillité aussi d’une position de maraudeur qui peine à se définir. Face à
une réalité qui confine au réel, notre travail est d’éviter les refuges de nos positions défensives de
« psy » qui refuserait toute incursion dans la réalité et ne voudrait rien voir des besoins d’étayage
sur l’objet, de celles de travailleurs sociaux qui tendraient à boucher le trou d'une demande que nous
ne pourrions plus entendre au-delà de sa matérialité, de celles de médecins qui ne verraient plus le
sujet mais le seul corps échoué et souffrant.
Notre inconfort et notre intranquillité, c’est donc aussi notre renoncement.
Renoncement à être des sauveurs, à venir soulager la souffrance immédiate ou satisfaire la demande
apparente, à donner à la personne ce dont elle manquerait et dont l’absence l’éloignerait de notre
monde.
Renoncement à être des « psy » (ce que nous ne sommes jamais pour eux car ne nous présentant pas
ainsi), à travailler avec eux sur leur transfert. C’est plutôt sur notre transfert qu’il nous faut travailler
et pour que peut-être, dans un effet collatéral, puisse émerger un discours du sujet dans la régularité
des rencontres.
Renoncement donc à notre position de toute-puissance.
Alors, « Qu’est-ce qu’on fout là ? » comme le dit Oury… C’est cette question que nous
remettons finalement inlassablement sur le métier pour tenter de tisser ces liens, qui ne cesse de
nous travailler en chaque instant de la rencontre.
Nous devons alors, entre maraudeurs, nous porter mutuellement, afin de ne pas tomber dans
ce qu'il en serait d'une fascination, d'une jouissance inconsciente. Nous devons dans cette rencontre
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faire montre d'un étayage respectif entre nous, afin de permettre un décalage de possibles postures
défensives face à ces situations de misère, miseria, malheur, détresse, qui inspire la pitié, en-deçà de
la pauvreté, pauper, produire peu, mais qui peut encore laisser des espaces de création possible.
Dans ce portage mutuel, chaque membre prend alors une fonction thérapeutique spécifique pour les
autres bénévoles, et les sujets de la rue, dans une constellation transférentielle étayante, plurielle,
diffractée. Nous pouvons ainsi faire collectivement face aux effets de violence qui nous sont
renvoyés, dans une posture d'accueil et de maintien d'une dignité humaine. Quand la mort peut
rôder au coin de l'hypothermie hivernale, de la déshydratation estivale, de la violence physique, ou
de l'abandon de soi, hors de la communauté des hommes, l'homme ne serait plus qu'un coquillage
vide, un musel man.
La mission sans abri existe de puis 13 ans. Au départ, elle offrait des consultations aux
personnes sans abri ; aujourd’hui elle propose ce travail d’aller vers et de création de liens. Cette
mission prend tout son sens dans les articulations qu’elle propose avec les partenaires du réseau.
Nous sommes des passeurs, ces liens que nous construisons avec les personnes, nous tentons de les
reproduire avec les acteurs qui interviennent en amont ou en aval de notre action dans les prises en
charge sanitaires et sociales. Ainsi, nous tentons de déployer un maillage solidaire, rigoureux et
attentif autour de la personne sans abri.
Face à une population sans abri de plus en plus nombreuse, protéiforme, confrontée à des
difficultés de plus en plus grande devant la raréfaction des réponses institutionnelles ou associatives
faute de financement, face aux phénomènes migratoires qui ne font que commencer, nous vivons la
maraude comme un acte politique. C’est pour nous un engagement citoyen et concret, fait au
quotidien d’interrogations, de curiosité, de passion plus que de compassion. La frontière entre le
SDF et soi-même est étroite : qui va soigner qui en vérité ? » « Qui sauve un homme, sauve
l'humanité » dit le Talmud.
Cet acte politique doit s’ouvrir. S’ouvrir aux autres citoyens, s’ouvrir aux réseaux de
proximité. C’est dans ce sens que nous souhaitons dans les années à venir faire évoluer notre
action : associer de plus en plus largement les citoyens, les partenaires, et les acteurs locaux du
territoire, en essayant de transmettre quelque chose de la complexité de cette clinique de l’humanité.
BAIDI Christophe – DIMECH Amélie – DOUENEL Corinne – NEGREL Raymond
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Mission Sans-Abri de Médecins du Monde
Texte présenté aux XXXIè Journées de Psychothérapie Institutionnelle
12-13 Octobre 2017
Le texte que nous vous présentons aujourd'hui a été élaboré, pensé et rédigé en équipe afin
de vous témoigner de notre travail auprès des personnes sans abri ainsi qu'au sein de notre collectif.
Notre démarche est celle d'aller-vers les personnes de la rue, au rythme de trois ou quatre
maraudes par semaine, de jour ou en soirée, à pied, en civil, régulièrement dans le même périmètre
et toujours en binôme car il est essentiel de ne pas s’engager seul dans la rue. Parce qu’« un homme
seul n'est pas un homme » disait Lacan, nous visons à créer du lien, des liens, afin d'amarrer le sujet
en errance, relever et mettre en mouvement le sujet coulé dans l’asphalte du trottoir. Créer un lien
pour lui permettre d’exister et de s’inscrire dans des soins somatiques ou des prises en charge
sociales. Si le sens de notre action prend racines dans la rue, celle-ci acquiert toute sa signification
au cours et grâce aux réunions hebdomadaires d’échanges et de travail, lieu de récits certes, mais
surtout invitation à la parole avec nos inquiétudes, nos doutes et nos interrogations. Pour nous, une
remise en cause permanente de nos certitudes est plus qu'obligatoire, nous ne pouvons pas y
échapper. Portés par les valeurs de Médecins du Monde, « Soigner et témoigner », toute notre action
s’accompagne d’une attention à l’autre, sans-abri ou Maraudeur, car la précarité n’est pas réservée
aux gens de la rue : elle traverse également le vécu des habitants de la ville, des institutions, des
travailleurs sociaux avec lesquels se tissent des liens invisibles.
La préparation de cette présentation a été l'occasion de nombreux échanges. Écrire pour
s'exposer dans sa parole est toujours une prise de risque, produit des effets inattendus et souvent
féconds ; ici aussi, la mise au travail est venue révéler la tension dialectique qui s’exerce en nous et
entre nous dans la réalisation de « notre mission ».
« Psychopathologie des soins quotidiens, une boussole pour soignant désorienté »… De
prime abord, ce sujet était fait pour nous car parler de désorientation et de boussole à des
maraudeurs, forcément, ça matche ! Les « soins quotidiens » cela semblait bien être notre « job » …
car ce que nous prétendons, c’est prendre soin de la personne sans abri dans une présence aussi
quotidienne que possible. Mais peut-on qualifier notre action de « soins quotidiens » alors que nous
faisons irruption dans la vie des SDF ? Et sommes-nous des soignants ? Psychopathologie des soins
quotidiens, qu’est-ce que cela veut dire ? Avec sa psychopathologie de la vie quotidienne, Freud
révèle l’inconscient qui nous gouverne. Avec cette « psychopathologie des soins quotidiens »,
sommes-nous invités par l’AMPI à nous intéresser à cet inconscient qui se dévoile dans nos
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errements ? Et de quel inconscient parlons-nous ? Celui des personnes vers lesquelles nous allons
ou le nôtre ? Ainsi, nous avons donc recherché nos impasses, nos dissonances, nos refuges pour
tenter d’entendre quelque chose…
Tel un autre maternel suffisamment bon, notre démarche est d’abord celle d'aller à la
rencontre de cet autre, de ces autres en rupture avec le social, assis sur le macadam une main
tendue, une casquette devant eux. C'est ainsi que nous décidons, au gré de nos pérégrinations, de
nous arrêter sur les bords du chemin et d'adresser un regard, une salutation, au creux du quotidien
de ces personnes exclues, au moment de la manche, du repos, du déjeuner, chez eux, sur ce bord de
trottoir ainsi approprié le temps d'une halte plus ou moins éphémère.
Comment s'adresser à eux et comment être accueillant ? Dans ce mouvement d’aller vers,
nous nous rendons chez eux, nous les interpellons, notre présence, nos mots s’imposent à eux sans
qu’ils n’en aient rien demandé. En retour, ils restent figés, ou nous regardent passivement nous
rapprocher, ils nous serrent la main, nous tendent leur chapeau, nous questionnent : « Qu'est ce que
vous voulez ? »... C’est vrai ça, « qu’est-ce que nous voulons » ?
Pourquoi s’adresse-t-on à un tel plutôt qu’à tel autre ? Qu’est-ce que nous disons à notre
corps défendant en désignant telle ou telle personne comme une personne sans abri ? Chacun fait
selon son inspiration, ses peurs, ses fantasmes, les uns évitent les groupes, les autres les personnes
très alcoolisées, les derniers ceux qui crient … Ce sont nos propres mouvements psychiques qui
nous font nous déplacer vers les uns plutôt que vers les autres.
Aller vers, c’est faire précéder l’offre à la demande. Cela commence toujours par un regard,
un mouvement, un geste et quelques mots :
« Bonjour, comment allez-vous ?»
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? Vous avez besoin de quelque
chose ? »
« Bonjour, je m'appelle Corinne, est-ce que je peux parler avec vous ? Je ne vous dérange
pas ? »
« Bonjour, est-ce que je peux m'asseoir pour discuter avec vous ? »
« Bonjour, moi c'est Marine et vous, c'est comment ? »
Si nous nous présentons comme une équipe de MDM, ce n’est que très rarement que nous
précisons notre profession, en particulier ceux d’entre nous qui pourraient faire partie des
« soignants », de peur peut-être que cet énoncé ne puisse venir entraver la possibilité de la
rencontre, nous réduisant à n'être les uns et les autres que des soignants et des soignés.
« Bonjour, comment allez-vous ?». Cette phrase que dit-elle de nous ? N’est-ce pas une
étrange façon d’aller vers : de quelle place demandons-nous à l'un de nos semblables comment il va
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avant même de le connaître ? Apparemment « si naturelle » ou bienveillante, cette phrase ne seraitelle
pas violente ou intrusive ? Elle semble inscrire d'emblée cette personne que nous souhaitons
rencontrer dans une différence ; elle énonce quasi-explicitement nos fantasmes de réparation, elle
véhicule nos représentations de la précarité, nous réduisant le sujet au « sans abrisme ».
« Je m'appelle Raymond, je fais partie de MDM, tout va bien ? vous avez besoin de quelque
chose ? ». L'accroche implique ici une demande matérielle, elle nous protège, légitime notre venue,
correspond à nos projections… Mais ne prend-on pas le risque qu’elle ouvre et ferme la rencontre
dans le même temps ? Sommes-nous vraiment là pour ça ? Pourquoi venons-nous interroger leur
besoin quand le plus souvent nous ne pouvons pas y répondre ?
On le voit, ce premier contact est difficile pour eux peut-être, pour nous certainement. Il n’est pas la
rencontre mais il n’a de sens que s’il peut être inaugural à celle-ci.
Avec pour références la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse, nous voulons
déployer une clinique de l’accueil, d’humanisation du Sujet, une clinique qui permette une mise en
élaboration progressive d'une parole, conduisant à une restauration du sujet et de son espace intime.
Tout en défendant la logique médico-sociale de Médecins du Monde (la survie de chacun et l’accès
aux soins pour tous restent pour nous une préoccupation permanente), nous souhaitons nous situer
dans le champ de l'intime, au plus près du sujet pris dans une double aliénation psychique et sociale.
Comment déployer cette clinique de la présence dans la rue ? Qu’est-ce que la présence dans un
espace qui n’existe pas, en tant qu’il est sans limite et mouvant ? Quel espace notre présence
pourrait-elle ainsi venir habiter ?
Confrontés nous même à l’errance dans nos maraudes, notre premier défi est de rendre notre
présence ni évanescente ni envahissante. Issu du latin sionare, le « soin » signifie « s'occuper de »,
il est « l'attention que l'on porte à faire quelque chose avec propreté, à entretenir quelque chose. » Il
suppose quelque chose de la continuité, de la quotidienneté. C’est alors cette répétition dans le
temps qui est l’objet de notre attention. La régularité de nos maraudes et nos rituels langagiers ou
gestuels viennent scander le temps, marquer des limites à l’espace informe et crée les possibilités de
la rencontre. Ils nous rendent présents. C’est cela notre premier engagement et c’est le plus
exigeant.
Car cette continuité et cette position d’accueil sont difficiles à tenir.
Nous croisons un jour Emile, avec qui nous avons développé quelques liens au fil de nos maraudes,
parlant avec lui de son histoire comme de l'Histoire de la France, de musique et de littérature, de
chiens … Allant vers lui, l'un de nous demande une première fois « Comment allez vous ? »,
« bien » répond-il. Nous sommes sur une artère passante, il y a beaucoup de bruit, nous nous
asseyons par terre près de lui. Distraits par cette installation, nous n’entendons pas sa réponse et ré-
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itérons la question « Comment allez vous ? ». Emile se lève brusquement, cherchant à échapper à
notre présence, il s'énerve, crie : « Mais qu'est ce que vous me voulez à la fin je n'ai pas besoin de
tuteur moi, je n'ai pas besoin d'un tuteur ! ». Nous restons figés, désarçonnés, décontenancés,
plongés dans notre incompréhension. Nous tentons de le calmer mais rien n’y fait, il est debout,
s'agite, très impressionnant. Après un échange de regard, nous prenons la décision de partir face à
son refus de nous parler et le saluons timidement.
Que s’est-il passé pour Emile dans cette rencontre ? Quelle absence, quelle intrusion serions-nous
venus introduire ou incarner ?
Dans un après coup, une fois l'émotion de cette altercation atténuée, nous réalisons que, pour la
première fois, avant d’aller vers lui, nous nous étions adressés à un autre homme non loin de lui.
Cet événement, pourtant anodin, serait-il venu souligner notre appartenance à Médecins du Monde
et placer Emile comme un SDF parmi tant d'autres ? Comme si, tout à coup, nous n'étions plus sur
un pied d'égalité, nous venions représenter un grand Autre social trop persécuteur, un « tuteur ».
Dans « tuteur » il y a presque tueur… Nous sommes-nous montrés défaillant à ne pas l’entendre,
trop pris par notre propre installation ? Avons-nous fait intrusion chez lui ? Nous n’avions pas
demandé si nous pouvions entrer…
Ainsi, entre une absence d'Autre social fuyant ou un vécu de sa trop grande présence
touchant à la persécution, nous nous situons sur un fil de funambule, tentant de ne pas vaciller entre
deux écueils. Notre engagement dans la continuité est une nécessité lorsque nous faisons le pari
d'un possible, d'une création dans et par le lien. Pour nous qui n’apportons rien, cette présence à
l’Autre n’est faite que de cette continuité. Elle est notre clinique du quotidien, dans la répétition
régulière de nos mots et de nos mouvements venant différencier les espaces pour permettre de les
habiter. Répétition des soins de cet autre souvent maternel, renforçant le sentiment de continuité
d’existence et débouchant sur la construction d’un récit, d’une histoire, commune qui nous lie les
uns aux autres.
Pour les sujets souffrant de troubles psychiatriques, la rencontre avec l'Autre dans la rue,
peut avoir pour conséquence une déglaciation selon les termes de Salomon Resnik, une réanimation
psychique du sujet, où nous devons faire attention aux mouvements de retour de refoulés, à la
résurgence d'événements traumatiques, de mouvements d'agressivité, dans ces moments
particulièrement intenses. Entre défaut ou excès de circulation, telles deux faces d'une même pièce,
« l'asphaltisation » comme l’errance viennent anesthésier le sujet dans la rue, dire son impossible
inscription dans le monde et le « tenir » à distance. L'émergence d'un discours adressé à un Autre
pourrait entraîner une hémorragie psychique ou réactiver une fuite, face à l'incapacité d'inscription
en un lieu, en une temporalité fixe et faisant sens pour le sujet. Alors que d'autres patients peuvent
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se mouvoir physiquement comme psychiquement entre différents lieux, dans une possibilité de
circulation entre les espaces externes et intimes, les plus fragiles dans la rue n’ont souvent pour seul
lieu de référence que l'asphalte même, où le bord du trottoir peut venir marquer un bord de
précipice psychique à la chute sans fond.
L’histoire de la mission est celle de ces moments heureux où les personnes avec lesquelles se
sont tissées des liens ont pu trouver un lieu où s’inscrire, vivre ; mais elle est aussi celle de moments
douloureux où la décompensation somatique ou psychique nous rappelle parfois dramatiquement
que ce qui nous paraît urgent ne l’est pas toujours, et que le temps de l’action doit respecter le temps
psychique du sujet. Nous pourrions ainsi vous raconter l’histoire de Jean Claude ou celle de
Georges qui sont décédés quelques mois suite à leur mise à l’abri.
Survivre est parfois plus facile que vivre.
L’équilibre est fragile, la continuité délicate à maintenir, mise à mal par le Réel. « L’absurde
naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde », nous dit
Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe (1942). Cette clinique de l'extrême, de l’absurde nous
plonge inlassablement dans un non sens.
Travailler en équipe, marauder en binôme ainsi que penser et développer notre boîte à outils
deviennent alors sans cesse nécessaires : sans cela, comment penser cet absurde, comment faire face
à cette violence ? Sans réflexion, il y a ou trop ou pas assez de retour, de continuité, prenant le
risque de faire vaciller les fragiles constructions subjectives bâties sur les bords de l’errance ou de
l’asphaltisation.
La question du don revient massivement dans nos réflexions. Elle est omniprésente par la
misère qui s’offre à nos yeux ou par la demande plus ou moins explicite des personnes que nous
rencontrons.
Cette dernière nous ramène une nouvelle fois à l'absurde et à l’inconfort de notre démarche. Faut-il
ou non donner ? Si nous donnons un jour, que fera-t-on le jour suivant ? Si nous ne donnons pas, ne
faillons-nous pas à être cet être secourable ?
Nous en parlons sans cesse en réunion :
« Quand je rencontre quelqu'un qui a vraiment faim comme ce soir, je fais quoi : je parle ou je
lui donne un sandwich ? »
« Moi je les nourris d'abord pour qu'ils parlent la semaine d'après. »
J’ai rencontré Jean, je l’ai invité à venir à la Sardinade. Il m’a rétorqué « Tu vas pas m'acheter
avec des sardines. »
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« On rencontre un slovaque qui nous demande sans arrêt des baskets du 47, mais c'est pas
évident de trouver des baskets du 47 ! On a fait tous les magasins de sport mais ils s'arrêtaient
au 45, on était désespéré. Finalement, le mec a disparu une fois qu'on les avait trouvés,
heureusement qu'on les a pas acheté ! »
Moi l’autre jour j’ai demandé « Qu'est ce qui pourrait vous faire plaisir ? »… et du coup il m’a
répondu : « Vous croyez qu'on a beaucoup de plaisir dans la rue ? »
« Moi j'avais à manger quand j’ai maraudé hier et donc je leur ai donné… On dira que c'est
parce que je suis nouvelle, que je savais pas qu’on ne donnait pas. »
Nous nous sommes réunis en séminaire l’année passée pour tenter cette question.
A cette occasion, sous avons redit le fondement de notre mission : s'intéresser avant tout à la
relation et ce, sans céder sur notre désir qui risquerait de nous plonger dans du pur humanitaire.
Pour cela, notre travail est d’accepter la frustration de ne pas aider matériellement, de se confronter
à la castration, de se dégager d'une position où nous voudrions faire pour l'autre, à sa place. Nous
sommes là sans rien, et dans ce « rien » se cristallise toute notre position soignante, car, ne venant
rien boucher de la relation avec un objet, nous laissons plutôt dérouler quelque chose du sujet et de
sa demande. Ce rien ouvre le don de confiance et la relation transférentielle. Ce que nous offrons,
c’est nous-même, notre personne propre comme lieu d'adresse Autre où nous accueillons une
singularité malmenée par les errements de l'exil ou de la fuite, les problématiques toxicomanes,
psychotiques ou encore les questions existentielles propres à chaque sujet.
Pour autant, nous ne pouvons laisser quelqu’un mourir de froid dans la rue, ou sans eau en
plein été. Et il n’y a pas à se questionner : ils ont froid, on donne le duvet, ils ont soif, on donne de
l’eau. Toute la difficulté est que cet objet vital ne devienne pas alors tout l’enjeu de la relation : il
est un à-côté sur lequel nous n'avons pas à nous arrêter. Ainsi, nous sommes partis contents de notre
séminaire avec un nouvel outil en poche « L’objet n’est pas un enjeu » !
Soit « l'objet n'est pas un enjeu », mais que devons-nous faire lorsqu'il semble le devenir ?
Nous rencontrons régulièrement un groupe d'hommes. Parmi eux, des personnes qui ont un abri la
nuit mais errent toute la journée durant, d’autres qui sont dans des squats ou à la rue. Plusieurs
d’entre eux ont des soucis de santé importants. Ils sont pour certains pris en charge par des équipes
partenaires sociales ou sanitaires. En lien avec eux, nous tentons de nous rendre présents à eux pour
accompagner à terme les plus fragiles vers les soins. Souvent, quand nous allons les voir, ils sont
alcoolisés et continuent à s'alcooliser devant nous tout en étant toujours accueillants.
Une fois, ils nous demandent à manger. Parce que nous sentons que certains d’entre eux sont en
grande difficulté et parce que « l’objet n’est pas un enjeu » et que, on leur achète de quoi se faire
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des sandwichs. Une fois, deux fois, trois fois… Chaque fois qu'un binôme de maraudeurs passe les
voir, ils sont par un transfert massif et une demande matérielle qui prend de plus en plus de place.
Nous en parlons, y retournons, et cette fois, on les accompagne pour qu’ils achètent eux-mêmes.
Lors d'une maraude où ils ne sont que trois, ils disent avoir froid ; nous nous engageons à leur
ramener des duvets, tel jour vers telle heure. Au moment prévu, nous arrivons avec nos trois
duvets : ils sont cinq ! Embêtés, nous tentons de tenir quelque chose de notre parole ou de se
protéger derrière l'énonciation d'une règle : « Les duvets étaient pour telle et telle personne, si vous
en voulez on vous en ramène la prochaine fois ». L’agitation, le ton montent… Nous nous sentons
pris dans des enjeux groupaux qui nous échappent. Nous laissons les 3 duvets, très soucieux des
effets de ce « don insuffisant », un instant angoissés à l'idée qu'ils puissent se battre, tentant de se
rassurer l'instant d'après en se disant qu'ils en ont régulièrement et « de toute façon, ils les
revendent ». Nous nous défendons comme nous pouvons, face à nos fantasmes, et cette réalité en
étroite collusion avec un Réel inquiétant.
Quelques jours plus tard, une autre équipe, une autre maraude. Ils sont toujours en groupe.
Le dialogue s’engage mais nous sommes préoccupés par Rachid qui est très affaibli. Il ne veut pas
qu’on appelle les secours ni aller consulter. Il tremble. Très hésitants, nous finissons par prendre
congés d’eux. Puis nous revenons sur nos pas, inquiets, pour proposer un café ou un chocolat chaud.
Amine nous agresse : « Et vous croyez qu’on a besoin de vous pour cela ? »... et « D’ailleurs à quoi
vous servez ? ». D’autres membres du groupe viennent nous protéger « Tu sais bien qu’il n’apporte
pas à manger, MDM ! ». Rachid nous retient par le regard mais ne s’exprime pas. Amine se lève,
l’excitation croît. Les autres calment le jeu « Vous pouvez y aller, ne vous inquiétez pas ». Nous
repartons.
Dans la rencontre avec ce groupe, plusieurs phénomènes sont venus se télescoper : le
groupe, la présence parmi ses membres de Rachid, très affaibli, épileptique et grand alcoolique,
objet de notre souci, le froid,… Et l’effet de notre séminaire de réflexion venu nous mettre à l’abri
de notre inconfort par cette belle formule que « l’objet n’est pas l’enjeu ». Lors de nos reprises en
réunion hebdomadaire, dans un travail de constellation transférentielle, nous avons pu toucher du
doigt ce qui sans doute s’était joué à notre insu : nous avons découvert que dans ce groupe, Amine
avait une place de leader, de protecteur… En apportant ces duvets, en prenant soin de Rachid, nous
étions venus déstabiliser le fonctionnement du groupe et peut-être destitué Amine dans la place qu’il
prenait en son sein...
Nous sommes en permanence aux prises de ce conflit : d’un côté agir face à la maladie et à
la misère et d’un autre désirer respecter le temps psychique du sujet.
Si l’objet n’est pas en enjeu, la place de l’objet dans les relations que nous tissons avec les
personnes de la rue ne serait-elle pas tout l’enjeu de notre propre travail psychique ? Ne serait-ce
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pas dans l’analyse « psychopathologique de nos dons » que les soignants désorientés que nous
sommes pourraient trouver leur boussole ?
Nous rencontrons un couple, Anne et Vincent. Anne est enceinte de sept mois. Cette situation
est pour nous tout de suite une urgence, il faut que nous puissions être là si besoin est au moment
de l’accouchement. Trois maraudeurs vont à leur rencontre plus régulièrement et leur donnent
un numéro de téléphone. Vincent, toxicomane, n’est pas suivi ; Anne dit être « clean », elle est suivie
par un CSAPA. A chacune de nos rencontres, ils nous rassurent tout en nous demandant implicitement
quelque chose, jamais directement. De l’argent surtout, pour manger, pour une nuit d’hôtel,
pour préparer la venue du bébé… On hésite à donner, puis on donne, on se réunit, on en parle, puis
on hésite…
- Pourquoi de l’argent ? Est-ce pour acheter de la drogue ?
- Ils ne peuvent pas rester à la rue, cet enfant ne peut pas naître dans le caniveau, nous devons
leur payer l’hôtel jusqu’à l’accouchement…
Tout nous fige. Cet enfant qui peut naître sur le trottoir c’est l’image de cette détresse primordiale
qui vient nous cueillir. Nous sommes comme fascinés, pris par cet hilflos mortifère, par
cette jouissance inconsciente face au spectacle voyeuriste d'une réalité de la misère confinant au
Réel. Nous ajoutons des réunions "exceptionnelles" au mois d'août, on essaie d'élaborer autour de
cette demande toujours implicite mais omniprésente. Nous relevons toutes les incohérences de leur
discours, nous tentons de comprendre leur demande. Nous les connaissons peu finalement, nous
n’avons que très peu d'éléments de leur histoire. Nos fantasmes viennent recouvrir la réalité… On
imagine, se répète, se questionne, puis... On redescend sur terre... Et de nouveau on imagine, se répète,
se questionne. Bref, nous tournons en rond avec l'envie et le besoin pour eux comme pour
nous de se décaler de ce temps chronologique mais dans une impossibilité. Ce bébé va arriver, elle
va accoucher et le risque qu'elle accouche dans la rue est grand. C'est une urgence mais le temps logique
de l'inconscient ne prend, lui, pas en compte cette urgence.
Le temps passe... Elle accouche, tout se passe bien même si c’est moins une. Les analyses
révèlent de nombreux toxiques dans le sang de la mère. S’ensuit le sevrage du bébé. Le père arrive à
s'engager dans une prise en charge. Ils sont suivis par la maternité puis par trois associations différentes
au moins. Nous travaillons avec les autres acteurs ; ils tentent de répondre à leur demande,
cèdent puis lâchent : la maternité les fait sortir, une association leur donne une somme d’argent pour
une mise à l’abri temporaire avec l’enfant puis disparaît... Semble ainsi se répéter un mouvement où
l’objet n’arrive jamais à satisfaire la demande mais où il vient rompre les liens. Pendant ce temps là,
nous tentons de maintenir un lien. Ils ne nous appellent que pour demander. Nous avions donné un
peu d’argent pour quelques nuits d’hôtel avant l’accouchement… Cet argent n’a sans doute pas ser-
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vi à cela… Nous cédons à nouveau sur les couches et sur la poussette, « parce que c’est le soin du
bébé et que cela fait partie de la mission de MDM »… en fait la PMI fournit déjà tout cela… Nous
voilà nous aussi pris dans leur propre répétition… Mais nous le lâchons pas, nous tentons de rester
là pour eux, au-delà des demandes… Nous les écoutons, nous parlons de leur demande, nous ne disons
non, nous tentons de les accompagner vers des acteurs qui pourraient les aider… Et ce faisant,
ils continuent à nous rappeler, un lien semble s’être créé. Et demain ? Nous n’en savons rien, nous
tentons de rester connecté sans imposer notre présence.
De quel objet parlons-nous ?
Il y a l’objet qui répond aux besoins de première nécessité sans lequel il n’y a pas de vie. La
mère nourrit l’enfant de lait et de mots. Dans le dénuement extrême, et c’est le cas pour tous ces
corps échoués sur l’asphalte, rigidifiés par le froid, l’ivresse ou la chaleur, il ne peut y avoir d'autre
maternel sans ses soins de première nécessité.
Il y a l’objet qui est le support à la découverte de l’environnement, l’objet sur lequel vient
s’étayer la relation, l’objet qui permet de parler. Pendant plusieurs années, un membre de la mission
a apporté à un monsieur psychotique qui vivait dans la rue chaque semaine, une canette de coca et
une orange. De canette en orange s’est tissé un lien qui a permis après plusieurs années de mettre à
l’abri ce monsieur. Et aujourd’hui encore, on lui apporte cette canette et cette orange hebdomadaire.
Ces objets ont ouvert la possibilité d’un autre. Le don invite au contre-don, selon Marcel Mauss, il
est au fondement de l’échange et de l’organisation sociale.
Et puis il y a l’objet qui vient boucher la demande, parce qu’il la précède, la camoufle. Cet
objet qui nous rend sourd en nous enfermant dans notre satisfaction narcissique.
Citons une personne anciennement SDF « Donner, je trouve que ça instaure une hiérarchie. On
n’est pas sur un pied d’égalité, cela nous met en dette. J’ai beaucoup de reconnaissance vis-à-vis
de ce que l’on m’a donné quand j’étais SDF, mais revenir à la vraie vie, ce n’est pas être redevable
tout le temps. Quand on reprend sa place d’humain, on doit pouvoir refuser cette dette ».
La place de l’objet est chaque fois à repenser selon les situations, avant et sur le moment mais
surtout dans l’après-coup car ce qui compte, ce n’est pas tant ce que nous faisons ou donnons dans
la rue (faire et donner c’est aussi prendre le risque de la vie), ce qui importe c’est la pensée qui suit
nos actes. Car c’est dans l’après-coup qu’un acte peut devenir passage à l’acte.
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En conclusion : une clinique de l’humanité
« Tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil italien [Lorenzo] m'apporta un morceau de pain
et le fond de sa gamelle de soupe ; il me donna un de ses chandails rapiécés et écrivit pour moi une
carte postale qu'il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et
n'accepta rien en échange, parce qu'il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût
rapporter quelque chose. […] Je crois que c'est justement à Lorenzo que je dois d'être encore vivant
aujourd'hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa
présence, par sa façon si simple et facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un
monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie
n'avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose
d'indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se
conserver vivant. [...] C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas oublié que moi aussi j'étais un
homme. » Primo Levi, Si c'est un homme, (1947), p.186-190.
A l'heure d'un lien social tarifé, marchandisé, contre-sens anthropologique, selon le mot de
l'économiste Frédéric Lordon, notre mission de rue vient s'inscrire dans les rides d'un travail
abandonné par le politique, se reposant sur le secteur associatif et militant. Nous nous situons ainsi
aux confluences étymologiques du creux, ruga, la rue, la ride, d'un visage courroucé et sévère, le
creux marquant aussi l'espace entre deux bords. Ici s'établit une première tache sur laquelle nous
nous portons : du bordage, de l'étayage, auprès d'une population délaissée et fragilisée, sur les dérives
de nos artères urbaines, quand celle-ci ose encore s'afficher honteusement, dont les sujets sont
en proie à la violence, autant sociale que singulière, psychique, pulsionnelle, inconsciente. De
déliaisons psychiques en déliaisons sociales, de l'exclusion à l'auto-exclusion et l'asphaltisation du
corps dans le béton, notre clinique a pour principal objet d'ouvrir un lieu d'adresse à un Autre
permettant un amarrage du Sujet dans un discours et une relation, un espace de parole qui pourra
permettre de surcroît de déplier une histoire, un vécu traumatique et des événements de vie ayant
abouti à des processus mortifères. Comme l'explique Michèle Benhaïm dans son dernier livre Les
passions vides : « Notre travail clinique n'est pas mesurable, car combien coûte un sourire ? Ce
travail est une nécessité, une obligation, une exigence, car le vide est contagieux. Faisons le pari
qu'il existe des processus de création au sein même de l'effondrement subjectif, que ces mouvements
seront propices à lier les égarements, et que des forces d'ancrage ouvriront un horizon là où il nous
apparaît, pour l'instant, comme obstrué. ». Cela résume ce qui de façon continue nous porte, où
nous misons que dans cette errance physique et psychique rencontrée dans la rue, un amarrage est
possible, une inscription dans un champ social et discursif. Ces hommes et ces femmes qui se vivent
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comme n'ayant pas de place dans le monde en sont exclus, ils sont ceux qu'on aimerait ne pas voir,
ne pas entendre, et qui pourtant, par leur présence, viennent nous rappeler les effets de destruction
et de rupture de liens de notre société. Notre tâche vise à restaurer ces liens rompus par la misère et
la violence. Notre clinique est alors de permettre que ces sujets s'autorisent à retrouver ou parfois
même trouver une place dans le monde, dans une idéologie de plaidoyer pour l’hétérogène et une
anti-conformité au modèle social pour ceux ayant fait le choix de la marginalité.
C'est en voyant dans le petit autre l'humanité que l'on peut redécouvrir la sienne propre, dans une
fraternité autour de la souffrance humaine selon le mot de Pierre Delion, et sa potentialité
d'inscription dans le champ social.
Dans cette clinique que nous appellerons la clinique de l’humanité, notre posture est donc
d'accepter l'inconfort et l'intranquillité, que l’on peut voir comme la résultante des projections des
personnes sans abri, des motions qu’elles nous renvoient et prennent dès lors une grande place dans
notre imaginaire, dans nos fantasmes, souvent morbides et angoissants, qui peut tendre à nous
aliéner dans la relation établie.
L'inconfort et l’intranquillité aussi d’une position de maraudeur qui peine à se définir. Face à
une réalité qui confine au réel, notre travail est d’éviter les refuges de nos positions défensives de
« psy » qui refuserait toute incursion dans la réalité et ne voudrait rien voir des besoins d’étayage
sur l’objet, de celles de travailleurs sociaux qui tendraient à boucher le trou d'une demande que nous
ne pourrions plus entendre au-delà de sa matérialité, de celles de médecins qui ne verraient plus le
sujet mais le seul corps échoué et souffrant.
Notre inconfort et notre intranquillité, c’est donc aussi notre renoncement.
Renoncement à être des sauveurs, à venir soulager la souffrance immédiate ou satisfaire la demande
apparente, à donner à la personne ce dont elle manquerait et dont l’absence l’éloignerait de notre
monde.
Renoncement à être des « psy » (ce que nous ne sommes jamais pour eux car ne nous présentant pas
ainsi), à travailler avec eux sur leur transfert. C’est plutôt sur notre transfert qu’il nous faut travailler
et pour que peut-être, dans un effet collatéral, puisse émerger un discours du sujet dans la régularité
des rencontres.
Renoncement donc à notre position de toute-puissance.
Alors, « Qu’est-ce qu’on fout là ? » comme le dit Oury… C’est cette question que nous
remettons finalement inlassablement sur le métier pour tenter de tisser ces liens, qui ne cesse de
nous travailler en chaque instant de la rencontre.
Nous devons alors, entre maraudeurs, nous porter mutuellement, afin de ne pas tomber dans
ce qu'il en serait d'une fascination, d'une jouissance inconsciente. Nous devons dans cette rencontre
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faire montre d'un étayage respectif entre nous, afin de permettre un décalage de possibles postures
défensives face à ces situations de misère, miseria, malheur, détresse, qui inspire la pitié, en-deçà de
la pauvreté, pauper, produire peu, mais qui peut encore laisser des espaces de création possible.
Dans ce portage mutuel, chaque membre prend alors une fonction thérapeutique spécifique pour les
autres bénévoles, et les sujets de la rue, dans une constellation transférentielle étayante, plurielle,
diffractée. Nous pouvons ainsi faire collectivement face aux effets de violence qui nous sont
renvoyés, dans une posture d'accueil et de maintien d'une dignité humaine. Quand la mort peut
rôder au coin de l'hypothermie hivernale, de la déshydratation estivale, de la violence physique, ou
de l'abandon de soi, hors de la communauté des hommes, l'homme ne serait plus qu'un coquillage
vide, un musel man.
La mission sans abri existe de puis 13 ans. Au départ, elle offrait des consultations aux
personnes sans abri ; aujourd’hui elle propose ce travail d’aller vers et de création de liens. Cette
mission prend tout son sens dans les articulations qu’elle propose avec les partenaires du réseau.
Nous sommes des passeurs, ces liens que nous construisons avec les personnes, nous tentons de les
reproduire avec les acteurs qui interviennent en amont ou en aval de notre action dans les prises en
charge sanitaires et sociales. Ainsi, nous tentons de déployer un maillage solidaire, rigoureux et
attentif autour de la personne sans abri.
Face à une population sans abri de plus en plus nombreuse, protéiforme, confrontée à des
difficultés de plus en plus grande devant la raréfaction des réponses institutionnelles ou associatives
faute de financement, face aux phénomènes migratoires qui ne font que commencer, nous vivons la
maraude comme un acte politique. C’est pour nous un engagement citoyen et concret, fait au
quotidien d’interrogations, de curiosité, de passion plus que de compassion. La frontière entre le
SDF et soi-même est étroite : qui va soigner qui en vérité ? » « Qui sauve un homme, sauve
l'humanité » dit le Talmud.
Cet acte politique doit s’ouvrir. S’ouvrir aux autres citoyens, s’ouvrir aux réseaux de
proximité. C’est dans ce sens que nous souhaitons dans les années à venir faire évoluer notre
action : associer de plus en plus largement les citoyens, les partenaires, et les acteurs locaux du
territoire, en essayant de transmettre quelque chose de la complexité de cette clinique de l’humanité.
BAIDI Christophe – DIMECH Amélie – DOUENEL Corinne – NEGREL Raymond
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CAAT+CATI 36modules sur 2années |
NOMBRE DE MODULES |
NOMBRE DE JOURS PAR MODULES |
NOMBRE D'HEURES DE FORMATION |
FINANCEMENT PERSONNEL |
FINANCEMENT ÉTABLISSEMENT |
---|---|---|---|---|---|
PARCOURS FONDAMENTAL EN ART THÉRAPIE |
24 |
6 soit 72 |
510h |
7920€ |
14400€ |
PARCOURS THÉORIQUE |
6 |
8 journées et 2h mensuelles (16 jours) |
100h |
1200€ |
1200€ |
PARCOURS ARTISTIQUE |
6 |
4 (12 jours) |
120h |
900€ |
900€ |
PARCOURS PROFESSIONNEL À TRAVERS UN STAGE DE L'OBSERVATION À LA MISE EN PRATIQUE |
- |
- |
470h |
- |
- |
- |
- |
100 journées sur 2 années sur l'organisme de formation |
1200h |
10020€ taux horaire de 8,35€ |
16500€ taux horaire de 13,75€ |
CAAT 18 modules annuel |
NOMBRE DE MODULES |
NOMBRE DE JOURS PAR MODULES |
NOMBRE D'HEURES DE FORMATION |
FINANCEMENT PERSONNEL |
FINANCEMENT ÉTABLISSEMENT |
---|---|---|---|---|---|
PARCOURS FONDAMENTAL EN ART THÉRAPIE |
12 |
3 soit 36 annuels |
255h |
3960€ |
7200€ |
PARCOURS THÉORIQUE |
3 |
4 journées et 2h mensuelles (8 jours annuels) |
50h |
600€ |
600€ |
PARCOURS ARTISTIQUE |
3 |
2 (6 jours annuels) |
60h |
450€ |
450€ |
PARCOURS PROFESSIONNEL À TRAVERS UN STAGE D'OBSERVATION |
- |
- |
115h |
- |
- |
- |
- |
50 journées annuelles sur l'organisme de formation |
500h |
5010€ annuel taux horaire de 10,02€ |
8250€ annuel taux horaire de 16,50€ |
CATE 24 modules sur 2 années |
RENDEZ VOUS MENSUEL |
FINANCEMENT PERSONNEL (ANCIENS ÉTUDIANTS) |
FINANCEMENT PERSONNEL |
FINANCEMENT ETABLISSEMENT |
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MISE EN SITUATION PRATIQUE |
de 3 à 4h |
30€ |
60€ |
- |
ANALYSE DE PRATIQUE PROFESSIONNELLE |
2h |
30€ |
60€ |
- |
PRIX JOURNÉE |
6h |
60€ |
120€ |
- |
PRIX ANNUEL |
72h |
720€ |
1200€ |
1500€ |